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Une méconnaissance du dispositif responsable d’un phénomène de stigmatisation

Un dispositif dont les particularités peuvent être stigmatisantes

2.1.1. Une méconnaissance du dispositif responsable d’un phénomène de stigmatisation

La gestion du dispositif UPE2A suppose l’implication de tous les membres d’un établissement. Chacun à son niveau doit se sentir concerné pour que l’inclusion réussisse. Si les acteurs n’identifient pas la vocation du dispositif, il est très difficile de le mettre en place seul.

La question de l’inclusion des allophones en classe ordinaire est primordiale car elle implique, de la part des chefs d’établissement et des enseignants, des aménagements d’emploi du temps, des gestes professionnels spécifiques, des démarches pédagogiques différenciées, des outils facilitateurs pour étayer, donc un suivi particulier. (Charpentier, M., & Graffeuil, J., 2016 : 88)

L’inclusion des EANA n’est possible que si le dispositif est positionné à tous les niveaux, c’est pourquoi il est important de s’assurer que chaque acteur connaît sa mission et les caractéristiques de l’UPE2A en général. Si tel n’est pas le cas les élèves et le dispositif peuvent faire l’objet de marginalisation, les enseignants peuvent être réticents à accueillir des élèves et subir l’inclusion de ces derniers. Dans les entretiens réalisés, on remarque que les enseignants ont une idée vague du dispositif qu’ils ne connaissaient pas forcément avant :

47 Je connais pas forcément le sigle, mais je pense que c’est surtout pour les élèves qui ne savent pas écrire ni lire. Donc du coup, ils ont mis à disposition un professeur qui va les alphabétiser.35

Pour moi c’est pour les allophones, en gros c’est pour les gens qui ne parlent pas la langue, pour qu’ils apprennent les bases de la langue française pour pouvoir suivre une scolarité derrière. Avant de venir ici je n’avais pas réellement connaissance du dispositif je savais qu’il y avait des trucs qui existaient.36

C’est encadrer des élèves en situation difficile qui peuvent venir de l’étranger ou bien même ici en France, à Mayotte mais qui rencontrent vraiment des difficultés dans l’éducation par rapport à leur niveau.37

Si j’ai bien compris, c’est un dispositif d’intégration et d’inclusion, c’est pour intégrer les nouveaux arrivants qui ne sont pas forcément francophones ou qui ne parlent pas la langue ou qui la parlent peut-être pas correctement. Le but c’est de les inclure un certain temps voire complètement dans une classe pour qu’ils puissent suivre pour la suite.38

C’est seulement en mettant toutes les explications bout à bout que l’on peut en tirer la définition complète. On remarque certaines hésitations dans la prise de parole des enseignants : « si j’ai bien compris », « en gros », ils ne sont pas sûrs d’avoir bien saisi l’utilité de ce dispositif et quels sont les critères qui permettent d’en bénéficier. Ceux qui ont retenu les concepts clés « inclusion », « intégration », « allophones » sont les trois enseignants avec qui une collaboration a été possible et même sollicitée par ces derniers au cours de l’année. Leur connaissance du dispositif s’est accrue grâce à leur curiosité personnelle qui a par ailleurs permis dans leurs matières respectives une bonne inclusion des élèves, des visites de ma part pour observer les élèves en inclusion et un travail sur les supports. Les enseignants dont la connaissance du dispositif est limitée ne s'investissent pas forcément dans son fonctionnement. L’enseignante qui pense que le dispositif est un cours d’alphabétisation n’a pas réussi à inclure les EANA dans sa classe mais a refusé les visites et entrevues proposées. Ces deux élèves de 4ème étaient en effet non-lecteurs, non-scripteurs à leur arrivée. Démunie devant cette difficulté, l’enseignante n’a pas réussi à les inclure malgré les conseils et l’incitation à les solliciter à l’oral exclusivement, dans un premier temps. Dans cette situation l’inclusion est un

35Cf. annexe n°7 : transcription / entretien avec une enseignante de classe ordinaire où sont inclus des

EANA, p. 202.

36Cf. annexe n°8 : transcription / entretien avec une enseignante de classe ordinaire où sont inclus des

EANA, p. 207.

37Cf. annexe n°10 : transcription / entretien avec une enseignante de classe ordinaire où sont inclus des

EANA, p. 216.

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Cf. annexe n°9 : transcription / entretien avec une enseignante de classe ordinaire où sont inclus des EANA, p. 211.

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échec. C’est pourquoi Cabaribère souligne que la méconnaissance du dispositif empêche les collaborations.

