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Nécessité de la modélisation et de son couplage avec

Dans le document Réacteurs nucléaires à caloporteur gaz (Page 130-134)

l’expérimentation

Compte tenu de la complexité de ces phénomènes et de la durée, ou de la dose cumulée, pour lesquelles la prévision doit être capable d’extrapoler, la modélisation prédictive ne peut pas se contenter de l’approche phénoménologique. Pour garantir leur robustesse, les modèles doivent être fondés sur la physique et, autant que faire se peut, aux échelles où cette dernière est la plus sûre, qui est souvent, mais pas exclusive- ment, celle de l’atome, d’autant plus que les mécanismes de production et d’évolution du dommage d’irradiation sont pré- cisément produits à cette échelle.

• Il est d’abord indispensable de connaître et de prévoir les mécanismes exacts de la diffusion et de sa modification par l’irradiation : le calcul ab initio des structures électroniques donne accès aux propriétés élémentaires, structure, forma- tion, migration, des défauts ponctuels. Il a rendu possible la modélisation complète de l’autodiffusion[4]et des effets cru- ciaux des impuretés. Dans les céramiques, et notamment les isolants, les effets considérables de la stoechiométrie25, de la

Fig. 111. Diversité des modes d’endommagement primaire des céra- miques sous irradiation : simulation par dynamique moléculaire de cascades de déplacements dans deux oxydes, le zircon et l’oxyde d’uranium[3].

Fig. 112. Simulation par dynamique moléculaire d’une cascade de déplacements dans le carbure de zirconium (atomes de Zr en jaune, de C en bleu).

25. On sait, par exemple, que dans le SiC, la présence de Si libre favo- rise la diffusion des produits de fission du combustible (Cs, Sr, Ba, Eu, Ag).

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Matériaux pour le réacteur rapide à gaz : nouvelles céramiques et nouveaux alliages à la frontière des « hautes fluences »

charge électrique, des excitations électroniques ne peuvent être compris et rendus prévisibles que par ce type d’ap- proche.

• La dynamique moléculaire est l’outil de base de l’étude de l’endommagement balistique, mais son efficacité est tribu- taire de la qualité des potentiels interatomiques utilisés. Dans les isolants, en outre, l’approche ab initio, c’est-à-dire fondée sur la prise en compte rigoureuse du caractère quantique de la physique à l’échelle de l’atome, est indispensable pour trai- ter les effets électroniques, et en particulier l’endommage- ment par les particules autres que les neutrons, électrons et photons de haute énergie.

• La prévision des cinétiques d’évolution à long terme de la microstructure mentionnées ci-dessus repose sur des modèles déjà très développés et performants pour les métaux, mais dont l’application aux céramiques ne fait que commencer : méthodes Monte Carlo Cinétiques diverses (sur réseau rigide ou relaxé, sur événements, sur objets), Cinétique Chimique Homogène (ou Dynamique d’Amas), techniques de Champ Moyen, de Champs de Phases…[5]

• La compréhension et la modélisation du comportement mécanique, notamment à la suite des altérations de micro- structure dues à l’irradiation, sont, elles aussi, beaucoup plus avancées pour les métaux que pour les céramiques, mais l’approche multi-échelle partant de l’échelle atomique n’en est encore qu’à ses débuts. L’étude de la fracture devrait bénéficier grandement du développement de cette approche, comme le montre la découverte du caractère localement ductile de la rupture des verres de silicates[6]. La Dynamique des Dislocations Discrètes (DDD)[7], constitue aujourd’hui l’interface la plus robuste entre les approches atomiques (Dynamique Moléculaire) et mésoscopiques (Élé- ments Finis) du comportement mécanique des solides cris- tallins, mais elle attend encore sa mise en œuvre dans les céramiques.

La modélisation doit être étroitement couplée à l’expérimenta- tion. Outre l’acquisition des données pertinentes du compor- tement après irradiation neutronique des matériaux sélection- nés, décrite plus haut, il est indispensable de mettre en œuvre une expérimentation ciblée visant à déterminer les propriétés et comportements physiques élémentaires, de paramétrer et de valider les modèles.

