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Être d’égal à égal avec les collectivités

Dans le document « Fabrication de la ville » à la SNCF (Page 37-41)

Ici ce sont le(s) positionnement(s) et les rapports qui s’instaurent entre les acteurs qui nous intéressent puisqu’ils fondent la négociation et le projet.

Pour SNCF Immobilier, la posture qu’elle prend dans cet AMI est une nouveauté. En effet, dans le cadre de l’AMI, SNCF Immobilier est un partenaire à part entière, sur tous les points. Cette position est visible dans le règlement général de consultation de l’AMI :

«Les Partenaires [propriétaires des biens et les collecti- vités dans lesquelles sont localisés ces biens] sélection- neront dans le cadre de jurys de sites, selon les règles et critères communs définis ci-après et pour chaque site, les candidats retenus lors de la première phase de l’appel à manifestation d’intérêt, puis le lauréat retenu au terme de la seconde phase.»

Et elle fait écho à la délibération du conseil métropolitain du 16 juin 2017, juste avant le démar- rage de l’AMI, qui définit le cadre dans lequel un acteur peut se présenter en tant que jurys :

Sites Temporaires Artistiques

Très régulièrement sollicitée pour des demandes d’occupation culturelle ou artistique, SNCF Immobilier a choisi d’initier la démarche des sites artis- tiques temporaires sur certains sites ferroviaires inexploités, à partir de 2015.

L’objectif de cette démarche est de développer des projets culturels et artistiques, conviviaux et éphémères - «à la berlinoise» - en les intégrant dans des lieux inconnus, issus de l’histoire industrielle et ferroviaire française.

Cette action permet de réinventer les espaces publics, d’ouvrir des sites au public alors qu’ils étaient fermés jusqu’à présent et de faire émerger de nouveaux usages, de nouvelles dynamiques territoriales.

De nombreux sites se sont dévelop- pés sous cette forme-là : Ground Control (Paris), Grand Train (Paris), le Festival Parenthèse (Rouen), Belcier (Bordeaux), et bien d’autres encore.

« D’ores et déjà les principes de composition des jurys (un par site) sont les suivants : - le Maire de la commune concernée ou son représentant désigné par lui ;

- les Vice-présidents en charge des grands sites d’attractivité économique, du foncier et de l’économie de proximité ou leurs représentants désignés par eux ;

- des représentants techniques des services de Bordeaux Métropole, des communes concernées et de La Fab ;

- le cas échéant, s’il le souhaite, un représentant du propriétaire privé. Les différents jurys pourront se réunir si le quorum (4 personnes) est atteint. »

Cette position d’égal à égal est plutôt inédite, tant du côté de la SNCF que du côté des collecti- vités. Car, malgré ce qui est affirmé par Guarnay et Albrecht (2008) qui expliquent que les déci- deurs du développement urbain ne sont pas obligatoirement l’autorité publique, nous soutenons qu’en France elle a tendance à prendre seule les décisions finales sur les projets en jeu (De Carlo, 2007). Cette nouvelle position d’égal à égal change ainsi par rapport aux processus décision- naires habituels.

Néanmoins, nous adhérons à la vision que Guarnay et Albrecht développent sur le cas de pro- priétaires fonciers. Ils expliquent que les détenteurs de ressources naturelles - entendu comme détenteurs de foncier - sont en règle générale des acteurs passifs, sans pouvoir, puisque la va- lorisation du foncier «est déterminée par le système global de création et de répartition des richesses et par la croissance ou la décroissance démographique qui en résultent ; elle leur échappe dans une grande mesure» (Albrecht, Guarnay, 2008). Cela semble doublement vrai lorsque des professionnels de Nexity nous affirment que «SNCF Immobilier n’est pas identifié comme acteur auprès du monde professionnel de l’urbain» (Nexity).

Dans un système classique, la collectivité serait alors un «acteur-décideur» (Albrecht, Guarnay, 2008) tandis que SNCF Immobilier serait un «acteur-détenteur» (Albrecht, Guarnay, 2008). Mais ici, dans le cadre de l’AMI, les deux se retrouvent sous la même bannière, celle d’acteur-déci- deur. A ce titre, SNCF Immobilier se retrouve intégré dans un groupement d’acteurs de l’urbain.

