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Le nécessaire recours à l'hybride et à la complexité

CONCILIER AMBITION ET ACTION

4. Le nécessaire recours à l'hybride et à la complexité

Comment concilier les impératifs de l'exploitation et les exigences de la régénération? Le choix que fait l'entreprise en matière de processus de régénération est tout à fait capital. Le plus aisé est encore, du moins à première vue, de confier la régénération à une dynamique exogène. Car, dans un tel cas de figure, l'entreprise peut se centrer le seul court terme. Qui plus est, elle fait appel à des modes d'action répétitifs, à un modèle organisationnel et de pilotage qui est tout à fait rustique, simple, donc appauvri.

La voie exogène s'accommode parfaitement de modèles de management simples. Elle n'éprouve et ne fait face à nul besoin de disposer en interne de cognitions partagées, de pratiques tacites ou explicites de diffusion de connaissance, de capacités d'apprentissage. Car la complexité devient pour elle un handicap. De même, l'existence d'identités communautaires s'avère être une source de dysfonctions inutiles.

C'est clairement le cas lorsque l'ambition de la direction se limite à sécréter à court terme un surplus maximal, donc à alimenter des ressources purement financières qui permettent d'acheter ou de s'emparer sur le marché de sources de rentes nouvelles. Un cercle autoentretenu s'enclenche. Conquises par le pouvoir de l'argent des rentes anciennes traites jusqu'à l'extrême, les rentes nouvelles venues de l'extérieur seront à leur tour soumises à une pression forte et à une exploitation rapide, étant à leur tour rapidement abandonnées dès qu'elles auront permis de racheter une troisième génération. Le cycle de vie des rentes est ainsi très court, le centre brûle vite ses vaisseaux et exerce une pression impitoyable à l'exploitation. Cette dernière ressemble à une action rapide et brutale de commando qui justifie le recours à des principes d'organisation de type peloton de combat. La guerre que le processus exogène mène ne consiste pas à occuper un terrain pour une longue durée. L'entreprise se comporte comme un passager clandestin de l'économie et de la société. Donc son occupation du terrain ne requiert pas une logistique organisationnelle sophistiquée. Toute redondance et tout recouvrement en interne, entre les unités, entre les produits, entre les sources anciennes et les sources nouvelles de rente, sont chassés et stigmatisés de façon délibérée et méthodique.

La conduite de cette approche exogène comporte néanmoins quelques contreparties. Elle nécessite une richesse financière jamais dégradée. Elle sourit donc aux riches. Elle suppose par ailleurs que la nouvelle génération de rentes, même si elle sera de courte durée en exploitation, sera gagnante vite et à coup sûr, ce qui signifie que l'avenir est peu incertain. Elle implique enfin une destruction récurrente et brutale du système humain, alors même que le modèle organisationnel se caractérise en interne par un haut degré de rigidité, codification aidant.

La voie endogène, en revanche, fait appel à des montages et à des pratiques beaucoup plus complexes dans la mesure où, à la différence de la précédente, ils ne répondent pas aux mêmes critères que ceux qui satisfont l'exploitation. La contrepartie de tels compromis réside dans le fait que l'entreprise capable de complexité se dote d'une métarente, d'un savoir-faire que d'autres compétiteurs peuvent plus difficilement imités.

Dans des conditions normales, la réconciliation entre l'exploitation et la régénération, entre le champ du marché et le champ du hors marché, si elle passe par des formes diverses et variées, s'apparente en dernière analyse à de l'éducation et à de la socialisation communes, soit à des

processus de partage de références et de déclinaison de cognitions interdépendantes. Le fait de laisser se déconnecter les deux univers de l'exploitation et de la régénération conduit une entreprise et sa direction générale à jeter les bases d'un modèle organisationnel qui risque vite de devenir caricatural et problématique. En effet, il se focalise sur une seule dimension, faute de langage commun. Les conséquences en sont évidentes et imparables. Soit le dépérissement est assuré à plus long terme par une attention trop exclusivement centrée sur l'exploitation, soit la mort est assurée à court terme par la faute d'une obsession exagérée de la mise au point d'une rupture et de la régénération.

La complexité et l'hybridation traduisent un positionnement stratégique qui combine l'exploitation et la régénération endogène. Les mêmes ressources sont mobilisées à la fois sur les deux horizons du court terme et du long terme, du hors marché et du marché. Cette conciliation consiste dans le fait de faire coexister des logiques à la limite contradictoires et dont les traductions en termes d'action sont hétérogènes. On n'apprend pas sous le coup de l'urgence en même temps qu'on ne peut pas innover si la rente n'alimente pas la caisse. Comme le montre le tableau ci-dessous, des recouvrements doivent exister entre les deux sphères.

Tableau 3. La régénération endogène liée à l'exploitation

Cette complexité organisationnelle et stratégique présente une contrepartie. Elle est affectée d'un coût, celui du renoncement à la rentabilité maximale à court terme, ce dans la mesure où l'entreprise, son centre aussi bien que sa périphérie, acceptent le tâtonnement dans la recherche d'alternatives et le flou, facteurs sans lesquels il n'est pas de régénération endogène. Elle offre, en revanche, un bénéfice économique majeur, qui est de permettre la construction de rentes nouvelles, de systèmes de régénération qui sont protégés par l'intangibilité, soit en définitive par la complexité. La possibilité que des bénéfices sociaux en découlent n'est pas non plus négligeable, notamment celui de mieux conserver l'intégrité d'une communauté à terme moyen.

La régénération endogène couplée à l'exploitation mérite, en définitive, une attention soutenue. C'est exclusivement d'elles, plus exactement de leur couplage dont il sera question ci-après.

Régénération endogène et exploitation ne sont pas faciles à conduire au fil des jours. D'autre part, elles permettent à nos sociétés de ressembler à autre chose qu'un terrain de prédilection pour des pratiques de prédation économique. Il est difficile moralement de soutenir

Exploitation Régénération Top Management Surplus Profit Opportunités de croissance endogène  Survie

l'argumentation selon laquelle la fuite devant la complexité, le refus de prendre en charge le devenir à moyen terme ou encore l'inattention à l'égard des collectivités humaines que sont les entreprises représentent la marque de la civilisation et fournissent les vertus du succès. Les entreprises ne ressemblent pas à des mouchoirs en papier qui se jetteraient à la poubelle après un premier usage. Le capital tangible et intangible qu'elles accumulent alimente largement l'extraordinaire niveau de bien-être matériel que génère notre économie.

CHAPITRE 4