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Enquête auprès des investigateurs

3.C.3 D ISPOSITIFS PROCESSUELS ET ARGUMENTATIFS : COMPOSITION

On postule, comme on l'a indiqué, que les investigateurs sont intéressés au succès de la démarche qu'ils entreprennent vis-à-vis du patient et que, à défaut, ils ne l'entreprendraient pas. Qu'ils déploient vis-à-vis du sujet visé un ensemble de moyens — processuels et argumentatifs — constituant un dispositif et propre à assurer le succès de la démarche, — ou, vu autrement, que le dispositif processuel et argumentatif présenté au sujet ne vise pas à le

dissuader d'accepter la demande qui lui est faite. (Ce dispositif peut contenir des éléments

volontairement « dissuasifs »124, mais c'est dans la continuité du processus de sélection, pour

évincer les sujets qui ne conviennent pas, pas pour dissuader ceux qui conviendraient.) L'accord obtenu veut l'être dans des conditions telles que l'investigateur puisse, notamment, espérer que la personne-sujet le suivra jusqu'au terme de l'essai :

Quand un patient [en cours d'essai] arrive en disant : "Ça ne me convient pas", vous pouvez faire tout ce que vous voudrez, vous ne remonterez jamais la pente. Dans 95% des cas la partie est perdue. J'essaie d'avoir une attitude neutre vis-à-vis du patient, et je me dis : "Merde ! il m'en faut un autre à trouver". C'est une réaction qui est plus de manager. [Lucien, 48 ans, inv. à l'hôpital, diabéto]

L'obtention du consentement est la « cause finale » des différents moments de la démarche. Dans la pratique, l'acte de sollicitation en tant que tel ne s'isole pas de ce mouvement vers l'obtention d'un accord. Il est partie intégrante du dispositif qui lui donne son sens, et qui peut varier sensiblement d'un investigateur à l'autre.

Ce dispositif articule une dimension objective et une dimension subjective.

3.C.3.1. Dimension objective du dispositif : factualité de la procédure d'IRC (en un ou plusieurs temps, mobilisant une ou plusieurs personnes) et contraintes externes (type d'étude, lieu d'exercice — la pratique de ville surimposant la contrainte de préservation de la personne-sujet en tant que client.)

La dimension objective, c'est la procédure de sollicitation-information-recueil du consentement, telle qu'on l'observe dans sa factualité, avec les contraintes pratiques ne dépendant pas de l'investigateur, liées à la situation ou au protocole lui-même.

• Factualité : la procédure est en un ou plusieurs temps ; elle mobilise, face au sujet, une ou plusieurs personnes (le chef de service, investigateur principal, et un médecin attaché de recherche, par exemple).

• Contraintes ne dépendant pas de l'investigateur : le type de protocole, par exemple ; le fait que la recherche implique face à l'investigateur, le sujet seul ou accompagné de plusieurs personnes de sa parentèle (études génétiques, par exemple), etc.

124 La présentation d'emblée des inconvénients de la participation, typiquement, comme le font Rémi et

Au rang de ces contraintes, un élément de contexte vient déterminer essentiellement, pensons-nous, la relation investigateur-sujet : le lieu d'exercice de l'investigateur, en ville ou à l'hôpital, l'exercice en ville surimposant — comme on le voit nettement dans les entretiens — la contrainte de préservation de la personne-sujet en tant que client.

3.C.3.2. Dimension subjective : argumentation déployée et projection de contenus interprétatifs sur la situation et sur les personnes sollicitées

La dimension subjective, c'est l'argumentation déployée et les projections de contenus

interprétatifs élaborés par l'investigateur sur la situation (en particulier, sur la nature de la

situation au regard de la distinction soin médical/recherche, et sur son rôle dans la situation) et

sur les personnes sollicités. C'est la présence — constitutive — de cette dimension subjective

dans le dispositif qui nous est dite dans un propos tel que :

Tout est une question de présentation des choses : si vous avez un patient qui a confiance en vous, il continue… Il faut sentir les sujets… [Paul, 58 ans, inv. en ville, ORL]

On a distingué les composantes suivantes :

• L'argumentation telle qu'elle est rapportée par l'investigateur (« On leur dit que », « J'insiste sur… », « Je présente les choses comme… », etc.).

• Les projections sur la situation, propos du type :

Le médecin est toujours en position de force vis à vis du malade. [Jocelyne, 28 ans, inv. à l'hôpital, neuro/génétique]. — Il y a longtemps que je sais que si c’était mes enfants, je n’hésiterais pas une seule seconde [à les engager dans l'essai], eu égard à la maladie et à ses conséquences. [Jean, 53 ans, inv. à l'hôpital, pédiatrie/épilepto.] ;

• Les projections sur la spécificité de la situation de recherche, propos du type :

On ne va pas leur faire un cours de médecine! Pas plus pour un produit connu que pour un produit à l’essai. La démarche pour soigner un patient dans un essai est la même que pour un patient qui a un traitement classique. On ne lui explique pas. [Richard, 53 ans, inv. en ville, gynéco]. — Quand on fait de l’investigation clinique c’est un job vraiment à part. [Emmanuel, 35 ans, inv. à l'hôpital, psy/génétique]

• Les projections sur les personnes sollicitées, propos du type :

Les patients acceptent d'autant plus quand c'est une maladie grave sans traitement, pour faire avancer la recherche. [Jocelyne, 28 ans, inv. à l'hôpital, neuro/génétique] — Devant le chirurgien les gens perdent le désir de réfléchir. Ils font confiance. On peut leur faire faire n’importe quoi. [Jérôme, 59 ans, inv. à l'hôpital, chirurgie]

On postule que l'investigateur règle son argumentation sur l'idée qu'il se fait de la situation, d'une part, et sur l'idée qu'il se fait des personnes, d'autre part.

3.C.3.3. Modalités et intensité de la spécification de la situation de recherche : procédures continues/discontinues (rupture de temps ou de lieu), séparatives ou non (rupture d'interlocuteur)

Pour discriminer entre les dispositifs, on a utilisé, plusieurs niveaux de critères appliqués dans la succession suivante.

(1) On a considéré, en premier lieu, la procédure de sollicitation et d'IRC, et partagé entre : • Des dispositifs incluant des procédures qui sont volontairement en plusieurs temps, et qui

peuvent offrir, dans certains cas, plusieurs interlocuteurs à la personne sollicitée ; on parle alors de procédures ou dispositifs « discontinus » ; spécifiquement, lorsqu'une rupture de lieu ou d'interlocuteur est ménagée, on parle de procédures ou dispositifs « séparatifs ».

• Des dispositifs incluant des procédures qui, volontairement, ne ménagent pas ces ruptures de continuité ou qui tendent à les éviter ; on parle de procédures ou dispositifs « continus ».

(2) On a examiné ensuite l'argumentation développée par l'investigateur — et les projections de contenus interprétatifs qu'il élabore sur la situation et sur les personnes.

Sur cette base, on a rangé les dispositifs selon les modalités et l'intensité (forte, faible ou nulle) de la spécification de la situation de recherche.

On présente infra les dispositifs les plus typiques.

3.C.4. DISPOSITIFS D'IRC PRÉSENTANT UNE SPÉCIFICATION FORTE DE LA