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Enquête auprès des investigateurs

3.B.3 L E CLIVAGE ÉCRIT / ORAL

3.B.3.1. La « vraie » information est orale, l'information écrite est pour « les choses secondaires »

Au-delà des jugements sur la qualité en général des documents, on rencontre assez immédiatement, à l'occasion des questions sur ce thème, la problématique de l'utilisation des documents dans l'interaction avec les personnes sollicitées.

L'opposition entre l'oral et l'écrit (rubrique E) est au premier plan de cette problématique ; on y retrouve à peu de chose près la distribution écrit/oral des promoteurs :

– la « vraie » information du patient est orale et sur-mesure (« Le risque du [formulaire de ] consentement, c’est qu’il fasse écran à l’échange verbal, soit du fait du médecin, soit du fait du patient », nous dit [Rémi, 42 ans, inv. à l'hôpital, hépatologie/VIH]) ;

– l'information écrite vaut pour « les choses secondaires » (« techniques » ou « juridiques ») ou comme complément de la démarche orale.

La note d’information, elle est médico-légale. Il n’y a pas de mots simples. Elle est à visée juridique, il faut que les termes soient les plus précis possible. Les explications sont données à l’oral. Si des mots simples étaient employés dans la note d’information, ça supprimerait la relation orale. […] Le plus important, c’est l’oral. Ce n’est pas la phase écrite qui fait que les gens acceptent ou refusent, sauf dans le cas où les gens refusent au moment de signer. L’écrit c’est le cadre médico-légal de l’histoire. [Maxime, 30 ans, inv. à l'hôpital, réa]

Typiquement, [Edgar, 45 ans, inv. à l'hôpital, pneumo/VIH] indique ne s'en remettre aux documents écrits que pour « les choses secondaires » et pour éviter les « oublis » dans la description de l'essai. La « vraie » information est tellement l'information orale qu'il peut affirmer, sans se contredire véritablement :

Je me sers jamais du formulaire d'information, pour faire l'information. Je fais d'abord l'information à l'oral, éventuellement des petits schémas à la main et après je le laisse lire le document. [Edgar, 45 ans, inv. à l'hôpital, pneumo/VIH]

3.B.3.2. L'écrit est vu comme inefficace, obligeant à trop de précision et enfonçant un coin dans le pacte de confiance médical

La différence d'approche, si l'on compare avec les promoteurs, tient à ce que l'investigateur gère directement, dans l'interaction avec le patient, ces deux modalités de l'information.

Les préoccupations principales sont sur les thèmes suivants.

◊ L'efficacité entendue sous l'angle de l'acceptabilité pour la personne-sujet (telle information passe mieux à l'écrit qu'à l'oral, ou le contraire)

Ce qui ne passe pas à l’oral, ne passe pas à l’écrit. L’oral est très très important. [Jean, 53 ans, inv. à l'hôpital, pédiatrie/épilepto.]. Il n’y a pas d’informations qui passent mieux à l’écrit qu’à l’oral. Une information verbale est inévitable. [Paul, 58 ans, inv. en ville, ORL]. Ca passe toujours mieux à l'oral qu'à l'écrit. [Robert, 44 ans, inv. à l'hôpital, réa]. Il y a des informations qui passent mieux à l’oral qu’à l’écrit. Le contraire n’est pas vrai. [Louis, 52 ans, inv. à l'hôpital, réa]

◊ La complétude et/ou l'exactitude de l'information que permet ou à laquelle oblige l'existence d'un document écrit, notamment sur les risques, les effets indésirables, la « technique » (Dora, 57 ans, inv. en ville, pédiatrie ; Édouard, 35 ans, inv. à l'hôpital, généraliste/VIH) — sur « tout ce qui est emmerdant » (Lucien, 48 ans, inv. à l'hôpital, diabéto)

Ce qui peut mieux passer à l'écrit : une liste des effets indésirables… à condition qu'elle soit dans un langage qui soit compréhensible. […] Par voie orale on minimise parce qu'on est enthousiaste. [Martin, 49 ans, inv. à l'hôpital, néphro]

Tout ce qui est emmerdant est écrit, donc il y a intérêt à passer l'oral avant de passer l'écrit. […] Si jamais on a oublié de dire quelque chose et qu'il le découvre à l'écrit, là il pose des questions et c'est là que ça ne marche pas. Il arrive qu'on oublie des choses, et en général, c'est pas très rentable. [Lucien, 48 ans, inv. à l'hôpital, diabéto]

Sur l'utilisation de l'écrit pour l'information sur les risques, les positions sont ambiguës ; l'information écrite, vue comme « inquiétante » parce que précise, peut être en même temps un moyen de camouflage, un prétexte pour ne pas informer de manière détaillée à l'oral :

Il y a l'information sur le médicament. Ce qui est plus inquiétant, c'est tous les trucs sur la loi Huriet. C'est inquiétant pour les parents des patients. Sinon, l'information écrite: ça nous évite de le faire de façon détaillé. On le fait oralement aussi bien sûr. [Dora, 57 ans, inv. en ville, pédiatrie] […] un truc qui m’a fait hurler : pour que les dames ne refusent pas de venir, l’investigateur a demandé (alors ça, le promoteur ne le sait pas !) à ce qu’on ne dise pas oralement — parce que [i.e.

puisque] c’est marqué sur la note d’information — qu’on fait une biopsie et non pas un frottis.

