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A NALYSE D ES D ONNÉES É PIDÉMIOLOGIQUES

P RÉSENTATION D ES P ARTICIPANTS

2.9.4 A NALYSE D ES D ONNÉES É PIDÉMIOLOGIQUES

Au premier coup d’œil, on remarque que les niveaux de revenus les plus élevés sont concentrés dans la région urbaine et limitrophe; Hull avec un revenu moyen de 52,153 $, Aylmer, où le niveau de scolarité est le plus élevé cumule à 62,598 $ et Les Collines avec 59,965 $. À ce premier niveau, on peut présumer sans risque que le niveau de revenu est fortement lié au niveau de scolarisation. Hormis le Pontiac avec un taux de 19,1 %, on remarque que les régions à forte majorité francophone, (Hull 87,8%, Les Forestiers 86,4 %, Petite Nation 98,1 %) détiennent les plus hauts niveaux de faibles revenus avec respectivement 23,1 %, 19,5 % et 18,1 %, où Hull se situe quatre points au-dessus de la moyenne Québécoise tandis que ses voisines rurales affichent les niveaux de scolarité les plus bas avec 30,5 % et 29,1 %. Cependant, même si les écarts de revenus entre Grande Rivière (Aylmer) et la Petite Nation sont substantiels avec une différence de 23,835 $, les taux d’insatisfaction sociale demeurent équivalents avec un écart de seulement 1,0 %. Ainsi, la différence statistique des taux d’insatisfaction sociale entre la ville la plus riche et la région la plus pauvre de l’Outaouais semble non significative en égard d’un lien avec le niveau de revenu, il faudra chercher ailleurs l’explication à cette équivalence malgré l’importance de cet écart économique.

Une donnée très importante est le taux de suicide pour la Petite Nation. Dans l’Outaouais, le taux de mortalité par suicide pour 100,000 habitants est le plus bas à Grande Rivière avec 18 hommes et 4 femmes, alors qu’il est le plus élevé dans Les Forestiers avec 63 pour les hommes et 6 pour les femmes. Par contre, la Petite Nation détient le taux de mortalité par suicide pour les femmes le plus élevé avec 12 décès, tandis que celui des hommes se chiffre à 54. Ces résultats nous interpellent car on s’attendrait à une corrélation positive entre taux de suicide et niveau de détresse psychologique, pourtant les taux pour Grande Rivière et la Petite Nation pour la dernière variable ne diffèrent que de 1,12 %, alors que l’écart pour les suicides est de 36 par 100,000 pour les hommes et trois fois plus élevé pour les femmes de la Petite Nation. Dans ce cas, le croisement des indices de détresse psychologique et d’insatisfaction sociale ne nous permet pas d’expliquer la prévalence du suicide pour ces régions. De plus, le préambule sur la méthodologie indique que « les 14 questions posées pour bâtir l’indice de détresse psychologique nécessaire à l’élaboration de l’indice ne constituent pas une mesure de

diagnostique précis » (Enquête sociale et de santé de l’Outaouais 1998, 2001 : f-16, 17). En effet, dans le calcul de la prévalence des idées suicidaires généralement liées au niveau de détresse psychologique, la population de référence ne comprend pas les personnes ayant rapporté un para suicide. Le préambule spécifie que les symptômes évalués doivent être présents dans la semaine précédant l’enquête, d’emblée la méthode écarte ainsi toute perspective longitudinale empêchant de saisir les facteurs locaux et historiques ayant contribué aux suicides, à la prévalence des idées suicidaires, des tentatives de suicide et des résultats des programmes de prévention.

Malgré ce triste bilan du suicide chez les femmes, une donnée remarquable s’insère au tableau. L’espérance de vie des femmes est inégalée dans la Petite Nation avec un summum de 84,2 années, trois années de plus que la moyenne Québécoise, tandis que ce facteur est inégalé négativement par les hommes de la Petite Nation ex aequo avec Hull avec 74,2 années, deux années de moins que la moyenne Québécoise. Cela soulève deux questions : alors que l’espérance de vie est généralement liée au statut socioéconomique et sachant que les femmes ont un niveau de revenu inférieur aux hommes et souvent au bas de l’échelle économique, que font les femmes de la Petite Nation pour vivre plus longtemps? Est-ce parce qu’elles vivent mieux ou autrement? Et les hommes vivent-ils moins bien?

Le taux d’inactivité physique le plus haut est détenu par la Petite Nation avec 38,7 %, tandis que le plus bas est détenu par Hull avec 27,5 %, démontrant un écart de 11,2 % entre ces deux régions. Dans le cas de Hull, on peut comprendre ce taux élevé sachant que cette ville est très bien équipée en infrastructures sportives. Pourtant, malgré des infrastructures sportives insuffisantes (pistes cyclables, sentiers pédestres, centre de ski, piscines), la Petite Nation se démarque peu de ses voisines au niveau de la perception de mauvaise santé et la comparaison soulève une question; le taux d’inactivité physique de la Petite Nation significativement inférieur au taux provincial de 48 % contredit nos attentes face à l’indice local de perception de mauvaise santé chiffré à 16,6 %, démontrant un écart de 5,5 % supérieur au taux provincial et un écart maximal de 1,5 % avec ses voisines régionales. Ceci apparaît suffisamment significatif pour qu’on se questionne sur comment un taux provincial d’inactivité physique négatif peut figurer à côté d’un indice de perception de mauvaise santé aussi positif. Dans ce cas, on peut lancer différentes hypothèses : les différences régionales quant à la définition de l’activité

