• Aucun résultat trouvé

Nécessité de prise en compte du contexte socioéconomique, rappel des

Chapitre 6. Inégalités de recours aux soins de santé maternelle au Mali :

6.1 Nécessité de prise en compte du contexte socioéconomique, rappel des

dans le cadre de ce chapitre

6.1.1 Contexte socioéconomique comme modulateur des comportements individuels et objectifs du chapitre

Franckel et ses collaborateurs (2008) font remarquer que les comportements au niveau individuel sont aussi déterminés par les contextes socioéconomiques et culturels locaux. Les sociétés et les communautés auxquelles appartiennent les individus déterminent de façon différente leurs possibilités réelles et les réalités épidémiologiques de la région peuvent avoir un profond impact sur la santé et le bien-être de ceux qui y vivent (Sen, 1979). Parlant de l’utilisation des services de santé, il apparait judicieux de prendre en compte les aspects sociaux au-delà des caractéristiques individuelles. C’est fort de ce constat qu’on voit apparaitre un intérêt grandissant pour la prise en compte de la dimension communautaire, notamment ces vingt dernières années. Ainsi, certains chercheurs de domaines divers et singulièrement en épidémiologie sociale cherchent à intégrer les effets du contexte de résidence (niveau socioéconomique, caractéristiques de la communauté, offres de services, etc.) pour chercher à comprendre les comportements des individus en matière de santé (Chaix et Chauvin 2005 ; Stephenson et al. 2006 ; Grady et al., 1993 ; Chacko, 2001 ; DeGraff et al., 1997 ; Entwisle et al., 1989 ; Entwisle et Mason, 1985 ; Manda, 1998 ; Congdon, 1995 ; Pebley et al.,1996, etc.).

Dans le contexte Suédois, par exemple, Chaix et Chauvin (2005) ont examiné la prévalence de deux types de comportements de recours aux soins (voir ou non un généraliste, propension à recourir à des spécialistes). Leur étude montre que, au-delà des effets des caractéristiques socio-économiques des individus et des densités médicales, un niveau socio-économique local élevé est associé à une faible consultation de médecins généralistes et une proportion plus importante de recours aux spécialistes. Entwisle et Mason (1985), cherchant à décrire les déterminants micro et macro de la demande d’enfant dans quinze pays concernés par l’enquête mondiale sur la fécondité, arrivaient à la conclusion que le produit national brut par habitant et l'effort entrepris dans les programmes de planification familiale influençaient les différences de niveaux moyens de fécondité entre les pays. En milieu rural égyptien, Entwisle et al. (1989) se sont intéressés à l’effet des caractéristiques du village (la structure de l'économie, la modernisation de l'agriculture, le niveau de participation scolaire et l’offre de services de planification familiale) sur le comportement à l’égard de la contraception. Leurs résultats indiquaient que le comportement contraceptif variait systématiquement avec les caractéristiques du village. De même, l’étude de Grady et al. (1993), relative aux décisions de recourir à la contraception parmi les femmes blanches

mariées aux États-Unis, a mis en évidence l’importance des caractéristiques de la communauté dans les choix contraceptifs adoptés par ces femmes. Les localités, ayant un meilleur statut socioéconomique ainsi qu’un accès facile à l'information et aux services de planification familiale, sont celles où les femmes sont plus susceptibles d’utiliser les méthodes contraceptives de manière efficace.

Un résultat similaire a été observé aux Philippines sur l’utilisation différentielle de la contraception selon le niveau de développement économique et de dotation en infrastructures de la communauté de résidence (DeGraff et al., 1997).

Pour le cas spécifique des soins obstétricaux, Magadi et al. (2007), dans leur travail sur 21 pays de l’Afrique Subsaharienne, montrent que les politiques nationales (politiques de partage des coûts, disponibilité et accessibilité des services de santé maternelle) expliquent 7 à 15 % des variabilités totales des soins prénatals et de la prise en charge de l’accouchement entre les pays.

