• Aucun résultat trouvé

Naissance et rôle de la notion de santé publique

1.3 Santé publique et médicalisation de l’obésité

1.3.1 Naissance et rôle de la notion de santé publique

Selon la définition de l’Agence de la santé publique du Canada, la santé publique est constituée :

[d]’activités organisées de la société visant à promouvoir, à protéger, à améliorer et, le cas échéant, à rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière. Elle est le fruit d'un ensemble de connaissances scientifiques, d'habiletés et de valeurs qui se traduisent par des actions collectives par l'entremise de programmes, de services et d'institutions visant la protection et l'amélioration de la santé de la population. Le terme « santé publique » peut décrire un concept, une institution sociale, un ensemble de disciplines scientifiques et professionnelles et de technologies, ou une pratique. La santé publique constitue à la fois une façon de penser, un ensemble de disciplines, une institution de la société et une forme de pratique. Les secteurs de spécialisation en santé publique ne cessent de croître, de même que les habiletés et les connaissances attendues des praticiens de la santé publique. .91

Cette approche formalisée de la santé ne remonte qu’à quelques siècles. En effet, c’est à partir du siècle des Lumières (qui voit aussi naitre le concept d’autonomie ainsi que la remise en question de l’influence de l’Église catholique) que les premières initiatives de prise en charge par l’État en matière de santé sont initiées. Foucault, dans « La naissance de la médecine sociale », identifie trois étapes importantes de l’évolution du rôle dévolu à la santé publique :

I. La bio-histoire, c’est-à-dire l’effet, au niveau biologique, de l’intervention médicale; la trace que peut laisser dans l’histoire de l’espèce humaine la forte intervention médicale qui débute au XVIIIe siècle.

91AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA, article « Santé publique », https://www.canada.ca/fr/sante-

publique/services/pratique-sante-publique/competences-ligne/glossaire.html#s (page consultée le 20 février 2020).

31

II. La médicalisation, c’est-à-dire le fait que l’existence, la conduite, le comportement, le corps humain s’intègrent à partir du XVIIIe siècle dans un réseau de médicalisation de plus en plus dense et important qui laisse échapper de moins en moins de choses. III. L’économie de la santé, c’est-à-dire l’intégration de l’amélioration

de la santé, des services de santé et de la consommation de la santé dans le développement économique des sociétés privilégiées.92

Ces trois constituantes permettent d’appréhender l’impact dans la société contemporaine des actions entreprises dans le domaine de la santé publique. Le choix des mesures sera fortement influencé par les différentes découvertes scientifiques, comme la compréhension du processus de contagion, grâce aux travaux de Pasteur et Koch en bactériologie. Au cours du XIXe siècle, les premières mesures hygiénistes organisées par l’État font leur apparition : pensons notamment à l’installation de l’eau courante, des égouts, des toilettes dans les habitations et lieux publics ou à la relocalisation des abattoirs en dehors des villes. Ces initiatives illustrent la volonté de donner une cohérence nationale aux interventions en matière de santé. Cela aura aussi un impact déterminant sur la pratique de la médecine. Comme le rappelle Foucault :

[l’] organisation d’un savoir médical d’État, la normalisation de la profession médicale, la subordination des médecins à une administration générale et, pour finir, l’intégration des différents médecins dans une organisation médicale d’État produisent une série de phénomènes entièrement nouveaux qui caractérisent ce que l’on pourrait appeler une médecine d’État.93

Au Québec, la prise en charge de la santé publique commence à prendre forme en 1886, par la Loi d’Hygiène. Elle trouvera sa pleine concrétisation en 1936 lors de la création du Ministère de la Santé et du Bien-être social (auparavant Service

92 Michel Foucault, « Naissance de la médecine sociale », Dits et écrits T.3 1976-1979, Paris, Éditions

Gallimard, 1994, p. 207.

