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L A P AUVRETÉ : C ONTEXTE L OCAL E T F ACTEURS S TRUCTURAU

La Petite Nation porte depuis longtemps l’étiquette de région économiquement défavorisée (Enquête sociale et de santé de l’Outaouais 1998, 2001; Gaffield, 1994). Cette notion de population défavorisée appliquée à la région est inclusive car elle lie sans discernement les aspects économiques, sociaux, culturels et biologiques. Jusqu’aux années 1980 il existait encore de grandes poches de pauvreté dans la région, et selon Philippe, ex- cadre supérieur de Centres locaux de services communautaires (CLSC) urbain et rural, cette pauvreté, autant matérielle que culturelle, exerçait une influence déterminante sur les habitudes de vie familiales et sur les comportements relationnels entre parents et enfants. La cellule familiale reproduisait alors des valeurs et des coutumes traditionnelles parfois contraires à la santé et à contre-courant du développement socioculturel et même économique. Denise, cadre administratrice du CLSC local, indique qu’au moment de sa fondation en 1972, il y avait encore beaucoup de pauvreté, d’isolement et peu de services, toutefois depuis cette époque, beaucoup a été fait pour les plus démunis. Elle souligne

toutefois, que le manque d’argent agit directement sur les conditions de vie et la satisfaction des besoins de base chez les familles les plus vulnérables, dont la capacité de se loger, de se nourrir et de se vêtir convenablement. Au niveau du logement, elle indique que des propriétaires sans scrupule louent des maisons insalubres favorisant le développement d’allergies et de maladies respiratoires. Sur ce plan, la région est dépourvue de politique de logement social pour familles économiquement défavorisées ou de maisons d’accueil pour itinérants, pour femmes, hommes et enfants violentés. Au niveau de la nourriture, l’offre régionale en produits alimentaires est assurée par une seule chaîne d’épicerie dont les prix élevés rendent l’achat de produits frais difficilement accessible aux familles économiquement défavorisées. Ainsi, les intervenants professionnels sont d’accords que le poids des conditions économiques sur la santé est important, et Dre Solange, médecin omnipraticienne au CLSC local soutient qu’il est énorme… au moins 60 %, soulignant que ce genre de situation est pire en région pour les patients financièrement vulnérables aux prises avec des problèmes de santé multiples se combinant à l’isolement social et géographique. Ces personnes sont doublement fragilisées parce que l’offre de services de santé est limitée, et que l’absence de transport en commun rend l’accès aux ressources médicales plus difficile qu’en ville. Elle souligne aussi que les patients économiquement défavorisés nécessitant des soins plus spécialisés (radiothérapie et chimiothérapie de long terme, psychologie, psychothérapie, physiothérapie, ostéopathie, herboristerie, acuponcture) non couverts par la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) ou d’autres régimes d’assurances santé ou invalidité, ne peuvent bénéficier de ces services qui autrement leur seraient bénéfiques. Ces faits indiquent que le niveau de revenu ne représente qu’un des éléments pouvant être lié à la santé et que le milieu présente des éléments structurels silencieux mais non négligeables pouvant exercer un frein à la réhabilitation des malades et la qualité de vie des plus vulnérables. Ainsi l’offre limitée de services médicaux et spécialisés, la grandeur du territoire, l’isolement géographique et social, les coûts alimentaires élevés, l’absence de transport en commun, l’absence de logements sociaux et de plans d’assurance pour clientèles vulnérables sont des éléments indicateurs faisant partie des facteurs économiques contribuant à la variation du niveau de santé et la qualité de vie de cette population rurale.

