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Si le statut laisse présumer une identité, c’est qu’il représente un sens prédéfini significatif pour les interlocuteurs. Qu’il soit un signe social, biologique, culturel ou économique stigmatisé et ne modifie en rien son efficacité de signe, toutefois son efficacité sociale variera selon le sens de cette stigmatisation. Ainsi, dans le contexte du capital social, autant pour l’individu que pour les groupes, il vaut mieux être porteur d’un statut valorisé pour que ce capital fonctionne favorablement dans la société (Elias, 1965). Au sujet d’identité et de statut en relation avec le milieu social, Constance, 74 ans et partiellement handicapée, déclare, les personnes âgées, ça dérange les jeunes (…) le respect manque (…) quand on est handicapé, on a besoin d’aide, c’est ça notre problème (…) si on est mis de côté, on a de la difficulté à s’en sortir. Notre moral, il a de la misère et Lysanne ajoute; Si quelqu’un te manque de respect (…) elle est tellement nerveuse qu’elle va en faire des indigestions,ce faisant elle indique que l’inclusion sociale intègre l’altérité et contribue ainsi à son équilibre psychique, tandis que l’exclusion mène à une disqualification sociale contribuant à augmenter son stress socio-affectif allant jusqu’à provoquer des symptômes physiques.

En milieu rural, les liens de proximité sont plus nombreux et fréquents et pour cela la qualité de l’identité est une valeur primordiale pour l’obtention de la reconnaissance et la construction de liens avec le réseau social. L’identité s’actualise au sein d’un système social où les gens se connaissent ou se reconnaissent de près ou de loin (Giraud, 2001). Par contre, si la proximité des réseaux crée l’inclusion, elle peut aussi exclure un individu jugé marginal, dans ce cas, il peut être difficile de se défaire d’un stigmate accepté par un certain nombre d’acteurs. Dans ce sens, la réputation agit comme une loi sociale implicite et fonctionne comme un a priori à l’inclusion à défaut de laquelle l’ostracisme peut s’installer. Ce type de stratégie protectionniste peut être le fait d’acteurs ou de groupes sociaux désirant consolider leur pouvoir en utilisant un discours de commérage faisant obstruction à l’intégration de l’Autre perçu comme l’agent déstabilisateur d’un réseau (Elias, 1965). Par

exemple, même si « dans les groupes les plus dominés et les plus dépréciés tous les individus n’assument pas de manière identique les caractéristiques qu’on prétend de l’extérieur leur attribuer » (Giraud, 2001: 49), la stigmatisation peut aussi opérer à différents niveaux de l’échelle socioéconomique. En effet, l’exclusion et la stigmatisation peuvent affecter le groupe plus fortuné mais minoritaire et nous indiquer l’importance élevée de la valeur de l’identité et du capital social au sein des réseaux sociaux de la classe socioéconomique numériquement dominante. À ce sujet, Amédée, commerçant fortuné de la région, raconte une anecdote témoignant bien de la stigmatisation à laquelle sa classe économique est exposée :

Je vais aller prendre une tite bière au bar en passant, y’a là la petite gang de voyous du village, y’en a un qui dit « toé Clément, t’es chanceux tu t’promènes avec une Corvette»… je me faisais écœurer encore… j’ai dit « écoutez bien, si je me promène avec une Corvette, c’est de votre faute» l’autre me répond « Comment ça de notre faute?» j’ai dit « quand je suis arrivé ici (…) j’avais pas d’argent. Vous avez toujours venu m’encourager (…) je suis venu qu’à faire un peu d’argent, puis je suis allé investir ailleurs. Fait que viens pas m’écœurer si je me promène avec une Corvette, c’est de votre faute » il m’a répondu « amenez-y une autre bière».