32

provincial d’hygiène)94. Comme l’Église l’avait déjà fait auparavant, le discours en matière de santé publique cherchera entre autres à encadrer les comportements alimentaires de la population par la diffusion d’informations sur les meilleures pratiques dans le domaine95. Les principes éthiques encadrant l’élaboration des recommandations, bien qu’ils se distancient du discours religieux, ne sont pas encore totalement cristallisés à cette époque. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement la découverte des expérimentations menées par des médecins nazis sur les prisonniers des camps de concentration pour que se déclenche une vaste réflexion autour des questions de bioéthique. Le choc causé par l’ampleur des atrocités commises mènera à l’élaboration de différents codes et déclarations encadrant la recherche impliquant des sujets humains. Parmi les plus importants, mentionnons le Code de Nuremberg (1947), la Déclaration d’Helsinki (1964), le Rapport Belmont (1979) ainsi que l’Énoncé de politique des trois conseils (1998). Ces différents écrits contribueront à la définition de certains concepts, comme celui du consentement libre et éclairé du patient. Mais c’est surtout le concept d’autonomie de la personne qui prendra alors une importance primordiale. Par exemple, la première édition de l’ouvrage Les principes de l’éthique biomédicale96 des auteurs Beauchamp et Childress (publié en 1979) identifiera quatre concepts fondateurs des principes de bioéthique auxquels se réfèrent depuis nombre d’écrits (comme les politiques, ou les recommandations) en matière de santé publique. Ce sont le respect de l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice. Aussi, le Cadre de

94 Georges Desrosiers, « Histoire de la santé publique au Québec », Revue Canadienne de Santé Publique, vol.

75, no 5, septembre ∕ octobre 1984, p. 360.

95 On peut penser par exemple au Guide alimentaire canadien, dont la première édition a été publiée en

1942, sous le titre Règles alimentaires officielles au Canada. On peut lire ceci sur le site de Santé Canada « Ce guide visait à prévenir les carences nutritionnelles et à améliorer la santé de la population canadienne, malgré le rationnement des vivres en temps de guerre. » On y apprend aussi que le but du guide a toujours été « (…) d’orienter la sélection des aliments et de promouvoir une alimentation saine chez les Canadiennes et les Canadiens ». Source : https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/guide- alimentaire-canadien/contexte-guide-alimentaire/historique-guide-alimentaire.html (page consultée le 7 juin 2018).

Voir aussi : François Guérard, « L’émergence des politiques nutritionnelles au Québec, 1936-1971 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol 57, no 2, automne 2013, p. 165-192.

96 Tom L. Beauchamp et James F. Childress, Les principes de l’éthique biomédicale, Paris, Les Belles Lettres,

33

référence en gestion des risques pour la santé dans le réseau québécois de la santé publique97 indique que deux de ses principes directeurs pour l’élaboration de ses orientations, soit l’appropriation de ses pouvoirs par la personne humaine ainsi que la primauté de la protection de la santé humaine, sont basés sur les valeurs d’autonomie, de bienfaisance et de non-malfaisance.98 L’introduction dans le discours public de ces valeurs a eu un impact considérable sur les orientations des politiques publiques. En ce qui concerne la conception contemporaine du concept d’obésité, elle est principalement sous-tendue par la valeur de l’autonomie, qui réfère à la capacité de l’être humain à prendre des décisions en ce qui concerne sa propre santé. Cependant, les valeurs de bienfaisance, de non-malfaisance et de justice justifient l’obligation de l’État d’adopter des mesures et des pratiques en matière de santé publique qui doivent permettre à l’ensemble de la population d’avoir la possibilité de s’en prévaloir.

S’opère en conséquence la transition vers le deuxième système de croyances qui, rappelons-le, voit l’obésité comme une maladie épidémique dont la responsabilité est partagée à la fois entre l’individu et l’État. Le processus de médicalisation, présenté dans la prochaine section, viendra clore cette transformation.