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Le foncier, un actif à valoriser

Dans le document « Fabrication de la ville » à la SNCF (Page 48-55)

Le foncier engage ainsi des «réflexions chiffrées» : quelle surface ? quelle répartition ? quel pro-rata pour chaque propriétaire ? etc. Et ces questions ne sont pas anodines puisqu’elles font référence à un des aspects qui définit le foncier : l’aspect financier. En effet, si l’on se pose ce genre de question, c’est avant tout dans une logique marchande. En ce sens, le foncier est «relié au sol. C’est un espace fini, pris comme un bien échangeable et comme une marchandise» (Bou- lay, Buhot, 2013).

A ce titre, en tant que propriétaire foncier, une des inquiétudes de la SNCF est le prix de re- vient qu’elle peut envisager sur ses propriétés. La relation entre valeur marchande et foncier est indissociable dans ce cas-là. La SNCF est endettée et un des moyens de se désendetter est de vendre le foncier qu’elle considère inutile à l’activité ferroviaire, grâce à l’action de SNCF Immo- bilier. La question du prix du foncier est donc primordiale. Si l’on prend une logique moins large à cela, SNCF Immobilier étant un prestataire interne aux EPIC, l’argent qui ressort d’une cession de terrain revient aux propriétaires, ce qui permet de réinvestir dans les infrastructures ferro- viaires, dans les aménagements autour des gares, etc. Cet aspect se perçoit notamment lors du CEI quand les différents représentants des propriétaires manifestent un intérêt particulier pour le prix d’achat des terrains par les équipes et les offres que chacune propose. La vision financière que nous avons expliqué dans la dernière partie se retrouve bien dans ce projet.

Mais elle n’est pas concentrée seulement sur le terrain en lui-même. En fait, lorsque nous parlons du prix de revient que peut attendre SNCF Immobilier, le plus simple est de parler de charge foncière : «nous ce qu’on cherche à avoir c’est une charge foncière élevée» (SNCF Immobilier

4). La définition de charge foncière que l’on trouve sur le site de l’Établissement Public Foncier Nord-Pas de Calais nous semble tout à fait juste : «l’ensemble des dépenses qui doivent être en- gagées sur un terrain pour y rendre possible une opération immobilière et qui sont particulières à ce terrain».

La charge foncière est habituellement utilisée par les promoteurs pour développer le modèle économique de leur projet, étant donné qu’elle constitue le premier coût qu’un promoteur doit équilibrer face au reste du projet ; une charge foncière trop importante équivaut à un coût global du projet élevé. Les professionnel·e·s de SNCF Immobilier s’approprient cet outil pour détermi- ner la hauteur de valorisation du terrain potentielle. Définir le montant le plus élevé permet de mettre une base pour la suite de l’AMI, et les négociations qui en découlent.

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La caractéristique principale de la charge foncière réside dans le fait qu’elle s’exprime non pas par rapport à une emprise de terrain mais par rapport à une surface de plancher constructible. Ce qui veut dire que la charge foncière dépend en fait du projet en lui-même et de la program- mation de celui-ci. Le montant perçu par la SNCF pour Ravezies dépend non seulement de l’emprise globale des terrains présents sur le site, dans le sens où la taille et la forme des terrains influencent directement le prix d’achat du foncier par les candidats, mais aussi du programme et du projet lauréat en lui-même, puisque la programmation, la surface de plancher et la hauteur conditionnent la charge foncière.

Les professionnels de SNCF Immobilier en sont pleinement conscients puisque ces éléments-là sont intégrés à la grille d’analyse qu’ils ont développé pour sélectionner le meilleur candidat (cf. supra).

