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Au niveau des acteurs : un dispositif reposant énormément sur leur relationnel et leur investissement

Un dispositif dont les particularités peuvent être stigmatisantes

Chapitre 2 Quand les particularités deviennent des stigmates

2.2.3. Au niveau des acteurs : un dispositif reposant énormément sur leur relationnel et leur investissement

La réussite d’un dispositif inclusif dans un établissement repose sur l’implication de tous ses acteurs et pour cela la direction, en la personne du chef d’établissement doit positionner dès le début l’inclusion au cœur des préoccupations de l’établissement.

66 En tant que représentant de l’institution scolaire, le directeur d’école ou le chef d’établissement a des responsabilités et des fonctions importantes à l’égard des élèves allophones car non seulement il est responsable de la logistique et du pilotage interne [...], mais il se doit également d’intégrer la mission de scolarisation de ces enfants dans la politique de l’établissement. (Young, A., 2011 : 97)

Les premiers concernés sont bien entendu les enseignants et souvent on s’aperçoit que l’inclusion et le bon fonctionnement du dispositif reposent sur le relationnel et l’investissement de l’enseignant FLS avec les équipes pédagogiques. L’enseignant FLS doit se charger de connaître les enseignants et surtout d’être identifié par eux et cela passe en général par des échanges informels plus que par des réunions d’information. Souvent les enseignants de classe ordinaire considèrent le fait d’avoir les élèves du dispositif dans leur classe comme une faveur faite à l’enseignant FLS. I m’est souvent arrivé d’entendre les enseignants dire « tes élèves », « je vais prendre tes élèves », « il faut que je note tes petits ». Les enseignants de la classe de rattachement parlent rarement de ces élèves par leur prénom mais les désignent presque toujours comme des élèves appartenant avant tout au dispositif et sous la responsabilité exclusive de l’enseignant FLS. « Les enseignantes d'UPE2A constatent que souvent les élèves allophones n'ont pas de place prévue dans leur classe de rattachement et que les enseignants de ces classes sont parfois réticents à les accueillir. » (Lanier, V., 2016 : 69) C’est pourquoi, les autres enseignants voient comme une faveur le fait d’accueillir ces élèves bien que le dispositif ne soit pas une classe et qu’ainsi ils appartiennent forcément à une classe ordinaire et non au dispositif. Cette coordination est extrêmement chronophage et dépend beaucoup des affinités que l’enseignant a avec les équipes pédagogiques. Souvent une négociation précède l’inclusion bien que l’enseignant FLS soit dans son plein droit puisque l’élève ne s’ajoute pas à l’effectif de la classe il fait déjà partie de cette classe. Cependant, parfois la seule chose que voit l’enseignant de classe ordinaire est le fait qu’un élève en plus arrive en cours d’année et qu’il va le retarder, l’enseignant FLS doit donc négocier :

Je me suis pris des trucs du genre : « Mais de quel droit tu te permets de mettre des élèves dans ma classe ? » C’est là qu’on ne se comprend pas en fait, les élèves ils font partie de ta classe et moi je suis sympa et je les prends avec moi sur certains temps pour essayer d’améliorer leurs compétences.53

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Cf. annexe n°4 : transcription / entretien avec un enseignant coordinateur d’UPE2A, second degré, p. 170.

