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Les positionnements stratégiques

LE LANGAGE ORGANISATIONNEL

2. Les positionnements stratégiques

Les univers possibles auxquels se confronte l'entreprise, le type d'environnement auquel elle choisit de faire face ou par rapport auquel elle ambitionne de se positionner maintenant et à terme, constituent le premier descripteur, comme le présente le tableau 6. Pour la commodité du raisonnement, ce dernier est décomposé en deux descripteurs synthétiques qui qualifient et simplifient le vaste spectre des situations concrètes auxquelles sont confrontées les directions d'entreprise.

Le premier est de nature cognitive. Il qualifie le contexte extérieur dans lequel l'entreprise énonce des ambitions et des politiques, la perception que l'entreprise développe à propos de son contexte d'action,

Le second est lié au positionnement stratégique que l’entreprise adopte de fait quant au succès ou à l'efficacité dans le temps et dans la durée. Il stylise le modèle organisationnel interne à cette même entreprise et qui est associé à ce contexte stratégique particulier. Il désigne des volontés affichées ou, en tout cas, des pratiques structurantes pour ses choix stratégiques.

Interpr

Tableau 6. Les contextes d'action de l'entreprise

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La première dimension contextuelle traite de la manière dont l'entreprise qualifie la pression ou la menace dont est porteur et générateur pour elle l'environnement auquel elle est confrontée. Cette menace peut être perçue comme étant forte ou, au contraire, comme étant faible. Si elle est forte, cela signifie que, dans les faits, la compétition sera vécue et interprétée

Pression de l’extérieur perçue comme forte Exploitation de l’existant. Efficacité à court terme Pression de l’extérieur perçue comme faible

Innovation et renouvellement interne Efficacité dans la durée Positionnement de la politique de l’entreprise Interprétation de l’environnement comme source de menace

comme une obligation pour l'organisation à se dépasser. Si elle est faible, rien n'incitera à ce que les dépassements soient interprétés comme étant de nature prioritaire ou stratégique : il n'est pas d'impératif partagé et approprié.

Une telle dimension est familière de la recherche en gestion et en science économique. Les entreprises en tant qu'agents économiques dits rationnels agissent en fonction des univers, des circonstances, des règles du jeu qu'ils estiment affronter.

Ainsi une situation de forte compétition crée une source significative et durable de menace. Elle remet en cause de façon permanente et rapide tous les avantages compétitifs, quelle que soit leur nature, symbolique, technique ou dérivant d'un effet d'aubaine fourni par des réglementations publiques. Il n'existe plus d’arme suprême, par exemple des actifs qui ne puissent être détournés ou détruits (D’Aveni 1994). La menace conduit à la nécessité de changement, à la destruction de ses propres avantages dans l'espoir de pouvoir en créer d'autres. Qui plus est, elle finit par s'imposer à chacun.

De même, l'impératif de redressement d'une entreprise en grave difficulté, le sentiment d'accomplir une tâche essentielle, produisent des pressions, des incitations à dépasser ses propres intérêts, une aspiration au collectif qui génère des comportements proches de ceux qui découlent des situations de forte compétition. L’efficacité dont font preuve à certains moments des services publics ou quasi-publics relève ainsi de pressions, de sentiments d’urgence, d’obligations perçues qui, sans appartenir aux mêmes univers de compétition que les entreprises privées, mobilisent des comportements de même nature.

De leur côté, les situations de faible compétition ou de relâchement de tensions ont tendance à diminuer la pression qui s'exerce sur chacun et à détendre les liens de coopération. Cette situation est obtenue parce qu'une dynamique de rente est disponible. Une rente est un actif qui protège contre la compétition, actif qui, à un moment donné, est présent, engendre une situation de monopole et favorise l’émergence d’une impression de sécurité, de pérennité et d'aisance financière. Ces circonstances encouragent des comportements d’intérêts individuels, l’apparition de groupes internes de pression, des pratiques d'externalisation systématique des erreurs sur des tiers, des comportements de passager clandestin. Ils favorisent les bureaucraties, les coalitions internes, les clans, les luttes internes pour s’approprier une part plus importante de la valeur ajoutée.

La seconde dimension décrit les politiques ou positionnements adoptés par l'entreprise face à son contexte externe. A un extrême, l'organisation joue l'exploitation de l'existant ou l'efficacité à court terme. A l'autre extrême, elle recherche l'innovation et la régénération. Autrement dit, elle met son destin dans les mains d'une politique de renouvellement généré depuis et par l'intérieur de l’entreprise.

