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Déficit de documentation des effets du niveau de développement

Chapitre 2. Problématique de la santé maternelle au Mali dans un

2.2 Cadre conceptuel et thématiques de recherche pour mieux comprendre

2.2.1 Déficit de documentation des effets du niveau de développement

tendances du recours aux soins de santé maternelle au Mali

Comme en témoigne la situation sanitaire du Mali, d’énormes défis restent à relever en matière de santé maternelle. Moins de la moitié des femmes enceintes vont régulièrement en consultation prénatale (moins de quatre visites) et plus du tiers d’entre elles accouchent sans assistance d’un personnel de santé (médecin, infirmières, sages-femmes, matrone) en 2013. C’est ce qui explique d’ailleurs que le niveau de mortalité maternelle reste un des plus élevé au monde avec 368 décès pour 100 000 naissances vivantes. Cependant, si des défis restent à relever en matière d’accès aux services de santé maternelle, force est de reconnaitre que des progrès sont en train d’être accomplis même si ces progrès restent insuffisants. Ces dernières années, on observe dans l’ensemble, une hausse du niveau de consultations prénatales et d’accouchements assistés. Au Mali, la proportion de femmes enceintes qui n’ont pas été en consultation prénatale était de 51 % en 1996, 47 % en 2001 et est descendue à 28,3 % en 2013 en passant 30 % en 2006. De 41 % en 2001, le taux d’assistance à l’accouchement est passé à 49 % en 2006 pour atteindre 74,2 % en 2013 (EDSM-V, 2012-2013).

Le rôle de l’offre de service de santé et plus globalement du système de santé dans l’amélioration de l’état de santé des populations est plus ou moins documenté. Mais l’effet des changements dans la structure socioéconomique de la population sur le niveau national de recours aux soins reste quasiment inexploré. En effet, la plupart des recherches sur les questions de santé maternelle, comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, se focalise sur l’étude des déterminants du recours ou non aux soins. Les facteurs d’utilisation ou de non utilisation des services de santé pendant la grossesse et au moment de l’accouchement sont relativement connus car amplement abordés dans la littérature. Mais très peu d’études s’intéressent à la compréhension des sources de l’amélioration du niveau de recours aux soins chez les femmes enceintes et

parturientes, excepté comme nous l’avons signalé quelques-unes portant sur l’évaluation d’impact des programmes et politiques de santé.

Certes l’éducation de la femme et le niveau de vie des ménages ressortent dans presque tous les travaux comme prépondérants au suivi prénatal et à l’accouchement assisté par un personnel qualifié (Van Eijk et al., 2006 ; Gabrysch et al., 2011 ; Omer et al., 2014 ; Furuta et Salway, 2006, etc.). Cependant, il reste que très peu d’entre eux ont cherché à identifier la contribution des changements liés à l’accroissement global des niveaux de vie et d’instruction sur les tendances d’utilisation des services de santé maternelle. Selon Canning et al. (2015), la réduction de la fécondité totale de la femme induite par la hausse d’une année supplémentaire de scolarisation est inférieure à celle due à l’amélioration moyenne de la scolarisation dans nombre de pays en développement. Cela suppose que le changement observé à un niveau agrégé produit un effet plus important que celui au niveau individuel. Ceci est un argument valable pour explorer la contribution des changements de la structure socioéconomique de la population féminine dans les tendances récentes du niveau national de recours aux soins.