L’irradiation par des particules chargées, ions et électrons, offre la possibilité de reproduire et d’analyser en détail les mécanismes d’endommagement dans des échantillons de petite taille, non activés, qui se prêtent donc à toute une gamme de mesures et d’observations depuis l’échelle ato- mique, tant in situ que ex situ. L’irradiation par les électrons crée essentiellement des défauts ponctuels isolés, alors que le bombardement par des ions produit des cascades de dépla- cements, et leur comparaison est indispensable pour discri-

miner les effets des divers types de défauts. Le microscope électronique à 1 MV du Département des matériaux pour le nucléaire permet de réaliser les irradiations aux électrons et d’observer in situ l’évolution microstructurale résultante. Avec le projet JANNUS, la Direction de l’énergie nucléaire a entre- pris de se doter, dans le cadre d’un Groupement d’Intérêt Scientifique en collaboration avec le CNRS-IN2P3, d’un ensemble d’accélérateurs d’ions à faisceaux multiple, avec observation in situ par microscopie électronique en transmis- sion. Cette plate forme (fig. 113) permettra de soumettre simul- tanément le matériau à l’endommagement balistique et à l’im- plantation ionique simulant la production par transmutation d’une ou deux espèces, notamment l’hélium et l’hydrogène. On sait, en effet, que la synergie entre ces deux types de dom- mage conduit à une évolution microstructurale du matériau différente de celle obtenue par implantation et endommage- ment balistique successifs. Enfin, les faisceaux d’ions lourds de haute énergie du GANIL produisent des excitations électro- niques.

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Fig. 113. Schéma de principe de la plate forme d’irradiation JANNUS : ensemble de trois accélérateurs linéaires sur le site de Saclay (a) et deux accélérateurs avec microscope électronique à transmission in situ sur le site CNRS-IN2P3 d’Orsay (b).

Tandétron 2,25 MV Yvette 2,5 MV Irma 190 kV MET 200 kV Aramis 2 MV Irradiation triple Irradiation mono

Analyse par faisceaux

Irradiation mono faisceau Analyse par faisceaux d’ion Microscopie en ligne

Épiméthée 3 MV source ECR

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Nous sommes aujourd’hui en mesure d’associer l’irradiation, la modélisation et l’observation à la même échelle. Parmi les techniques utilisées, outre la microscopie électronique analy- tique en transmission, la sonde atomique tomographique (SAT) occupe une place éminente, car elle permet l’analyse atome par atome, en 3D, de volumes de matière identiques à ceux des boîtes de calcul, avec une résolution spatiale qui a pratiquement atteint la résolution atomique vraie26. La carac- térisation du comportement mécanique est elle aussi possible à l’échelle de la modélisation, grâce à l’essai ex situ de nano- indentation sur des échantillons irradiés en accélérateurs, qui affecte une largeur et une profondeur de l’ordre de la centaine de nm, et à des expériences dédiées, telle MECASIC, qui vise à soumettre des fibres de carbures de silicium à des essais de traction et de fluage in situ, sous faisceau d’ions. Seul ce couplage de l’expérimentation et de la modélisation peut fonder la représentativité des irradiations expérimentales et la validité des extrapolations aux conditions de service. C’est, en outre, un outil précieux pour concevoir et optimiser les expériences d’irradiation en réacteurs les plus pertinentes et les plus économiques, et interpréter leurs résultats.

26. Cet instrument, développé par le Groupe de métallurgie physique de l’université de Rouen, avec lequel la Direction de l’énergie nucléaire col- labore, n’est utilisable, pour le moment, qu’avec des matériaux conduc- teurs, mais une nouvelle génération d’instruments à excitation laser, capable de traiter les isolants, est en cours de développement dans ce même laboratoire.

Références

[1] R.H. JONESet al., « Promise and challenges of SiCf/SiC compo- sites for fusion energy, applications », JNM, vol. CCCVII-CCCXI,

p. 1057-1072 (2002).

[2] J.-M. ESCLEINE, Matériaux RCG-R et RCG-T. Un point sur le car-

bure de silicium, NT DEC/SESC/LIAC-02-024 (2002).

[3] D. GHALEB, L. VANBRUTZEL, « Molecular dynamics modeling of

irradiation damage in pure and uranium-doped zircon », JNM, vol.

CCVC, p. 167-178 (2001).

[4] L. MARTIN-SAMOS, Y. LIMOGEet al., « Neutral self defects in a silica model : a first-principle study », PRB (2005).

[5] P. BELLON, G. MARTIN, « Driven alloys ». Solid states physics, vol. L, p. 189-331 (1997).

[6] L. VANBRUTZEL, Thèse, Université Paris VI, 1999 (Rapport SRMP CEA-R-5896).

[7] L. KUBINet al., « Dislocation microstructures and plastic flow : a 3D simulation », Solid State Phenom., vol. XXIII-XXIV, p. 455-472

(1992).

Michel GUTTMANN, et Yves LIMOGE,

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