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G - La nécessité de mieux prendre en compte l’expérience des utilisateurs

Avec le développement des méthodes agiles, l’expérience des utilisateurs apparaît mieux prise en compte et permet de passer de la notion de « projet informatique » à la gestion d’un

« service public numérique ». Après mise en service, une évaluation transparente de la satisfaction des utilisateurs des services et applications apparaît nécessaire.

1 - Une dimension en progrès

Comparé au programme Cassiopée, qui a très longtemps laissé entièrement de côté les attentes des utilisateurs, l’analyse de projets plus récents montre que cette préoccupation n’est plus ignorée par les porteurs des grands projets.

115 « Lorsque les idées sont mal appliquées, elles créent souvent la confusion et entraînent plus de travail à faire en peu de temps. Cela augmente par conséquent la pression au sein de l’équipe. Cet état de chose n’est pas toujours bénéfique ni pour les développeurs ni pour l’entreprise. Car cela entraîne plus d’erreurs et les objectifs sont de moins en moins atteints. Cette situation fait que plusieurs développeurs démissionnent de leur poste et l’entreprise devient à coup sûr moins efficace qu’avant que les méthodes agiles ne soient adoptées. […] Ce n’est pas les méthodes qui sont en cause, mais plutôt la manière dont elles sont appliquées. Les développeurs devraient adopter les principes de base du Manifeste agile indépendamment d’un framework ou d’une méthode dans le développement d’application comme cela était pensé initialement par les signataires du Manifeste ». Ron Jeffries, un des signataires du Manifeste agile. Le 19 mai 2018 à 12:10, par Bill Fassinou

À l’occasion d’un récent contrôle du service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure116, la Cour des comptes117 relevait l’existence de groupes utilisateurs référents. Ces groupes ont ainsi étayé l’impossibilité de doter les services de police et de gendarmerie d’une application commune pour la rédaction des procédures, si ces dernières restaient différentes. Ils ont permis de mettre au point des statistiques sur la délinquance dans les délais fixés ou de travailler à la dématérialisation du registre des mains courantes.

Le programme Anef porté par la direction générale des étrangers en France s’attache à prendre en compte les attentes des utilisateurs, malgré les difficultés rencontrées. La nouvelle application déployée en préfecture à partir de 2016 pour gérer les procédures applicables aux demandeurs d’asile a fait l’objet d’un examen par la Cour des comptes dans le cadre d’une enquête consacrée à l’entrée et au séjour des personnes étrangères en France. À cette occasion, les témoignages d’agents des services de préfecture visités sont positifs. Notamment sont particulièrement appréciées l’ergonomie du nouvel applicatif, la possibilité de disposer de rapports statistiques en temps réel, la réactivité des équipes en charge du développement et du déploiement, qui permet une prise en compte rapide des signalements d’anomalie et des propositions d’amélioration faites par les utilisateurs.

Le programme France Visa, qui organise la dématérialisation complète de la demande de visa, a procédé, selon la logique agile, par tests successifs de bêta-versions, auprès de petits groupes d’usagers.

La conduite de certains grands projets a cependant négligé gravement la prise en compte de la satisfaction des utilisateurs ou des usagers. Ce fut le cas lors de la mise en service de la plateforme nationale des interceptions judicaires en 2016, dont le dimensionnement technique n’était pas suffisant pour répondre correctement aux besoins des utilisateurs. De même, la décision de privilégier, pour réaliser des économies budgétaires, le respect de la date de mise en service de la nouvelle application de gestion des cartes grises a créé, fin 2017, une situation durable de dégradation de la qualité du service rendu aux usagers.

Les grands projets numériques doivent prendre en compte ab initio l’expérience de l’utilisateur, que celui-ci soit un usager (le public cible) ou un acteur interne du service public (les agents publics chargés de les utiliser).

2 - Une dimension encore absente : l’évaluation de la satisfaction des utilisateurs au terme des grands projets

Le succès d’un projet numérique devrait se mesurer à titre principal par le degré de satisfaction exprimé par ses utilisateurs.

C’est d’ailleurs dans cette logique que la Dinum a créé un observatoire de la qualité des services publics et mis en ligne un tableau de bord des 250 démarches phares de l’État. Pour chacune d’entre elles, son degré de dématérialisation est évalué, ainsi que la qualité du service rendu118. L’indice de satisfaction prévu par cette évaluation est construit à partir d’un recueil

116 Service qui développe des applications pour les forces de police et de gendarmerie.

117 Cour des comptes, Le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (STSI²) du ministère de l’intérieur, observations définitives, 2018.