L’examen de la contribution du changement de structure de la population féminine, et donc de l’amélioration de leur niveau de développement socioéconomique et humain, est d’autant plus pertinent que les conditions de vie des populations changent et celles des femmes avec. L’accès à l’instruction des femmes s’améliore dans bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne. Il est vrai que l’école malienne demeure encore confrontée à la persistance des inégalités de genre en matière d’éducation à tous les niveaux d’enseignement. Bien que l’instruction soit considérée comme un droit, l’école malienne reste moins accessible aux filles. Les décisions d’inscrire un enfant à l’école se font encore souvent en favorisant les garçons. Les inégalités entre filles et garçons déjà importantes au premier cycle de l’enseignement, s’accentuent au second cycle et aux niveaux supérieurs. C’est ce qui explique le fait que beaucoup moins de femmes que d’hommes savent lire et écrire. Le taux d’alphabétisation est presque deux fois inférieur à celui des hommes (parité F/H de 0,49 en 2015) (Banque Mondiale, 2016 ; UIS, 2016). Malgré cet accès limité des filles à l’école par rapport aux garçons, il faut toutefois souligner que le développement de la scolarisation au cours des dernières années a permis d’augmenter le nombre relatif de filles scolarisées. Selon les statistiques de l’UNESCO, un peu plus de la moitié (52,5

%) d’entre elles sont scolarisées en 2015 contre seulement un peu plus d’un tiers en 1999 (36,8 %). De plus, les écarts filles-garçons s’amenuisent peu à peu surtout dans l’enseignement fondamental comparée, à la situation d’avant les années 1990, période durant laquelle l’accès à l’école des filles était inférieur de 30 % par rapport à celui des garçons et il était deux fois plus faible pour l’entrée dans le secondaire (Keïta et Konaté, 2003).

Par conséquent, on assiste à une augmentation progressive du niveau d’alphabétisation des femmes comme cela est illustré sur la figure ci-dessous. La proportion des femmes, âgées de 15 ans ou plus qui savent lire et écrire dans une langue quelconque, a presque doublé entre 1998 et 2015 passant de 12 % à 22 %. Selon la même source, près de la moitié (49,4 %) des femmes âgées de 15 à 24 ans savent lire et écrire dans une langue quelconque. Cela signifie que

les nouvelles générations ont plus accès à l’éducation. C’est partant d’un tel constat que Locoh et Mouvagha-Sow (2005 : page 16) soulignent que « la scolarisation, en hausse constante depuis les indépendances, "livre" de nouvelles générations d'adultes alphabétisés, mieux armés que leurs parents mais aussi porteurs d'aspirations et exigences nouvelles pour eux-mêmes et leurs enfants. Il y a maintenant une majorité de personnes alphabétisées dans les villes, moins les femmes que les hommes, mais la différence va en s'atténuant ».

Figure 2.6 : Tendances du taux d’alphabétisation des femmes de 15 ans ou plus

Source : Institut de statistique de l'UNESCO (UIS, 2016), http://data.uis.unesco.org

Le développement de la scolarisation des filles et de l’alphabétisation des femmes s’associe à une urbanisation de la population (augmentation de la proportion de la population urbaine de 28 % en 1999 à 40 % en 2015, annexe 2.1)

Ces différents changements, décrits ci-dessus, se traduisent par un certain nombre de modifications des comportements sociodémographiques parmi lesquels on peut citer l'augmentation de l’âge au mariage et la sexualité prémaritale. En effet, les rapports sexuels exclusivement dans le cadre du mariage10, alors valorisés surtout en Afrique de l’Ouest dont le Mali notamment

10 Au Mali, comme partout dans la plupart des sociétés d’Afrique sub-saharienne, le mariage demeure encore le cadre privilégié de la procréation à laquelle la société attache une valeur particulière. Dans ces sociétés, le modèle traditionnel de régulation de la sexualité privilégie une entrée précoce des femmes dans la vie conjugale (Bozon, 2003).

Ce modèle traditionnel d’entrée dans la vie sexuelle a longtemps régi les sociétés africaines et le mariage précoce des filles figure parmi les mécanismes de contrôle social destinés à mieux canaliser la sexualité des adolescentes pour éviter ou minimiser les rapports sexuels avant le mariage (Delaunay et Guillaume, 2007 ; Rossier et al., 2013).

chez les filles, tendent à s’estomper avec une augmentation de la sexualité prémaritale ainsi que les grossesses et naissances préconjugales comme l’avaient signalé Locoh et Mouvagha (2005). De nombreuses études évoquent cette tendance à la sexualité avant l’union comme le résultat du recul de l’âge au mariage constaté dans nombre de pays en développement et la baisse des mariages arrangés entre familles (Vimard, 1993 ; Garenne et Zwang, 2004 ; Bozon et Hertrich, 2004 ; Locoh et Mouvagha, 2005 ; Hertrich, 2006 ; Delaunay et Guillaume, 2007 ; Sauvain-Dugerdil et al., 2008 ; Zwang et Garenne, 2009).

