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Après avoir dégagé le portrait initial et final de cette composante du comportement global pour l’ensemble du groupe, ces portraits sont analysés et discutés en les comparant pour mettre en lumière les principaux apports significatifs de la formation éducative. Toutefois, un rappel d’éléments conceptuels du cadre théorique se rattachant aux émotions est d’abord effectué.

Rappel d’éléments conceptuels sur les émotions

Les émotions représentent une composante essentielle et fondamentale dans nos comportements, car elles assurent notre survie et gouvernent la plupart de nos actions (Goleman, 1997). Cependant, beaucoup de personnes semblent « analphabètes émotionnellement » (Pons et al., 2002; Steiner, 2011). Or, développer la métaémotion aurait « une incidence positive sur l’alphabétisation émotionnelle […] » (Pons et al., 2002, p. 21). Ce concept comporte deux dimensions. D’une part, la compréhension des

émotions (savoir-dire) correspond à la compréhension consciente de la nature, des causes, des conséquences et des possibilités de contrôler les émotions. D’autre part, la régulation des émotions (savoir-faire) désigne la capacité à réguler l’expression des émotions et le ressenti émotionnel de façon plus ou moins consciente (Doudin, Curchod-Ruedi, & Meylan, 2013; Pons et al., 2002). Elle est aussi définie comme la capacité à gérer et à moduler ses émotions en vue de faire un choix avant de poser une action et à répondre de manière adaptée dans divers contextes (N. Royer et al., 2013).

Les diverses émotions peuvent être classées en primaires et secondaires. Les émotions primaires (ou de base), selon Ekman et Friesen (1978, cité dans Kaiser et al., 2009), sont la joie, la peur, la colère, la tristesse, la surprise et le dégoût. La honte et la culpabilité sont des émotions secondaires ou mixtes, jumelant différentes émotions primaires, et elles sont souvent présentes chez les personnes en surplus de poids, car elles sont victimes d’une stigmatisation reliée au poids engendrée par une société « obésophobe » où le culte de la minceur est toujours valorisé (Granger & St-Pierre- Gagné, 2014; Puhl & Heuer, 2009). Or, la honte est particulièrement efficace pour déclencher des réponses physiologiques de stress stimulant la prise alimentaire (Tomiyama, 2014), d’où la pertinence d’examiner sa présence. De plus, les émotions peuvent être à valence positive ou négative. Les émotions à valence négative sont nuisibles à long terme, car elles déclenchent davantage d’hormones de stress, soit adrénaline et cortisol, que les émotions à valence positive (Lecerf, 2006; Lupien, 2015). Par ailleurs, même si les émotions sont générées de façon spontanée,

automatique et involontaire par l’amygdale, le cortex frontal joue un rôle important en modérant la réaction de l’amygdale (Goleman, 1997). Il procède à une évaluation plus complète de la situation, et cette évaluation cognitive influencera la nature, l’intensité de la réaction en fonction de l’émotion induite par rapport à la capacité de la personne d’y faire face, rejoignant ainsi le modèle transactionnel de stress psychologique de Lazarus et Folkman (1984). Cette capacité d’adaptation peut être accrue, car selon Goleman (1997), l’intelligence émotionnelle, qui réfère à la capacité de percevoir, comprendre, utiliser et gérer ses émotions (Wranik, 2009), peut être stimulée et développée par des formations ayant cet objectif, ce qui, selon lui, préparerait mieux les enfants à la vie et les « vaccinerait contre les périls de la vie » (Goleman, p. 353). La formation éducative réalisée auprès des enfants en surplus de poids allait dans le même sens, car elle aspirait à la développer et aussi à amener les enfants à démontrer davantage ce que certains auteurs nomment de la « compétence émotionnelle » (Saarni, 2000). Saarni (2000) la définit comme la « démonstration d’une autoefficacité émotionnelle » (p. 68) dans leur relation avec soi et les autres qui renforce la capacité d’adaptation, la confiance et les croyances d’efficacité (Lafranchise et al., 2013). Pour arriver à cette compétence émotionnelle, le concept de « métaémotion » fournit des pistes intéressantes, puisque sa dimension de compréhension des émotions, divisée en huit composantes, débute par la reconnaissance des émotions par la personne et la compréhension de l’impact de causes situationnelles. Quant à sa dimension de régulation émotionnelle, elle fait référence pour Royer et al. (2013) à la capacité de gérer et de moduler ses émotions en vue de faire un choix avant de poser une action et