[Édith, 41 ans, inf. de recherche, hôp. et centre privé]

◊ Le coin qu'enfoncerait l'écrit (et la signature) dans le « pacte de confiance » qui lie médecin et malade.

C'est un problème majeur. C'est une modification complète de la relation. Vous introduisez de l'écrit dans une relation qui était une relation de confiance spontanée orale. On entre dans le domaine du légal, de l'assurance, c'est un autre monde que celui qu'on a connu. On ne va pas critiquer, c'est comme ça. C'est un autre monde que celui de la relation usuelle médecin/malade. [Martin, 49 ans, inv. à l'hôpital, néphro]

L'opposition écrit/oral dessine le même type de clivage entre le « médical » et le « non médical », qu'elle soit vue des investigateurs ou des promoteurs. Ce qu'illustre ce propos évidemment extrême :

Les seuls que je récuse comme patients [pour la recherche], ce sont les magistrats. Pour moi c’est un critère d’exclusion. Parce que ce sont des gens du papier et que moi je suis quelqu’un de l’oral. [Richard, 53 ans, inv. en ville, gynéco]

3.B.3.3. La lecture des documents par la personne sollicitée

Les réponses à la question F.3.1. («Les patients prennent-ils le temps de lire les documents ?») éclairent les points de vue exprimés sur la qualité des documents et sur l'opposition écrit/oral.

On distingue deux types d'opinions sur le sujet. Dans les deux cas, que les documents soient neutralisés ou « ustensilisés », ils sont renvoyés par l'investigateur au rang d'accessoires d'une interaction médicale dont la modalité essentielle est orale.

3.B.3.3.a. Les personnes-sujets sont réputées lire peu ou pas du tout les documents d'IRC — y compris le document qu'elles signent

En forçant le trait, on peut dire que le propos de la plupart des investigateurs inscrit les documents dans une « boucle réflexive » difficilement dépassable : les documents ne sont pas utilisés par le patient parce qu'ils sont illisibles ; ils sont illisibles parce qu'ils n'ont pas — par

nature d'être des documents écrits — d'utilité pour le patient.

Les documents sont réputés peu lus ou peu compris :

Les documents ne sont pas lus attentivement le plus souvent. [Paul, 58 ans, inv. en ville, ORL]. Je suis sûr qu'il y en a qui ne lisent même pas. [Marcel, 52 ans, inv. en ville et à l'hôp., allergologie]. Il y en a 70% qui lisent pas ou plutôt qui lisent mais qui ne comprennent pas. [Jocelyne, 28 ans, inv. à l'hôpital, neuro/génétique]. Les patients ne prennent pas toujours le temps de lire les documents. [INV-30-H-Cancéro].

[Les parents lisent] Partiellement lors de la consultation, je suppose qu'elle [la mère] le lit mieux à la maison, mais je n'en suis pas sûre. Lecture totale: certainement pas tous. [Dora, 57 ans, inv. en ville, pédiatrie]

Ca dépend, y'en a qui les lisent et puis y'en a qui les lisent jamais. [Robert, 44 ans, inv. à l'hôpital, réa]. Ça dépend, tous les patients ne lisent pas l'ensemble des documents. Certains signent d'emblée, d'autres font très attention. [Lucien, 48 ans, inv. à l'hôpital, diabéto]

Dans le contexte, il doit être clair que ces propos ne constituent pas un renseignement sur la

réalité de la lecture par les personnes-sujets. Ils renseignent, en revanche, sur la façon dont les

investigateurs considèrent les documents d'IRC : un accessoire marginal, plutôt dérangeant et qui, en tout état de cause, n'est pas utilisé par les personnes qu'il est censé protéger.

Le sentiment que l'écrit est un corps étranger dans la relation avec le patient, d'une part, et le sentiment que les patient ne lisent pas ou ne comprennent pas, d'autre part, viennent ici en renforcement l'un de l'autre.

Je suis persuadé que les patients accordent à ces documents le même crédit que moi. Parce que là je transfère quelque chose automatiquement. Je ne dis pas « Tenez, je vous le cache, signez en bas, mais... (sic)» […] En général je la laisse réfléchir. Quand j’en ai la possibilité, je lui remets une note d’information qu’elle peut lire tranquillement chez elle. Il m’arrive de m’éloigner des bonnes règles. Je lui dis : « vous savez, je vais vous le laisser, mais ne le lisez pas. Tout ce qu’il y a dedans, moi je vais vous le dire. C’est écrit de telle manière que vous aurez du mal à vous y retrouver. Vous aurez probablement des questions à me poser. [Richard, 53 ans, inv. en ville, gynéco]

En dehors de cette dévalorisation du document comme « paperasserie », la question de la confiance est aussi invoquée comme raison de la non-lecture.

