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Enquête auprès des promoteurs

2.C.4 R EPRÉSENTATIONS PRATIQUES ET MÉTHODES

La lecture des récits de promoteurs de la catégorie « non-firme » est, en première approche, troublante. Dans la comparaison aux firmes, on a le sentiment à la fois que tout est là et que

rien n'est pareil.

« Tout est là », c'est-à-dire que, mis à part le récit de l'association de patients, le discours des répondants ne dit rien de neuf ni rien de plus ; les représentations des acteurs sont analogues ; les contenus argumentatifs sur l'impossible lisibilité des documents, sur l'oral comme modalité de la « vraie » information des sujets et sur le privilège médical que constitue cette information, — ces contenus, envisagés à un certain niveau de généralité, sont les mêmes.

« Rien n'est pareil », en ce sens que l'organisation et la pondération de ces contenus sont faites différemment — comme est faite différemment la situation dans laquelle s'inscrivent les promoteurs « non-firmes ».

Globalement, on voit l'approche pratique des acteurs privilégier de manière caractéristique certaines des dimensions juridique, scientifique ou médicale du champ.

Ce que l'on peut représenter de la manière suivante

juridique scientifiqu e médical (p.m.) Firmes + + G1 : Promoteur administratif + G2 : Promoteur-investigateur + + +

G3 : Association de patients promotrice + +

Tableau 5. — Distribution des promoteurs selon l'importance accordée aux dimensions juridique, scientifique et médicale du champ.

2.C.4.1. Promoteur administratif : le dispositif d'IRC comme accomplissement administratif — avec le CCPPRB dans le rôle d'autorité légitimante.

Caractériser la démarche du promoteur administratif sur la question de l'IRC, c'est déboucher immédiatement sur la relation au CCPPRB dans laquelle la question même de l'IRC se dissout.

Les promoteurs administratifs participent peu ou pas à la rédaction des documents d'IRC. Leur contribution à la formation des dispositifs d'IRC est au niveau de la validation administrative ; la « vraie » validation est réputée devoir être donnée par le CCPPRB.

L'ISRV. — (A) Quand on reçoit les documents, on ne les fignole pas, on laisse quand même aux investigateurs une certaine spontanéité. Si il y a l’essentiel, c’est-à-dire tous les renseignements administratifs, la loi CNIL, le droit d’opposition, le dédommagement, toutes ces rubriques administratives, pour le reste, on ne réécrit pas l’information […] On regarde le niveau de la loi, et

pour autant que les conditions posées par la loi sont satisfaites on laisse beaucoup d’initiative à l’investigateur. De plus on considère que le CCPPRB tient un rôle important dans la validation.

[Blanche, ISRV, chef de service, et ses collaborateurs]

Les firmes revendiquent la maîtrise de la réalisation des documents écrits aussi parce qu'elles s'adressent (implicitement ou explicitement) à une large variété d'interlocuteurs qui pourraient lui reprocher, avec des conséquences lourdes, une non-conformité à leur corps de règles propre : administration locale, mais aussi FDA, organismes de certification, lawyers à l'affût du contentieux, etc.

Le promoteur administratif conçoit les documents d'IRC dans la seule optique qu'ils soient acceptés par le CCPPRB, cette acceptation étant définitivement légitimante.

(C) Nous on est promoteur. Ça [les documents d'IRC, le protocole] passe devant un CCPPRB. Celui-ci donne un accord. Alors, la responsabilité, est-ce que vous pensez qu’elle doit venir de nous qui avons permis le type d’expérimentation, ou du CCPPRB qui a donné son accord ? [Blanche, ISRV, chef de service, et ses collaborateurs]

D6. — Tout en se calant sur l'objectif de l'avis positif du CCPPRB, le CNRB présente la particularité de dire la relation avec le comité en la situant dans une sorte de concurrence avec sa propre identité :

C’est très facile de voir ce que recherche un CCPPRB, c’est très facile d’essayer de se substituer à ce qu’il va faire […] Les décisions du CCPPRB ne font pas d’ombre au bureau de la recherche clinique puisqu’au fond ils agissent en aval de nous. [Camille, CNRB, chef de service]

HdN. — Le CCPPRB est aussi l'instance arbitrale définitive en cas de différence d'appréciation entre investigateur et promoteur.

Charles (délégation recherche des HdN, médecin, chargé de la cellule méthodologie essais cliniques) nous dit ainsi que les remarques du promoteur sur le document d'IRC ne sont pas forcément prises en compte par l'investigateur principal, qui reste en principe responsable.

Celui qui se prononce en dernière instance, c'est le CCPPRB. Pour Charles, en tout état de cause, l'investigateur n'est jamais obligé de se conformer à une recommandation du promoteur : « l'élément bloquant interviendra, s'il intervient, au niveau du CCPPRB ». 2.C.4.1.a. Relations avec l'investigateur : le promoteur « accorde la promotion » aux « demandeurs » et renvoie sur l'investigateur la responsabilité de l'écrit et de l'oral

Dans l'écriture des documents d'IRC, la délégation recherche des HdN veut laisser parler la « capacité créatrice de l'investigateur » ; l'ISRV, sur le même sujet, entend « respecter la spontanéité du chercheur ».