à répondre de manière adaptée dans divers contextes. Ces deux dimensions sont intégrées dans un processus de gestion des émotions qui a été enseigné et où sont intégrés « savoir-dire » et « savoir-faire ». Il comprend les étapes suivantes : je ressens, je nomme, j’exprime, je choisis, j’agis et je m’évalue (Gaulin et al., 2002b).

Apports de la formation pour les ÉMOTIONS À VALENCE NÉGATIVE

Avant d’aborder plus en détail cette deuxième composante, la Figure 9 donne un aperçu de l’ensemble des éléments analysés dans les portraits initial et final en y indiquant le nombre d’occurrences. On y retrouve la compréhension des émotions à valence négative, les situations les provoquant, la régulation de ces émotions, de même que les apports de la formation. Au premier abord, l’analyse comparative de ces portraits montre un écart positif important pour chaque élément, écart qui est encore plus considérable pour la compréhension des émotions à valence négative, indiquant ainsi un apport positif qui semble majeur. La nature de ces apports est détaillée dans ce qui suit.

Figure 9. Portrait d’ensemble des éléments analysés concernant les ÉMOTIONS À VALENCE NÉGATIVE montrant l’écart entre le portrait initial et le final.

Compréhension des émotions à valence négative. Dans cette dimension

déclarative de la métaémotion, la compréhension que la personne a de la nature de ses émotions et de celles d’autrui commence par la reconnaissance de l’émotion ressentie (Doudin et al., 2013; Pons et al., 2002). Dans le même ordre d’idées, nous constatons qu’à l’entretien final, tous les enfants arrivent à nommer sans aide de deux à trois émotions du personnage de l’histoire, et que parmi eux, deux sont même capables de toutes les nommer. Toutefois, la honte demeure l’émotion la moins mentionnée, car la majorité des enfants demeure incapable de la nommer autant avant qu’après la formation. 67 51 65 199 118 153 79 0 50 100 150 200 250 2.1 COMPRÉHENSION des émotions à valence négative 2.2 SITUATIONS provoquant ces émotions 2.3 RÉGULATION de ces émotions 2.4 APPORTS de la formation pour les ÉMOTIONS à valence

négative Initial Final

Concernant leurs propres émotions à valence négative, les enfants sont davantage capables de les reconnaître, puisque tous parviennent à en nommer davantage, ce qui est bénéfique, puisque nommer l’émotion fait partie de la 2e étape du processus de la gestion des émotions. Le faire permet à l’enfant de la rendre plus tangible, d’en prendre conscience et d’avoir du pouvoir sur elle (Gaulin et al., 2002b). De plus, selon Gueguen (2018), le fait de nommer les émotions désagréables désamorce l’amygdale, réduisant du même coup la sécrétion d’adrénaline et de cortisol, ce qui diminue le stress et apaise la personne. Parmi les émotions identifiées, la colère demeure celle qui est toujours nommée par tous les enfants. Vient en second lieu la tristesse, puis la peur pour un moins grand nombre. En ce qui a trait à la honte, davantage de participants reconnaissent en vivre par rapport à leur corps. L’exprimer devient alors utile, puisque cette émotion mixte est perçue comme particulièrement efficace pour déclencher des réponses physiologiques de stress stimulant la prise alimentaire (Tomiyama, 2014). Quant à la manière de décrire leurs émotions en termes de durée, intensité, fréquence et progression, un plus grand nombre de jeunes parvient à le faire, et particulièrement pour la colère et la tristesse en ce qui a trait surtout à la durée et à l’intensité. D’ailleurs, un plus grand nombre d’enfants parvient à évaluer l’intensité de l’une ou l’autre de leurs émotions en utilisant une échelle de 1 à 10, et ils peuvent aussi chiffrer la valeur de l’écart entre avant et après la formation. Aussi, plus d’enfants sont en mesure d’identifier leur émotion dominante. Ces constats tendent à démontrer que les enfants ont développé une meilleure capacité à être attentifs à leurs

propres émotions et à celles des autres, en ayant une meilleure conscience de soi, ce qui rejoint également le concept d’intelligence émotionnelle de Goleman (1997).