La confiance :

Certains partent avec pour la faire lire, d'autres acceptent tout de suite sans même lire la note d'information. (…) Parfois on a l'impression que ce serait manifester un manque de confiance que de lire la note d'information. [Edgar, 45 ans, inv. à l'hôpital, pneumo/VIH]

Ce n'est pas moi qui leur remets la note d'information, c'est ma secrétaire, justement pour qu'elles aient le temps de la lire. Elles ne la lisent pas, parce qu'elles ont confiance dans ce que je leur dis. [Hervé, 40 ans, inv. en ville, gynéco]

[Edgar, 45 ans, inv. à l'hôpital, pneumo/VIH] évoque également le refus de savoir :

Quelqu'un a peut être envie de s'entendre dire qu'il a une espérance de vie de 10% à 6 mois et qu'avec le produit ça va passer à 12%. […] Le droit de pas savoir est un droit que je respecte

beaucoup… [Edgar, 45 ans, inv. à l'hôpital, pneumo/VIH] 3.B.3.3.b. Lecture assistée par l'investigateur

Il en va différemment lorsque l'investigateur intègre de manière active les documents dans la démarche d'inclusion. Ainsi, [Judith, 37 ans, inv. à l'hôpital, généraliste/diabète] qui pense que « c'est un bonne chose » qu'il y ait un papier à signer :

C'est à cette occasion [une consultation de pré-inclusion] que je leur remets en général la lettre d'information parce qu'il faut qu'ils réfléchissent, il faut qu'ils la lisent. Je leur demande soit de souligner, soit d'écrire sur un papier ce qui les choque […] Ensuite, ils reviennent et s'ils sont d'accord, c'est à ce moment là qu'on commence le protocole, mais avant on parle de la lettre d'information et de ce qu'ils n'ont pas compris dedans [Judith, 37 ans, inv. à l'hôpital, généraliste/diabète]

Dans le même esprit :

On le lit ensemble [le formulaire de consentement]. S’il y a des questions qu’ils me posent, je leur réponds, enfin j’essaie de leur répondre. Les patients, on est là pour les informer, pour le lire avec eux, enfin moi, personnellement, c’est ce que je fais. [Lionel, inv. en ville, généraliste]

Que les documents soient neutralisés ou « ustensilisés », ils sont renvoyés par l'investigateur au rang d'accessoires d'une interaction dont la modalité orale fonde essentiellement la « médicalité ».

On peut dire autrement : la valorisation de l'oral est une méthode par laquelle les investigateurs construisent et maintiennent (vis-à-vis du patient-interlocuteur et vis-à-vis de l'enquêteur-spectateur) la médicalité de la situation, celle de l'interaction avec la personne- sujet.

3.B.3.4. Sur l'affirmation : « Le droit de pas savoir est un droit que je respecte beaucoup »

La formulation citée supra116 vient dans un contexte précis, dans lequel elle prend son sens

empathique. Elle donne un raccourci frappant pour saisir une modalité particulière d'argument

ad hoc du type « si-je-fais-comme-ça-c'est-pour-son-bien ». Dans cette modalité, A s'autorise

de l'idée qu'il se fait de la volonté, de l'intérêt ou du « droit à » de B pour ne pas remplir vis-à- vis de lui une obligation prescrite par la règle ou la loi (en l'espèce : l'obligation de faire savoir).

Il est important, pensons-nous, de considérer que l'investigateur, par ce propos, ne vise pas essentiellement à s'exonérer : il exhibe, en réalité, la moralité de son action en montrant que

respectant un droit cette action obéit aux principes (de respect des droits sinon du droit) ; il

suffit seulement que soit admis, pour se convaincre de cette moralité, que la médecine sait, mieux que le droit, les principes auxquels il convient d'obéir, — que le déontologique prime

moralement sur le juridique. (Cette primauté a sa mythographie dans de nombreux autres

domaines, — et son régime de reconnaissance jusque dans le métier militaire.)

On serait immédiatement troublé qu'un agent de police judiciaire chargé d'informer la personne gardée à vue de son droit de ne pas répondre aux questions117 affirme : « le droit de

ne pas savoir est un droit que je respecte beaucoup ». Il y a un paramètre pratique qui rend possible qu'un médecin tienne, sans intention ironique, un tel propos : la médicalité du contexte. (Il semble, en réalité, que, d'une manière plus générale, la revendication que le droit (déontologique) puisse s'exorbiter du droit (juridique) fasse partie des méthodes par lesquelles est affirmée la médicalité allant de soi — non questionnée et non questionnable — du contexte.)

116 Voir supra 3.B.3.3.a., dernière citation.

117 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits

des victimes, articles 8 et 9 modifiant l'article 63-1 du Code pénal : « La personne gardée à vue est également immédiatement informée qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs. » (Art. 8). — « Si cette personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité. » (Art. 9)