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C - L’analyse financière des grands projets numériques, une information souvent partielle, rarement contre-expertisée, et peu utilisée

L’État connaît mal ses dépenses informatiques et montre des faiblesses dans les prises en compte comptables. Cependant la méthode interministérielle Mareva préconisée par la Dinum permet d’approcher le coût complet y compris de main d’œuvre interne. Les analyses de rentabilité, ou au moins les retours d’expérience financiers des projets, doivent être systématisés.

Pour autant, le retour sur investissement n’est bien sûr pas la seule raison pour engager un projet, l’apport de valeur à l’usager ou aux agents, les obligations réglementaires, l’obsolescence technique et la couverture de risques substantiels peuvent également justifier de l’engagement d’un projet. Ce critère d’allocation des fonds publics devrait toutefois permettre d’interclasser des projets de nature semblable.

1 - La mise en évidence utile des coûts de main d’œuvre internes

La Dinum préconise l’utilisation de la méthode interministérielle Mareva 263 pour l’évaluation financière et stratégique des projets numériques significatifs. Cette méthode, initialement utilisée pour seulement 84 % des projets en novembre 2016, l’était désormais à 98 % dans les projets suivis dans le panorama de la Dinum de septembre 2019. Y sont décrits les coûts complets des projets, aussi bien externes (prestations d’assistance à maîtrise d’œuvre ou d’ouvrage, matériels, licences), qu’internes (principalement les frais de personnel interne) pour établir un coût complet. Ceci rend possible les comparaisons entre l’ensemble des ministères, dont les moyens internes diffèrent sensiblement.

Le principal apport de cette méthode est la présentation en coût complet, y compris frais de personnel. En effet, les ministères avaient et ont toujours trop souvent tendance à présenter leurs seuls coûts budgétaires d’achat de prestations externes64 en négligeant les coûts internes correspondants aux rémunérations des agents publics intervenant dans la conduite et la réalisation du projet. Or, la part d’externalisation, si elle est importante, voire excessive, ne résume pas à elle seule le coût des grands projets : un quart de leur valeur, en moyenne, est constitué de ressources internes.

Une autre particularité de la méthode est d’ajouter au coût d’investissement deux années moyennes de « fonctionnement » au sens des frais de maintien en condition opérationnelle.

Cette convention permet d’apprécier notamment le coût d’exploitation de solutions qui peuvent s’avérer coûteuses en correction d’anomalies (« bogues »), maintenance ou évolutions.

Une table tenant compte de l’évolution moyenne des rémunérations de la fonction publique permet d’évaluer les frais internes de personnel, ainsi que les gains éventuels par catégorie résultant des suppressions de postes rendues possibles par le projet. Cette table de coûts standards de frais de personnel peut être personnalisée selon le ministère ou le type de service et permet de pallier l’absence de ventilation analytique dans Chorus, déjà relevée par la Cour dans sa communication à l’Assemblée nationale en avril 201965.

Par ailleurs, Mareva 2 sert également de support à l’évaluation des charges de développement pour les dossiers de demande de co-financement.

2 - L’insuffisante prise en compte des analyses de rentabilité des projets

L’adoption de Mareva a permis d’uniformiser les méthodes de présentation de la trajectoire financière d’un projet, découpée par année d’engagement, et de dégager les indicateurs financiers (valeur actuelle nette, taux de retour sur investissement et délai de retour66) permettant d’évaluer, par déduction des gains et coûts du projet actualisés au taux

63 La Méthode d’Analyse et de REmontée de la Valeur permet, dans son volet financier, d’établir la valeur actuelle nette (VAN), le taux de rendement interne (TRI) et le délai de retour (DR) d’un projet. Sous forme d’un fichier au format tableur, cette méthode recense les coûts et les gains d’un projet en distinguant coûts directs, coûts indirects, coûts de fonctionnement de l’existant et de la cible, gains par nature attendus. Elle est obligatoirement utilisée pour la constitution des dossiers des projets soumis à l’avis conforme de la Dinum.

64 Assistance à maîtrise d’ouvrage et d’œuvre, licences, formation ou matériels principalement.

65 Cour des comptes, Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI. Avril 2019.

66 Voir supra.

d’intérêt en vigueur67, un éventuel retour sur investissement. La méthode permet de constater que le retour sur investissement des grands projets numériques est essentiellement lié à la perspective de réorganisations permettant des gains de productivité et des suppressions de postes. Les gains liés à la dématérialisation (réduction des coûts d’affranchissement postaux et d’impression) sont réels mais relativement limités. À titre d’exemple, la mise en place de la télé-déclaration d’impôt sur le revenu a dégagé des gains de productivité à hauteur de 64 ETP pour chaque nouveau million de télé-déclarants. D’autres gains peuvent être générés, notamment des économies de coût de maintenance de la nouvelle solution par rapport à l’ancienne68 ou de réduction du nombre de licences requises. Sur les 37 projets dont les études Mareva ont été communiquées à la Cour69, 63 % d’entre eux affichent un retour sur grâce aux gains de recettes fiscales, forcément élevés.

S’ajoutent également pour ce même ministère des suppressions de postes importantes, qui devront être confirmées après déploiement des projets. Les délais de retour sont toutefois assez longs (5,7 années en moyenne, peu se situant à moins de quatre ans).

Pour autant, les gains mentionnés dans les études Mareva transmises à la Dinum ne font l’objet de sa part, ni d’une lecture critique, ni d’un suivi de leur réalisation effective. Ils ne sont d’ailleurs pas mentionnés dans les fiches transmises trimestriellement par les administrations pour construire le panorama. Un suivi dans ce cadre permettrait pourtant de mesurer la réalité des gains annoncés initialement, en justification préalable à l’engagement des projets. La généralisation d’études de retour d’expérience70, courantes dans le secteur privé, pourraient aider, non seulement à la compréhension des facteurs de réussite ou d’échec d’un projet, mais également à déterminer la réalisation des gains attendus.

En réponse aux observations de la Cour, la Dinum a indiqué ne pas pouvoir procéder à une contre-expertise des coûts estimatifs et des gains attendus des projets qui lui sont soumis, ni au suivi de leur évolution, en raison des délais contraints de la phase suivant immédiatement sa saisine.

Cependant, la Cour estime que l’organisation de retours d’expérience pour analyser la réalité des coûts et des gains obtenus par rapport aux estimations initiales permettrait de confronter les prévisions et la réalisation afin de faire progresser les différents et indispensables intervenants.

67 Fixé à 2 ou 4 % par la Direction du budget.

68 Toutefois, certains projets peuvent à l’inverse entraîner des surcoûts et réduire fortement le potentiel de retour sur investissement, notamment lorsqu’ils visent à remplacer des chaînes informatiques frappées d’obsolescence technique mais peu coûteuses en maintenance.

69 Sur 84 projets déclarés à la Cour dans le cadre de son enquête auprès des DSI des ministères.

70 Selon le Cigref « la fonction SI doit […] construire les fondements d’un dialogue SI-Métiers en matière d’usage avec par exemple : […] l’instauration de revue « post-mortem » de l’impact métier des projets SI ». (Livre blanc : l’information : prochain défi pour les entreprises – Pratiques de création de valeur par les SI et leur usage : cartographie 2009).

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