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Une négociation à double tête

Dans le document « Fabrication de la ville » à la SNCF (Page 43-46)

Jusqu’à présent, l’analyse de la négociation et de son contexte s’est faite principalement dans les interactions avec les autres membres partenaires de l’AMI. Mais il en existe une autre du côté de la SNCF. En effet, une fois les temps de discussion passés, les représentants de la SNCF Im- mobilier préparent leur négociation en interne.

Comme nous l’avons expliqué dans la première partie, SNCF Immobilier est un prestataire in- terne à la SNCF et dépend avant tout des propriétaires. SNCF Immobilier n’étant pas proprié- taire des terrains (des actifs), les propriétaires que sont SNCF Réseau et SNCF Mobilités doivent approuver les décisions que SNCF Immobilier prend sur leurs fonciers. Quand il s’agit de projets structurants, se définissant principalement par un seuil de cession élevé (supérieur à 3 millions d’euro), le projet de vente est présenté devant des instances nationales lors d’un Comité des Engagements Immobiliers (CEI).

Le CEI est un processus interne à la SNCF dans lequel les représentants SNCF Immobilier en ter- ritoire présentent le projet et discutent de la stratégie à suivre pour mener à bien le projet. Ces instances sont composées des différents propriétaires que l’on retrouve sur le site.

Pour Ravezies, le montant est très proche des 3 millions d’euro mais la participation au CEI s’ex- plique par d’autres biais. En effet, en même temps que la mise en place de l’AMI, SNCF Immo- bilier et la métropole bordelaise ont finalisé un protocole foncier qui fixe les sites ferroviaires sur lesquels la métropole va développer des projets sur les prochaines années (Business Immo, 2018).

Ce protocole a été présenté en CEI pour validation et Ravezies étant le premier projet qui dé- coule du protocole, les représentants des propriétaires et parties prenantes au CEI ont démontré la volonté de présenter également Ravezies en CEI. Pour expliquer davantage ce passage en CEI, Bordeaux est identifié au sein de la SNCF comme un site stratégique, le seul sur la région Nouvelle-Aquitaine. Ces éléments, en plus de celui du prix plausible de vente, expliquent le pas- sage en CEI pour Ravezies.

Nous retrouvons ici la notion de contexte de négociation. Mais cette fois-ci les rôles sont inver- sés : les professionnels de SNCF Immobilier se trouvent à la place des équipes de l’AMI pour convaincre et dialoguer avec les représentants des propriétaires, dans le cadre de CEI, contexte de la négociation. Au même titre que précédemment, chaque acteur possède sa logique et ses intérêts, en fonction des compétences qui lui sont attribuées : le juridique fait attention aux points sur lesquels on peut se retourner contre la SNCF, les propriétaires sont attentifs au prix de vente, l’attention est portée sur les surfaces des terrains respectifs, etc.

Comme pour le reste, la proposition et la posture adoptées par les représentants de SNCF Im- mobilier à Bordeaux au CEI sont assez neuves. En effet, plutôt que de sélectionner directement un lauréat, avant que l’AMI ne soit vraiment finie, il a été proposé aux interlocuteurs du CEI de valider une stratégie de choix pour le lauréat selon une grille d’analyse qui reprend les trois cri- tères suivants :

• montant de cession et conditions (meilleure offre financière et conditions de vente acceptable pour le GPF)

• robustesse de l’équipe (références démontrées, propension à aller au bout du projet avec le moins de rebondissements possible)

• acceptabilité (hauteur, intégration paysagère et architecturale propices)

Pour rester dans l’esprit de l’AMI, qui laisse place à la négociation et aux partages de connais- sances et d’expertise, la grille d’analyse a été préconisée plutôt qu’un choix unique sur le sujet du prix de revient des terrains, sûrement prématuré à cette date de l’AMI.

La position des représentants de SNCF Immobilier va dans ce sens ; prendre à bras le corps le cadre de cet AMI, et faire en sorte que la négociation puisse se faire de bout en bout. Cette pos- ture est visible lors de l’échange du CEI : «on ne veut pas se fixer sur un prix fixe ou sur tel projet sans être passé par toutes les étapes de l’AMI, mais on vient vous voir avec une grille d’analyse flexible, qui justement répond à ce contexte de négociation» (SNCF Immobilier 1, SNCF Immobi-

lier 3). Au moment où ils s’engagent auprès de leurs instances l’incertitude règne : quel projet va sortir ? pour quel montant ?

Les acteurs se frottent à la notion d’incertitude dans le projet. Pour des projets qui habituelle- ment sont calibrés, pour lesquels chaque risque est calculé, cette incertitude peut déstabiliser. Ceci peut expliquer la décision finale du CEI qui oblige les représentants de SNCF Immobilier de repasser en commission et de ne pas leur donner les pleins pouvoirs de décision.

Elle fait pourtant partie des «nouvelles règles du jeu urbain», comme l’entend Jérôme Dubois (Bourdin, Leufeuvre, Melé et al., 2006), dans le cadre d’un travail collaboratif. L’auteur nous explique que ce type de travail ne peut se baser strictement sur un calcul d’intérêt puisque les gains ne sont pas calculables à moyen terme. Le «calcul rationnel» doit alors être dépassé pour fonder la négociation. A cette impasse, la notion de confiance qui se base sur d’autres systèmes de valeur permet de dépasser les blocages que le calcul d’intérêt présente. Pour des projets comme celui de Ravezies, où les acteurs sont au même niveau de décision, chacun a besoin de l’autre pour arriver à ses fins. La cohésion autour d’un intérêt réciproque est fondamentale et cette idée «est une puissance structurante sans égale parce qu’elle objective une dépendance qui assure à chacun le concours de l’autre» (Orléan, 1994). Néanmoins, cette notion de confiance est plus difficile à mettre en place avec les professionnel·le·s du CEI. Si à Bordeaux, un AMI est une chose nouvelle, à Paris ce n’est pas le cas et ces professionnel·le·s ont déjà participé à d’autres AMI. La confiance ne semble pas régner:

Moi, je les connais les AMI ...

(Service Juridique SNCF Immobilier, lors du CEI)

Les représentants en région de SNCF Immobilier se heurtent alors à l’expérience des autre ac- teur·trice·s.

44 «Fabrication de la ville» à la SNCF

Avec Ravezies, SNCF Immobilier prend part à une nouvelle forme de projet : le projet négocié. Elle s’insère dans un panel d’acteurs identifié dans le monde de l’urbain. A son tour, nous pou- vons dire qu’ici SNCF Immobilier devient un acteur de l’urbain à part entière. Dans ce projet négocié, SNCF Immobilier prend de nouvelles postures et fait face à un projet partenarial com- plexe. Les négociations qui prennent forme sont conditionnées par le contexte de négociation, avec des ateliers, des moments de discussion et un règlement général de consultation fort. La négociation est fondamentale à la dynamique du projet.

Nous avons compris la posture de SNCF Immobilier dans cet AMI. Celle-ci est double. D’un côté celle du CEI où la démarche est de faire avant tout avancer le projet. Du côté des partenaires de l’AMI, de mettre en avant le côté financier qui prime à la SNCF et qui répond avant tout des propriétaires. Mais comment prend-il forme ? Sur quel(s) élément(s) du projet les représentants de SNCF Immobilier négocient-ils vraiment ? La partie qui suit répond à ces interrogations.

Dans le document « Fabrication de la ville » à la SNCF (Page 43-46)