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Qu’est-ce qui différencie l’homme de l’animal ? La mythologie grecque nous raconte comment Zeus charge Prométhée et Épiméthée, deux Titans, de doter les humains et les animaux de différents attributs afin qu’ils puissent survivre sur terre. Épiméthée, dont le nom traduit le faible intellect41, commence en s’occupant des animaux qu’il dote de différents privilèges utiles à leur survie, tels que la force, la rapidité ou encore l’instinct mais aussi les griffes, les poils, les écailles etc. Seulement Épiméthée distribue toutes ces qualités sans en laisser aucune à Prométhée qui avait à sa charge la dotation des humains. C’est ainsi que l’homme se retrouva démuni, sans attributs spécifiques, et incapable de faire face à la nature. Prométhée, soucieux de la survie des hommes, prit l’initiative d’aller dérober le feu et les arts aux Dieux pour leur transmettre. Zeus découvrant cette faute fit enchaîner Prométhée au sommet du Caucase où un aigle venait chaque jour lui dévorer le foie.

La pensée mythique admet donc d’emblée la différenciation entre l’homme et l’animal à partir de sa capacité à s’adapter à la nature. L’homme n’ayant pas de forces spécifiques lui permettant d’assurer sa survie, il lui faudra user de ses connaissances sur l’ensemble des objets qui l’entourent afin de développer une technique visant à compenser ce qui lui fait défaut par nature. C’est ce que l’on appelle la culture.

La culture est un mot d’origine latine, qui vient du verbe colere qui signifie « cultiver » ou « honorer », et s’employait à l’origine dans l’agriculture. Le terme a évolué au fil des années, pour finalement désigner les facultés intellectuelles d’un individu puis l’ensemble des comportements sociaux transmis de génération en génération et qui composent une société dans son ensemble (mœurs, coutumes, usages, techniques etc.).

La culture conditionne ainsi le sujet à un certain type de pensée, de croyances, de pratiques, etc. qui lui assure sa survie et celle de la communauté.

La d’Hommestication42 culturelle du sujet

La philosophie, la psychanalyse et l’anthropologie classique se sont longtemps attardées sur la question du rapport que l’homme entretenait avec la nature et la culture. Et plus exactement de ce qui relevait de l’une ou de l’autre lorsque l’on traitait de la question du sujet. Selon ces disciplines, la culture aurait permis à l’homme de se distinguer de ce qui est du registre de la nature pour entrer dans la civilisation. L’homme se différencie de la faune et la flore qui à chaque génération répètent les mêmes schémas développementaux. C’est-à-dire que l’homme par sa culture est dans une évolution constante, il est en perpétuel progrès dans le sens où la transmission qui se fait de génération en génération lui permet de tirer une expérience de ses prédécesseurs et ainsi de faire évoluer ses techniques et ses pratiques. De plus, là où l’animal s’en réfère à ses instincts, l’homme par son mode de pensée, intellectualise les évènements qu’il peut symboliser grâce au langage, constituant ainsi une culture qui serait définitivement caractéristique de la pensée humaine.

Le sujet à sa naissance tombe dans le bain de langage que représente la culture, c’est un trauma qu’il lui faudra organiser subjectivement, mais également à partir des codes sociaux que la culture met à sa disposition, en fonctionnant au travers de signes. C’est une invention du sujet pour se donner un corps collectif.

En Amazonie par exemple, les hommes prennent du temps pour se maquiller, s’épiler ou encore se parer de bijoux afin de se différencier des animaux et de la nature. Ces parures respectent des codes sociaux définis par leur culture.

Pour S. Freud, la culture permet de nous différencier des animaux et sert surtout à « la

protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux »43. C. Lévi-Strauss rejoint cette conception, en expliquant que la société s’exprime symboliquement dans ses coutumes et ses institutions. Pour lui, le symbolisme représente tous types de phénomènes collectifs que l’on désigne communément par la culture : comme le langage, les règles de parenté, le mariage, les religions, les rites, l’art, les récits mythiques etc. C. Lévi-Strauss dit à ce propos qu’il s’agit d’un mécanisme fondamentalement régulateur de la société, une condition indispensable à son équilibre.

42 Néologisme emprunté à Mauricio HERREÑO AGUDELO dans sa thèse L’image dans le coffre de

monnaies d’or II, Lacan et le Réeligion, soutenue le 14 novembre 2009.