La relation des promoteurs administratifs avec les chercheurs est, dans des modalités qui peuvent être différentes, essentiellement… administrative. Le promoteur ne se mouille pas : il construit la distinction oral/écrit dans les mêmes termes que les firmes102, mais il renvoie la

responsabilité de l'ensemble sur l'investigateur, puis, en dernière instance, sur le CCPPRB.

HdN. — Nous n'avons aucune légitimité à intervenir dans la relation investigateur-patient. Nous sommes une structure gestionnaire ; la relation de soin revient au clinicien, on n'intervient qu'en amont (pour la conformité aux normes) ou en aval (si arrêt d'étude). […] Il est impossible de dessaisir les investigateurs de leur responsabilité . [Noël, délégation recherche des HdN, médecin, directeur de la délégation à la recherche clinique]

L'ISRV. — A :Nous on s’assure qu’il y ait bien tous les renseignements pratiques, tout le côté objectif. Par contre pour ce qui concerne l’explication, on vérifie qu’il y a l’essentiel, mais on ne va pas jusqu’à rédiger pour l’investigateur, on respecte la spontanéité du chercheur. De toute façon si vous en mettez trop par écrit et qu’après ce n’est pas dit oralement… il faut que l’investigateur ressente lui-même ce qu’il écrit. [Blanche, ISRV, chef de service, et ses collaborateurs]

D6. — Expliquer aux investigateurs qu’ils sont les responsables de leur recherche devant le

promoteur, ça c'est un long travail, et il arrive très souvent dans les courriers qu’on fait aux demandeurs de leur rappeler cette règle que ce sont eux les responsables, et que par conséquent

c’est à eux de choisir le cadre. [Camille, CNRB, chef de service]

[le CNRB] à le droit de se retourner contre l’investigateur. Si jamais il apparaît qu’il y a une faute de l’investigateur je crois que [le CNRB] est en droit de se retourner contre lui… [Camille, CNRB, chef de service]

2.C.4.1.b. Relations avec les personnes : la personne-sujet, tenue à distance administrative, est très peu présente dans les récits

La production du dispositif d'IRC est organisée comme un accomplissement administratif qui n'entretient qu'un rapport distant avec l'information des personnes-sujets. Tout cela est tenu pour être du ressort de l'investigateur.

Dans les pratiques effectives, en tout état de cause, la personne-sujet est « hors sujet ». Ce n'est pas à elle que parle le promoteur, mais au CCPPRB : son acceptation est l'objectif qui submerge toute autre préoccupation et qui légitime le caractère exclusif de la démarche (« puisque le CCPPRB est d'accord, c'est que la démarche est juste »)

102 Le document d'information « ne remplacera jamais la relation entre un malade et son médecin »,

nous dit-on aux HdN; et aussi : « On ne peut pas préjuger de la façon dont dix personnes vont délivrer oralement la même information écrite. Je ne pense pas qu'on puisse formaliser la démarche orale ». On reconnaît les thèmes présents dans le discours des firmes — et, en réalité, dans la conversation générale qui est celle du milieu —, détaillés supra en 2.B.3.4. (« La fabrique des contenus ») et 2.B.3.6.b.iii. (« L'investigateur "responsable et coupable" de l'information des patients »).

2.C.4.2. Groupe 2 (promoteur-investigateur) : la logique est essentiellement scientifique, le rapport à la réglementation est de respect strict (rien de moins, rien de plus) — et c'est le CCPPRB qui dit ce qui est régulier et ce qui ne l'est pas

2.C.4.2.a. Relation aux personnes-sujets : pas de recrutement à tout prix, c'est la qualité qui compte et il y a le choix

Les personnes-sujets dans les études du CEBIOR sont essentiellement des volontaires sains. La position du CEBIOR s'exprime de la manière suivante :

Parce qu’il participe à un protocole de recherche, il va être mieux suivi, c’est toujours ce qu’on brandit. Moi je serais dans un CCPPRB, ça ne me suffirait pas comme argument. (...) Si je vais dans le sens de l’information et du consentement, c’est peut-être parce que ça ne me gênerait pas dans ma pratique.

J’ai toujours essayé de passer beaucoup de temps avec les volontaires, je ne veux pas me confronter à des échecs parce qu’on prend le sujet par surprise.

2.C.4.3. Groupe 3 (association de patients promotrice) : « il y a eu des protocoles qui ne se sont pas faits parce que des parents ou des patients ne voulaient pas », — la logique du patient équilibre la logique scientifique.