Je repère ici que les difficultés à travailler en partenariat sont surtout liées d’une part à la méconnaissance du champ de l’inclusion scolaire, d’autre part aux reconnaissances mutuelles des compétences, et enfin à la compatibilité entre les acteurs. (Cabaribère, N., 2019 : 70)

La méconnaissance du dispositif par les autres enseignants ou même par la direction conduit également à des situations d’amalgame. À Mayotte, il est compliqué pour les enseignants de classe ordinaire de cerner les élèves allophones parce que la population entière est allophone si l’on ne tient pas compte des métropolitains venus travailler dans ce département d’outre-mer. Comme on l’a vu précédemment, leur langue maternelle est le shimaore et non le français. L’allophonie n’est donc pas forcément un critère qui peut aider les enseignants à identifier les élèves du dispositif. Par ailleurs, l’autre élément à prendre en compte qui n’est pas toujours fiable est le niveau des élèves. Les élèves de classe ordinaire peuvent parfois avoir un faible niveau, certains élèves arrivent en 3ème en étant scolarisés depuis la primaire à Mayotte et ne savent toujours pas lire, ni écrire. Ce qui explique pourquoi lorsque l’on expose aux enseignants ce qui fait qu’un élève a droit au dispositif, à savoir que sa langue première n’est pas le français et qu’il nécessite donc un accompagnement personnalisé en FLS pour pouvoir suivre les autres enseignements beaucoup répondent « comme la plupart de nos élèves ». Finalement souvent la distinction se fait par la date d’arrivée sur le territoire. C’est ainsi que l’enseignant FLS se retrouve dans une position délicate où il doit refuser des listes d’élèves en difficulté envoyées par les autres enseignants et cela peut être très mal perçu.

Il existe également l’autre tendance, celle des enseignants qui voient les élèves du dispositif comme des apprenants au niveau extrêmement faible, qui ne pourront forcément pas suivre dans leur cours et qui sont donc réticents à les accueillir. Le souci que pose cette vision du dispositif est que l’enseignant ne va pas se remettre en question car il confond les problèmes de langue avec des lacunes. Ce n’est pas parce que l’élève ne maîtrise pas la langue qu’il n’a aucune connaissance, cela signifie simplement qu’il ne peut pas comprendre ce qu’on lui demande. Cela reflète comme le constate Lanier,

49 Une incompréhension ou méconnaissance de la situation dans laquelle se trouvent les élèves allophones, de leur parcours scolaire antérieur, de leurs conditions de vie également, et une non remise en question des enseignants quant à leurs pratiques. (Lanier, V., 2016 : 70)

Un autre amalgame revient fréquemment dans les esprits : la confusion entre les élèves allophones et ceux relevant d’un handicap. L’une des premières causes de cela vient du fait que ces élèves relèvent de deux dispositifs portant des sigles, à savoir UPE2A et ULIS. Lorsque ces sigles ne sont pas explicités et différenciés, ils sont associés par défaut puisqu’étant des dispositifs d’inclusion et ayant un fonctionnement similaire mais ils sont en réalité destinés à deux publics bien distincts. Lorsque la distinction n’est pas établie dès le début de l’année par le chef d’établissement cela peut induire les autres acteurs en erreur. L’une des enseignantes interrogées raconte que sa salle est la même que celle de l’enseignant d’ULIS :

La décision qui a été prise c’est que je partage la salle avec le professeur d’ULIS qui est là tous les matins sauf le vendredi matin. Voilà, donc je prenais les restes et donc c’est pour ça que je me suis organisée de cette manière, c’est-à-dire que je prends les heures de disponibilités de la salle et ensuite je greffe mes élèves là-dessus.39

Ce genre de dispositions favorise les confusions aussi bien de la part des élèves que des professeurs. La salle peut alors symboliser l’espace où se rendent ceux qui ont un handicap sans distinction entre ULIS ou UPE2A.

On note une mauvaise utilisation des termes désignant les dispositifs d’inclusion : « allophone » est utilisé comme « non-francophone », UPE2A comme ULIS, « intégration » comme « inclusion », ce qui interroge sur leur légitimité. Si l’on se penche par exemple sur le terme « allophone », on s’aperçoit qu’il ne possède comme signification « élève dont la langue première n’est pas celle du pays où il réside » que dans les ouvrages concernant ce public ou dans les circulaires du dispositif. Originellement « allophone » désigne la « réalisation particulière d'un phonème40 dans un environnement phonique déterminé » ce qui peut induire en erreur les utilisateurs de ce terme. C’est pourquoi Maryse Adam-Maillet rappelle dans un entretien que « les termes particularisants, les mots-frontières éloignent du mouvement général et privent

39 Cf. annexe n°4 : transcription / entretien avec un enseignant coordinateur d’UPE2A, second degré,

p. 163.

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d’une dignité ontologique. »41

La désignation par des termes spécifiques singularise et marginalise automatiquement puisqu’on ne fait plus partie de l’ensemble.

