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Enquête auprès des promoteurs

2.A.1 C ARACTÈRE COLLECTIF DES PROMOTEURS

Dans le concret, les promoteurs sont essentiellement constitués par des personnes morales : laboratoires pharmaceutiques, organismes et institutions de soin et de recherche (depuis l'INSERM jusqu'aux CHU), associations diverses.

Nous parlons de «structures de promotion » pour rendre compte du caractère collectif de ces instances (ou « acteurs ») de la recherche ; (nous réservons le terme d' « agent » pour désigner la personne individuelle, active au sein d'une de ces structures).

Le caractère collectif de ces acteurs implique, dans l'investigation sociologique et dans l'interprétation des discours recueillis, qu'on distingue le point de vue des différentes fonctions (assurance-qualité, direction scientifique, monitorage des essais…) qui, au sein de chaque structure, se trouvent impliquées dans la production du dispositif d’IRC. On a soigneusement pris en compte, dans l'analyse des récits que nous avons recueillis, les différences de position fonctionnelle et hiérarchique ; les extraits d'entretien cités sont ainsi référencés en indiquant la position des répondants dans l'organisation. Pour autant, on n'a pas analysé spécifiquement le détail du point du vue de chaque fonction d'une structure à l'autre ; cette approche, qui aurait nécessité un dispositif d'enquête particulier, n'entrait pas, en tout état de cause, dans nos objectifs.

2.A.2. CATÉGORISATION

Dans les matières qui nous intéressent, les mêmes obligations juridiques, nées de la loi Huriet et de la réglementation qui l'accompagne, s'imposent à tous les promoteurs. Ces obligations sont un cadre (« le cadre de la loi ») à l'intérieur duquel (ou par référence auquel) les acteurs construisent leurs actions. Dans le principe, il existe, entre les actions pratiques et leur cadre juridique, la même différence de nature qu'entre, par exemple, les façons de conduire d'un groupe d'automobilistes quelconque et les prescriptions du code de la route ; en ne prenant en considération que les pratiques de la conduite automobile qui ne contreviennent pas aux lois et règlements, on fait déjà l'expérience quotidienne qu'il existe de nombreuses façons différentes d'opérer (en l'espèce, de conduire) dans le cadre d'un même corps de règles positives. Pas plus que le code de la route ne dit comment les automobilistes conduisent effectivement, la loi Huriet ne dit comment les promoteurs et investigateurs s'y prennent en pratique. On n'est pas sur le même plan.

Sur le plan des pratiques, des façons de s'y prendre pour former des dispositifs concrets d'IRC auxquels in fine des personnes-sujets seront confrontées, — sur ce plan qui est celui que nous considérons ici, « le promoteur » n'est pas une instance monolithique, référençable de manière univoque comme elle l'est sur le plan de la loi. Au système des catégories juridiques

correspond, dans une configuration spécifique et obéissant à une rationalité propre, un système de catégories praxéologiques79 dont l'intuition80 est un requis pour l'investigation

sociologique (elle donne la matière des premières hypothèses de terrain), — et l'établissement un enjeu, un résultat à atteindre.

Quelques indications sur le chemin suivi pour former les catégories que nous avons dégagées.

2.A.2.1. Catégories du plan d'enquête

On a d'abord assez rapidement fait un sort, pour cause de non-consistance, à la distinction qui semblait s'imposer entre « public » et « privé »81.

2.A.2.1.a. Public/privé : un partage non opératoire

L'opposition public/privé, bien qu'elle corresponde à une représentation que partagent les acteurs, ne permet pas de définir des frontières opératoires. Les catégories juridiques ne suffisent pas : telle institution, manifestement organisée selon les canons de l'efficacité industrielle par laquelle l'opinion des acteurs caractérise le « privé », s'avère être de droit public ; telle association de droit privé est perçue par les acteurs comme « publique »… La « couleur de l'argent » (la qualité publique ou privée des financements), la nature des lieux où s'effectue la recherche et celle des équipes qui la réalisent, suffisent encore moins. L'opposition marchand/non-marchand, isotope de l'opposition public/privé, n'est pas plus consistante.