Pareillement, Stephenson et al. (2006) ont identifié les influences des caractéristiques de la communauté sur la décision d’accoucher dans un établissement de santé dans six pays africains (Côté d’Ivoire, Burkina Faso, Ghana, Kenya, Malawi et Tanzania). Ainsi, le pourcentage de femmes ayant une scolarisation secondaire apparait significativement associé à l’accouchement assisté au Malawi, au Kenya et au Ghana. À l’inverse, le nombre moyen d'enfants par femme avait une influence négative sur le recours à l’accouchement dans un centre de santé, quel que soit le pays. Selon les auteurs, les collectivités ayant une fécondité plus élevée ont le plus souvent un faible niveau de développement économique, mais pourraient aussi avoir des attitudes plus conservatrices en matière d'utilisation des services. Une fécondité élevée peut exprimer aussi un manque de services de santé génésique. Dans le cas du Nigeria, Babalola et Fatusi (2009) montrent que, au-delà de l'éducation de la femme et du niveau socio-économique du ménage, les caractéristiques de la communauté, en matière d’urbanisation et de densité des médias, sont des prédicteurs importants de l’utilisation des services. Un résultat similaire a été observé par Ononokpono, (2015) dans le même contexte : la propension individuelle à accoucher dans les centres de santé varie fortement selon les proportions moyennes de femmes éduquées et du niveau de pauvreté de la zone de résidence.

Au Mali, de nombreuses études traitent de la question de santé maternelle (El-Khoury et al, 2011 ; Blaise et al, 1997 ; Fournier et al, 2009a ; Fournier et al.

2009b, 2014 ; Soors et al., 2008 ; Gage, 2007) et celles-ci ont globalement contribué à la compréhension des facteurs associés au non recours aux soins.

Toutefois, ces facteurs (à part la question de l'offre de santé) ne sont appréhendés très souvent qu'au niveau individuel. La plupart des études, traitant du recours aux soins de santé maternelle, abordent généralement la question dans une perspective individuelle en mettant très peu en avant les aspects contextuels et leur influence sur les comportements des individus. Ce qui permet de considérer le plus souvent les contextes locaux (par exemples régions, communes, quartiers à l’intérieur d’un pays) comme des ensembles homogènes influençant très peu les décisions individuelles en matière de recours aux soins. Pourtant l’analyse du contexte sanitaire et socioéconomique, au chapitre deux, a permis de constater la persistance des inégalités régionales d’accès aux soins de santé maternelle malgré une amélioration du niveau de recours aux soins et la baisse de la mortalité maternelle ces dernières années. Les efforts consentis par les différents

gouvernements, à travers l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et programmes de santé, n’ont pas suffi à effacer les disparités géographiques de recours aux soins. Le chapitre précédent met aussi en évidence un accroissement des inégalités entre groupes socioéconomiques les plus démunies et les plus aisées. Toutes ces inégalités en matière de recours aux soins suscitent des interrogations majeures sur le rôle des facteurs contextuels, au-delà de la question de l’offre de services de santé.

En outre, presque toutes les études mettent en évidence des inégalités urbain-rural sans dire comment varient les comportements des différentes catégories socioéconomiques selon les zones de résidence distinctes. Il ressort dans presque toutes les études une forte propension de recours aux soins des femmes plus éduquées et vivant dans des ménages riches par rapport à celles moins instruites et issues de ménages moins riches. Mais ces inégalités, entre ces groupes socioéconomiques défavorisés et démunis, varient-elles en fonction du milieu de résidence ? Cette question reste pour le moment sans réponse dans le contexte malien. Aucune étude ne traite de ce potentiel rôle distinct selon le milieu de résidence, de l’éducation et du niveau de vie sur les comportements de recours aux soins particulièrement au Mali. Par ailleurs, certains travaux ont essayé, tant bien que mal, d’étudier les facteurs de différenciation de santé des individus selon le contexte. Douptcheva et Hill (2014) étudient les effets d’appartenance à des groupes de dotation "Endowment groups" sur les différentielles de santé physique et mentale des femmes à Accra. Les groupes de dotation ont été définis par la combinaison de la richesse des ménages et la situation socio-économique du quartier de résidence : les femmes pauvres dans les quartiers pauvres ; les pauvres dans les quartiers riches ; les riches dans les quartiers pauvres et les riches dans les quartiers riches. Cette étude avait pour objectif de déterminer les facteurs de différenciation de realisations (santé physiques et mentale) et d’examiner s'il existe des disparités à l’intérieur ou entre les groupes de dotations.