Dans ce nouveau rapport qui s’instaure, SNCF Immobilier s’engage dans une négociation com- plexe, quadripartite, avec les représentants de la ville du Bouscat, de la métropole bordelaise et de La Fab. Cette négociation laisse entendre un système d’acteurs et de jeux d’acteurs spéci- fiques. Dans tout système d’acteur et d’interaction entre acteurs, des alliances et des oppositions se font et se défont. Et sans forcément prendre d’engagement officiel, un acteur sait qu’il peut compter sur un autre, ou au contraire repère celui qui reste neutre voire opposé (Crozier, Fried- berg, 1977).

Ces prises de position peuvent se déceler à la lecture de la délibération du conseil métropolitain et de la liste des acteurs participant au jury. La majorité d’entre eux étant des représentants des collectivités, ou bien l’organisme organisateur de l’AMI, il semble que deux groupes d’acteurs se définissent : Maire, Vice-Présidents, représentants techniques d’un côté et propriétaire privé d’un autre côté. La nature des acteurs laissent penser que deux blocs s’opposent.

De plus, Bordeaux Métropole est le commanditaire pour cet appel d’offre et de ce fait, peut re- vendiquer une position de force. De son côté, La Fab, AMO de l’appel à projet, est le prestataire direct de la métropole. Se dessine alors «une alliance» entre les deux acteurs présents. Ensuite, Le Bouscat fait partie de la métropole bordelaise. Nous l’avons vu précédemment, Ravezies est

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un projet qui s’inscrit dans une politique urbaine métropolitaine et qui a des répercussions à l’échelle locale ; les deux échelles sont donc liées. Le principe d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) le justifie encore plus : d’après la loi Chevènement de 1999, un EPCI est un regroupement de communes qui a pour objectif de mettre en œuvre « un projet commun de développement au sein d’un péri mètre de solidarité». Tous ces éléments laissent entendre que Bordeaux Métropole, La Fab et le Bouscat composent une unité cohérente s’op- posant à SNCF Immobilier.

Cette dernière doit donc faire face à «ce bloc» et gérer les négociations pour faire en sorte que ses propres intérêts soient représentés. Pour la SNCF, ses intérêts sont à caractériser au singulier. Il en existe un : la question du prix de vente. Il concerne SNCF Immobilier et fait écho au GPF puisque le prix de revient des terrains va directement aux propriétaires (l’argent négocié revien- dra au pro-rata des superficies de chaque propriétaire sur le terrain).

Dans le cadre de ces négociations, l’approche développée par le représentant de SNCF Im- mobilier est celle de «l’honnêteté» puisqu’il n’hésite pas à parler aux autres acteurs du rapport financier qui existe pour la SNCF et explique que « le cash à l’entreprise est un élément principal pour la SNCF ». Néanmoins, malgré un regard très marqué sur la question économique, il déve- loppe des compétences multiples, mobilisant les connaissances urbanistiques, architecturales, de promoteur et de droit. En effet, l’objectif n’est pas que deux blocs en constante opposition se forment. Il s’agit alors de danser sur un fil de funambule : ne pas trop donner et faire en sorte que tous les besoins des différents acteurs restent présents.

Passées ces considérations théoriques et basées sur des lectures de documents divers, dans les faits, cette opposition entre les «deux blocs» n’est pas aussi évidente et chaque acteur défend ses logiques et ses intérêts propres : la métropole a une vision d’ensemble sur tous les sites de l’AMI. Elle fait donc en sorte que chaque projet est mené à bien et qu’une cohérence existe entre tous les sites. Son intérêt particulier se porte sur les dynamiques économiques qui vien- dront se développer sur le site. Quant à elle, la commune du Bouscat se préoccupe essentielle- ment de l’insertion urbaine, de la question de la hauteur des bâtiments ainsi que des commerces de proximité, dans une logique d’acceptation citoyenne du projet. De son côté, SNCF Immobi- lier a un regard très attentif sur le prix d’achat de ses terrains. Et vu que ce prix est directement conditionné par les mètre carrés constructibles, leur condition sur la fourchette de construction est très largement prise en considération, au même titre que l’emprise au sol.

