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Mode d’infuence du contexte sur les comportements individuels

Chapitre 1. Revue de la littérature relative aux inégalités de recours aux

1.5 Mode d’infuence du contexte sur les comportements individuels

Dzewaltowski et ses collaborateurs (2002) utilisent la Social Cognitive Theory (SCT), en tenant compte des facteurs contextuels, pour montrer comment une nouvelle intervention peut susciter une acceptation et une participation plus élevée da la population cible. Partant d’une hypothèse de réciprocité triadique entre un individu, son environnement et son comportement, les auteurs offrent un cadre de développement d’une intervention ciblant à la fois les cognitions individuelles et les facteurs environnementaux considérés comme médiateurs potentiels du changement de comportement de santé. À cet effet, ils mettent en avant quatre modes d’influence du contexte social. Le premier concerne la connexion qui renvoie au sentiment de se savoir intégré dans une communauté.

Cela rejoint un peu le concept d’efficacité collective de Sampson et ses collègues (1999) qui suggère l'activation des liens sociaux pour atteindre des attentes communes, par exemple celles liées au recours aux soins. Ce sentiment de connexion et d’appartenance à un groupe est important car les personnes qui se sentent isolées ne vont pas participer ou adhérer à une nouvelle intervention visant à améliorer leur santé. Un second mode d’influence du contexte est constitué par ce que les auteurs appellent l’autonomie contextuelle. Par cette notion, ils se réfèrent à un environnement social ou physique ne faisant pas obstacle aux initiatives individuelles, c’est-à-dire un milieu social ou physique qui n’entravent pas les libertés d’actions et de choix des individus. Par exemple, si les femmes vivent dans un milieu qui restreint leur autonomie ou qui ne leur offre pas la liberté de leurs actions, il serait très difficile pour ces dernières de recourir librement aux soins sans aucune influence de l’entourage familial ou social. Les deux dernières voies par lesquelles le contexte influence les comportements individuels considérés par Dzewaltowski et al (2002) sont les facteurs d’acquisition des connaissances et les normes sociales du groupe en matière de recours aux soins.

Outre ces d’influence mentionnés ci-dessus, l’environnement économique et la disponibilité des services sont aussi importants. Ainsi, les influences du contexte sur les comportements de recours aux soins maternels doivent être recherchées aussi bien dans sa dimension physique (offre de services de santé, possibilités économiques) que socio-culturelle pour mieux comprendre la problématique d’accès et de recours aux services de santé dans les pays africains (Adjiwanou, 2014).

Dans les paragraphes qui suivent, nous développons les diverses façons par lesquelles le contexte social peut influencer les décisions individuelles de recours aux soins, en distinguant celles ayant trait aux interactions sociales, de celles relatives à la diffusion des connaissances et valeurs.

1.5.1 Influence des réseaux ou interactions sociales sur le recours aux soins

Les modes d’influence du contexte sont explicités dans des travaux pionniers traitant de la théorie de la désorganisation sociale (Shaw et McKay 1942 cité par Adjiwanou, 2014), de l’efficacité collective (Sampson et al. 1997 ; Sampson et al.1999) et du capital social (Coleman, 1988 et 1990). La théorie de désorganisation sociale, contrairement à celle relative à l’efficacité collective, se rapporte à l’incapacité d’une société à maintenir un contrôle social effectif sur ses membres, dans le sens de la réalisation des valeurs qui leur sont communes. Ce dysfonctionnement social conduirait à la délinquance qui affecte négativement le cadre de vie des populations. Quant aux travaux de Coleman (1990), ils mettent en évidence l’influence des interactions sociales entre les individus au sein des réseaux sociaux sur leurs comportements à travers le capital social. Les effets du capital social généré par les relations sociales ont été mis en évidence par Kawachi (2001) et repris par Bouchard et ses collègues (2006). Le capital social contribue aux changements de comportements en matière de santé à travers la diffusion de l’information, favorise l'accès aux soins de santé par une mobilisation plus grande des communautés à améliorer leur qualité et leur disponibilité et enfin, il produit des ressources psychosociales (soutien moral, affectif et instrumental) favorables à la bonne santé.

