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5.2. Trois postures vis-à-vis de la conceptualisation du Français : comparaison

5.2.3. Nicolas Sarkozy (2007-2012)

Le sous-corpus est caractérisé avant tout par la présence forte de définitions du Français. En effet, la nécessité d’affirmer l’identité nationale a été l’une de motivations de Sarkozy pour la création du Ministère de l’Immigration, l’Intégration, l’Identité nationale et le Développement solidaire et le lancement du Grand débat sur l’identité nationale.

Figure 5.2-8 Analyse arborée des occurrences reliées au mot-pôle [identité] du sous-corpus Sarkozy

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Son intérêt pour la promotion de l’identité nationale est lisible dans le graphique.

Nous pouvons regrouper les termes [débat], [diversité], [pathologie84], [fiers] qui

apparaissent au centre du graphe comme les mots utilisés pour revendiquer la glorification/l’affirmation de l’identité nationale.

L’identité nationale, je l’ai dit ces derniers mois, ce n’est pas un gros mot, il y a une identité française que nous aimons et que nous voulons poursuivre et nous souhaitons qu’elle soit respectée (Sarkozy, le 3 juillet 2007).

La France a une identité particulière qui n’est pas au-dessus des autres, mais qui est la sienne et je ne comprends pas qu’on puisse hésiter à prononcer ces mots identité nationale française (Sarkozy, le 27 octobre 2009).

Parce qu’on est sûr de son identité, on accepte la rencontre avec d’autres identités (Sarkozy, le 20 avril 2012).

La conceptualisation du Français devient une affaire liée davantage à la question de différences au sein de la population française. Pour Mitterrand, elle se situe par rapport à l’international, notamment vis-à-vis de la construction de l’union européenne. Chirac, quant à lui, prend une position intermédiaire. Pour lui, cette thématique est liée, d’une part aux enjeux internationaux et européens, et au problème de la mondialisation. Mais, d’autre part, elle est posée pour répondre à un souci pour la cohésion intérieure. Alors que pour Sarkozy, même si l’on peut toujours constater une présence importante du discours sur l’identité nationale lié à la question de l’Europe, la lecture du sous-corpus montre que la préservation de l’identité nationale devient clairement un enjeu intérieur important, en lien avec la question de l’immigration, comme en témoigne la sur-fréquence du mot immigration (figure 5.2-9), dans ce sous-corpus.

84 « Notre projet, c’est une identité forte, à partager avec d’autres, qui ont une identité forte – pas la négation

de notre identité ! C’est peut-être le plus grand intellectuel du 20e siècle, Claude Levi-Strauss, qui l’avait dit,

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Figure 5.2-9 La fréquence relative du mot [immigration] par sous-corpus

Toujours dans la figure 5.2-8, on peut observer l’apparition des nombreux termes liés à la conceptualisation du Français. A la différence de Chirac, le lexique de Sarkozy suggère la prédominance de la définition ethnico-culturelle. Plus précisément, les mots [culture] et [langue] apparaissent à la gauche du graphique et [histoire], [racines], [européenne], [chrétienne] et [chrétienne] présents à la droite témoignent de la forte présence des définitions basées sur les éléments culturels de l’identité nationale. Ces éléments sont présentés souvent de manière reliés l’un à l’autre.

Derrière la diversité, derrière les oppositions, les contradictions, les conflits dans lesquels notre peuple a trop souvent épuisé ses forces, il y a l’unité profonde de notre culture, de notre civilisation. Passant sans cesse de la désunion à l’union, le peuple français sait au fond de lui-même que ce qui le rassemble est plus fort que ce qui le divise. On comprend l’Histoire de France quand on accepte de vibrer avec le souvenir du Sacre de Reims et d’être ému par le récit de la fête de la Fédération. On est pleinement français quand on prend conscience que la France girondine et la France jacobine sont les deux visages d’une même réalité nationale. On est français parce que l’on regarde la Chrétienté et les Lumières comme deux versants d’une même civilisation dont on se sent l’héritier. Mais on est français aussi parce que l’on ne se reconnaît

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pas dans une race, parce que l’on ne se laisse pas enfermer dans une origine et pas davantage dans une religion (Sarkozy, le 6 janvier 2012).