En tout état de cause, le statut public ou privé des institutions n'est pas sur le plan praxéologique. (De la même façon, la distinction administrative entre voiture particulière et véhicule professionnel ne permet pas de fonder de distinctions opératoires pour observer et comprendre la façon dont les automobilistes conduisent.)

2.A.2.1.b. Distinguer par le « contexte intentionnel »

Aussi bien, au stade de notre plan d'enquête, nous avons choisi de distinguer entre des types de structures de promotion différenciés par la « vocation » principale de l'institution qui les contient. On pouvait penser, en effet, que le « contexte intentionnel » de la recherche était en puissance d'influer sur la concrétisation des axes de notre hypothèse de recherche (les oppositions éthique/juridique, d'une part, et acte de soin/acte de recherche, d'autre part).

En mettant à part un type 1 (promoteur personne physique ou association ad hoc, que nous avons rapporté aux investigateurs), nous identifiions ainsi les quatre type suivants :

• Type 2. Promoteur industriel : laboratoires pharmaceutiques, cas le plus fréquent dans le médicament, dont la vocation est de mettre au point des spécialités pharmaceutiques rentables.

• Type 3. Établissement de soins, promoteurs pour des investigateurs « maison » ; c'est le cas, par exemple, d'une institution comme l'AP-HP.

• Type 4. Établissement de recherche ; par exemple, l'INSERM ou le CNRS, mais aussi une association de malades comme l'AFM.

• Type 5. Société de services (« CRO » : Contract-Research Organization) qui agissent comme promoteurs par délégation, ou qui assistent le promoteur (industriel, typiquement) ; par exemple : Aster ou Phoenix.

79 « Catégories praxéologiques », c'est-à-dire qui sont dans l'ordre de l'action, des pratiques (praxis). 80 Au sens courant de « pressentiment », et non pas au sens métaphysique.

81 On a fait également un sort à l'approche par évaluation de « l'éthicité des pratiques », mais beaucoup

plus douloureusement (c'est-à-dire après que des travaux se soient trouvés engagés très avant et au prix d'une reprise à neuf de l'analyse). Ce point est discuté en 1.D.1. (« Options théoriques »).

2.A.2.2. Catégories de l'analyse

À l'analyse, la distribution des promoteurs en catégories apparaît à la fois plus simple et, par certains aspects, moins nette.

Plus simple, parce qu'on voit se dessiner un modèle très homogène d'organisation et de représentation des dispositifs d'IRC, celui des promoteurs de l'industrie pharmaceutique (les « firmes »). Les firmes organisent leur activité de production de dispositifs d'IRC toutes sur le même modèle (essentiellement informé par la rationalité industrielle, c'est-à-dire, notamment, par des organisations et procédures spécifiques qui objectivent la qualité) ; ce modèle est parfaitement distinct de celui des autres catégories de promoteurs.

Moins nette, parce que le critère de vocation ne permet pas, à lui seul, de discriminer assez finement entre le modèle homogène présenté par les firmes et la collection hétérogène des « non-firmes ».

Les distinctions ne s'opèrent qu'à un niveau de précision plus grand, ce qui réclame corrélativement un niveau de précaution plus grand, tant la matière sur laquelle on opère se prête mal à la vérification — matière narrative, récits de façons de s'y prendre dont la thématique, et donc les contenus, sont nécessairement informés, pour partie, par notre questionnement même.

Pour tenir un peu de solide, il faut ici faire la part des choses : s'appuyer autant que possible sur les factualités organisationnelles ou processuelles, et réfréner l'élan interprétatif alors même qu'on piaffe d'impatience devant les représentations qui s'offrent à l'analyse et dont on ne se méfie jamais assez qu'elles jouent un air connu. On suit donc l'idée que c’est seulement en sachant comment les acteurs construisent leurs activités qu’on peut être raisonnablement certain de ce que ces activités signifient.