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C’est pourquoi lorsqu’un enseignant FLS est là sur plusieurs années, il réfléchit parfois avec le chef d’établissement en amont aux places qui vont être réservées aux allophones l’année suivante en fonction des équipes. Il arrive aussi que l’enseignant FLS décide de ne pas inclure ses élèves dans une matière où il sait que l’enseignant n’accueillera pas les élèves de manière bienveillante. Lors du premier trimestre l’une des élèves du dispositif allait en anglais car elle avait manifesté de l’enthousiasme pour cette matière et que son emploi du temps le lui permettait. Cette élève avait un niveau A1 à l’oral mais A0 à l’écrit donc elle ne pouvait pas travailler sur les supports écrits que distribuait l’enseignante. Après plusieurs échanges avec cette enseignante n’ayant plus de retours de sa part, j’ai cru qu’elle avait finalement adopté comme on l’avait évoquée une approche orale. Les conseils de classe approchant, je vérifie un à un les bulletins et vois que cette enseignante a évalué l’élève en rouge (non acquis) avec pour appréciation « aucun investissement de la part de l’élève, ne prend pas son cours et ne participe pas ». Après modification de l’appréciation au conseil de classe en rappelant que l’élève est arrivée au début de l’année ne sachant ni lire ni écrire et qu’elle est allophone, j’ai retiré l’élève de cette matière. Si l’élève est dévalorisé et rejeté à cause de ses difficultés linguistiques, de ce qui fait sa différence il est stigmatisé et marginalisé et donc exclu et il est inutile de le laisser car il risque de décrocher.

Un élève UPE2A est un élève en difficulté, mais en difficulté linguistique, il n’a pas de trouble cognitif, ne pose pas de problèmes de comportement en général et cela n’est pas bien identifié par les autres enseignants. Ils ont parfois tendance à voir l’UPE2A comme une classe « poubelle » où l’on peut envoyer tous ceux qui ne savent ni lire ni écrire ou bien qui perturbent le cours et que l’enseignant ne peut pas gérer.

Cela soulève également des faits de pressions exercées sur les enseignants concernant les effectifs d’élèves dans ces dispositifs (NSA mais aussi plus largement en UPE2A, du premier et second degrés) : ils sont nombreux à faire état de remarques selon lesquelles ils n’ont que peu d’élèves, comparés à leurs collègues de l’ordinaire, et pourraient en prendre plus pour « soulager » ces derniers, de la part de leurs collègues, chefs d’établissement et / ou directeurs d’école. (Armagnague-Roucher, M., Cossée, C., & alli, 2018 : 208)

Dans mon dispositif, il m’est arrivé plusieurs fois au début de l’année de recevoir des listes d’élèves à prendre en charge par les enseignants de classe ordinaire en réponse

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à mes mails alors que je communiquais sur les élèves du dispositif. Ce qui est intéressant à noter, c’est que souvent les enseignants n’avaient pas identifié les élèves du dispositif dans leur classe car ils avaient un niveau équivalent voire supérieur au groupe et donc ils m’envoyaient d’autres élèves. Cela en arguant le nombre réduit d’élèves que j’avais au même moment. Or, il est impossible pour l’enseignant FLS de prendre en charge ces élèves en plus de ceux du dispositif, bien qu’il y ait parfois des exceptions quand il s’agit d’un ou deux élèves.

Ainsi donc pour inclure ses élèves, l’enseignant FLS doit soigner le relationnel, être intégré dans les équipes et si possible apprécié « si je veux inclure mes élèves, il faut que moi-même, je sois incluse. » (Champeval, B., 2013 : 222) Si le professeur n’est pas connu ou mal vu des équipes enseignantes il y est fort probable qu’il aura beaucoup de difficultés à inclure ses élèves et qu’il subira comme eux la stigmatisation et la marginalisation.

Le second groupe d’acteurs au centre des préoccupations d’inclusion est évidemment les élèves eux-mêmes dont l’inclusion dépend de leur relation avec les autres élèves de l’établissement. Avant de réussir à être acceptés, les élèves se confrontent souvent à des situations de marginalisation voire de discrimination.

En arrivant dans l’établissement, ils subissent régulièrement une stigmatisation culturelle et passent par une phase d’acculturation aux pratiques scolaires. Par exemple, au début de l’année l’une des élèves du dispositif très motivée et investie se levait toujours pour prendre la parole lorsqu’elle était interrogée car dans son pays d’origine cela faisait partie des règles de classe. C’est pourquoi elle a rapidement été stigmatisée par les autres et subit des moqueries. L’acculturation aux pratiques scolaires peut donc être abrupte et le dispositif donne également les codes de l’école aux élèves. Les élèves bénéficiant d’une prise en charge en dispositif peuvent aussi être associés aux élèves d’ULIS ou bien subir une discrimination intellectuelle qui passe par des insultes ou des moqueries comme l’explique cette enseignante « j’ai eu plusieurs élèves qui refusaient de venir parce qu’ils me disaient qu’on les traitait de gaous54

et ils se sentaient un petit peu dévalorisés à l’idée de venir en classe avec moi. »55

Cela devient une véritable problématique lorsque les apprenants deviennent réticents à venir en cours à cause de

54 Signifie « fou » en shimaore. 55

Cf. annexe n°4 : transcription / entretien avec un enseignant coordinateur d’UPE2A, second degré, p. 169.