L'exploitation vise à tirer le maximum de ce qui existe du fonds de commerce que constituent les avantages et les ressources disponibles à un moment donné. L'accent est mis sur la construction de structures et de procédés justifiés par une rentabilité à court terme. Un produit qui ne rapporte plus assez est aussitôt abandonné, une division qui ne génère pas les résultats attendus est fermée ou vendue, une compétence ou un savoir-faire qui manque est acheté en bloc à l'extérieur. On copie les concurrents en adoptant leurs modes d'action, quitte à abandonner ses propres racines.

Dans ce contexte, la survie et le développement de l'entreprise en tant que collectif, son identité et sa spécificité telles qu'elles sont, ne s’imposent pas comme des impératifs prioritaires. Autrement dit, tout est interchangeable et modelable à loisir. En effet, c'est le marché qui détermine dans ce cas les corridors d'action. L'entreprise comme corps social est en grande partie exogène par rapport à l'acteur central du système qu'est la direction générale et, le plus souvent, par rapport au monde des analystes financiers dont les attentes balisent étroitement les champs de décision. L'organisation ressemble à un kit dont les composantes sont plastiques, notamment par le fait qu’ils sont combinables avec des éléments tiers (par achats ou fusions).

Les paradigmes de régénération et d'innovation reposent au contraire sur l'idée que l'entreprise doit survivre et se développer en se renouvelant en permanence de l'intérieur en tant que telle, à configuration relativement stable notamment en termes de personnes. La régénération en effet est une politique qui vient de l'intérieur du système, car elle exige de l'intuition et de la créativité partagées. Qui plus est, elle suppose qu'existe un seuil minimum de sécurité (Moss Kanter 1997) pour susciter des comportements d’univers protégé en même temps que pour permettre une prise de risque par le changement. Ici, le rôle des dirigeants est de construire une organisation qui se restructure en permanence et qui développe de nouveaux actifs mais en demeurant largement endogène.

C’est la raison pour laquelle les systèmes de transformation jouent le long terme et la rotation interne des personnes. Ils acceptent des frontières floues, ils utilisent l’apprentissage et l’éducation pour bâtir un type d’organisation dans lequel l’information utile peut être captée et le message stratégique peut être décodé et interprété. Ce genre d’organisation sait travailler avec des objectifs peu formulés puisque le système cognitif permet de les traduire.

Sa logique prioritaire n'est pas le mimétisme, le clonage ou le me too. Au contraire, elle se cale sur la recherche et la réalisation d'un impératif : générer de l’innovation de valeur (Kim et Mauborgne 1999). Cette voie ou cette ambition ne cherche pas systématiquement à marcher dans les pas des concurrents, à construire des avantages compétitifs qui se situent dans les mêmes corridors que les autres. Elle ne repose pas non plus sur la segmentation. En revanche, elle essaie sans arrêt de dévaloriser et de rendre non pertinents les compétiteurs en offrant des produits nouveaux et des solutions inédites au marché.

Une telle politique suppose donc qu'existent au sein de l'entreprise deux compétences ou savoir-faire : une capacité d'intuition pour les besoins encore faiblement identifiés, une attention aux finesses de terrain qui se soumettent difficilement à des univers de contrôle et à des procédures d'observation qui deviennent routinières. C'est dans ce contexte que les langages endogènes et partagés au sein de l'organisation prennent tout leur sens. En effet, ils favorisent la lente structuration des intuitions - l'intuition n'est pas simplement une qualité individuelle, elle désigne une compétence collective. Ils facilitent en même temps la prise en compte, l'interprétation des signaux faibles d'information.

Ces approches éclairent d'une façon particulière le problème de la formulation et de la mise en œuvre stratégique. S'il est vrai que la stratégie commence avec la connaissance fine d'une dynamique de l'environnement, qu'elle se poursuit avec la définition d'ambitions qui sont compatibles avec ces évolutions et qu'elle se boucle avec des ressources adaptées, la question se pose du niveau du compromis (Drucker 1994). Que se passe-t-il s'il s'avère que les ressources organisationnelles, pertinentes à une époque donnée, ne correspondent plus aux ambitions ou n’assurent pas les résultats attendus par la communauté financière ? Poser cette

question revient donc à s'interroger sur l'optimalisation de l'existant et les capacités de survie de cet existant. « Tout système économique qui à tout instant considère exploiter au maximum ses possibilités peut néanmoins à la longue être inférieur à un système qui n'atteint à aucun moment ce résultat » (Schumpeter 1942). La transformation permanente réclame un horizon trop long et des systèmes trop flous qui ne correspondent précisément pas aux exigences d'une telle exploitation.