Mais la frontière, c’est aussi la protection, cher Jacques Toubon, de notre langue, de notre culture, de notre cinéma, de nos droits d’auteur. Nous sommes les héritiers de Victor Hugo, de Maupassant, de Voltaire. Nous sommes la France, nous ne venons pas de nulle part. Dans notre histoire, il y a Jeanne d’Arc, il y a le général de Gaulle, il y a tant de faits de gloire, tant de faits d’armes, il y a une mémoire collective ! Nous ne voulons pas que tout cela explose à tout-va ! Nous sommes fiers de cela non pas contre les autres mais nous disons : la culture française doit être défendue, incarnée ! La langue française, cette langue, c’est la nôtre ! (Sarkozy, le 26 avril 2012)

Parmi ces éléments culturels, il met l’accent notamment sur une dimension historique et sur les racines de la France et des Français. Par-là, en citant les personnalités historiques et la religion cathorique, il constitue dans son discours, une histoire et des racines particularisants du Français.

La France a une identité, forgée par l’histoire. Alors les historiens ne sont pas tous d’accord sur la date à laquelle commence l’histoire de notre pays. Pourtant les noms des bâtisseurs célèbres de notre Nation vous sont déjà familiers : Clovis, Philippe Auguste, Jeanne d’Arc, Henri IV, Bonaparte, Charles de Gaulle (Sarkozy, le 11 mars 2008).

Nous venons de loin, et nous ne supportons plus la mise en cause permanente de notre pays ! Quand j’ai osé, quand j’ai osé ! Quand j’ai osé parler de l’identité nationale, j’ai eu l’impression de prononcer une incongruité. L’identité de notre pays. Mais si nous ne savons pas d’où nous venons ! Nous sommes le pays de Voltaire, nous somme le pays de Victor Hugo, nous sommes le pays de Maupassant, nous sommes le pays de Jeanne d’Arc, nous sommes le pays du Général De Gaulle ! Nous venons de loin. Bonaparte, c’est chez nous, hein ! Ce pays s’est construit parce que des générations successives l’ont voulu, l’ont défendu, se sont battues pour lui ! (Sarkozy, le 28 avril 2012) Cette revendication de la particularité française amène Sarkozy à prendre des positions quelque peu contrastées. D’une part, quand il propose aux personnes naturalisées de s’approprier et d’adhérer à des éléments spécifiques qui caractérisent le Français, il manifeste une conception renanienne de la nation-contrat. Sarkozy étant lui-même le fils d’un père immigré, sa revendication d’éléments culturels et historiques de « notre nation »

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témoigne de la possibilité de l’appropriation pour les Français qui ne sont pas « de souche ». Dans ce discours, ces éléments, détachés de la dimension ethnique, peuvent être inclusifs et ne désignent pas d’altérité.

La langue française est le cœur de notre identité nationale, sa principale richesse. En tant que citoyens français, vous en êtes les dépositaires. L’identité de la France, c’est un patrimoine littéraire, artistique, paysager sans équivalent dans le monde. Ce patrimoine, vous devez vous l’approprier, chacun à votre manière (Sarkozy, le 11 mars 2008).

La France ne demande à personne d’oublier son histoire ou sa culture. Mais elle demande à ceux qui veulent lier leur sort au sien de prendre aussi son histoire et sa culture en partage. La France ne se pense pas comme une juxtaposition de communautés ou d’individus. La France n’est pas seulement une communauté d’intérêts. Devenir français, c’est adhérer à une forme de civilisation, à des valeurs, à des mœurs (Sarkozy, le 12 novembre 2009).

Figure 5.2-10 La fréquence relative du mot [racine (init85)] par sous-corpus

85 (init) est mis après un mot signifie que lors de traitement par Hyperbase, j’ai sollicité une fonction qui

permet de traiter un groupe de mots qui ont le même commencement. Dans le cas de [racine (init)], le logiciel prend en compte le groupe de mots composé par [racine] et [racines].