physique sont très variables, ou les efforts des sportifs sont perçus par eux-mêmes comme vains, ou encore il existe un indicateur silencieux faisant varier le niveau de perception de mauvaise santé et à priori sa définition. S’agit-il que la pratique sportive entraîne un niveau de blessures lié au risque inhérent à tout sport? Quelles variables silencieuses peuvent faire varier ainsi la perception de mauvaise santé? De tous les taux de morbidité en Outaouais, seul le pourcentage d’individus affectés par les allergies est nettement supérieur au résultat provincial avec une moyenne régionale à 35,0 % versus un taux provincial de 28,8 %, alors qu’au niveau intra régional la Petite Nation détient le niveau le plus élevé avec 34,14 %. Les moyennes régionales pour la prévalence des maux de dos, de l’arthrite et rhumatismes et des affections respiratoires sont à peu près équivalentes aux moyennes provinciales, alors dans ce cas, serait-ce le taux régional d’allergie inégalé qui ferait monter à lui seul l’indice de perception de mauvaise santé de l’Outaouais et de ses régions? Ou bien est-ce l’isolement social, les conflits personnels au travail ou familiaux, la pollution atmosphérique? À ce point, pour quiconque s’interroge sur la pertinence des résultats d’enquête en santé publique, beaucoup de questions demeurent sans réponses.

Deux données très importantes et probablement les plus significatives de cette enquête méritent une attention particulière : le taux de mortalité par tumeurs et par maladies cardio-vasculaires pour Hull est le plus élevé au Québec, alors que cette ville affiche un environnement socioéconomique associé aux niveaux de revenus et de scolarité parmi les trois plus élevés de l’Outaouais et nettement supérieurs à la moyenne Québécoise. À l’opposé, les taux de mortalité pour ces mêmes maladies pour la région de la Petite Nation sont les plus bas en Outaouais et au Québec où pourtant les niveaux de revenu et de scolarisation pour la Petite Nation sont les plus bas de l’Outaouais (ex aequo avec Les Forestiers) et du Québec. Ainsi, les données probantes interprétées par le CRSSSO (Conseil régional de la santé et des services sociaux de l’Outaouais, 1980, 1990) et le DSP (Département de santé publique) sur les conditions de vie en milieu rural (Enquête sociale et de santé de l’Outaouais 1998, 2001) dont les niveaux de morbidité sont liés aux caractéristiques socioéconomiques soulèvent à nouveau la question épistémologique sur la construction de catégories nosologiques populationnelles. Ainsi, quels sont les facteurs pouvant expliquer l’équivalence dans la prévalence des maladies non létales malgré la présence de forts écarts socioéconomiques intra régionaux? Quoique l’épidémiologie

fournisse une quantité impressionnante de données pertinentes sur la distribution, la fréquence et l’évolution des maladies, elle nous informe peu sur les circonstances contextuelles ou sur les causes possibles, sociales, économiques ou culturelles déterminant la distribution d’une maladie X dans un milieu Y. Alors, que font les habitants les plus pauvres pour démontrer les taux les plus bas pour les deux maladies causant le plus de décès au Québec? Les habitants les plus pauvres ne sont peut-être pas aussi démunis et vulnérables que le prétendent les résultats d’enquêtes statistiques. Malheureusement, peu de données sensibles au sujet de la variance des milieux ruraux sont présentes pour parler des contextes locaux et de leurs caractéristiques particulières. En effet, l’analyse des déterminants de la santé met rarement en relation les facteurs biologiques, historiques, culturels, sociaux et politiques, tels que les antécédents génétiques, les réseaux sociaux et la culture familiale, le mode de vie et les habitudes, les contraintes structurelles, l’exclusion sociale, la précarisation du travail et son environnement, les stratégies politiques de l’économie de la santé et l’écologie participant à améliorer ou dégrader la qualité de vie et la santé. La tendance actuelle de l’administration publique de la santé à fusionner au sein de grands ensembles les petites unités sanitaires tend à donner raison à ce constat sur la déconnexion des données probantes avec les milieux étudiés. Cette problématique se révèle très clairement dans les résultats d’enquêtes qui contrastent avec les témoignages des participants, tant ceux des professionnels de la santé que ceux des familles indiquant l’existence d’un clivage entre les données épidémiologiques populationnelles et la réalité du terrain. A priori, on peut présumer que les habitants moins fortunés des régions rurales développent en rapport aux conditions de vie locales, un mode de vie et des stratégies d’adaptation différentes des pratiques actualisées par leurs concitoyens urbains plus fortunés et plus éduqués. À ce niveau, quel rôle joue l’environnement sur le développement de leurs comportements en égard de leur santé et de leur qualité de vie? Le concept de qualité de vie, abordé dans la perspective d’une analyse du milieu de vie et de son contexte écologique, social, culturel et économique est-il pertinent dans un cadre épidémiologique? C’est ce que les prochains chapitres tenteront d’élucider avec un matériel empirique chargé de significations.