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Enquête auprès des personnes-sujets

4.B.2 I NFORMATION ET CONSENTEMENT

La décision des volontaires sains à titre gratuit que nous avons interrogés est prise au moment où ils réalisent l'acte positif consistant, pour se porter candidat, à téléphoner ou écrire à l'organisme qui sollicitaient publiquement les bonnes volontés. Ici, l'information préalable vient, comme un signe parmi bien d'autres, renforcer une confiance préalable. Il n'y a aucune ambiguïté sur le caractère de la situation de recherche pour les volontaires que nous avons interrogés.

4.B.2.1. Une information surabondante dans un dispositif très étalé dans le temps Le dispositif d'IRC de l'essai vaccinal est décrit comme très étalé dans le temps, avec information à chaque étape du recrutement ; assemblées générales d'information et publications du promoteur viennent compléter la panoplie des moyens d'information avec lesquels les volontaires interrogés ont été en contact.

Le récit de Gabriel, qui se juge « bien informé sur la technique », illustre bien l'intrication du processus de sélection et du processus d'information ; et, au final, la consistance et la précision de l'information qui peut être retenue :

J'ai écrit il y a un an à la suite d'un article de journal où j'apprenais qu'on cherchait des volontaires pour tester des vaccins contre le sida. […] J'ai reçu une première réponse avec un long questionnaire […]. Ensuite, j'ai été invité à un entretien, à un examen général bien sûr avec une prise de sang pour s'assurer que je ne mentais pas et que j'étais bien séronégatif, et à la suite de cela, cela a pas mal attendu. […], j'ai été recontacté il y a quelques mois, j'ai assisté à une conférence, et j'en suis donc à mon deuxième entretien. J'en suis encore aux préliminaires […], au prochain entretien on fera l'injection du vaccin. […] On m'a expliqué le maximum, notamment les conditions du vaccin. [On m'a parlé] d'un nouvel essai : le virus du VIH a des capacités d'adaptation terrifiantes. On a pris un virus assez anodin, le virus du Canari ; par génie génétique on lui a injecté des séquences d'ADN du VIH, […] c'est un microbe totalement artificiel qui ne peut pas se reproduire […], on espère que l'organisme va réagir à ce mutant comme il réagirait au vrai VIH et qu'il va produire des anticorps. [Gabriel, 54 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

4.B.2.2. Délai de réflexion

La question du délai de réflexion ne se pose pas dans un tel dispositif d'information et de recrutement : le processus dure plusieurs mois ; le candidat est en contact avec des interlocuteurs multiples et différenciés (médecin, « psy »). En tout état de cause, les documents descriptifs sont adressés par courrier avant signature sur place, etc.

4.B.2.3. Des documents d'IRC bien identifiés

Les différents types de documents sont bien distingués : le formulaire de consentement proprement dit et la notice d'information que Bernard et Gabriel appellent « le protocole » (et que n'évoque pas, pour sa part, Denis). On parle de deux documents : d'une part, un document de 2-3 pages (Denis) ou de « trois pages » (« une décharge », dit Bernard) ou de « deux feuillets » (Catherine) ; d'autre part, un document de 6 pages (Catherine), « 9 pages » (« le protocole », dit Bernard) ou « d'une vingtaine de pages » (« tout un protocole », dit Gabriel) à parapher

On m'a fait lire une longue déclaration comme quoi j'étais au courant de toute la façon dont allait se faire l'essai, des éventuelles conséquences, du fait que je faisais ça gratuitement, […], il y a tout un protocole […], une vingtaine de pages. […] Ils m'ont prévenu que si je voulais changer d'avis, avant que le vaccin soit commencé, j'avais le droit de changer d'avis. [Gabriel, 54 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

La première fois que je me suis présenté, on m'a fait signer une décharge, c'était un document qui faisait 3 pages je crois, […]je ne me souviens pas très bien. […] On m'a fait une prise de sang, c'est à ce moment là que l'on m'a fait signer la décharge, ensuite j'ai vu le médecin et le psychiatre.

[…] Quand je suis revenu il y a un mois, j'ai eu un protocole, […] ça fait 9 pages, […] je l'ai paraphé sur toutes les pages. Un formulaire est conservé par l'ANRS, et l'autre est pour le volontaire. [Bernard, 37 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Catherine nous dit que c'est un médecin qu'elle a vu en consultation de pré-inclusion qui l'a informée, « en plus des documents écrits » qu'elle avait reçus par la poste. Elle ne sait plus si c'était le médecin avec qui elle a parlé en premier de l'essai. Catherine décrit un document d'information de « 6 pages environ », distinct du formulaire de consentement, adressé par l'ANRS après le premier contact téléphonique.

4.B.2.4. Appréciation de l'information préalable

L'information préalable est jugée par les quatre volontaires « satisfaisante », « suffisante » et « spontanément » délivrée. Dans les quatre cas, seule l'information sur l'assurance — c'est- à-dire, au fond, sur la garantie positive, juridiquement organisée, contre le risque — n'a pas été retenue, soit qu'ils n'aient pas le souvenir que ce sujet ait été abordé, soit qu'ils n'aient pas relevé l'existence d'une assurance.

L'information éventuellement nécessaire en cours d'essais est jugée facile à obtenir. Les spécificités écrit/oral ne sont pas détaillées.

Ce qui marque, c'est que le rôle attribué à l'information préalable dans le processus de décision est relativement mineur ; dans le même esprit, la signature des documents est décrite comme une pure formalité. L'ensemble intervient peu dans la délibération à laquelle se livrent les volontaires interrogés. Ce que l'on détaille infra.