La présence du monde financier est palpable lorsque nous parlons du foncier et d’une poten- tielle charge foncière. Il ne faut pas faire fi de cette question. Mais le foncier peut également prendre une autre forme dans l’esprit des professionnels de SNCF Immobilier. Cette dernière fait écho à une deuxième définition du foncier, faisant appel à des compétences d’aménagement ou d’immobilier : le foncier est une « matière première des politiques d’urbanisme » ; le terrain comme éventuellement constructible ou exploitable (Boulay, Buhot, 2013). Cette définition prend tout son sens lorsque cela devient un argument pour convaincre les acteurs du CEI :

Écoutez c’est simple, si cela ne vous va pas en l’état, on peut aussi dire qu’on se désiste et tant pis pour le projet. C’est aussi une posture que nous pouvons prendre.

De toute façon, au pire, on se rétracte et tant pis, il n’y aura pas de projet...

(Représentant de SNCF Immobilier face aux professionnel·le·s du CEI)

Le foncier, premier élément du projet, premier élément de négociation

De façon extensive, au même titre que le foncier peut devenir un objet de convoitise par les collectivités, dans un contexte de resserrement des finances publiques, le foncier peut devenir le fait générateur de négociation.

Les éléments précédents nous ont montré comment les professionnel·le·s de SNCF Immobilier se représentent le foncier. Il est à la fois gage d’une charge foncière, d’éléments d’avant projet, avec des questions de pollution ou d’anciennes activités, mais aussi une porte d’entrée dans le projet, ou encore un moyen fort de se positionner face aux autres parties prenantes.

Ainsi, nous partons du principe que le foncier est la matière première pour développer le projet Ravezies. Si le développement du projet repose essentiellement sur une négociation inter-ac- teurs, nous pouvons donc affirmer que le foncier est, de manière extensive un objet de négo- ciation. En ce sens, le projet n’est pas entendu comme un produit fini, une construction d’un bâtiment par exemple, mais ce qui le définit est son caractère de négociation entre différents acteurs.

Cette façon de penser le projet peut être déstabilisante pour d’autres parties prenantes, notam- ment les collectivités, si ces dernières ont une vision première du projet, sans considération sur le foncier. Ou plutôt, si ces considérations arrivent de manière tardives dans l’élaboration du projet et que le foncier n’est qu’une contrainte parmi d’autres. Tandis que du côté SNCF, c’est le pre- mier élément pris en considération (figure 13).

Un des professionnels avec qui nous nous sommes entretenus peut éclairer ces considérations :

Il faut aussi se rendre compte des contraintes foncières existantes. [...] Dans l’idée, il faudrait que la première étape : c’est le projet de mes rêves. Mais qu’ensuite on le superpose à la réalité et aux contraintes foncières quoi. Moi c’est une sensibilité foncière. J’ai toujours fait ça dans toute ma vie. Pour moi c’est la porte d’entrée avant le projet. Si j’étais opérationnel, je verrais le foncier comme une contrainte parmi d’autres. Alors que moi je ne vois pas comment penser au projet si je n’ai pas informé

ou un accord du propriétaire quoi.

(EPA) Cette approche a comme effet l’apparition de discussions autour de la densité du bâti, de son emprise au sol, de la programmation que l’on y retrouve - celle-ci ayant un impact sur le prix du foncier ; les logements se vendent plus chers que des bureaux, qui eux-mêmes se vendent plus chers que des unités pour de l’enseignement supérieur -, sur la hauteur, sur la surface de plan- cher. Tous ces éléments, regroupés dans une grande équation, donnent la vraie valeur de sortie d’un foncier.

Le premier élément du projet, et par extension de la négociation, est donc le foncier. C’est un regard sur la densité, la hauteur, les surfaces de plancher, etc. qui est développé par les repré- sentants de SNCF Immobilier ; tous ces éléments ont un rapport direct avec la charge foncière.

FONCIER PROJET DENSITÉ DENSITÉ EMPRISE AU SOL RÈGLE D’URBANISME HAUTEUR HAUTEUR SURFACE DE PLANCHER PROGRAM- MATION CONTRAINTES FERROVIAIRES FONCIER SNCF Collectivité

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Mais c’est aussi un rapport direct aux propriétaires qui, dans ce projet, dictent la marche à suivre sur la décision du lauréat. C’est enfin un regard porté sur le passé ferroviaire et tout ce qui le constitue.