Dans la recherche épidémiologique, certains auteurs traitent de l’effet des interactions sociales en tant que ressources améliorant la santé et réduisant la mortalité (House et al., 1988 ; Kaplan et al.,1988 ; Orth-Gomer et Johnson, 1987 ; Welin al., 1985, etc.). Ce lien entre les relations sociales et la santé ressort dans plusieurs travaux récents. C’est le cas de Peretti-Watel (2006) qui étudie le rôle des relations interpersonnelles sur le maintien de la bonne santé des personnes en situation de précarité en France métropolitaine. Il arrive à la conclusion que les personnes ayant des contacts plus fréquents avec la famille, les proches et les connaissances s’estimaient plus souvent en bonne santé. "L’isolement relationnel" apparaît aussi comme un obstacle à la demande de soins dentaires chez ces personnes. Selon l’auteur, les liens sociaux avec les proches leur procurent de la protection, aide à la prise en charge des pathologies chroniques les concernant et renforcent leur estime de soi.

Une étude, portant sur les hommes et femmes britanniques âgés de 16 à 54 ans et réalisée par McCulloch (2001), montre qu’un faible capital social est associé à une morbidité psychiatrique et physique plus élevée. Aux États-Unis, l’acquisition d’un capital social important (confiance réciproque, participation à des associations bénévoles) constitue un facteur important de baisse de la mortalité (Kawachi et al., 1997 ; Lochner et al., 2003) et d’une meilleure santé (Kawachi et al., 1999 ; Subramanian et al., 2002). De même, le suivi d’une cohorte (exclusivement des hommes) sur une durée de quatre ans aux Etats-Unis a permis à Kawachi et ses collaborateurs (1996) d’examiner le rôle des réseaux sociaux sur l'incidence des maladies cardiovasculaires. Les hommes qui avaient des réseaux sociaux plus forts en termes de taille et de densité (plus d’amis ou de parents, adhésion à des groupes religieux ou communautaires) couraient moins de risques de mortalité par maladie cardiovasculaire. Ceci confirme un résultat similaire obtenu par Kaplan et ses collègues (1988) en Finlande. Par

ailleurs, Reynolds et Kaplan (1990) dans une étude portant sur des hommes et des femmes suivis pendant 17 ans en Californie, montrent que les femmes isolées socialement sont celles qui courent plus de risques de mourir d’un cancer.

1.5.2 Régulation des comportements individuels par la diffusion des connaissances et valeurs

Le processus de diffusion des valeurs dans une société est abordé par certaines études portant notamment sur la transition de la fécondité (Montgomery et Casterline 1993, 1996, 2001 ; Casterline 2001 ; Carley, 2001, etc.). Cette diffusion des valeurs avait été avancée comme une des raisons de la baisse de la fécondité en Occident (Bongaarts et Watkins, 1996). En effet, l'entourage social influence les attitudes et choix personnelles et favorise l’adoption de nouveaux comportements. Selon Carley (2001), les informations dont dispose l'individu, ses prises de décisions, ses croyances et sa conviction sont toutes influencées par le réseau social auquel il appartient. C’est aussi ce que montrent Montgomery et al (2001) dans le contexte du Ghana où l'adoption de la contraception moderne est fortement affectée par les attitudes et comportements reproductifs des partenaires du réseau social. Ce phénomène de "contagion sociale", selon la dénomination des auteurs, est également observé par Kohler et al (2001) au Kenya. Ces derniers montrent que, plus les femmes sont intégrées dans des réseaux au sein desquels la contraception est fortement utilisée, plus elles sont enclines à utiliser les méthodes modernes de contraception.

La littérature traitant de l’effet des interactions sociales au sein des réseaux interpersonnels, fait ressortir l’influence sociale, l’apprentissage social et le soutien social comme facteurs d’influence des attitudes et comportements reproductifs. Montgomery et Casterline (1996) mettent l’accent sur le rôle important de l’apprentissage social et de l’influence sociale. Selon eux, la diffusion des connaissances, attitudes et comportements, à travers des interactions sociales, se fait principalement par ces deux mécanismes. L'apprentissage social désigne l'acquisition de nouvelles informations à travers les contacts avec d’autres personnes (ami, parents, collègues, etc.). Les individus, membres d’un groupe social, interagissent entre eux. Et l’information détenue par les uns, les choix qu’ils font et les résultats qui en découlent peuvent plus ou moins influencer les comportements et attitudes des autres membres du groupe. Ce type d’influence peut apparaitre particulièrement important pour la diffusion des nouveaux comportements tels que l’utilisation des produits contraceptifs modernes. L’acquisition des informations à travers l'interaction sociale peut moduler les choix et comportements des personnes face à un phénomène donné.

Les liens entre les individus au sein des réseaux sociaux constituent des canaux importants de diffusion des comportements démographiques novateurs.