4.B.2.4.a. Les volontaires sains, candidats « demandeurs », ont pris leur décision antérieurement à « l'information préalable », — et sur d'autres bases où le contenu de l'information biomédicale joue un rôle relativement mineur

Bernard et Catherine indiquent qu'ils ont pris leur décision avant de lire la notice d'information.

Gabriel nous dit, sur les risques, qu'il estime « très limités » : « Je n'ai pas eu besoin d'être rassuré » ; sur les objectifs de l'essai tels qu'ils lui ont été présentés : « J'ai appris plus de choses que je ne m'y attendais », affirme-t-il, entendant que l'information dont il disposait antérieurement suffisait à prendre une décision.

Denis, médecin, qui affirme qu'il a pris sa décision en « connaissance de cause » (« je connaissais les tenants et les aboutissants. »), n'a pas prêté beaucoup d'attention à « ce genre de choses » (l'information préalable, la signature du document de recueil de consentement) : « Je savais un peu où j'allais », nous dit-il, exprimant par ce raccourci l'impression que laissent les entretiens conduits avec ces volontaires.

On entend, en effet, que ces sujets volontaires ont le sentiment de « savoir où ils vont », — et cela, non pas essentiellement sur la base du contenu de l'information biomédicale délivrée dans la cadre des procédures de « sélection » et de recueil du consentement, mais sur une variété beaucoup plus large d'indices « typiques » :

[…] Compte tenu de la manière dont ça se faisait, de la manière dont on a été recruté […], du suivi qu'on a eu […], tout ça faisait que je n'avais aucune raison d'être inquiet. [Denis, 54 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Ainsi, Catherine, qui est infirmière, tient un discours assez critique sur le contenu de l'information — surabondante et trop technique à ses yeux —, mais apprécie l'exigence de complétude que manifeste l'expérimentateur :

C'était même trop; ils voulaient tout nous expliquer, mais je ne suis pas sûre que les autres comprenaient davantage que moi… Vous savez, nous sommes très bien informés ; régulièrement l'ANRS nous envoie une revue avec une couverture en papier glacé, superbe, que j'ai ouvert au début pour la feuilleter, mais maintenant je ne les déballe même plus. De toute façon c'est fait pour des spécialistes, on n'y comprend rien. D'ailleurs ça doit leur coûter fort cher. Ils pourraient peut-

être se mettre plus au niveau des gens, mais alors ils ne seraient plus complets, peut-être, dans

leurs explications. [Catherine, 37 ans, volontaire saine à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur

le VIH]

L'attitude informative, communicante, compte ici plus que le contenu de l'information communiquée. On suggère que l'information, au sens de l'action d'informer, vient, à titre d'indice typique, nourrir et renforcer une confiance préexistante sur la base de laquelle a été prise la décision de participer. Au demeurant, tout indique que la prise en compte de l'information en tant qu'indice de la typicalité d'une situation préjugée plutôt qu'en tant que contenu biomédical — n'est pas le fait d'une incompétence de la personne-sujet : les sujets que nous avons interrogés ont pu comprendre et retenir le contenu de l'information, et cela à un haut degré de précision.

Au fond, les volontaires sains à titre gratuit nous disent la formation d'une décision non seulement rationnelle, mais raisonnable (sensée et mesurée), où l'information biomédicale joue un rôle mineur.

4.B.2.4.b. La signature des documents : une pure « formalité »

Les quatre volontaires se souviennent — bien qu'avec plus ou moins de précision sur les circonstances — d'avoir signé les documents qu'ils évoquent.

Le fait de « signer des papiers » est perçu par Catherine, Denis et Gabriel comme une formalité à fonction plutôt symbolique que véritablement contraignante :

Une ou deux feuilles où on me disait à quoi je m'engageais. […] Le papier engage à bien suivre ce qu'il faut faire pour réussir l'essai vaccinal (conduites à risques à éviter…) [Catherine, 37 ans, volontaire saine à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Ca m'engageait à pas grand chose […] simplement le fait de participer à l'essai. [Denis, 54 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Ils m'ont prévenu que si je voulais changer d'avis, avant que le vaccin soit commencé, j'avais le droit de changer d'avis. [Gabriel, 54 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Bernard, en revanche, y voit de manière précise la signature d'une décharge emportant renonciation par avance à toute poursuite contre l'expérimentateur.

[Le document disait que] en aucun cas je pourrais entamer des poursuites judiciaires contre l'ANRS, que j'étais sain de corps et d'esprit et libre de pouvoir participer à ces essais en toute impunité [sic]. […] Lorsque je viens ici, je préfère toujours l'avoir sur moi. [Bernard, 37 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH] [Bernard, 37 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]

Le statut juridique précis de cette signature (la fourniture, dans les formes requises, d'une présomption de preuve que l'information prescrite par la loi a été délivrée par l'investigateur, la signature n'emportant rigoureusement aucune obligation juridique d'aucune sorte pour la personne-sujet) n'est, dans ce contexte, pas plus nettement perçu que dans le cas d'autres types d'essais. (Le fait de signer un papier est associé, par référence à la vie quotidienne, à la passation d'un contrat ou à la reconnaissance d'une obligation.)

En tout état de cause, le caractère « formel » de la signature, c'est-à-dire sans conséquence réelle sur la formation de la décision de participer, est attesté dans les quatre entretiens. Denis évoque, on l'a vu, « le genre de choses auxquelles je n'ai pas fait très attention, car je savais un peu où j'allais ». Bernard résume l'attitude générale quand il dit :

on m'a envoyé le protocole (de 10 pages) par courrier, j'ai donc eu le temps de le consulter avant de signer, mais de toute façon ma décision était déjà prise. [Bernard, 37 ans, volontaire sain à titre gratuit pour des essais vaccinaux sur le VIH]