43 Sigmund FREUD, Malaise dans la culture, Éd. Presses Universitaires de France, Coll. Quadrige,

Selon MJ. Sauret, la civilisation doit être entendue comme consistant en « l’invention de

tout ce qui, d’une part éloigne l’homme de sa nature animale, et d’autre part, règle la vie collective »44. Reprenant la pensée de S. Freud, c’est parce que les hommes ont cette disposition naturelle à l’agression et à la violence que la culture est indispensable au bon fonctionnement de la vie sociale, au sens où c’est elle qui se charge soit d’inhiber, soit de sublimer ces pulsions naturellement associables. Au-delà de réguler nos tendances et de permettre un vivre ensemble, la culture est garante d’identité sociale pour l’individu. En effet, le sujet se définit par sa culture qui va lui fournir des codes de conduite, des normes, des traditions et des coutumes, des lois, une langue etc. soit un ensemble d’éléments qui lui procureront un ancrage social structurant, tout en lui permettant de tisser des liens avec autrui. Nous pouvons ajouter que l’homme est un homme de culture au sens où il a besoin des autres, mais ce besoin est complexe car c’est un besoin narcissique : il a besoin de l’autre en tant que miroir. Je prends conscience de mon existence parce que l’autre est là pour me la confirmer.

C. Lévi-Strauss, au début de son ouvrage Les structures élémentaires de la parenté45, dans un chapitre intitulé « Nature et culture », relève que « L’Homme de Néanderthal, avec sa

connaissance probable du langage, ses industries lithiques et ses rites funéraires, ne peut être considéré comme vivant à l’état de nature »46. Selon lui, l’homme est un être à la fois biologique et social. Il précise, en reprenant les travaux de Johann Friedrich Blumenbach que l’homme serait le seul être à s’être « domestiqué lui-même »47. Il amène ainsi l’idée que ce qui relève de la nature chez l’homme est à repérer du côté d’une universalité, tandis que ce qui relève de la culture s’astreint plutôt à des normes sociales sujettes à la variabilité :

« Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l’étage de la culture. Symétriquement, il est aisé de reconnaître dans l’universel le critère de la nature. Car ce qui est constant chez tous les hommes échappe nécessairement au domaine des coutumes, des techniques et des institutions par lesquelles leurs groupes se différencient et s’opposent. »48

44 Marie-Jean SAURET, « Sujet, lien social, seconde modernité et psychanalyse », Essaim, vol. 25, no.

2, 2010, pp. 43-56. Disponible sur <https://www.cairn.info/revue-essaim-2010-2-page-43.htm>, consulté en mars 2016.

45 Claude LÉVI-STRAUSS, Structures élémentaires de la parenté, Éd. EHESS, Coll. En temps & lieu,

Paris, 2002, p.3.

46 Ibid. p.3. 47 Ibid. p.6. 48 Ibid. p.10.

Il repère néanmoins une exception à sa règle dans la prohibition de l’inceste, qui d’une part répond à une règle et d’autre part est universelle. Cet interdit est désigné comme la seule institution universelle qui :

« Présente simultanément le caractère distinctif des faits de nature et le caractère distinctif – théoriquement contradictoire du précédent – des faits de culture. La prohibition de l’inceste possède, à la fois, l’universalité des tendances et des instincts, et le caractère coercitif des lois et des institutions. »49

Si nous reprenons les travaux de S. Freud sur le mythe de la horde, nous lisons que la culture apparaît avec le meurtre du père. À partir de ce moment-là, elle repose sur des fondamentaux qui sont : l’interdit du meurtre, de l’inceste et du cannibalisme, la Loi symbolique et des structures de parenté basées sur l’échange et les alliances matrimoniales. On peut considérer ainsi que le « totémisme conduit à la d’hommestication »50, car c’est en érigeant des interdits que l’homme parvient à se socialiser, à se culturiser. Le totémisme permet donc de rendre signifiante la communauté en lui assurant un ordre symbolique structurant.

Cependant, là où C. Lévi-Strauss et S. Freud parlaient de culture, J. Lacan lui s’interroge sur la notion de lien social et la façon dont le sujet s’y articule à partir de ce qui le représente symboliquement, imaginairement et réellement.

