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L’absence d’orientation

progression de l’apprenant

Chapitre 2 Les effets ambigus du dispositif

3.2.3. L’absence d’orientation

À Mayotte, il existe un véritable obstacle à la réussite de la scolarisation des élèves en général qui touche donc forcément les élèves du dispositif, il s’agit du manque d’orientations possibles après le brevet des collèges et le baccalauréat. Comme nous l’avons signalé auparavant l’île a subi une forte augmentation de la population en quelques années et parallèlement à cela s’est mise en place la scolarité obligatoire. Cependant le territoire a du mal à suivre logistiquement cet accroissement du nombre d’enfants scolarisés. Cet obstacle est présent dès l’école primaire jusqu’à l’orientation professionnelle puisque l’île manque d’établissements mais aussi de formations et ne peut pas garantir le droit à l’orientation.

L’État doit assurer ce droit à l’éducation à tout jeune de plus de 16 ans s’il en fait la demande. Or quelquefois, des acteurs de l’Éducation Nationale font valoir que ces jeunes ne sont pas à scolariser en priorité car ils ne sont plus dans le périmètre de l’obligation scolaire. Ceci est une interprétation abusive et fausse de cette obligation car cette dernière est faite aux parents ou aux tuteurs légaux d’enfants de 6 à 16 ans, pas à l’État. (Armagnague-Roucher, M., Cossée, C., &

alli., 2018 : 157)

L’absence de possibilités suffisantes à Mayotte ne permet pas à l’Education nationale de remplir cette obligation. De ce fait, les critères de sélection ne sont plus du tout les mêmes qu’en métropole, à savoir que pour un élève scolarisé en UPE2A à Mayotte, arrivant en 4ème ou 3ème avec un niveau équivalent au CP, on n’aura probablement rien à

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Cf. annexe n°5 : transcription / entretien avec une enseignante – chargée de mission au CASNAV, p. 192.

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lui proposer. Là où en métropole, on pourrait l’orienter vers une formation comme un Certificat d’Aptitudes Professionnelles (désormais CAP) ou un Brevet d'Études Professionnelles (désormais BEP), à Mayotte ce sera impossible.

La plupart d’entre eux échouent au Diplôme national du brevet (DNB) et sont massivement orientés par défaut — en raison d’une maîtrise insuffisante de la langue scolaire — en filière professionnelle. Ces constats formalisés dans l’enquête Pisa de 2006 ont été publiés dans le livre vert de la Commission des communautés européennes en 2008. Celui-ci avait notamment souligné, au sein des principaux pays européens, dont la France, « la surreprésentation des élèves immigrants dans l’enseignement professionnel » et leur quasi-absence dans l’enseignement supérieur. (Guedat-Bittighoffer, D., 2015 : 84)

Cela concerne principalement les élèves arrivant n’ayant pas ou peu été scolarisés auparavant et dont la prise en charge d’un an en UPE2A est insuffisante. Les formations professionnelles n’étant pas nombreuses et le nombre d’élèves pouvant prétendre à une voie générale étant réduit, les places dans ces formations reviendront à des élèves ayant un « bon » niveau. C’est-à-dire un niveau qui leur permette de suivre les enseignements dispensés, ils doivent donc savoir lire et écrire convenablement et n’ayant aucune difficulté d’apprentissage ou problème de comportement. Les élèves qui arrivent en 3ème

avec un niveau équivalent au cycle 2 ne pourront pas prétendre à ces formations même si leur niveau de compréhension et de production orale atteint un A2 au niveau du CECRL.

Le niveau B1 à l’écrit est le niveau minimum pour obtenir une orientation choisie, que trois années d’apprentissage sont au moins nécessaires pour l’atteindre lorsque l’élève est non-francophone et que les progressions sont tributaires principalement des niveaux de compétences initiales. (Armagnague-Roucher, M., Cossée, C., & alli., 2018 : 30)

On note donc l’aspect discriminant des orientations quand il s’agit des élèves allophones. En effet pour prétendre à une orientation qui lui convienne et qui soit prise en pleine conscience l’élève doit avoir un niveau B1 selon le CECRL ce qui prendrait entre quatre et sept ans. C’est pourquoi souvent les élèves allophones n’ayant pas une maîtrise suffisante de la langue française sont orientés vers des formations professionnelles quand cela est possible même si elles ne correspondent pas aux souhaits des élèves, ou pire ne bénéficient d’aucune orientation.