Ce constat est aussi valable au Mali où l’âge médian aux premiers rapports sexuels (17 ans pour les femmes de 25-49 ans) est plus précoce que l’âge médian d’entrée en première union (18 ans). De surcroit, l’âge médian aux premiers rapports sexuels passe de 18 ans à 17 ans des générations les plus anciennes (45-49) aux plus récentes (25-29). Cette tendance à retarder l’entrée en union serait en partie imputable au développement de la scolarisation. Dans une étude menée auprès de jeunes maliens, Sauvain-Dugerdil et al. (2008) montrent que le premier rapport sexuel et la maternité ont lieu un peu plus tard chez les femmes d’un niveau d’éducation plus élevé. Les conclusions similaires sont obtenues dans notre article " Genre et sexualité prémaritale des jeunes au Mali : effets de configurations familiales, d’urbanisation ou individuels ?" (À paraitre) et sont aussi corroborées par les résultats de l’EDS de 2013. Ces derniers mettent en exergue une forte association entre le niveau d’instruction et le recul de l’âge médian des femmes à la première union : de 17,8 ans quand elles n’ont pas d’instruction, il passe à 17,5 ans quand elles ont un niveau primaire et à 21,6 ans quand elles ont un niveau secondaire ou plus.

D’autres recherches, cependant, attribuent ces changements de sexualité préconjugale à l’affaiblissement du contrôle social des ainés sur les plus jeunes, qui était alors, une des caractéristiques essentielles des sociétés africaines. C’est le cas de l’étude menée par Hertrich (2001) dans une population rurale du Mali (villages étudiés, Kwara et Sirao). Celle-ci montre un déclin du contrôle social sur les jeunes ainsi que le contrôle familial dans le processus de mise en place des unions, qui selon l’auteur, sont fortement associés aux modifications des relations entre les générations et aux migrations vers les villes.

Tous ces changements démographiques et socioéconomiques, évoqués ci-dessus, ont probablement un effet sur le niveau de recours aux soins. Les progrès en matière de recours aux soins de santé maternelle sont, certes en partie, dûs aux programmes de santé mais peuvent provenir aussi d’autres sources et en premier lieu d’une augmentation des effectifs relatifs, agrégés au niveau macro, des femmes ayant un capital humain élevé ou vivant dans une meilleure condition.

Selon les auteurs, la sexualité des jeunes femmes avant le mariage est mal vue et peu acceptée par la société sauf dans certains groupes culturels où la sexualité prémaritale est moins ou pas prohibée. Ainsi, les femmes maliennes entrent en union à un âge très précoce : parmi les femmes âgées de 25-49 ans, un cinquième (20%) était déjà en union avant d’atteindre l’âge de 15 ans ; la moitié d’entre elles (50%) l’étaient avant 18 ans et un peu plus de quatre cinquièmes d’entre elles (89%) vivaient en union avant 25 ans. Cette pratique est plus marquée en milieu rural où les femmes se marient plus tôt que celles du milieu urbain (âge médian de 17,7 ans contre 19 en milieu urbain).

Il s’agit, non pas d'une amélioration des pratiques au niveau individuel mais d’un effet additif agrégé de l’amélioration de l’éducation des femmes et des conditions socioéconomiques de leurs ménages sur les tendances actuelles du recours aux soins, qui est totalement ignorée dans la littérature. Cet effet de structure démographique dans l’augmentation du niveau global de recours aux soins est une piste que nous allons explorer dans le cadre de cette thèse, et qui agit indépendamment des différences bien connues de recours aux soins en fonction du statut socioéconomique de la femme.

2.2.2 Comprendre les inégalités géographiques importantes de recours