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II. Le sujet sous le prisme de l’Autre social, structure de parenté

4)   La famille de l'autre

S’il a été montré que le mariage est une institution universelle, il existe néanmoins plusieurs manières d’en faire acte.

S. Freud parle dans ses théories d’un modèle de famille nucléaire fondée sur la notion de couple et constituée d’un père, d’une mère et de l’enfant issu de leur union. Ce modèle s’appuie sur des conceptions occidentalisées, qui ne sont pas équivalentes dans d’autres cultures. Par exemple au Sénégal, en Amazonie, ou au Vanuatu, il est plus fréquent de rencontrer des familles qui se structurent sur le modèle de la famille élargie, c’est-à-dire d’une famille constituée à partir d’un ensemble apparenté d’individus vivant sous le même toit. Certaines familles d’Afrique et d’une partie de l’Europe de l’Est peuvent également s’organiser sous le régime polygame. L’époux aura alors la possibilité de se marier à plusieurs femmes conjointement.

Mais voyons quelques éléments des structures familiales sénégalaises qui aideront par la suite à mieux saisir notre propos.

Sénégal et institution familiale

Les familles africaines sont la plupart du temps très nombreuses, et s’organisent sur un système de parenté plus social que biologique. C'est-à-dire que nous sommes parents lorsque nous partageons le même espace social. Chez les Wolofs du Sénégal, le mot parent est désigné par Mbokk, terme qui vient de bokk, qui signifie « partager en commun, avoir en commun ». La notion de génération structure les différentes formes de la parenté. Nous appellerons ainsi « papa » toutes les personnes qui ont l’âge du père, de même pour « maman », « mamie » et « frères » et « sœurs » ceux qui sont de la même génération. Les familles se réunissent pour vivre ensemble dans des maisons plus ou moins grandes. Ainsi, il est courant de voir habiter ensemble des parents et leurs enfants même jusqu’à un âge avancé. En général, seul le mariage peut justifier le départ d’un enfant.

Il existe plusieurs modèles de famille, le plus répandu étant le système patrilinéaire, dominé par la famille de l’homme. Le christianisme, l’islam et la colonisation occidentale ont renforcé cette idéologie patriarcale en faisant de la femme une auxiliaire du mari. Le deuxième modèle est de type matrilinéaire : les enfants appartiennent à la famille de la femme, l’autorité parentale étant exercée par le frère de celle-ci. Le dernier modèle est bilinéaire, c'est-à-dire que les droits entre époux sont à peu près les mêmes.

L’enfant sénégalais est constamment en interaction avec les différents membres de la communauté, mais l’apprentissage se fait de façon autonome. À la différence de l’héritage laissé par Françoise Dolto en Occident, au Sénégal les adultes n’expliquent pas aux enfants comment réaliser certaines tâches. C’est à eux d’apprendre en observant et en écoutant. Le rapport à l’autorité est plutôt silencieux mais marqué par la notion d’obéissance de l’enfant envers l’adulte, qui prend les grandes décisions (mariage, sevrage, circoncision, etc.) à la place du sujet concerné. L’irrespect des aînés est très mal vécu par le reste de la famille car cela s’attaque à la structure sociale et familiale traditionnelle elle-même. Tout comme la mère, le père partage ses devoirs avec d’autres hommes (oncles, amis, etc.) qui seront appelés « papa ». Il est intéressant de relever que certaines langues africaines n’ont pas de traduction pour le mot père, le terme étant équivalent à celui qui désigne l’ancêtre. L’autorité s’exerce au travers de la coutume, des croyances et des rites. Selon le couple Ortigues, la formation du Surmoi est liée à la coutume : « la coutume des ancêtres est une

morale héritée »110. Les aînés possèdent un savoir social sur les coutumes, les ancêtres, le travail, etc. que l’enfant respecte et convoite. À la différence de l’Occident qui, parasité par la modernité et son accès illimité aux savoirs via les nouvelles technologies, a fait perdre ce rapport vertical au savoir que l’on allait chercher chez l’autre.

L’autorité au Sénégal est donc rattachée aux ancêtres, aux « pères morts », rappelant les propos de Lacan lorsqu’il disait que « Le vrai père, le père symbolique, est le père

mort »111, ce père qui ne peut se rencontrer que dans le mythe.

Il y a ainsi peu d’individualité en Afrique, notamment au Sénégal. Rien n’est secret et tout peut se partager. « En Afrique la notion d’individu se fond, se dissout dans la

communauté que représente la famille étendue »112. Ce mode de vie est d’autant plus accentué par la causalité externe que l’on attribue à tous les maux. L’individu peut se passer d’une certaine intimité puisque tout ce qui lui arrive n’est pas considéré comme relevant de sa responsabilité. Le malade est alors reconnu comme un sujet confronté à la malveillance d’un autre sujet ou d’un esprit (le marabout, le rab, etc.). De ce fait la famille et l’entourage sont autant impliqués dans sa maladie que le malade lui-même.

110 Marie-Cécile et Edmond ORTIGUES, Œdipe Africain, op cit.

111 Jacques LACAN, « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 », Écrits I, op cit., p. 468.

112 Claudine BRELET, Médecines du Monde, Histoire et pratiques des médecines traditionnelles, Éd.

La honte et la culpabilité sont étrangères au malade comme à son entourage, ainsi les souffrances psychiques sont l’affaire de tous, et jamais le sujet ne doit éprouver cela seul. Cela explique probablement la grande tolérance qu’il y a au Sénégal envers les malades mentaux. En effet la plupart des malades vivent au sein de leur famille et sont bien inscrit dans leur communauté ; ils peuvent se marier, avoir des enfants et travailler s’ils le souhaitent.

Mais ces considérations sur la société sénégalaise nous conduisent vers un autre questionnement qui est celui de l’universalité de la structure psychique du sujet. Car si nous venons de voir que d’une culture à l’autre des variantes sont à observées en matière d’organisation sociale, cela peut-il impacter le développement psychique du sujet ou existe-t-il une forme d’invariance structurale qui répond aux lois de l’universalité plutôt qu’à celles de la culturalité ?

III.   La structure peut-elle être pensée en tant