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Les négociations internationales ont fait émerger ce sujet dans la presse

Avant Rio : un sujet presque inexistant en dehors du cercle scientifique

La première conférence mondiale sur le climat s’est déroulée à Genève en 1979. Cette conférence, dont les retombées médiatiques n’ont pas marqué les esprits, a même été accueillie avec scepticisme.

122 L’institut Ipsos a observé en 2013 que le basculement s’était opéré pour les jeunes de 13-19 ans : les individus appartenant à cette tranche d’âge passent 13 heures 30 par semaine sur Internet contre 11 heures 15 devant la télévision. Reste à savoir quelle part du temps passé sur le réseau est consacrée à la recherche d’informations, à leur croisement éventuel, et le crédit accordé par les internautes à ces informations par rapport aux sources plus traditionnelles (publications, presse, médias audiovisuels…).

123 Une étude de Sciences-po est en préparation sur la blogosphère, de façon à identifier les contenus sur les questions climatiques et mesurer les écarts de ces derniers avec les réponses aux enquêtes.

Dans la décennie qui suit, l’intérêt des médias se focalise sur le « trou » dans la couche d’ozone. Ce sujet prend son essor dès 1985, à la suite de la publication d’un article dans la revue Nature et de photos prises par le satellite d’observation Heath montrant l’amincissement de la couche d’ozone. La proximité de ces deux sujets atmosphériques sera pendant longtemps source de confusion pour le grand public, voire même pour certains journalistes.

La présence des journalistes français aux conférences de nature environnementale à cette époque, y compris sur la couche d’ozone, reste cependant très faible. Seuls l’AFP, Le Monde et Le Figaro ont dépêché des correspondants aux plus importantes d’entre elles.

Au cours des années soixante-dix/quatre-vingt, la montée en puissance des questions environnementales dans la société s’est traduite dans la presse. Même avant Rio, quelques journalistes ont commencé à se pencher sur les questions climatiques.

Il est par ailleurs remarquable que des scientifiques en charge du climat sont volontairement allés à la rencontre de la presse, à partir notamment de la Conférence de Toronto, en 1989.

La conférence de Rio fait œuvre de vulgarisation

Le « changement climatique » commence à apparaitre dans les médias à partir de 1992, avec le sommet de Rio et la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. La question des changements climatiques a donc émergé dans la presse en même temps que celles de la biodiversité et de la désertification, qui ont elles aussi donné lieu à la signature de conventions internationales à Rio.

Mais c’est surtout l’émergence d’un concept élaboré quelques années plus tôt qui mobilise alors les médias : le développement durable. Nombre d’articles ont été consacré à ce concept « exotique », incompréhensible pour beaucoup, afin d’en éclairer les différentes dimensions. Ni les responsables politiques, ni les journalistes ne se l’étaient approprié jusqu’alors et le premier sommet de Rio marque avant tout le surgissement dans l’opinion publique de cette nouvelle et complexe notion.

Ainsi le climat n’était-il pas le sujet dominant du Sommet de la Terre.

Kyoto : le climat fait l’actualité environnementale et diplomatique

L’étape suivante dans la médiatisation du sujet correspond à l’adoption du protocole de Kyoto en 1997. La presse a largement rendu compte de l’événement, dont la dramaturgie a été alimentée par la présence attendue du Président des États-Unis, Bill Clinton. Au terme du suspens, c’est finalement Al Gore qui est venu porter la parole américaine, cette présence permettant probablement de parvenir à un accord alors que tout le monde pronostiquait un échec. Cette conférence et la signature de ce protocole ont constitué une grande première au niveau journalistique, la presse pouvant rendre compte de l’appropriation de la question climatique par les plus hautes autorités politiques, mais aussi expliquer que, pour la première fois, l’homme reconnaissait son influence sur le climat.

Kyoto marque donc une nouvelle donne de l’actualité climatique et environnementale.

L’événement a fait la une de nombreux quotidiens mais surtout de très nombreux magazines.

Dans les semaines et mois qui ont suivi, une effervescence a régné dans les rédactions à propos de ce sujet encore mal connu et dont s’emparait la diplomatie. En France, Le Monde et Le Figaro ont été les premiers quotidiens généralistes à développer le sujet, les journalistes de la rubrique scientifique ayant obtenu la publication de pages spéciales. Le Figaro avait alors eu recours à des schémas explicatifs très explicites et pédagogiques, notamment

sur le mécanisme d’effet de serre. Le supplément de quatre pages édité par ce quotidien avant le sommet de Kyoto poursuivait un double objectif, pédagogique et politique. Il visait à expliquer le phénomène d’effet de serre et à exposer les enjeux des négociations climatiques.