4.1.2RELATIVITÉ DU STATUT SOCIAL ET ÉCONOMIQUE

Au sujet de la définition des normes catégorielles et de statut socioéconomique, Denise, cadre administratrice, souligne que même si le CLSC a une meilleure connaissance et une vision plus globale du terrain, le ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS) est l’unique responsable de la définition des critères catégoriels socioéconomiques établissant une norme appliquée à travers le Québec. Sur ce plan, la définition des catégories à risques n’est pas toujours conforme au terrain, puisque dans les faits la classification ne correspond pas à la réalité de l’échelle sociale locale. À ce fait, elle ajoute que le ministère utilise des statistiques populationnelles afin d’orienter ses stratégies sur des cibles fixées d’après les ratios d’un problème « x » pour une population « y » mais qui ne correspondent pas aux besoins réels du milieu. Elle qualifie ce procédé de bric à brac conceptuel menant à un non-sens. Dans la même ligne de pensée, Dre Solange médecin au CLSC indique que les modèles statistiques mêlent tout et produisent trop de généralisations et qu’ici, on devrait s’attarder aux moyens que la région a ou n’a pas. Sylvain, travailleur social auprès des familles défavorisées, indique que le MSSS calcule le seuil de pauvreté d’après un coefficient basé sur le revenu familial global divisé par le nombre de personnes par logement et questionne les barèmes en disant pourquoi arrêter à 22,000 $ et non à 23,000 $. À ce sujet, il souligne que le barème du MSSS rejette fréquemment des familles hors-normes pour un écart de cinq cents ou mille dollars par année sans considérer que les besoins sont très différents d’une famille et d’une région à l’autre. De cette manière, en établissant les critères d’application de ses politiques sans évaluation préalable du terrain, le MSSS définit implicitement les besoins et la qualité de vie des demandeurs et bénéficiaires d’aide sociale.

Que ce soit ici ou ailleurs, à cause de réalités environnementales différentes, d’autres valeurs, d’autres besoins ont priorité sur l’aspect économique de la vie. La question n’est pas que le capital économique soit sous déterminant ou peu important puisqu’il est toujours présent comme moyen de satisfaire une part importante des besoins de base, cependant, même s’il caractérise une bonne partie des actes de transaction, il ne les domine pas tous. L’actualisation de valeurs sociales et la satisfaction des besoins fondamentaux au moyen du capital économique varient selon le contexte géographique et culturel et s’inscrivent historiquement dans la recherche continuelle d’une amélioration de

la qualité de vie faisant varier les comportements comme des phénomènes d’adaptation à l’environnement. À ce sujet, Dre Solange, médecin omnipraticienne affirme que moins les gens ont d’argent, plus ils sont débrouillards et que tous n’ont pas les mêmes besoins monétaires pour être heureux et se maintenir en santé. Dre Maryse, médecin omnipraticienne ex-employée du CLSC local, souligne que la plupart du temps les moyens nécessaires pour garder la santé sont relativement simples, peu coûteux et accessibles à tous, ce n’est plus alors uniquement une question de classe sociale et de revenu. De plus, elle prétend que la vraie pauvreté est plus culturelle et morale suggérant que celle-ci sous- tend un comportement d’impuissance face aux facteurs externes comme les contraintes structurelles d’ordre administratif, macro-économique ou institutionnel. L’absence de nuance dans la définition de ce que signifie être défavorisé mérite donc une attention particulière. Si une population est étiquetée défavorisée signifie-t-il qu’elle l’est autant culturellement que socialement? Est-ce que le seul fait d’être économiquement défavorisé influence tous les autres domaines sociétaux dans une relation linéaire de cause à effet? Sinon, comment les indicateurs des autres domaines exercent-ils une influence déterminante sur la santé et le cas échéant, lesquels? Cette variation liée aux milieux est primordiale, car les données récoltées sur le terrain semblent d’emblée s’opposer aux conclusions des études épidémiologiques en indiquant que la variabilité des milieux et leurs contextes démontre des pratiques fournissant des explications novatrices sur les données de santé des populations. Cette perspective relativiste du statut socioéconomique nous permet donc d’aborder la question de la santé et de la maladie en lien avec la qualité de vie dans une optique empirique laissant place aux discours soulignant la présence de déterminants économiques silencieux et comment ces indicateurs non répertoriés influencent favorablement ou non le niveau de santé et la qualité de vie d’une population.