Théoriquement, ce sont des intérêts qui peuvent tous s’opposer et rentrer en contradiction. Des discussions s’instaurent alors pour que les acteurs s’accordent entre eux et définissent ce qui est le plus signifiant pour chacun d’eux. Finalement, cette opposition entre les deux blocs se délitent et le consensus prend place puisque les intérêts principaux de chaque acteur sont respectés. Pour la SNCF, l’intérêt porté sur le prix de ses terrains est inscrit dans un protocole de consulta- tion, encore à l’écriture à ce jour.

Nous voyons bien que des nouvelles formes de négociation prennent place à SNCF Immobilier. Des postures de négociations se mettent en place dans le cadre d’un projet négocié partenarial complexe dans le cadre de l’AMI. SNCF Immobilier a une position difficile à tenir face aux autres acteurs. Elle réfléchit en valeur financière.

ATELIER 1 - AIRE RAVEZIES 20 MARS 2018 Habillé de mon plus beau costume trois pièces, je me dirige vers La Fab. J’attends mon collègue de l’Immobilier. 09h00. A mes côtés, des représentants de Bordeaux Métropole, Le Bouscat et la Fab, AMO de la métropole pour l’AMI, cheffe de l’exercice de ce jour. En face, les chaises bien serrées sont disposées et prêtes à accueillir les trois équipes. La première entre. Début des hostilités. Une femme est aux manettes. Telle une cheffe d’orchestre elle déroule le projet, passe la parole à l’investisseur, à l’architecte, au porteur de projet Campus, au spécialiste en mobilité, au paysagiste et, comme tout bon cheffe d’orchestre, clôt cette danse verbale. Place aux questions. Elles sont déjà écrites, délibé- rément préparées la veille pour s’accorder entre l’ensemble du jury et gagner du temps. Les questions fusent. Les réponses aussi. Le projet est solide, rassurant. Mais différent du 1er rendu ; le passage de plusieurs bâtiments à un seul fait un peu grincer les dents. Léger

point d’interrogation.

La deuxième entre. Bis repetita. Une femme aux manettes. La parole est un peu moins fluide, l’exercice moins contrôlé. La maîtrise d’œuvre est bien droite dans ses bottes, elle connaît son sujet, sait de quoi elle parle. Le reste est plus chancelant. Le projet parle mais ne s’envole pas. Une figure de bon élève mais qui ne va pas plus loin que l’énoncé de la question. Bis repetita. Place aux questions. Les mêmes thématiques sont abordées. L’in- tégration architecturale et les hauteurs sont réconfortantes. Quid du reste ?

Pause de midi. Pour vous ce sera entrée/plat, plat, plat/dessert ou bien le trio de la mort entrée/plat/dessert ? Personne n’ose le dernier, sûrement par conscience professionnelle. Personne ne prendrait le risque de s’endormir pendant un atelier aussi important.

Manger active les papilles et délie les langues. Robuste, claire, aux reins solides, rassu- rante. La première équipe sort du lot : les représentants des collectivités semblent sous le charme. Côté SNCF, le visage s’allonge un peu : le prix d’achat des terrains n’est pas très élevé. Wait and see.

Retour dans la salle.

La troisième équipe s’installe. Ah tiens, que des hommes cette fois-ci. Trois sont à la manœuvre : l’architecte, l’investisseur et le promoteur. L’échelle change : le projet est im- prégné du territoire et de l’histoire, passée, présente et future. D’un projet immobilier on perçoit le projet urbain. De projet urbain on se rapproche du projet immobilier. La sensa- tion d’une équipe dynamique et soudée. Le projet est bon. Pas dans ce sens commun un peu négatif, péjoratif ou pas suffisant. Il est juste bon. Seul bémol, les hauteurs. On n’y comprend rien dans vos plans, un petit effort quand même ! Bis repetita. Les questions. Les réponses. Les conseils de fin. Pour la prochaine fois, soyez attentifs aux hauteurs, au prix d’achat des terrains et au commerce de proximité.

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Dans le document « Fabrication de la ville » à la SNCF (Page 37-41)