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Nos journées sont uniformément minutées à la cadence des horloges rendant compte du temps qui passe et du temps qui reste. Le temps ainsi mesuré est le résultat d’une opération mathématique de division, de rationalisation et d’objectivation d’un espace temporel. Pour l’essentiel de notre fonctionnement social et de nos productions matérielles, l’horloge rythme le temps des humains non d’après le rythme de la nature mais plutôt en fonction des horaires de travail, de la productivité et de la consommation. Pourtant, en marge du tictac des cadrans, il existe un autre temps, qui d’un soleil à l’autre change perpétuellement, où la nature se réveille, s’endort, respire, se contracte et s’étire selon le temps qu’il fait. Ici, la relation entre espace, temps, nature et gens semble se tisser au jour le jour sur une trame temporelle qui s’étiole à l’image des pétales d’une corolle tombant une à une au sol. Le temps rural n’est pas le temps urbain parce que « le maniement et la structuration du temps sont directement liés à la structuration de l’espace » (Hall, 1971: 212). Le temps rural est un autre temps et peut-être est-il d’un autre temps, parce qu’ici le temps est lent, le temps est repos, il repose les hommes qui écoutent et suivent son pouls en respirant et en vivant au rythme des saisons. C’est pour cela que Marius et Juliette disent les journées paraissent plus longues et pis tu cours pas comme un malade (…) on aime mieux rester ici avec moins d’argent que de retourner en ville, tandis que Pauline, 88 ans, affirme que le temps est meilleur en campagne (…) c’est pas une question de quantité mais de qualité de temps pour pouvoir donner et pis recevoir. Dans le sens exprimé par ces paroles, le temps rural est connoté par la qualité de vie qu’il inspire. D’abord, aux yeux de Marius et Juliette, vivant avec leurs trois enfants dans un chemin éloigné, ce temps représente une richesse plus importante que l’attrait de la ville parce qu’il signifie un gain en qualité et conséquemment un effet ressenti sur leur niveau de stress. Pour Pauline, le temps correspond au temps consacré aux relations d’échanges et représente sans aucun doute une des pierres angulaires permettant l’ajustement optimal de l’individu à la fonction sociale ainsi qu’à la construction de la cohésion communautaire. Lysanne, 53 ans, parle du temps rural comme d’un temps lié à l’espace, à la nature et d’un facteur anti-stress, le contact avec la nature (…) c’est faire le point avec soi-même. C’est prendre mon temps, admirer, regarder, marcher (…) le contact que j’ai eu avec la nature qui a fait un certain calme puis la patience aussi. Si le temps rural diffère du temps urbain c’est qu’il semble

plus près du rythme biologique humain car les habitants ont ici intégré dans leurs habitudes la nature du temps au temps de la nature dans une cadence de vie moins essoufflante, un rythme qui semble contribuer à développer une patience sociale partiellement affranchie du stress et de la peur de l’Autre et participant à la construction d’une cohésion sociale locale et facteur majeur de la qualité de vie.

Pour conclure et récapituler ce chapitre, nous avons vu que la socialisation au sein de la famille n’est pas uniformément déterminante pour tous les membres de la fratrie parce la cellule familiale agit comme un commutateur relais modulant les valeurs, les croyances et l’actualisation des besoins familiaux et individuels en rapport avec les valeurs et les croyances dominantes. Cependant, dans l’optique où la famille représente le premier corps social, le corps individué semble devenir le porte symptôme des mécanismes d’aliénation résultant de l’intériorisation des contraintes et des interdits. Ainsi, la culture familiale joue un rôle important dans la construction de l’identité et de l’altérité par l’usage d’une dialectique dont la sémantique participe à structurer le cognitif déterminant des pratiques orientées vers la satisfaction des besoins. Comme la région est caractérisée par l’importance de ses structures de parenté et de pratiques relativement homogènes, ces dernières sont largement diffusées et empreignent le tissu social indiquant que les usages du corps sont influencés par les besoins et les possibilités liés au contexte écologique, culturel, social, économique et historique. À ce niveau, en présence de pathologies héréditaires, le mode de vie et les habitudes liées à la culture familiale et exposé aux facteurs endogènes et exogènes contribue à augmenter ou à diminuer les facteurs de risques. Dans ce milieu caractérisé par la proximité sociale, l’échange et la communication comme mode de transaction ont une valeur hautement symbolique et sont tributaires d’une convention de réciprocité et de solidarité participant à la satisfaction des besoins identitaires comme des actes favorisant la cohésion sociale par l’intégration des identités individuelles à une identité collective. Sur ce terrain, l’identité locale se définit et se construit aussi par rapport à l’altérité du milieu urbain.

Ainsi, les déterminants de la santé, de la qualité et de l’espérance de vie ne sont pas uniquement liés aux facteurs économiques mais issus d’une dynamique sociétale circulaire où les différents capitaux agissent conjointement sur le phénotype. Trois facteurs culturels importants sont à retenir dans la construction du corps individué liée à celle du corps social

et la perception de la qualité de vie; 1- le facteur identitaire où son capital symbolique est incarné au niveau biologique, et actualisé au niveau social, culturel et économique, 2- la qualité du milieu naturel et la relation des gens avec celui-ci, 3- le dynamisme des réseaux sociaux et communautaires activant les différents capitaux. Ces pratiques culturelles s’actualisent donc dans un espace défini par des représentations liées au territoire conceptualisant une perception du temps et de l’espace qui semble favoriser les mécanismes d’adaptation du phénotype à l’environnement. En ce sens, le stress d’adaptation est modulé par des caractéristiques culturelles qui influencent les capacités de réalisation des besoins fondamentaux et dont le niveau de satisfaction ferait varier l’indice de satisfaction de la vie, la perception de santé et de qualité de vie. Pour ces raisons, le mode de vie lié à l’environnement rural semble agir favorablement sur la santé.