Le foncier représente ainsi trois éléments pour les professionnels de SNCF Immobilier. Tout d’abord, c’est un «objet» géographique faisant référence au passé du site ferroviaire. Ensuite, la représentation du foncier en tant que valeur marchande - en lien avec une charge foncière - fait foi. Enfin, le foncier est la représentation même du projet, et donc de la négociation.

Autrement dit, réfléchir au foncier c’est une démarche par le bas : le terrain, sa superficie, la ré- partition des différents propriétaires, ce qu’il «cache» (en pensant pollution et aux autres activi- tés qui ont pu se développer par le passé sur le site et qui impactent les sols).

Réfléchir au foncier c’est aussi une démarche «par le haut» : la hauteur des bâtiments, la densité, la programmation au sein des bâtiments. Car tous ces éléments-là ont aussi un impact direct sur le prix de vente final.

Tout ces éléments peuvent potentiellement avoir une retombée sur le prix de vente du terrain. Le foncier cristallise la question du prix de revient. Il cristallise la négociation et la position de SNCF Immobilier dans cet AMI.

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Cette étude de cas cherchait à comprendre ce que peut signifier la notion d’«acteur de référence de la fabrication de la ville de demain», mis en avant par la SNCF. Ici, Ravezies a permis de démontrer qu’une nouvelle forme de projet négocié se mène par SNCF Immobilier. Cette négociation positionne SNCF Immobilier comme un acteur-décideur, actif, et non plus passif, comme il pourrait l’être de prime abord (Albrecht, Guarnay, 2008) vu sa nature d’opérateur foncier. SNCF, à travers sa branche Immobilier, montre qu’elle peut désormais être complètement partie prenante sur ce genre de projet, au même titre que les collectivités, ou les acteurs traditionnels de l’urbain. Il est ainsi justifié de catégoriser SNCF Immobilier, et par extension la SNCF, comme un acteur de l’urbain. En revanche, il nous parait compliqué de mettre der- rière les termes «de référence». Ici, cela semble être le cas mais nous avons du mal à l’assurer haut et fort. En effet, nous considérons que les termes «de référence» ont une valeur temporelle et que l’appliquer sur un seul exemple peut paraître fortuit et généralisé.

En tant qu’acteur-décisionnaire, SNCF Immobilier négocie sur deux pans, en interne et en externe. Les jeux d’acteurs ne sont pas tout à fait les mêmes et nous décelons deux postures différentes en fonction des interlocuteurs en face d’eux. D’un côté, en interne, l’objectif des représentants de SNCF Immobilier est de faciliter et de prendre à bras le corps le projet ; il faut aller au bout de celui-ci. Les considérations sont évi- demment avant tout financières mais elles dépassent cette notion-là pour se concen- trer sur la finalisation du projet. De l’autre, la considération principale est bien celle de l’argent et du budget que va percevoir SNCF Immobilier. Ce que nous avons dévelop- pé dans la première grande partie s’officialise ici : SNCF Immobilier a une focale sur le chiffre, sur le côté «rentabilité».

Cette dernière s’explique principalement par le rapport intrinsèque entre foncier et valeur marchande, exacerbée par les relations entre SNCF Immobilier et les proprié- taires. Ce fut assez intéressant d’observer les réactions qu’ont pu avoir les représen- tants de SNCF Immobilier lorsque les offres finales sont arrivées.

Ouf ... Elles sont toutes au-dessus des 2 millions 5. Maintenant que les budgets sont ancrés, on va pouvoir négocier sur le projet en lui-même, [sous-entendu architectural, urbain, etc.].

Bon, si on écoutait que les propriétaires ...

