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B - Les facteurs clés de succès ou d’échec

Avec des pondérations variables selon les perspectives d’analyse retenues, les mêmes déterminants sont le plus souvent présentés comme étant à l’origine des échecs ou des succès des projets, que cela soit en France pour les projets de l’administration, ou en général dans le monde quel que soit le secteur d’activité.

En 2012, la mission précitée de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’économie, de l’industrie et des technologies soulignait certains travers dans la conception et la conduite des grands projets numériques publics en France et à l’étranger, expliquant les difficultés rencontrées ultérieurement. Ainsi étaient relevées les insuffisances des phases préalables au lancement : les impacts du projet sur les organisations et les procédures de travail sont souvent ignorés ou occultés, et les études initiales menées sans approfondissements

34 CHAOS Report – The Standish Group – 2018.

suffisants de l’estimation du coût global du projet, de la trajectoire budgétaire, des bénéfices et du retour sur investissement attendus. De même était soulignée l’absence fréquente de validation par des instances qui auraient normalement dû vérifier l’alignement avec les orientations stratégiques métiers ou l’impact sur l’environnement informatique existant. Enfin, le manque de portage politique ou stratégique était noté, avec comme conséquence des conduites de projets sous un angle excessivement technique et un défaut d’équilibre entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre35. Cette situation est préjudiciable à la correcte prise en compte d’étapes essentielles de la conduite des projets telles que l’association des utilisateurs tout au long du programme, l’accompagnement du changement, la formation des futurs utilisateurs, la préparation et la sécurisation de la phase de mise en service et de déploiement des nouvelles applications, la définition préalable des responsabilités de gestion et de maintenance après la mise en service.

Les causes d’échec de projets numériques publics en Estonie

Le Bureau national d’audit de la République d’Estonie en 201936 a analysé les causes d’échec de quatre grands projets :

- Des changements de fonctionnalités ont été demandés en cours de projet ;

- Les directeurs de projet n’ont pas suffisamment pris en compte les attentes des utilisateurs ; - La coopération entre les intervenants a été insuffisante ;

- Les rôles des différents participants aux projets n’étaient pas clairement décrits ; - Les changements dans les équipes ont été trop fréquents ;

- La législation qui sous-tendait les fonctionnalités du projet a été modifiée en cours de projet ; - Les plans de développement étaient trop optimistes.

Malgré les réserves déjà indiquées, le Standish Group développe de son côté une analyse approfondie et surtout quantifiée des facteurs clés de succès des projets numériques.

Son rapport 2018 souligne l’impact, jugé primordial, des délais de décision dans la conduite des projets. L’incapacité à prendre des décisions rapides serait la cause principale des difficultés et des échecs des projets numériques. La majorité des analyses ignore généralement cette cause sous-jacente. Elles conduisent en conséquence à promouvoir, auprès des responsables de projets numériques, le renforcement des procédures et l’utilisation d’outils de pilotage, ce qui paradoxalement peut s’avérer néfaste. La priorité, selon le Standish Group, serait de privilégier la rapidité de la décision plutôt que la qualité dans l’absolu de la décision37. Les projets conduits avec une bonne gestion des délais de décision réussiraient dans 58 % des cas, contre 18 % de ceux pour lesquels la capacité à prendre rapidement des décisions est faible.

35 « Cette absence de sponsoring fort des grands programmes [se doublant] d’une recherche permanente et difficile de consensus au sein d’une comitologie complexe dont le fonctionnement conduit souvent à une emprise trop forte des aspects techniques sur les sujets stratégiques ». Inspection générale des finances et Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, Le pilotage et l’audit des grands programmes informatiques de l’État, mars 2012.

36 Cf. communiqué de presse du 11 septembre 2019.

37 « The value of the interval is greater than the quality of the decision », page 3 – CHAOS Report – The Standish Group – 2018.

L’importance de la capacité à détecter rapidement les problèmes rencontrés est également un des principaux résultats d’une étude scientifique menée en France en 2011 par l’Observatoire des projets stratégiques.38

Facteurs clés de succès des projets numériques : la vision du Standish Group L’analyse développée par le rapport CHAOS39 structure et quantifie les principaux facteurs clés de succès des projets numériques dans les secteurs publics ou privés. Sont mis en avant, par ordre décroissant, la capacité à prendre des décisions rapides, la taille du projet, la qualité du parrainage, l’agilité de la méthode de conduite, les compétences techniques et relationnelles des équipes en charge du projet.