Situations provoquant des émotions à valence négative. Un autre élément

inclus dans la dimension de compréhension des émotions de la métacognition est la compréhension des causes situationnelles. En rapport avec cet élément, tous les enfants ont reconnu plus de situations provoquant des émotions à valence négative, et ce, dans divers contextes comme l’école, la maison ou les amis. Le contexte de l’école et celui de la maison sont ceux qui occasionnent le plus de ces situations. De plus, la colère en génère le plus grand nombre, suivie de la tristesse, de la peur et de la honte, mais avec une hausse importante pour celles reliées à la peur et la honte après la formation éducative. Nous constatons également qu’il y a une plus grande variété de situations identifiées par chacun des enfants qui engendre diverses émotions. Par ailleurs, concernant les situations de peur, la majorité des jeunes parvient à identifier le type de peurs comme de ne pas être capable, de ne pas réussir, de se faire intimider, d’engraisser, du noir, des clowns et du jugement des autres. Relativement au poids, des situations sont rapportées par un plus grand nombre d’enfants. En effet, le double des enfants avoue ressentir une gamme d’émotions relativement au poids dans diverses situations, soit de la tristesse, de la colère, de la peur ou de la honte. La tristesse est cependant toujours présente chez ces enfants, et dans plusieurs cas, la honte. Comme pour les manifestations physiologiques du stress, nous constatons que les enfants se confient davantage après la formation, et le lien de confiance établi

pendant les dix semaines où nous les avons côtoyés a pu se développer. En somme, davantage de situations dans divers contextes générant une plus grande variété d’émotions à valence négative sont reconnues par les enfants, ce qui tend à démontrer qu’ils ont une meilleure métacognition. De surcroît, « plus la métaémotion de l’enfant est bonne […], moins il a de problèmes à gérer […] les affects négatifs comme la frustration, la rage ou la colère » (Pons et al., 2002, p. 22).

Régulation des émotions à valence négative. Cet élément fait référence à la

dimension procédurale de la métacognition, soit la régulation des émotions. Selon Goleman (1997), il est possible de développer l’intelligence émotionnelle qui comprend la capacité de gérer ses émotions par une formation ayant cette visée. C’est ce que nous constatons après la formation éducative reçue, car le nombre de moyens efficaces dont disposent les enfants pour gérer leurs émotions à valence négative a augmenté de manière significative, de près du double.

Concernant le type de moyens auxquels les enfants ont accès, ceux avec des objets comme ressources externes sont toujours en plus grand nombre. Cependant, ceux avec une personne comme ressource externe ont plus que doublé, de même que ceux reliés à des ressources internes. Aussi, tous les enfants font appel à davantage de moyens. Nous remarquons également que les deux moyens les plus utilisés sont la respiration et parler de son ressenti avec une personne de confiance. L’utilisation de ce dernier moyen tend à démontrer que les enfants osent davantage exprimer ce qu’ils

vivent, ce qui correspond à la 3e étape du processus de gestion des émotions : j’exprime (Gaulin et al., 2002b). Or, exprimer ses émotions permet de libérer son esprit de la surcharge affective, de les apprivoiser et de les surmonter, car non exprimées, elles peuvent devenir envahissantes, nuire aux activités et aux relations avec autrui (Chabot, 2000).