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Figure 5.2-11 Analyse arborée des occurrences reliées au mot-pôle [racine (init)] du sous- corpus de Sarkozy

Pourtant, ce discours inclusif qui s’inscrit dans la conception de la nation-contrat n’est pas la caractéristique principale de ses discours dans le corpus. Dans les autres

passages, notamment dans sa revendication des racines chrétiennes de la France86, nous

observons une distorsion de ce premier discours vers un discours excluant vis-à-vis de certaines populations, en l’occurrences les immigrés non-chrétiens. Dans la première citation, « nos compatriotes d’identités, d’origine différentes » mentionne l’« Eux » contre ce « Nous » chrétiens. N’étant pas explicitement définis, leur altérité est clairement manifestée par l’expression « on accueille ». Ce sont des gens que l’on (= « Nous » chrétiens) accueille.

Je veux dire d’ailleurs que ce fut une grave erreur – et je le dis en Seine-Saint- Denis en sachant à qui je parle – que pendant tant d’années, mes propres amis se sont contorsionnés pour reconnaître ce qui, à mes yeux, était depuis longtemps une évidence, je veux parler des racines chrétiennes de la France. Quand je dis que la France a des racines chrétiennes, je ne fais pas la défense d’une église, je regarde simplement dix siècles de royauté et d’église qui ont construit une nation, je regarde ce long manteau de cathédrales et d’églises. Et

86 Les termes [racines], [chrétienne], [chrétiennes] que l’on repère dans la figure 5.2-10 sont employés pour

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dire que la France a des racines chrétiennes, ça permet d’accueillir ceux de nos compatriotes qui n’ont pas une racine chrétienne et de venir additionner leur identité à la nôtre. Mais si, dans le même temps où on accueille des compatriotes d’identités, d’origines différentes, si dans le même temps, on conteste l’identité profonde de la nation française, il ne peut pas y avoir d’intégration parce que chacun se sentira menacé dans l’identité qui est la sienne ! (Sarkozy, le 26 avril 2012)

[...] ils (électeurs de FN) ont dit : nous sommes un pays qui vient de loin, nous avons une histoire, nous voulons être accueillants pour les autres, mais nous voulons qu’on respecte notre pays, qu’on respecte notre histoire, qu’on considère notre identité. Ils ont dit : arrêtez, vous les responsables, de vous cacher derrière votre petit doigt, reconnaissez, revendiquez l’identité de la France, revendiquez notamment que la France a des racines chrétiennes. [...] Mais comment voulez-vous que nos enfants soient fiers de notre pays si nous ne revendiquons pas nos racines, comment voulez-vous savoir où aller dans l’avenir si vous êtes incapable d’assumer que vous venez de là dans le passé, comment voulez-vous que nous soyons ouverts, généreux, accueillants si nous n’aimons pas suffisamment la France, si nous n’aimons pas suffisamment notre histoire, si nous ne revendiquons pas suffisamment ce qui a fait le pays que nous ont légué nos parents et nos grands-parents (Sarkozy, le 28 avril 2012). Sarkozy n’occulte pas les éléments civiques dans sa conceptualisation du Français. Le terme [valeurs] est présent dans le graphique d’environnement d’un mot établi avec le mot-pôle identité (figure 5.2-8). Mais, comme montrent les mots [respecte], [accueillante], [accueille], [respect] qui figurent dans le graphique qui montre les corrélations des mots avec les mots-pôles [valeur (init)] (figure 5.2-12), les « valeurs républicaines » sont utilisées pour marquer la différence en réclamant aux gens que la France « accueille » de respecter ces valeurs. Le discours montre parfois un ton durci en manifestant un soupçon de non-respect de ces valeurs chez certaines populations.

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Figure 5.2-12 Analyse arborée des occurrences reliées au mot-pôle [valeur (init)] du sous- corpus de Sarkozy

La France doit faire partager ce qu’elle a de plus précieux à ceux qu’elle accueille, c’est-à-dire ses valeurs, sa culture, son histoire. Et si la France est prête à offrir à tous les hommes la fraternité, si dans les valeurs de la France il y a la générosité, si la France veut rester ouverte et accueillante, elle veut aussi qu’on l’aime et qu’on la respecte (Sarkozy, le 29 mai 2007).