Par approximations successives, on a établi le système de critères distinctifs suivant, bien corrélable à des modus operandi vérifiables ; il constitue le principe de distribution des promoteurs, que nous adoptons pour la présentation des résultats.

firme non-firme

Le promoteur est… groupe 1 groupe 2 groupe 3

(a) à l'initiative des recherches et intéressé à leur résultat

direct

oui non oui oui

(b) distinct de l'investigateur oui oui non oui

(c) rédacteur effectif des documents d'IRC oui non — [oui]

(d) dans une relation de commanditaire à prestataire avec les investigateurs

oui non — [oui]

(e) au contact des personnes-sujets incluses dans les protocoles

non non oui oui

Tableau 3. — Tableau de distribution des promoteurs82. 2.A.2.2.a. Les firmes comme catégorie de référence

En raison de son caractère très homogène, le modèle de la firme s'est imposé assez naturellement, dans la généalogie de cette distribution, comme catégorie de référence83. Il faut

82 Les expressions « groupe 1, groupe 2, groupe 3 » renvoient aux trois groupes (promoteurs

administratifs, promoteurs-investigateurs et associations de patients promotrices) analysés dans la section 2.C. consacrée aux non-firmes. L'expression « [oui] » (avec crochets carrés) signifie « à peu près "oui" » ou « tendant vers "oui" ».

observer que le laboratoire pharmaceutique se trouve être également la catégorie de référence implicite de la loi 84.

2.A.2.2.a.i. Cas particulier des CRO

Les CRO (pour « Contract-Research Organisation ») sont des sociétés de service prestataires des firmes, qui assurent par délégation le rôle de promoteur dans la mise en œuvre des essais cliniques.

Les CRO épousent les intérêts de leurs clients et la culture pratique des firmes. Leur point de vue, tout en présentant une forte homogénéité avec celui des firmes, est en situation de (relative) distance ; informé par une large variété de situations, il donne sur de quelques points une vision très aiguë du fonctionnement des firmes en position de promoteur.

Aussi a-t-on inclus les CRO dans le chapitre consacré aux firmes. 2.A.2.2.b. Les « non-firmes » : des structures de promotion hétérogènes

Les promoteurs n'appartenant pas à la catégorie des firmes ont été distribués en trois groupes (dont la construction est détaillée plus loin85).

On donne, page suivante, un tableau récapitulatif des structures de promotion et de leur distribution. Certains détails identifiants ont été gommés. Les noms originaux d'organisation ont été remplacés par des dénominations fantaisie.

83 Cette homogénéité effective est, pensons-nous, l'une des raisons pour laquelle l'opposition privé/public

paraît si évidente aux acteurs (et, plus généralement, à « l'opinion ») : la qualité privée des laboratoires pharmaceutiques ne fait pas de doute ; la plupart des institutions qui ne sont pas des laboratoires étant publiques, on voit bien par quelle induction le caractère privé des firmes détermine la perception des non-firmes comme institutions nécessairement publiques.

84 La loi votée en décembre 1988 résulte d'un processus d'ampliation à partir d'une version première

proposée en avril 1988 par le sénateur Huriet, « relative aux essais chez l’homme d’une substance à visée thérapeutique ou diagnostique » et centrée sur la mise au point des médicaments qui est l'activité essentielle des laboratoires. Le modèle de la recherche pharmaceutique reste très prégnant dans la loi au-delà des révisions qu'elle a connues, et dans la réglementation.

FIRMES

EuroLab un laboratoire européen de taille mondiale

SamLab un important laboratoire (dans les dix premiers mondiaux) dont la maison mère est aux États-Unis ; la centralisation administrative européenne est à Bruxelles

FranceLab un laboratoire français de taille moyenne

SvenLab la branche française d'un laboratoire européen de taille moyenne surtout implanté dans les pays du Nord où il a son siège. Ses principales spécialités et domaines de recherche concernent la psychiatrie

JohnLab un laboratoire américain disposant d'un centre de recherche européen. La branche française contrôle une douzaine de centres dispersés dans 20 pays. Les pathologies concernées incluent les cancers, le sida, le diabète.

ServiCro un CRO important, d'origine française

NON-FIRMES