C’est à l’issue de la conférence de Kyoto que la thématique du climat a commencé à sortir des seules rubriques scientifiques des journaux pour gagner notamment les pages politiques. Des rubriques spécifiques sur l’environnement voient parallèlement le jour et/

ou se développent, telles « Terre  » de Libération ou «  Planète  » du Monde. Ces rubriques spécifiques, parfois créées à l’issue de discussions serrées au sein des rédactions, ont constitué des carrefours où des journalistes de différentes rubriques pouvaient s’exprimer sur les questions climatiques, lesquelles englobent tous les sujets. Postérieurement à Kyoto, les sujets climat se sont répandus dans toutes les rubriques  : scientifique, diplomatique (COP), économique (énergie), jusqu’à la rubrique financière, avec le développement de la finance carbone.

À la suite de Kyoto, la presse a relayé, amplifié et enrichi le débat public qui commençait à émerger. À partir de Kyoto, les acteurs politiques et de la société civile se sont organisés pour communiquer vis-à-vis de la presse sur la question climatique. Le journaliste Fabrice Nodé-Langlois124 a rappelé lors de son audition que les acteurs ont commencé à se saisir de la question du réchauffement climatique à partir de la fin des années quatre-vingt-dix et se sont organisés pour communiquer auprès de la presse sur ce sujet. C’est notamment le cas des milieux économiques, mais aussi des collectivités publiques et des administrations publiques. Cependant, la montée en puissance de la communication sur le climat s’est accompagnée du développement du thème de l’éco-blanchiment (traduction de l’anglais greenwashing).

Années 2000 : le climat devient un enjeu majeur

En décembre 2005, la géographe Martine  Tabeaud125, professeur de géographie à l’université Paris Panthéon Sorbonne, observe : « pas une semaine sans que l’on parle du changement climatique dans les médias (…). Ce sujet semble intéresser largement les médias qui se focalisent sur la seule question du changement climatique (…). Le climat et son évolution sont un sujet porteur et font régulièrement l’objet de livres ou de gros titres dans les journaux, à la radio ou à la télévision ». Sur la base d’une étude qu’elle a conduite en 2004-2005 sur les quotidiens Le Parisien et Le Monde, elle relève que dans le second titre, en 2005 « on a parlé chaque semaine du changement climatique auquel le journal consacre entre un et quatre articles par semaine (…) principalement publiés dans les rubriques ‘Aujourd’hui’ et ‘climats’, nouvelle rubrique créée en 2004 et sert à présenter, chaque week-end, des articles sur le climat et ses évolutions. »

La première moitié des années 2000 se présente ainsi comme une période durant laquelle la presse grand public commence à massivement parler du changement climatique.

Cette montée en puissance et ce maintien à un haut niveau du traitement médiatique jusqu’à la Conférence de Copenhague, sont nourris par l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto (2005) et l’écho donné au quatrième rapport du GIEC.

124 M. Fabrice Nodé-Langlois, chef adjoint du service économie internationale au quotidien Le Figaro, audition devant la section de l’environnement, le 8 octobre 2014.

125 Martine Tabeaud ; Chaud devant ! Le regard des médias sur le changement climatique ; 14 décembre 2005, http://

www.notre-planète.info.

Les études d’opinion précédemment évoquées témoignent bien du fait que c’est à cette époque (2007-2009) que les personnes interrogées ont été les plus enclines à considérer le réchauffement climatique comme la question environnementale la plus préoccupante.

Copenhague : le point d’orgue

La Conférence de Copenhague fin 2009 connaît une attention médiatique sans précédent. Les chefs d’État sont présents. Mais aucun accord n’est trouvé pour donner une suite au protocole de Kyoto. La presse, très présente et qui retranscrit en direct la dramaturgie de l’évènement, donne au monde entier le sentiment d’un échec collectif. L’attention et la conviction de l’opinion quant à l’importance du sujet vont commencer à faiblir.

Dans les mois qui ont précédé l’événement, les rédactions se sont beaucoup intéressées à la question, surfant sur la vague du Grenelle de l’environnement et prenant acte de l’importance conférée aux questions relatives au réchauffement climatique par les responsables politiques, à commencer par le Président de la République, appuyé par le ministre d’État en charge de l’environnement, qui avait présenté ce sommet comme un enjeu important et annoncé qu’il y serait présent et actif. Au moment de la conférence, la presse française a édité des numéros spéciaux et largement rendu compte des enjeux politiques que les négociations sur le climat soulèvent. À titre d’exemple, à partir de 2009 le journal L’Humanité a développé une rubrique hebdomadaire « La planète et des hommes ».

Cette rubrique est devenue journalière depuis avril 2014 et concerne les questions de développement durable et les questions climatiques.