Même si l’effet de ce qu’ils ont appelé "Endowment groups" n’apparait pas clairement, les auteurs montrent toutefois que le statut socio-économique du quartier affecte la santé physique tandis que la richesse de la famille affecte plus fortement la santé mentale. Ils identifient aussi un rôle important de l’éducation indépendamment de l’appartenance aux groupes de dotations. Les femmes, pauvres vivant dans les zones pauvres et celles riches vivant dans les zones riches, qui sont moins éduquées (primaire) ou qui ne sont pas du tout scolarisées, ont nettement moins de chances d'obtenir de meilleures réalisations en matière de santé mentale que les femmes avec les caractéristiques similaires ayant fait des études secondaires.

En ce qui nous concerne dans ce chapitre, nous explorons la contribution de certains aspects du contexte sur les inégalités individuelles de recours aux soins de santé maternelle qui ont été très peu étudiés jusqu'ici au Mali. Nous étudions donc les déterminants des inégalités en matière de recours aux soins de santé maternelle en distinguant les facteurs qui interviennent au niveau individuel de ceux du niveau contextuel. En utilisant l’approche par les capabilités, nous cherchons à identifier les moyens qui permettent aux femmes d’étendre ou, au contraire, de limiter leurs possibilités ou libertés réelles de recours aux soins.

Nous examinons dans cette perspective les facteurs d’inégalités de réalisations (recours aux soins) selon la résidence dans différentes communes en y faisant

ressortir ceux liés au contexte socioéconomique et humain local. Enfin, nous abordons les interactions du niveau d’éducation et des conditions socioéconomiques des ménages avec le milieu de résidence des femmes enceintes et parturientes. Il s’agit d’examiner si les femmes, ayant des niveaux d’éducation ou des conditions socioéconomiques similaires, se comportent différemment vis-à-vis du recours aux soins en fonction de leurs milieux de résidence.

6.1.2 Rappel des hypothèses, données et principales variables utilisées dans le cadre de ce chapitre

Nous partons du postulat que les inégalités en matière de recours aux soins de santé maternelle résultent du fait que les femmes vivant dans différentes communes n’ont pas les mêmes libertés réelles de recourir aux soins quand elles le désirent eu égard aux différences de caractéristiques individuelles et familiales (facteurs de conversion), des spécificités locales en matière de développement socioéconomique et humain (facteurs collectifs de conversion) et de l’offre de services sanitaires (dotations ou ressources du contexte). Nous éclatons ce postulat général en hypothèses spécifiques qui se rapportent aux hypothèses 3 et 4 de la thèse.

Plus spécifiquement, nous supposons que les inégalités entre les femmes de différentes communes en matière de recours aux soins résulteraient en partie des différences de leurs capacités individuelle et familiale (éducation, exposition aux médias et niveau de vie) à convertir l’offre de services de santé en un recours effectif aux soins. De même, les femmes vivant dans les communes disposant de meilleures dotations ou ressources du contexte (plus équipées en infrastructures sanitaires) sont plus avantagées en termes de recours aux soins. Toutefois, au-delà de ces capacités individuelles ou familiales et des ressources sanitaires du contexte, le recours effectif aux soins est surtout influencé par le niveau de développement humain et socioéconomique de la commune dans laquelle vivent les femmes (niveaux communaux d’éducation de la femme et des conditions de vie du ménage). Cette influence du niveau de développement socioéconomique et humain de la commune est valable même si on contrôle pour les capacités individuelles ou familiales ainsi que les ressources au niveau contextuel. Ainsi, les communes ayant une proportion élevée de femmes éduquées ou un pourcentage élevé de ménages situés parmi les plus riches du pays sont celles où les femmes ont une plus grande propension à recourir aux soins de santé maternelle, quelles que soient leurs propres conditions de vie ou niveau d’instruction atteint. Et enfin, nous postulons que l’influence du niveau d’éducation de la femme et du niveau de vie de son ménage, considérés respectivement comme des facteurs individuel et familial de conversion, sur la propension à utiliser les services de santé maternelle varie d’un contexte de résidence à un autre, et cela même quand on contrôle pour l'offre sanitaire. Cet effet distinct des facteurs individuel et familial de conversion est sous-tendu par des spécificités locales en matière de normes ou valeurs sociales qui entourent la grossesse qui varient d’un contexte à un autre.

