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C APITAL É CONOMIQUE E T C ONTRAINTES S TRUCTURELLES

Au chapitre quatre, le terrain a démontré que le niveau de morbidité de cette région ne pouvait être corrélé à son niveau socioéconomique. En effet, le SFR calculé sur la base des données transnationales ne rend pas compte de l’existence d’une stratification socioéconomique variable selon les contextes régionaux et mêmes locaux. Ainsi, cette région qui démontre peu d’écarts à la moyenne des revenus nous a révélé l’existence d’une catégorie économique isomorphe où la stratification de ce milieu social et culturel atypique se reflète dans une homogénéité structurelle associée à un niveau de morbidité général inférieur à la moyenne provinciale. Sur ce plan, les données épidémiologiques du SSE pour la région de Hull mettent en exergue un contexte où les écarts importants à la moyenne des revenus côtoient les taux de morbidité les plus élevés de l’Outaouais. En ce sens,

l’isomorphisme socioéconomique de la Petite Nation confirmerait que le niveau de morbidité est inversement proportionnel aux écarts à la moyenne des revenus. Ainsi, l’échelle du SSE mériterait d’être ponctuellement réévaluée en fonction des contextes locaux, tandis que le SFR et la notion de pauvreté nécessitent d’être relativisés en rapport avec les conditions du mode de vie et les possibilités offertes par les différents milieux. De cette manière on pourrait mieux circonscrire les effets du SSE sur la santé à des catégories sociales probablement plus limitées que ce que les enquêtes statistiques prétendent et ouvrir ainsi la voie à un concept de qualité de vie basé sur des critères locaux. S’il est vrai que les classes sociales les plus vulnérables démontrent des taux de morbidité plus élevés que la moyenne, il est aussi possible que leur niveau de santé ne soit pas uniquement lié à leur situation économique. Leur santé pourrait être tributaire de facteurs biologiques structurés, tels que l’héritabilité et la capacité d’adaptation au stress combinés à des facteurs sociétaux tels que les catégories d’emplois et des conditions de travail favorisant les accidents et la maladie auxquelles s’additionnent parfois les effets de contraintes structurelles. À ce sujet, les données relatives à l’occupation du champ de la santé par les compagnies d’assurance privées et d’état ont indiqué l’existence d’une violence structurelle institutionnelle entraînant un déséquilibre psychosocial chez leurs clientèles vulnérables. De plus, les données dénotent que les effets de hiérarchie sur la santé tels que décrits par Wilkinson (1996) et Nguyen (2003) ne sont pas systématiquement situés au bas de l’échelle socioéconomique, mais plutôt polarisés aux deux extrêmes dénotant que chaque catégorie socioéconomique est aux prises avec des maladies vraisemblablement liées à l’altérité de leurs statuts. Cette question du statut a soulevé la présence d’une sous-catégorie sociale ne figurant pas au répertoire des variables du SSE, où nonobstant, les discours ont indiqué que le statut de travailleur autonome semble dénoter un rapport significatif avec la santé et la perception d’une vie de qualité. À ce niveau, le capital économique dans la forme d’investissements d’état encourageant l’activité indépendante révèle que les vecteurs structuraux de ce capital sont variables et que leurs effets au niveau populationnel et individuel dépendent des applications éthiques d’une vision économique liée à leur mission sociale.

Sur le plan de la qualité de vie et dans le contexte de l’économie occidentale, le mode de vie actuel est calqué à un capitalisme dépendant d’une culture consumériste et

surtout urbaine où la qualité de vie, symbolique ou fantasmée voit sa réalisation liée au niveau et à la sécurité du revenu. Cependant, malgré une amélioration générale des conditions de vie matérielles, il demeure que les variables stress/détresse font non seulement varier l’indice de perception de qualité de vie mais nous interpelle sur la définition même de cette qualité. Si un certain niveau de stress anxiogène engendré par la recherche d’une amélioration de la qualité de vie est justifiable, les critères de satisfaction des besoins personnels sont par contre très souvent influencés par des normes culturelles et des critères économiques promus pour les bénéfices de la macroéconomie. Dans ce monde surmoderne beaucoup desdits besoins résultent de désirs mutés créés pour compenser une angoisse existentielle liée à une crise de sens sociétale (Augé, 1994). Ainsi, ce que les sociétés occidentales semblent avoir gagné en qualité de vie par le niveau de confort et de sécurité matérielle, elles semblent aussi en avoir perdu le sens dans une besace de détresse et d’angoisse appesantie par la peur de l’Autre, de la carence, de l’isolement et de la maladie. Pour un nombre grandissant de citoyens, la qualité de vie promulguée et tant recherchée est subrepticement devenue synonyme d’une surcharge de travail, d’endettement, de paupérisation, de distance sociale et de clivage familial dans le but de satisfaire un idéal de vie de plus en plus difficile à atteindre. Dans ce contexte, même la satisfaction des besoins essentiels se fait pour des millions d’occidentaux de plus en plus par un mode de vie s’apparentant à des dynamiques sociales caractéristiques d’une économie de subsistance. Aujourd’hui, l’amélioration de la qualité de vie et la multiplication des critères de qualification et de satisfaction des besoins semblent proportionnelles à une augmentation des facteurs de détresse inhérents à la réalisation de cette qualité. À ce niveau, il est moins que certain que le niveau actuel de détresse humaine résultant de l’adaptation physiologique et psychique à la pression environnementale et concomitante à la satisfaction des besoins teintant les rapports humains avec le milieu soit à ce point nécessaire à une « qualité de vie » d’emblée surannée, que finalement elle n’en devienne le point de rupture d’un équilibre phénotypique déjà précarisé. C’est probablement pour toutes ces raisons socioéconomiques, culturelles et d’adaptation que le milieu rural semble représenter pour plusieurs résidents une sorte de refuge et un rempart symbolique érigé comme une contre culture, à l’image d’une conscience contradictoire s’opposant à une idéologie hégémonique et globalisante issue de l’urbanité.