Copenhague a d’autant plus été perçu comme un échec, qu’a été construite collectivement une dramaturgie de l’évènement. Cette dramaturgie résultait d’abord de l’échéance de fin du protocole de Kyoto, qui créait une forme d’ultimatum pour trouver un accord. Par ailleurs, la voix des climato-sceptiques a été très forte durant la période préparatoire à la conférence, apportant controverse et polémique dont la presse s’est largement fait l’écho (cf. infra). Enfin, la venue des chefs d’État ajoutait une pression supplémentaire sur cette négociation « de la dernière chance ».

En France, la conférence de Copenhague a été le premier élément d’une séquence défavorable à l’environnement. Elle a été suivie du rejet de la taxe carbone par le conseil constitutionnel fin décembre, puis par un désintérêt du gouvernement pour l’environnement, dans un contexte de préoccupations économiques grandissantes après la crise financière de 2008.

Après Copenhague : une présence plus flottante du sujet

Depuis Copenhague, il apparaît plus difficile pour les journalistes spécialisés de porter au sein de leurs journaux les questions du changement climatique et plus difficile d’en obtenir une couverture importante. Nous sommes toujours, en 2015, dans cet après Copenhague.

Cependant, les conférences internationales continuent à accueillir de nombreux journalistes français et à être relatées dans la presse.

Pour autant, il est à prévoir que dans les mois qui viennent, les questions climatiques seront de nouveau médiatisées, compte tenu de la perspective de la Conférence de Paris. L’annonce par le président de la République selon laquelle le climat serait grande cause nationale en 2015, et la mobilisation de la société civile sur ce sujet, laisse prévoir une reprise de l’intérêt médiatique pour la question climatique. Ce devrait être l’occasion, pour les médias, de renouveler et approfondir le traitement de cette thématique, dans un

environnement international qui a changé, la Chine étant désormais un acteur majeur des discussions.

Médiatisation des négociations : des effets contradictoires

Le cycle des négociations internationales construit un récit en tension : dans une unité de lieu, de temps et d’action, quelques hommes donnent l’impression de décider de l’avenir de la planète. Cette situation a suscité l’intérêt de la presse. La médiatisation du changement climatique en a certainement bénéficié.

Dans le même temps, la couverture des négociations par la presse renforce la dramaturgie des évènements. Les approches sensationnalistes du type « dernière ligne droite avant la catastrophe » sont fréquentes, et aboutissent à des interprétations défavorables, voire erronées, par manque de recul, de l’avancée des négociations. Cela laisse aux opinions publiques un sentiment général de stagnation et de déception, quelles que soient les avancées diplomatiques, logiquement le plus souvent ténues et lentes compte tenu du cadre multilatéral.

De plus, certains chercheurs estiment que plus les conférences annuelles sur le changement climatique connaissent une notoriété croissante, plus leur efficacité décroît126. Pour eux, la mise en place du mécanisme du marché carbone a fait entrer de nouveaux acteurs sur le terrain et complexifié les négociations. Ceci conduit à l’accroissement du nombre et de la variété des acteurs participant à ces sommets et à ne plus avoir pour seul objectif la lutte contre le changement climatique. Les enjeux de notoriété qui se déploient à la lumière médiatique favoriserait en outre chacun à défendre sa cause et plus seulement celle pour laquelle tous ces acteurs sont réunis.

Dans un autre registre, des étudiants de l’école Centrale ont relevé que lors de la COP de 2009127, « de façon paradoxale (…) la plupart des journalistes n’ont, dans le contexte de Copenhague, pas cherché à convaincre de la réalité du problème. Plus simplement, ils entendaient faire pression sur les décideurs ». Ils ont également noté que, sur la base de trois ensembles de chiffres clefs (l’objectif de limitation du réchauffement à 2° C au-dessus du niveau préindustriel, la réduction des émissions de GES des pays développés de 25  % à 40 % à l’horizon 2020 et, enfin, la mise en place d’un fonds international destiné à soutenir l’adaptation des pays en développement, dont le montant devrait s’élever à cent milliards à l’échéance de 2020) « les journaux ont rappelé les principales connaissances sur les enjeux climatiques, mais ont rarement donné la parole aux chercheurs. Ils ont surtout médiatisé les écrits politiques ». Ce choix est compréhensible, tant la COP est avant tout un temps politique.

Il est enfin notable que la surmédiatisation des négociations, sur un sujet mêlant sciences et politique, est propice à la naissance de controverses et de polémiques (cf. infra).

126 E Schüssler, C Rüling, B Wittneben ; On melting summits : The limitations of field-configuring events as catalysts of change in transnational climate policy ; Academy of Management Journal, 2014.

127 Vingt-cinq étudiants de l’école centrale de Paris, Valérie Masson-Delmotte, Jean-Baptiste Courby ; La science du climat dans la presse à l’occasion du sommet de Copenhague ; La Revue durable, mars-mai 2010.

Difficile retranscription des perspectives