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5.2. Trois postures vis-à-vis de la conceptualisation du Français : comparaison

5.2.1. François Mitterrand (1981-1995)

Figure 5.2-1 Analyse arborée des occurrences reliées au mot-pôle [identité] du sous-corpus Mitterrand

La figure 5.2-1 montre la co-occurrence des mots avec le mot-pôle identité dans le sous-corpus de Mitterrand. Le premier constat à propos de ce graphique est sa simplicité. Il contient peu de mots par rapport aux graphiques avec le même mot-pôle des deux autres sous-corpus. Dans cette figure, nous ne pouvons pas trouver les mots concernant la définition de l'identité nationale. La lecture des textes originaux nous confirme que l’expression de l’identité nationale est utilisée sans être définie : « Ce grand programme affirmait notre identité nationale [...] » (Mitterrand, le 29 avril 1987). Cela confirme en effet l’hypothèse posée lors de la lecture de la liste des mots spécifique que Mitterrand donne relativement peu de définition du Français.

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Un autre constat est que la liaison entre [identité] et [nationale] qui apparaît à gauche du graphe forme un groupe avec les mots comme [europe], [orientale] et [centrale]. Ces relations nous suggèrent la revendication d’une affirmation de l’identité nationale de chaque pays vis-à-vis de l’Europe. Elle fait écho avec le constat que nous avons tiré de la liste des mots spécifiques de ce sous-corpus, l’intérêt que Mitterrand porte aux relations internationales. En d’autres mots, contrairement surtout à Sarkozy, son discours sur l’identité nationale ne se déroule pas autour du thème de l’immigration, ou de la question de différences au sein de la population française.

Notre nouvelle frontière, à nous, Français et Européens, consiste à abolir les frontières à l’intérieur de notre Europe et à montrer comment nous pouvons affirmer notre identité nationale tout en construisant une réalité en même temps qu’un symbole, celui de l’Europe unie (Mitterrand, le 29 avril 1987).

L’Europe est une nécessité. Il ne s’agit pas d’effacer ce que nous sommes puisque je proclame la nécessité d’une Europe où chacun des pays pourra mieux affirmer son identité nationale (Mitterrand, le 29 octobre 1987).

Malgré l’absence relative de conception du Français, on trouve néanmoins quelques définitions du Français dans ce sous-corpus, et ce, notamment à la dimension ethnico- culturelle. Le terme [culturelle] qui apparaît dans la figure 5.2-3 atteste cette présence.

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Figure 5.2-2 La fréquence relative81 du groupe de mots [culture] et [cultures] par sous-

corpus82

Figure 5.2-3 Analyse arborée des occurrences reliées au groupe de mots-pôles [culture] et [cultures] du sous-corpus Mitterrand

81 Hyperbase propose de calculer la fréquence relative du mot en tenant en compte de l’écart observé entre la

fréquence réelle d’un mot dans le texte et la fréquence théorique attendue en fonction de la proportion du texte en employant la formule de l’écart réduit. Comme nous avons vu également dans le chapitre 4, il s’agit donc de fréquence calculée en prenant en compte des différences de la taille de chaque sous-corpus.

82 « Seuil à 5 % », correspondant à la plage -2 +2, signifie le seuil de la fiabilité de valeur. Si les valeurs des

écarts réduits sont inférieures à cette plage, il faut être prudent sur le sens à donner à leur positivité ou négativité de valeur. Car, dans ce cas, « l’hypothèse nulle ne peut être écartée et les écarts peuvent être considérés comme pouvant s’expliquer par le hasard » (Brunet, 2006).

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Nous avons déjà, nous les pays de l’Europe, renoncé à bien des aspects de souveraineté qui eussent paru intangibles avant 1914. Je crois à la vertu des nations, je crois aussi aux identités nationales. Je crois, j’en vis, je l’exprime, nous nous sentons Français par notre histoire, notre culture, nos habitudes, nos affections, nos goûts, nos rêves, nos entreprises (Mitterrand, le 22 octobre 1987).

Chacun de nos pays perdra sa chance dans l’histoire des hommes, dans l’histoire du monde s’il n’a pas l’audace de s’associer et de se fondre dans une construction supérieure où nous nous sentons, où je vous sens, capables d’assurer la permanence de notre identité. On n’effacera pas comme cela l’identité française, ni sa culture, ni ses modes de civilisation (Mitterrand, le 29 octobre 1987).

Une description plus ou moins concrète de l’appartenance des Français apparaît quand Mitterrand emploie le terme civilisation. Le Français est considéré comme porteur de la même civilisation que les populations d’autres pays d’Europe.

Mais nous n’avons pas à fermer les yeux sur l’apport des pays voisins qui relèvent de la même civilisation que nous (Mitterrand, le 22 octobre 1987). Et nous vivrions comme s’il n’y avait pas, à travers notre continent de l’Europe, non seulement de notre côté, là l’Occident, mais aussi de l’autre, une chance nouvelle. Un jour tous ces barrages, ces murs s’abattront, plus tôt que vous ne le croyez, et l’on redécouvrira une autre fraction de l’Europe où les mêmes sources de la culture, où les mêmes inspirations spirituelles, où les mêmes formes de l’art ont prévalu jusqu’à créer une civilisation dont nous sommes les fils (Mitterrand, le 29 octobre 1987).

Néanmoins, Mitterrand ne donne pas de description concrète de cette culture et cette civilisation. Pour lui, l’existence de la culture et de la civilisation française est une évidence. Cette conception essentialiste de la culture est également observée dans son discours – rare par rapport à ceux qui portent sur la relation avec les autres nations – sur les « allogènes » intérieurs.

Ce brassage perpétuel, c’est la France. [...] Bref, notre identité relève de la multiplicité que la France a su assumer, non pas pour se détruire, mais pour s’épanouir et se multiplier. [...] La force de l’assimilation, l’intégration culturelle, la capacité des Français à rechercher leurs mots là où cela signifie

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quelque chose pour eux, cela doit nous inciter parfois à quelques précautions. [...] Lorsque l’on a la chance d’appartenir à un pays comme le nôtre et que des minorités viennent s’agréger à notre vie nationale, n’ayons pas la prétention de les dominer, mais profitons de la chance de tirer de leur propre culture ce qui nous permettra d’enrichir la nôtre (Mitterrand, le 25 novembre 1987).

Même s’il affirme le brassage comme un caractère de la France, la différence culturelle est essentialisée, dans le sens où les immigrés ou les étrangers sont considérés comme propriétaires d’une autre culture qui donnent des apports à la culture française. Même si le contenu de la culture française peut être changé, la frontière entre des Nous et des Eux chacun porteurs de « leurs » propres cultures existe bel et bien. De plus, le mot « minorités » signale une séparation forte entre Français et ceux qui « viennent s’agréger à notre vie nationale ». Cette vision de la distinction naturelle entre les Français et les « allogènes » – intérieurs ou extérieur – le dispense de définir ce que veut dire être Français.