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Tout cela représente une réelle difficulté dans l’académie de Mayotte où l’on ne dispose pas de structures d’accueil à proposer à ces jeunes de plus de 16 ans qui n’ont pas été scolarisés antérieurement ou bien qui ont été pris en charge dans le dispositif mais n’ont pas pu atteindre un niveau leur permettant de prétendre à une formation ou d’obtenir un Brevet ou un Certificat de Formation Générale (désormais CFG) comme le souligne cette interviewée :

Alors il faut savoir que sur les 1 200 on a énormément d’élèves de plus de 15 voire 16 ans qui ont un niveau scolaire parfois cycle 2. En métropole, il y a pas de soucis on trouve des systèmes mais à Mayotte où après la 3ème on n’arrive déjà pas à accueillir en CAP, BEP etc en filière professionnelle on n’arrive déjà pas à accueillir des élèves de tout petits profils scolaires qui sortent de 3ème. Il n’y a pas assez de places en fait et ce nombre de places est limité parce qu’il n’y a pas le tissu économique nécessaire pour avoir plus de stages professionnels. On peut pas avoir de stages professionnels donc on ne peut pas augmenter le nombre de places. Donc en fait on n’a pas… le rectorat à Mayotte n’a pas pour l’instant de dispositifs adéquat pour des élèves arrivants allophones avec un niveau scolaire cycle 2.89

Le nombre de formations dépend du nombre d’entreprises présentes sur l’île qui pourraient potentiellement accueillir des élèves en stage ou en apprentissage, le problème étant que le maillage économique reste encore restreint. Cela ne permet pas d’ouvrir plus de formations car les étudiants ne trouveraient pas de stage pour valider leurs compétences professionnelles. Par ailleurs, il faut encore une fois prendre en compte le contexte socio-historique de Mayotte et rappeler le racisme existant envers les Comoriens. Ce phénomène est aussi une des raisons pour lesquelles il est très difficile de proposer une orientation aux élèves qui arrivent en fin de collège comme le souligne justement la personne interrogée : « on n’avait plus rien à proposer. Ici on est coincés complet parce qu’en fait les patrons ne veulent pas signer de contrat d’apprentissage avec les Comoriens. »90

Dans ces démarches le rôle et l’implication de l’enseignant UPE2A est également très important. Pour les élèves qui ne rencontrent pas trop de difficultés scolaires le professeur principal peut s’en occuper mais pour les élèves du dispositif scolarisés tardivement la tâche incombe souvent à l’enseignant UPE2A par réticence du

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Cf. annexe n°3 : transcription / entretien avec un membre du CASNAV, p. 146.

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professeur principal. Pourtant, le professeur principal reçoit une formation pour l’orientation que ne reçoit pas l’enseignant FLS qui doit s’auto-former sur la question.

Dans le second degré, le rôle de l’enseignant de l’UPE2A dans ce domaine est décisif. C’est lui qui s’occupe des orientations des élèves et les enseignants témoignent d’une réelle difficulté à réaliser ce travail les années où ils « reçoivent beaucoup d’élèves » de 3ème. Il n’y a pas de temps officialisé pour en discuter

collectivement avec les collègues et les équipes de direction, les acteurs des CIO. Chaque temps relève du bricolage et de l’initiative de l’enseignant. (Armagnague- Roucher, M., Cossée, C., & alli., 2018 : 209)

Cela est d’autant plus difficile qu’il existe comme on l’a vu très peu de formations professionnelles accessibles pour les élèves qui arrivent tardivement en UPE2A, l’enseignant doit donc se battre pour obtenir quelque chose pour ces élèves. C’est aussi une des raisons pour lesquelles, lorsqu’un enfant arrive sur le territoire pour une scolarisation en 3ème avec un niveau équivalent au cycle 2, il a très peu de chance d’être scolarisé car les chefs d’établissement savent qu’ils ne pourront pas lui proposer d’orientation en fin de 3ème

et leur objectif est de pouvoir trouver une orientation à chaque élève. En effet, il y a deux éléments à prendre en compte pour l’orientation de ce type d’élève, leur niveau et leur identité. Non seulement leur niveau ne sera pas suffisant pour intégrer une formation professionnelle, par ailleurs les responsables de ces formations préfèrent souvent ne pas prendre le risque d’accueillir un élève d’UPE2A car c’est un élève qui très probablement ne trouvera pas d’entreprise pour faire son stage du fait du racisme ambiant qui règne entre Mahorais et Comoriens.

Ce manque d’orientation est un véritable problème à Mayotte car pour un allophone qui arrive en 3ème sans savoir lire ni écrire, même en travaillant énormément et avec beaucoup de motivation après une seule année dans le dispositif il sortira avec un niveau de primaire. Pour beaucoup d’enseignants le dispositif est bénéfique et indispensable mais la limite à une année est dérisoire, malgré la pression de scolarisation. Les enseignants estiment frustrant et incohérent de prendre la peine de scolariser un enfant une année pour qu’il commence à déchiffrer et de le laisser sans soutien, suivi ou formation adaptée par la suite. Cela revient non seulement à un échec scolaire mais aussi à un futur échec social. On revient ici au lien entre inclusion scolaire et sociale, lorsque la première échoue généralement la seconde également et elles deviennent alors les doubles de l’exclusion. À Mayotte, cette problématique reste toute

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entière : faut-il scolariser autant que possible en essayant de garantir le minimum au maximum d’élèves ou bien faut-il scolariser moins mais amener les élèves à un niveau qui leur permettra d’avoir une vie sociale et de trouver un travail ?

Chapitre 3 - Des pistes de réflexion pour tendre vers l’inclusion plutôt que