De plus, tous les enfants usent d’une plus grande variété de moyens en ayant recours pour la majorité aux trois types, ce qui leur permet de choisir celui qui convient le mieux à la situation. Par ailleurs, selon le nombre de moyens mentionnés par type d’émotions, la colère comporte le plus grand nombre autant avant qu’après la formation, suivie de la tristesse, de la peur et la honte Nous observons pour la peur et la honte une hausse importante de moyens, comme constaté dans l’élément précédent pour les situations se rapportant à ces deux émotions, ce qui est bénéfique pour ces enfants sachant l’effet néfaste de la honte sur les réponses physiologiques de stress. Également, nous remarquons que la moitié des enfants applique les mêmes moyens pour plusieurs de leurs émotions. De plus, le nombre le plus élevé de moyens se rapporte à leur émotion dominante, ce qui peut provenir du fait qu’elle survient plus souvent, et ils ont alors eu plus d’opportunités de développer des stratégies de gestion afin d’y faire face.

Concernant la nourriture comme moyen de gestion des émotions à valence négative, des auteurs l’expliquent par le fait que certaines personnes en situation

d’embonpoint ou d’obésité ont de la difficulté à faire la différence entre d’une part, un sentiment de peur, de colère, d’ennui, et d’autre part, la faim (Goleman, 1997; Schiltz & Matera, 2013). Ainsi, la prise alimentaire, en particulier les aliments riches en glucides et en lipides, joue le même rôle que les endorphines en provoquant un effet sédatif et réconfortant (Tomiyama, 2014) de même qu’une amélioration de l’humeur (Lecerf, 2006), ce qui conduit ces personnes à se suralimenter dès qu’elles sont contrariées. Les résultats renforcent ce que ces auteurs affirment, puisque la moitié des enfants reconnaît utiliser ce moyen pour se calmer.

Avec ce qui précède, nous pouvons à nouveau confirmer que les moyens efficaces mis en pratique par les enfants relèvent d’actions qui vont dans le sens de la théorie du choix de Glasser (1997, 1998), puisqu’un meilleur contrôle sur ce qu’ils font ou pensent a amené indirectement un changement positif dans la gestion de leurs émotions. De fait, les différents constats tendent à démontrer que les enfants ont progressé de façon significative dans la compréhension et la régulation de leurs émotions à valence négative, augmentant ainsi leur capacité d’autogestion. D’ailleurs, les commentaires des enfants abondent dans le même sens, car tous ont le sentiment d’être meilleurs pour gérer leurs émotions à valence négative en appuyant leur propos de nombreux exemples. Ils donnent comme raisons que leurs émotions sont moins intenses, moins longues, moins fréquentes, et qu’elles s’installent plus lentement, qu’ils appliquent des trucs efficaces, et ce, plus rapidement, que les chicanes sont moins fréquentes et que la prise alimentaire est mieux contrôlée. De surcroît, la

majorité des parents ou tuteurs le confirme également en fournissant plusieurs observations dans ce sens, entre autres, en affirmant que les enfants expriment davantage leurs émotions en parlant ou en écrivant, que leurs émotions sont moins intenses, qu’ils sont plus positifs par rapport à leur corps et qu’ils utilisent des trucs. Cette perception d’une meilleure capacité d’autogestion est aussi renforcée par de nouveaux apprentissages associés particulièrement au « savoir-faire », car une plus grande variété de moyens efficaces est ajoutée dans leur coffre à outils, ce qui amène les jeunes à faire des choix plus adaptés à la situation. Des enfants en retirent alors un sentiment de confiance et de fierté.

En somme, la formation a suscité des apports positifs qui semblent majeurs pour cette composante du comportement global auprès des enfants en situation d’embonpoint ou d’obésité. En effet, elle leur a permis de développer leur métaémotion par une meilleure compréhension de la nature de leurs émotions à valence négative et de celles d’autrui, ainsi que des causes situationnelles, et par une meilleure régulation de leurs émotions. Cette progression a eu pour conséquence de rehausser significativement leur capacité d’autogestion émotionnelle en les amenant à faire des choix plus appropriés avant de poser une action et à répondre de manière plus adaptée dans divers contextes.