L’apprentissage social, décrit ci-dessus, se fait généralement de manière interpersonnelle c’est-à-dire que les informations proviennent des acteurs d’interactions au sein du groupe social. Mais celui-ci peut se réaliser aussi de façon impersonnelle et, dans ce cas précis, les informations proviennent de sources impersonnelles telles que les médias de masse, les marchés ou d'autres structures sociales agrégées (Nouhou, 2016). Même dans ce cas où l’information

provient d’une source impersonnelle, elle est souvent transmise et évaluée par une interaction sociale plus poussée (Hornik et McAnany 2001).

Le processus de diffusion susmentioné, c’est-à-dire l’apprentissage social, se ferait par le biais d’un groupe pionnier ayant facilement accès à une innovation.

« As regards fertility control, we define the essence of diffusion by the following : diffusion exists when the adoption of innovative ideas (and corresponding behaviour) by some individuals influences the likelihood of such adoption by others » (Montgomery et Casterline, 1993 : page 458). Faisant référence au contrôle des naissances, les auteurs font remarquer que cette diffusion se produirait dans trois situations différentes : un contexte où les individus manquent d'informations sur la disponibilité des nouvelles méthodes contraceptives, où subsiste une incertitude sur les bénéfices et coûts liés au contrôle des naissances, et où des sanctions pourraient s'appliquer à tout contrevenant aux pratiques habituelles ou aux normes sociales du groupe (Nouhou, 2016). De même, dans la théorie de diffusion selon Rogers (1995), on distingue les personnes qui adoptent plus facilement un nouveau comportement ou une innovation de celles qui prennent du temps pour y adhérer. Les premiers individus concernent les « innovators » et les « early adopters » qui sont prompts à adopter un comportement novateur en raison de leur niveau d’éducation, leur statut social, leur autonomie et l’activation de leurs réseaux (Adjiwanou, 2014 ; Aboud et Singla, 2012).

Ensuite, il y’a ceux que Rogers (Op. cit.) qualifie de « late adopters » qui ont besoin d’être rassurés que les changements, adoptés par les premiers, n’ont pas de conséquences néfastes avant de s’y engager. Et enfin, les « laggards » peuvent être réfractaires à toute idée de changement et sont habituellement lents à adhérer à une idée novatrice.

Quant à l'influence sociale, elle se réfère, plus globalement, aux contraintes des normes émanant d'une autorité sociale. Définies comme la compréhension collective des comportements acceptables et inacceptables, ces normes sociales constituent un mécanisme important de maintien des contraintes sociales. « As individuals consider innovative choices, they may find that various groups, institutions, or local elites are positioned either to facilitate or to constrain the adoption of those choices » (Montgomery et al, 2001 : page 4). Autrement dit, l'influence sociale résulte du sentiment de se conformer impérativement à certains acteurs sociaux considérés comme la référence. Ce type d’influence sociale représente la "norme subjective" dans la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991). Elle n’est rien d’autre que la pression sociale, positive ou négative, qui détermine en partie les intentions individuelles et la perception de ce que les autres veulent qu'on se comportent façonne aussi ces intentions. C’est fort de ce constat que Rossier et Bernardi (2009) soutiennent que les mécanismes d’influence, d’apprentissage et de soutien sociaux sont pris partiellement en compte notamment par le concept de "norme subjective" dans le cadre de la théorie du comportement planifié. Cette influence sociale sur le recours aux soins, à travers les normes et croyances du groupe, a été largement traité plu haut (point 1.2.5. Normes et croyances).

Outre l’apprentissage social et l’influence sociale, certains auteurs évoquent le soutien comme un facteur d’influence des intentions et comportements individuels en matière de fécondité. L’effet du soutien social à travers les relations

interpersonnelles d’échange de biens et de services entre les membres d’un réseau a été étudié par Bühler et Philipov (2005) dans le contexte de la Bulgarie.

Ils montrent l’importance positive du soutien social des parents sur les intentions des femmes à avoir des enfants. Ainsi, le soutien à travers des relations intergénérationnelles est source de capital social qui aide à réduire les coûts directs et indirects d'avoir des enfants surtout dans des contextes où il existe peu de services de garde d'enfants formels. Un résultat similaire a été obtenu en Pologne où l'intention d'avoir un deuxième enfant augmente avec une probabilité plus élevée d'avoir accès au capital social lié à ce type de soutien social (Bühler et Fratczak, 2007).