Le patient intervient dans l’idée, ça c’est quand même très important - il y a eu des protocoles qui ne se sont pas faits [i.e. qui n'ont pas été approuvés par le conseil d'administration] 103 parce que

des parents ou des patients ne voulaient pas -, il intervient à titre un peu de test - parce que les patients qu’on contacte lorsqu’on leur transmet un formulaire de consentement, ils disent ‘oui je vais comprendre’, ‘non je ne vais pas comprendre’, mais ils ne peuvent pas maîtriser l’information qui est en amont, ils ne peuvent pas dire ‘vous avez tout dit’ ou ‘vous n’avez rien dit’, simplement ils disent ‘ce que vous me donnez là est clair et limpide ou alors pas du tout clair et pas du tout limpide’. Il faudrait passer le protocole, on pourrait le faire ceci dit. Il faut qu’ils soient capables en termes de formation de digérer l’information qu’il y a dans le protocole versus dans le formulaire de consentement. Je pense qu’on a quelques patients qui seraient parfaitement capables de faire ça sans aucun problème. Dans notre discussion je puise des idées sur ce qu’on pourrait faire. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

La relation avec les patients est continue, à travers, notamment les dispositifs de renseignement par téléphone, qui reçoit « beaucoup d’appels de gens qui veulent un avis de l’association sur des protocoles » dont ils ont entendu parler (ou pour lesquels ils ont été sollicités) :

Ils disent 'est-ce que je dois y participer ou pas?' Il est évident qu'on ne répond pas. On intervient en leur donnant les éléments qui leur permettraient de décider. La question 'est-ce que je dois y participer?', ça veut dire, je pense, 'donnez-moi les éléments nécessaires pour que je puisse prendre ma propre décision'. En tous les cas, c'est comme ça que moi j'y réponds. C'est-à-dire 'pourquoi on fait ce protocole-là, quels dangers — il y a quand même souvent cette question-là —, les bénéfices'...Je pense que dans un certain nombre d'appels il y avait 'rassurez-moi'. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

2.C.4.3.a. Distinction soin/recherche : elle est très présente et nettement construite La non-confusion des situations de soin et de recherche (« ça me paraît fondamental », nous dit le répondant) est une préoccupation continue de l'AFPMN :

Pour nous la distinction est évidente, on l’a travaillée depuis longtemps et ce n’est pas forcément facile de faire saisir cette différence. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

Le point d'incertitude médicale104 est nettement identifié :

103 Voir description de la structure de l'AFPMN en 2.C.2.1.

104 Cf. N. Dodier, J. Barbot, « Le temps des tensions épistémiques ; le développement des essais

ce qui change fondamentalement, c'est qu'on informe le patient qu'il va rentrer dans un processus d'évaluation, c'est-à-dire qu'on est dans une incertitude et qu'on cherche à avoir une certitude. Alors que lorsqu'on a une pratique médicale, on utilise, normalement, des certitudes. Dans le soin, normalement vous utilisez des techniques de soin qui sont validées, donc des certitudes, pour autant qu'on puisse parler de certitudes, mais enfin des quasi-certitudes en tous les cas, donc là, ça ne vous empêche pas quand même d'informer le patient et de lui expliquer, mais bon, il n'y a pas de cadre légal, donc vous n'êtes pas obligé de le faire par écrit. Mais vous appliquez au patient des techniques qui sont validées, donc, bon. Par contre, lorsqu'il rentre dans un protocole de recherche, il y a un contrat très clair : 'moi je suis dans l'incertitude en tant que médecin, vous aussi, par conséquent ; mais vous participez à l'élaboration d'une certitude. On pose une question et puis on attend la réponse, vous êtes le moyen de cette réponse. Moi aussi d'ailleurs, en tant que médecin, je suis aussi le moyen de cette réponse'. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

À propos des essais contre placebo :

On a d’abord une stratégie d’information générale. Depuis plusieurs années on informe les patients, et les parents, de l’intérêt potentiel du placebo. Et ça, ça commence à être très bien compris par les personnes concernées. Après il y a une information auprès des médecins. C’est probablement plus difficile. Il y a une difficulté culturelle, là, au niveau des médecins… [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

La signature des documents d'IRC par la personne-sujet est vue comme un moyen de cette distinction :

Quand vous présentez un document à signer à une famille, alors que d’habitude, vous ne lui faites jamais rien signer, là on marque nettement la différence entre le soin habituel et le protocole de recherche. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

2.C.4.3.b. Relation avec les investigateurs

L'investigateur est vu comme ayant la liberté de conduire la sollicitation et l'information à sa façon. Le privilège médical est respecté. le médecin est vu comme un professionnel soucieux et capable d'informer.

La distinction écrit/oral est régulière :

[Si l’écrit n'est pas compréhensible:] il ne faut pas oublier qu’il y a quand même une explication orale par le médecin, qui peut venir aussi modifier le document [i.e. la perception du document]. [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

La confiance du patient dans le médecin est vue comme un facteur positif, favorable à la participation des sujets et donc au développement de la recherche.

2.C.4.3.c. Relation avec le CCPPRB

Les CCPPRB, dans mon expérience, ont été assez satisfaits des formulaires de consentement. C’est rare que j’aie vu des CCPPRB changer profondément un formulaire de consentement. Ça allait pour eux. Mais c’est vrai que j’ai vu des formulaires de consentement totalement incompréhensibles être acceptés par le promoteur, par le CCPPRB et j’essayais de me mettre à la place du patient ‘non, ça je ne comprends rien!’ [Geneviève, AFPMN, médecin, directrice scientifique]

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