Le discours social

Nous venons de voir que la culture repose sur des ancrages fondamentaux mythiques et symboliques qui sont propres à l’homme. Le lien social est quant à lui à penser comme un discours :

« En fin de compte, il n’y a que ça, le lien social. Je le désigne du terme de discours parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de le désigner dès qu’on s’est aperçu que le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime, se situe sur ce qui grouille, à savoir l’être parlant »51.

49 Ibid. p.12.

50 Mauricio HERREÑO AGUDELO, L’image dans le coffre de monnaies d’or II, Lacan et le Réeligion,

p.114.

Cependant, si J. Lacan admet que le lien social est un discours qui fait tenir les sujets ensemble, il précise que ce discours bien qu’usant des ressources du langage, n’est pas lui- même un langage ou une parole. C’est une structure dans laquelle la parole viendra se loger par la suite, « un discours comme sans paroles »52.

Selon Olivier Douville, « le lien social serait une logique et un dispositif apte à traiter du

réel : une structure qui échappe au sujet et qui le marque en raison de son insertion dans le langage »53. Autrement dit, le discours vient en réponse à la jouissance que l’on peut qualifier d’antisociale, en tant que celle-ci va à l’encontre du lien social puisque aussitôt que le sujet en fait la rencontre, il s’anéantit. En ce sens, le discours peut être considéré comme un « habitat langagier qui fait "tenir les corps ensemble" [et] doit permettre au

sujet de trouver à s’y loger tout en parvenant à régler son propre rapport à la jouissance

»54. Ce compromis du sujet va participer à la mise en place de sa propre identité subjective. Le discours est donc en ce sens un dispositif de régulation de la jouissance qui peut promettre au sujet qu’il pourra récupérer tout de même quelques brides de jouissances appelées plus-de-jouir55.

Aux vues de ces considérations, nous percevons que culture et lien social sont inévitablement affiliés l’un à l’autre. La culture vient s’inscrire dans le lien social grâce à ses signifiants qui vont servir à la structuration du discours en jeu. Cependant le lien social loin d’être fixe, ne cesse de se transformer, ce qui produit inévitablement des effets.

L’homme de l’Antiquité et celui de la Renaissance s’intéressaient au rapport de l’homme entre nature et culture. À partir du siècle des Lumières, la pensée cartésienne dirige l’intérêt vers d’autres paradigmes, notamment sur le nouveau rapport qu’entretient l’homme avec le monde qui l’entoure. De nos jours, nous ne questionnons plus la relation de l’homme entre nature et culture, mais plutôt celui entre culture et technique.

52 Jacques LACAN, Séminaire Livre XVII - L’envers de la psychanalyse, op cit. p.9.

53 Olivier DOUVILLE, « Pour introduire l’idée d’une mélancolisation du lien social », Cliniques

méditerranéennes, Vol 63, n°1, Éd. Érès, 2001. Disponible sur <cairn.fr>, consulté en janvier 2017.

54 Jean-Luc GASPARD, « Nouveaux symptômes et lien social contemporain », Les fondamentaux de la

psychanalyse lacanienne. Repères épistémologiques, conceptuels et cliniques, sous la direction de

Laetitia JODEAU-BELLE, Laurent OTTAVI, Éd. Presses Universitaires de Rennes, Coll. Didact Psychanalyse, Rennes, 2010, p.358.

Nous avons vu en tout début de recherche que le sujet peut être considéré à partir de différentes références telles que la conscience, le langage, l’autre, la loi, les croyances, les mythes etc. Tout cela participe à le définir, et à l’inscrire socialement. Ainsi, le sujet se définit par la façon dont il s’inscrit dans le lien social, ce même lien social qui repose sur la façon dont le sujet l’investit et s’y inscrit.

Mais comment penser son articulation à ce lien social sans évoquer la question du symptôme. Ce symptôme qui serait « la manifestation la plus vraie de l’assujettissement

du sujet au discours qui le produit et qu’il produit »56. Il permet au sujet de se loger dans le communcar c’est « ce qui lui permet d’approcher la nature du lien social qu’il a réussi à

tisser, plus ou moins bien, avec l’Autre et quelques autres »57.

56 Frédérique BERGER, Bernadette LEMOUZY-SAURET, Marie-Jean SAURET, « Sujets et lien social

contemporain », Cliniques méditerranéennes, op cit.