118 Qualité du support aux usagers, possibilité de s’identifier via FranceConnect (cf. chapitre 3, II), accès au service par smartphone, disponibilité et temps de réponse du service en ligne, indice de satisfaction des usagers.

de l’avis des usagers, auxquels le service doit proposer en ligne un « bouton »

« JedonneMonAvis », afin de lui permettre d’exprimer un avis sur le service offert, au terme de l’utilisation qu’il en aura eue.

Une telle démarche d’évaluation n’existe pas pour les grands projets. Mesurer la satisfaction des utilisateurs ou des usagers n’est possible qu’au terme du projet, ou a minima après des premières mises en service.

Les ministères ont indiqué majoritairement que des retours d’expérience étaient faits sur les projets. Ces exercices de retour d’expérience devraient être généralisés et comporter systématiquement une évaluation de la satisfaction des usagers, selon une méthodologie à préciser par la Dinum. Cette dernière serait alors en situation de compléter le panorama des grands projets pour fournir des synthèses des retours d’expérience, avec une attention particulière portée sur la satisfaction des usagers.

___________________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________________

L’examen des grands projets, en cours ou conduits jusqu’à présent, ne montre pas d’évolution sensible dans leurs méthodes. Les projets restent nombreux et longs. Les contraintes de ressources budgétaires et humaines conduisent, par défaut d’arbitrages entre les projets, à étirer leur durée, à l’inverse de ce qui serait souhaitable. Des projets majeurs sont engagés sans que les ressources humaines internes soient suffisantes.

Les procédures d’avis et d’audit, conduites avec professionnalisme par la Dinum, sont le plus souvent utiles. Elles interviennent cependant tardivement dans le déroulement des projets.

Pour les plus grands d’entre eux, l’intervention de la Dinum ne permet pas de reconsidérer en profondeur leurs objectifs et leur structure. Le rôle de la Dinum lors des phases préalables des grands projets doit être renforcé. La Dinum souhaite privilégier dans un premier temps une démarche collaborative, axée sur la persuasion, lors des phases préalables. Si cette approche n’était pas suffisante, elle pourrait envisager d’intervenir de manière obligatoire.

Les trajectoires de mise en œuvre de certains de ces très grands projets ne sont pas encore suffisamment construites autour de jalons correspondant à des mises en service de modules autonomes.

Les bonnes pratiques de conduite de projet peinent à s’installer. L’intérêt de la désignation d’un responsable unique de projet n’est pas toujours bien compris. Le rôle pourtant utile de parrain de projet est ignoré. Malgré le développement remarquable des méthodes agiles, le pilotage par les délais n’est pas non plus un mode de conduite privilégié, en dépit de l’intérêt qu’il présente pour concilier la satisfaction des usagers et des utilisateurs et la maîtrise de la durée des projets, donc des budgets. Pour marquer la nécessité de placer l’association des utilisateurs et des usagers comme un élément central, des évaluations de leur satisfaction doivent être intégrées au panorama des grands projets.

En conséquence, la Cour formule les recommandations suivantes :

1. prévoir une intervention systématique de la Dinum dans les phases d’études préalables pour les projets susceptibles de dépasser une cinquantaine de millions d’euros de coûts prévisionnels (Premier ministre) ;

2. ne prévoir aucun grand projet numérique dont la réalisation dépasserait cinq ans, sauf à obtenir un avis dérogatoire de la Dinum dans le cadre de la procédure d’avis conforme ; 3. s’engager dans une démarche de simplification des procédures et de la réglementation

préalablement au lancement des projets numériques d’ampleur, en adaptant notamment les calendriers des projets et les calendriers réglementaires et législatifs pour les mettre en cohérence (secrétaires généraux et directions « métier » des ministères) ;

4. s’assurer pour chacun des grands projets de la désignation d’un responsable unique ayant autorité pour prendre les décisions et les faire appliquer par l’ensemble des équipes engagées dans le projet (secrétaires généraux des ministères, Dinum) ;

5. privilégier un pilotage par les délais en structurant les projets autour de jalons courts, correspondant à un apport de valeur et de fonctionnalités aux utilisateurs du service numérique (secrétaires généraux des ministères) ;

6. respecter les ratios minimaux de ressources humaines internes nécessaires au pilotage et à la réalisation des projets (secrétaires généraux des ministères) ;

7. intégrer dès la conception des projets numériques, et tout au long de leur développement, les besoins des utilisateurs (usagers et agents) et évaluer systématiquement leur satisfaction (Dinum, secrétaires généraux des ministères).

Chapitre III

Une supervision à renforcer, des mutualisations

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