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cette discrimination car l’enseignant ne peut travailler correctement avec eux et souvent ils le rejettent.

À Mayotte la situation est particulière car il faut bien prendre en compte le racisme systémique qui existe entre les Mahorais et les Comoriens. Ainsi, les élèves du dispositif en majorité Comoriens sont souvent discriminés par leur origine, on les associe immédiatement à leur nationalité, comme l’explique cette enseignante :

Après à S. on n’aime pas trop les Comoriens mais comme pas mal d’endroits mais je crois que y a quand même des familles qui sont assez virulentes ici. En conseil d’administration même si moi j’étais par forcément là parce que j’y siège pas mais voilà, je lis les comptes rendus et ouais tout le monde n’est pas forcément favorable à l’existence d’une UPE2A.56

Il faut noter que cela n’est pas réservé aux élèves du dispositif mais le fait que ces élèves appartiennent à un dispositif spécialisé et donc qu’ils soient « différents » semble légitimer le racisme envers eux.

Dans la classe, je remarque qu’en grand groupe (entre dix et quinze élèves) les élèves se moquent d’une erreur de compréhension, de l’incompréhension de la question et d’une réponse inadéquate. Il leur arrive aussi souvent de dénoncer leur camarade qui ne respecte pas les règles de classe ou bien qui regarde sur la feuille du voisin. Pourtant en petits groupes d’autonomie (cinq élèves), une entraide s’est mise en place après les premiers mois, les élèves plus à l’aise aident les plus en difficulté sur leur îlot. Il arrive même parfois qu’un élève plus âgé et d’un autre groupe qui ne réalise pas la même activité à ce moment-là, aille aider un élève plus faible à une autre table. C’est le cas d’un élève qui a de grosses difficultés en lecture et écriture mais qui est particulièrement fort en maths, il n’hésite pas lorsque le vendredi tous les élèves ont maths, à leur niveau respectif, à aller aider ses camarades et leur expliquer en shimaore ou par des signes, les exercices qu’ils n’ont pas compris. Ceci est une démarche valorisante pour lui et pour les autres une aide précieuse. Ils prennent ainsi une certaine autonomie et entrent dans une démarche pédagogique où ils expliquent eux-mêmes ce qu’ils ont compris.

Enfin, en ce qui concerne les amitiés qui peuvent se nouer grâce à l’UPE2A, le contexte de Mayotte implique des différences par rapport à une UPE2A en métropole.

56 Cf. annexe n°5 : transcription / entretien avec une enseignante – chargée de mission au CASNAV,

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En effet, souvent l’élève scolarisé dans l’UPE2A a des frères et sœurs dans le collège, car les familles font venir les enfants des Comores petit à petit donc l’élève a déjà des repères. De plus, le temps d’attente conséquent qui précède la scolarisation laisse la possibilité à l’enfant de s’intégrer dans le village et de se faire des amis. Souvent ces enfants-là sont scolarisés dans le collège où sera scolarisé le jeune ainsi lorsqu’il arrive, l’élève a déjà des amis dans le collège. De même, lorsqu’ils arrivent en classe ordinaire, ils n’ont pas cette barrière de la langue avec leurs camarades qui est présente en métropole où ils sont tous d’origine différente. Ce n’est pas cela qui va les empêcher de s’intégrer au groupe classe puisqu’ils se comprennent en revanche leur appartenance ethnique et leur appartenance au dispositif seront les obstacles à l’intégration.