Selon les données portant sur environ 25 000 projets conduits entre 2013 et 2017, la taille du projet40 joue un rôle majeur. Les « très grands » projets échouent souvent et réussissent rarement, respectivement dans 43 % et 4 % des cas. A l’inverse, les « très petits » projets échouent rarement et réussissent majoritairement, respectivement dans 8 % et 57 % des cas. Plus généralement, le taux d’échec est une fonction croissante de la taille. L’agilité des procédures de conduite de projet apparaît également comme un facteur central de réussite. Pour le Standish Group, 48 % des projets de toute taille conduits selon une méthode agile réussiront, contre 26 % seulement de ceux conduits selon des méthodes traditionnelles. De manière contre-intuitive, les méthodes agiles apparaissent d’autant plus performantes qu’elles servent à la conduite de projets importants : 18 % des grands projets conduits en méthode agile réussiront contre 9 % pour les projets conduits autrement. A l’inverse, pour les petits projets, les méthodes agiles n’apportent quasiment pas de bénéfice par rapport aux autres méthodes (respectivement 59 % de succès contre 56 %). L’expertise technique et surtout le sang-froid collectif des équipes en charge du projet constituent les derniers facteurs majeurs de succès. Un tiers des projets conduits par des équipes très expertes réussiront ; seulement 21 % de ceux conduits par des équipes dont l’expertise est faible réussiront. Le niveau de sang-froid collectif des équipes en charge du projet est également crucial : 42 % des projets conduits par des équipes dotées d’une forte capacité de maîtrise réussiront contre 14 % de ceux conduits par des équipes disposant d’une faible capacité de maîtrise.

L’association française de place, le Cigref41, propose également un « guide d’audit de la gouvernance du système d’information de l’entreprise numérique »42 qui, à défaut de données statistiques, comporte une synthèse particulièrement intéressante. Elle identifie notamment sept bonnes pratiques de maîtrise de réalisation des projets, qui constituent l’énoncé de véritables règles de l’art.

Les grands projets portés par les administrations centrales de l’État ont été passés en revue au regard de ces règles de l’art (cf. chapitre 2).

38 Observatoire des projets stratégiques – rapport 2011, étude recherche portée par l’école nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise, (Enssiie), l’IAE Lille et le cabinet Daylight.

39 CHAOS Report – page 2 : « Decision Latency Theory : It’s All About the Interval » – James Johnson, Chairman – The Standish Group – 2018.

40 Classés en cinq catégories de taille selon le nombre d’heures de travail : supérieurs à 100 000 heures de travail, compris entre 60 000 et 100 000 heures, entre 30 000 et 60 000 heures, entre 10 000 et 30 000 heures, inférieurs à 10 000 heures.

41 Le Cigref, association de plus d’une centaine de grandes entreprises et d’administrations publiques françaises, se donne pour mission de développer leur capacité à intégrer et maîtriser le numérique.

42Cf. https://www.cigref.fr/mise-a-jour-2019-guide-audit-gouvernance-systeme-information-entreprise-numerique-cigref-afai-ifaci-2019

La vision du Cigref : « sept bonnes pratiques de réalisation des projets »

« 1°) Les objectifs stratégiques métiers du projet sont explicites, cohérents entre eux et partagés.

2°) Le mode de gouvernance du projet est clair, partagé, légitime et reconnu.

3°) La méthode de conduite des projets est évaluée en amont en cohérence avec les autres projets et l’atteinte des objectifs escomptés. Elle doit inclure les enjeux liés à la conduite du changement.

4°) En plus de l’implication sine qua non des utilisateurs finaux, la sécurité, la conformité et le contrôle interne doivent être intégrés dès la phase de conception des SI.

5°) Des jalons réguliers sont prévus pour le suivi des dérives des objectifs, coûts, délais, faisabilité technique, exigences des métiers par rapport aux objectifs initiaux.

6°) Le projet fait l’objet de recettes techniques et fonctionnelles avant mise en production.

7°) Un bilan de fin de projet SI est réalisé et partagé. »

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