Les données auxquelles nous recourons dans ce chapitre, pour tester ces hypothèses, proviennent de l’Enquête par Grappe à Indicateurs Multiples (MICS,

2009-2010) complétée par le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH, 2009) du Mali dont les descriptions sont présentées dans le chapitre trois. Ces données nous ont permis de mesurer, dans le chapitre quatre, les différents indicateurs se rapportant aux concepts de ressources du contexte et des facteurs de conversion.

Nous rappelons que nous nous focalisons, dans ce chapitre, sur les moyens d’extension ou de limitation des libertés réelles des femmes enceintes et parturientes à recourir aux soins de santé. Le but est de voir les rôles que jouent ces moyens dans les inégalités de recours aux soins de santé maternelle. Par conséquent, nous ne mesurons pas les libertés de réalisation, ni les préférences des femmes en matière de recours aux soins. Nous nous situons en amont c’est-à-dire des facteurs d’extension de cette liberté de réalisation qui est plutôt appréhendée au chapitre suivant. Cela dit, les caractéristiques individuelles sont examinées ici par le niveau d’éducation et le degré d’exposition aux médias. Le choix du niveau d’instruction de la femme et son exposition aux médias comme facteurs individuels de conversion tient au fait qu’ils fournissent aussi une indication sur le degré d’autonomie de la femme. À ce titre, ils peuvent constituer des moyens permettant d’étendre les possibilités réelles des femmes à recourir aux soins selon leurs préférences (c’est-à-dire si elles le désirent). De même, le niveau de vie du ménage est considéré, dans la perspective des capabilités comme un facteur de conversion mais au niveau méso ou familial.

Pour ce qui est des aspects contextuels, deux groupes de variables sont utilisés.

Les ressources du contexte sont mesurées par la région, le milieu de résidence et le ratio centres de santé pour 10 000 habitants dans chaque commune. Le second concerne les niveaux de développement humain et socioéconomique locaux qui renvoient aux degrés de concentration de la population féminine éduquée (ayant au moins le niveau secondaire) et vivant dans les 20% des ménages les plus riches du pays dans chaque commune. Tout comme le ratio de centre de santé, les niveaux de développement humain et socioéconomique sont calculés et agrégés par commune à partir des données du recensement de 2009 réalisé presque la même année que l’enquête MICS (2009-2010). Ces trois indicateurs sont ensuite ajoutés au fichier de données de MICS pour obtenir des indicateurs agrégés au niveau commune qui est l’unité géographique que nous utilisons dans les analyses multiniveaux plus bas. Nous avons indiqué, dans le chapitre quatre, comment ces différents indicateurs ont été construits et recodés de manière à avoir des variables de type ordinale (faible, moyen et élevé). Dans nos analyses, les niveaux de développement humain et socioéconomique sont considérés comme des facteurs collectifs de conversion. Ainsi, les facteurs individuels de conversion influencent l’accès aux ressources du contexte qui est aussi modulé par les différences géographiques de développement socioéconomique et humain. Ces principaux indicateurs utilisés comme moyens d’extension ou de limitation des possibilités réelles de recours aux soins sont contrôlés pour l'âge de la femme, l’appartenance à un groupe ethnique, l’éducation du chef et son sexe.

6.2 Facteurs associés au recours aux soins de santé