L’une des difficultés rencontrée auprès des équipes éducatives qui entrave la réussite des élèves est l’erreur de placement. Certains enseignants pensent qu’un élève ayant des difficultés d’apprentissage relève du dispositif UPE2A, de même que parfois on pense qu’un allophone relève du dispositif UPE2A alors qu’il a des problèmes d’apprentissage liés à un retard cognitif ou à un autre souci et cela entrave l’efficacité du dispositif sur les autres élèves qui eux ont des problèmes de langue. C’est le cas dans le dispositif du collège où j’exerce, où l’on a reçu un élève allophone en septembre qui était non-lecteur, non-scripteur mais qui maîtrisait très bien l’oral. Après plusieurs mois dans le dispositif, il n’avait absolument pas progressé malgré diverses tentatives et méthodes employées, il ne parvenait pas à retenir l’alphabet ni à retenir les associations graphophonologiques. Après avoir rencontré la famille de nouveau, on s’est aperçus que les informations que l’on avait sur cet élève étaient erronées et que son parcours scolaire n’était pas clair. Il avait été peu ou pas scolarisé mais les parents étaient incapables de reconstituer son parcours. Malgré cela, il n’avançait pas au rythme des autres élèves NSA du dispositif ce qui m’a rapidement fait penser qu’il relevait probablement plutôt d’une ULIS car il avait des problèmes d’apprentissage et non de langue. Le problème de ce genre de situation est que l’enseignant doit consacrer énormément de temps à un élève présentant ce type de difficultés mais n’ayant pas de formation spécifique pour ce genre de cas souvent ses efforts sont vains. Ce temps consacré à un seul élève sans résultat est du temps perdu pour les autres élèves du dispositif et ce à cause d’une erreur d’affectation qui peut relever d’une méconnaissance du dispositif ou bien d’une catégorisation stigmatisante de l’élève qui ne sachant ni lire ni écrire relève forcément de l’UPE2A. C’est pour cette raison que les tests de positionnements sont indispensables mais parfois insuffisants.

Proposer un parcours d’apprentissage en fonction d’une analyse objective des besoins et le mettre en place selon la démarche inclusive diffère considérablement au fait de ne tenir compte que des difficultés linguistiques pour orienter et, de facto, exclure. (Nicolas, C., & Stratilaki-Klein, S., 2016 : 130)

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Ainsi la définition et la vocation du dispositif doivent être connues de tous dans l’établissement sans quoi les élèves au lieu d’être inclus en bénéficiant d’un parcours personnalisé selon leurs difficultés linguistiques sont finalement exclus.

Enfin, au centre de tout cela se retrouve l’enseignant FLS qui assure pour pallier les manques, des rôles qui ne relèvent pas de l’enseignement mais qui y sont pourtant indispensables. Ces responsabilités lui reviennent mais ne sont pas forcément identifiées par les autres collègues qui peuvent ne pas lui trouver de légitimité pour celles-ci. Le problème du dispositif est qu’il ne revêt pas simplement des missions d’enseignement mais qu’identifiées ou non, les missions de l’enseignant UPE2A sont aussi sociales. L’enseignant n’est pas cantonné à son rôle de professeur, l’accompagnement et le suivi des élèves demandent de s’impliquer personnellement. Il rencontre et accueille les familles, il constitue un relai entre l’assistante sociale et la famille, il est aussi souvent un intermédiaire psychologique pour les élèves notamment lorsqu’ils arrivent sur le territoire après avoir vécu une migration difficile. Cela pose question :

En quoi certaines causes sont-elles considérées comme prioritaires et méritent-elles d’être emparées par la sphère scolaire, tandis que ce n’est pas le cas pour d’autres ? En quoi cela peut-il provoquer un glissement des missions de l’institution scolaire, qui relèvent originellement des apprentissages, vers d’autres, qui n’en sont pas moins importantes, mais qui relèvent d’autres champs ? (Armagnague-Roucher, M., Cossée, C., & alli, 2018 : 58)

En effet, c’est le problème que pose ce dispositif qui se trouve toujours à la jonction entre le champ pédagogique, didactique et le champ social. Il manque d’une attribution claire des tâches qui reviennent à l’enseignant et aux autres acteurs comme l’explique cette chargée de mission au CASNAV, il est nécessaire de mettre en place un document, une circulaire spécifiant le rôle de chacun :

Essayer de cadrer au mieux pour tous les collègues d’UPE2A pour qu’il y ait un document officiel signé par le recteur pour cadrer le truc. [...] Tout, l’appel, les absences, les emplois du temps, on épluche tout, donc je suis un peu optimiste mais je suis contente de travailler dessus parce que je me dis que ça peut être hyper positif pour la répartition de qui fait quoi et comment parce que là c’est le flou total et toujours au détriment de l’enseignant FLS.42

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Cf. annexe n°5 : transcription / entretien avec une enseignante – chargée de mission au CASNAV, p. 192.

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Dans l’état actuel des choses, les missions de l’enseignant de l’UPE2A ne sont pas clairement spécifiées (emploi du temps, absences, orientation, bulletins, et bien d’autres) et très fréquemment cela est désavantageux pour l’enseignant. Dans le premier cas de figure, c’est une mission qui lui incombe mais on ne lui laisse pas forcément l'exécuter comme il le souhaiterait. Dans le second cas, c’est une mission qui ne lui revient pas mais l’enseignant de classe ordinaire ou la direction se déchargent ne sachant pas forcément à qui elle revient. C’est la raison pour laquelle un document officiel encadrant les missions de chacun permettrait de réduire les tensions aux seins des établissements et d’accroître l’efficacité du dispositif.