La France est un pays de tolérance et de respect. Mais elle demande aussi qu’on la respecte. On ne peut pas vouloir bénéficier des droits sans se sentir obligé par les devoirs. [...] On ne peut pas vouloir tous les avantages de la République si l’on ne respecte aucune de ses lois, aucune de ses valeurs, aucun de ses principes (Sarkozy, le 11 mars 2008).

D’abord, je pense que nous ne devons plus accepter sur notre territoire qui que cela soit qui n’ait pris la peine, avant d’entrer sur notre territoire, d’apprendre le français et de retenir les valeurs de la République. [...] Imaginez, imaginez quelle peut être la vision d’un enfant de famille immigrée dans notre école, dont la mère est enfermée au domicile, parce qu’elle ne parle pas un mot de français, parce que son mari – disons les choses comme elles sont – l’empêche de sortir, la claquemure dans l’appartement, la claquemure derrière une prison de tissu. Cet enfant-là, dont la maman, la mère n’est pas capable de lire le mot ou la lettre de l’instituteur ou du professeur, n’est pas capable de soutenir une

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conversation avec le professeur de son enfant, quelle image ce jeune enfant aura-t-il, devenu grand, de la société française, de sa mère, de l’autorité de sa mère et de ses parents ? (Sarkozy, le 18 avril 2012)

En outre, au lieu de mentionner les valeurs principales de manière globale, l’orateur met l’accent sur certains aspects particuliers, en l’occurrence l’égalité homme-femme et la laïcité. Nous pouvons imaginer facilement les cibles concrètes du discours, entres autres, la population musulmane. La conception du Français posée fait émerger la figure de l’Autre.

Et puis dans les valeurs qui sont les nôtres c’est aussi la République, la République qui s’oppose et qui s’opposera de toutes ses forces à toutes velléités et tentations de communautarisme, la République c’est le contraire du communautarisme. La République elle est accueillante, mais elle dit à celui ou à celle qu’elle accueille tu es accueilli dans un pays qui a une longue histoire, qui a une tradition, qui a un mode de vie, qui a des valeurs et ce pays qui est prêt à t’accueillir n’acceptera pas qu’on remettre en cause ces valeurs, ces traditions et son mode de vie ! La République, la nôtre, [...] celle qui dit qu’à Lille comme ailleurs sur le territoire de la République nous ne voulons pas de piscine municipale avec des horaires pour les femmes et des horaires pour les hommes ! Que dans nos hôpitaux nous voulons les mêmes médecins pour les femmes et pour les hommes parce que c’est la République française ! Et que dans nos écoles nous voulons les mêmes menus pour tous les enfants d’une République laïque ! (Sarkozy, le 18 avril 2012)

A la différence de Chirac qui cherche un rétablissement de l’unité par une conception du Français civique et englobante, la conceptualisation du Français par Sarkozy se caractérise par un accent mis sur le culturel qui évolue – même si l’on observe aussi le discours inclusif dans l’ordre de la nation-contrat - vers un discours visant avant tout à marquer la différence. Cette différenciation est effectuée par une opération de la particularisation - donc l’ethnicisation - du Français en insistant sur l’existence de ses caractéristiques concrètes. Comme nous avons déjà vu dans les deux autres sous-corpus, l’affirmation de l’existence de la particularité française en soi n’est pas une nouveauté. Les deux autres présidents affichent une vision essentialiste de la culture française. Mais, la grande différence est que, alors que dans les sous-corpus de Mitterrand et de Chirac, cette « culture française » est traitée comme allant de soi, donc n’est jamais devenue l’objet de description concrète, dans le sous-corpus de Sarkozy, le fait d’être Français est décrit de manière concrète, autrement dit, les éléments composants de cette culture ou de

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caractéristique du Français sont détaillés. Nous pourrions le qualifier comme une ethnicisation du Français par la particularisation.

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