Au premier niveau, l’histoire d’Amédée indique le clivage social entre classes économiques exprimé par un sentiment d’envie des moins favorisés menant à la stigmatisation des gens fortunés. Mais au deuxième niveau, l’anecdote démontre que la proximité sociale donne lieu à des échanges permettant aux victimes de préjugés d’annuler le stigmate par un comportement contraire au stéréotype projeté sur eux. Ainsi, c’est en révélant une face inédite de son identité par l’évocation de la solidarité sociale qu’Amédée annula les effets de l’aliénation. D’une situation qui aurait pu devenir conflictuelle, il en fit un discours rassembleur en soulevant les avantages de la communauté et le sens de l’interdépendance des acteurs. Tout à l’opposé, son fils Martin, 27 ans et travailleur qualifié, a vécu la stigmatisation d’un tout autre point de vue en se rappelant :

C’était tout le temps moi qui mangeais les volées (…) avec le temps je me suis dit, ça arrivera plus, fait que j’essaie tout le temps de pousser plus, plus, plus que les autres (…) on m’a tellement achalé avec ça, que j’en devenais fou (…) ils m’appelaient le petit (…) juste parce que mon père avait (…) Mon professeur m’appelait comme ça. Juste du statut de mon père, c’est « Ah ton père est riche! » puis ci, puis ça « Ah les Clément! » (…) C’est fatiguant à un moment donné.

Dans le cas de Martin, c’est à cause de son statut économique que l’environnement social lui rendit la vie plus difficile en le stigmatisant. Marginalisé malgré lui, Martin est identifié aux chanceux de la région et cette étiquette diffusée dans le réseau social semble impliquer un taxage symbolique exprimé dans un genre de rituel initiatique où le sujet doit subir la raillerie, la dérision et la violence pour accéder au réseau social dominant et mériter un capital de sympathie. Les paroles de Martin nous font comprendre que la stigmatisation sollicite les capacités d’adaptation psychique à leur maximum et entraîne un stress d’adaptation exprimé par une anxiété aiguë face aux relations sociales, et que la prolongation de cette situation peut se traduire par une angoisse chronique, des difficultés relationnelles et d’adaptation à la vie sociale.

Ainsi, une famille stigmatisée peut porter un fardeau identitaire pendant des générations et voir son fonctionnement influencé pendant plusieurs années. À titre d’exemple, Sylvain intervenant auprès des familles vulnérables, souligne que les enfants de la troisième génération d’une famille défavorisée vivent souvent un niveau d’anxiété plus élevé que la moyenne. Il explique que les enfants de ces familles ont souvent une apparence corporelle hors-normes et vivent les premiers jours d’école sur fond d’étiquetage social, et plus tard si ces enfants manifestent le moindre retard scolaire, ils seront plus encore marginalisés. À ce sujet, Juliette et Marius, parents sans emploi, expliquent que leur fille Sophie âgée de neuf ans est stigmatisée à l’école à cause de son embonpoint, son apparence vestimentaire et ses difficultés mineures d’apprentissage. Ainsi, les premières phases de la socialisation s’actualisant au sein du modèle familial intergénérationnel et du modèle social dominant dont les normes permettent la stigmatisation sont des facteurs participant à l’augmentation de l’anxiété, de l’agressivité, de la violence et diverses autres dépendances (McAll, 2009). On voit que les comportements du groupe social dominant affectent les groupes marginalisés quand « le rejet et la discrimination se sont durcis d’une génération à l’autre parce que les enfants assimilaient de bonne heure les attitudes et les croyances discriminatoires de leurs parents » leur imposant « la conviction que leur infériorité vis-à- vis du groupe établi n’est pas seulement de pouvoir mais aussi de nature » (Elias, 1965 : 214, 295). Marius nous donne un autre exemple quand il affirme que sa réputation de travailleur fiable et honnête n’a pas fait le poids dans ses démêlés avec son employeur, la CSST, et la SAAQ, et prétend que son manque d’instruction lui valut la stigmatisation du

patron, des représentants syndicaux et des sociétés d’état. Dans son cas, le réseau social du travail aurait profité de sa faiblesse identitaire au sein de ce réseau pour l’évincer et donner la place à quelqu’un dans l’entourage du réseau dominant. Ainsi, pour les habitants des campagnes, la fonction et l’étendue des réseaux sociaux sont les nerfs de la guerre, car ils représentent les structures sociales omniprésentes permettant à la fois, la satisfaction des besoins et l’actualisation de leurs potentiels. De cette manière, les discours démontrent que l’identité et l’altérité constituent les aspects fondamentaux du fonctionnement social des individus au sein des communautés et que ces caractéristiques du capital social représentent une forme d’adaptation agissant sur la qualité de vie avec des effets sur la santé.