(Échange à propos des offres finales)

Pour revenir sur cette «fabrication de la ville de demain», nous avons constaté que SNCF Immobilier «fabrique» avant tout un projet négocié centré autour des questions de foncier. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce un projet urbain, un projet immobilier ? Quelle notion pourrait-on appliquer sur ce dossier ? De plus, est-il possible de parler de «fabrication de la ville» lorsque le projet concerne un peu moins de 6000 m² de su- perficie pour une métropole s’étalant sur 580 km² ? Nous n’en sommes pas sûrs. Car, même si nous soutenons l’ambition qu’a l’AMI et ce projet de questionner la place de l’activité dans un tissu urbain, aucune réflexion à grande échelle n’a été démarrée lors

de cet appel à projet. Or, nous pensons que réfléchir à l’implantation de l’activité économique dans une ville doit systématiquement se faire à l’échelle la plus élargie : pourquoi construire ici et pas ailleurs ? Pourquoi implanter tel type d’activité plutôt qu’une autre ? Quelle(s) activité(s) existe(nt) déjà sur la commune et comment leur ac- tivité influence la dynamique urbaine ? Etc. Ainsi, les répercussions que peuvent avoir le projet se feront sentir sur l’ensemble de la commune puisqu’elle fait système. Ensuite, soyons clairs, cette phrase n’a pas vocation à définir l’activité de SNCF Immo- bilier. En revanche, elle porte en elle, justement, l’ambition que vise SNCF Immobilier lorsqu’elle participe à des projets de ce type. Quant à savoir si ce projet se définit par du projet urbain ou du projet immobilier, nous serions tentés de parler de projet immobilier, pour son échelle assez restreinte et la superficie dont le projet dépend. De façon simple et courante, le terme immobilier « désigne ce qui a trait au bâti en général et à sa production » (Boulay, Buhot, 2013). Le projet immobilier serait donc la conception «brute, construite, en dur» d’un bâtiment et de sa production.

Néanmoins, partant de cette définition-là, le projet immobilier semble trop restreint pour Ravezies puisque des considérations sur l’intégration urbaine, la densité, la hau- teur, l’acceptabilité citoyenne, sont engagées. Par ce biais-là, le projet semble plus pencher vers le projet urbain. Le fait que l’AMI soit entamée par un pouvoir public, que de nombreux acteurs soient mobilisés autour du projet, et que la vision ne s’ar- rête pas à des notions de productions et de conceptions pures et dures nous font penser d’avantage à un projet urbain qu’à un projet immobilier. Néanmoins, ces deux notions sont difficiles à exprimer clairement et sont fortement imbriquées l’une avec l’autre, ce qui les rend difficilement séparables. Arriver à définir la notion de «pro- jet urbain» a fait et fera sûrement encore l’objet d’articles entiers ou de livres tant la question est vaste (Ingallina, 2008, Bailleul, 2008 et Mallet et Zanetti, 2015).

Le projet en lui-même est tellement imprégné de ce que les acteurs, à la fois décision- naires et candidats, négocient qu’il est difficile de trancher. Nous pensons ainsi que Ravezies ne répond réellement ni à un projet urbain ni à un projet immobilier mais que la définition principale de ce projet réside dans ce que sont les acteurs. Ainsi, les acteurs font le projet et la pluralité de ces derniers en fait un projet hybride, rendant difficile la possibilité de mettre des termes comme «urbain» ou «immobilier» derrière celui-ci.

Derrière ce projet se cachent également des notions devenues fondamentales dans la conduite de projet : l’incertitude, l’honnêteté, le risque, la confiance.

Notre but ici n’est pas forcément de donner des réponses clefs en main mais de sou- lever des questionnements qui nous paraissent légitimes. S’il est évident que la SNCF a comme ambition d’être plus active sur des questions d’urbanisme, des questions restent encore à résoudre : si elle ambitionne d’être un «acteur de référence de fabri- cation de la ville de demain», de quels moyens doit-elle disposer ? Est-elle en capacité de le faire ? Est-ce vraiment la bonne marche à suivre ?

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