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Les modèles organisationnels

LE LANGAGE ORGANISATIONNEL

3. Les modèles organisationnels

Le croisement de la perception de l'environnement par le positionnement adopté par l'entreprise permet d'établir quatre situations stylisées. Pour chacune d'elles sera pris en compte un descripteur qui qualifie, pour sa part, le modèle organisationnel, qui rende compte du mode de fonctionnement interne de l'entreprise. Plus précisément, sont ici désignés et sélectionnés des traits qui caractérisent les comportements collectifs et leurs ressorts profonds, et qui s'ordonnent autour de deux variables-clés.

La première qualifie la coopération effective qui se tisse entre les composantes de l'organisation, soit la manière dont les individus, les fonctions et les unités gèrent au quotidien leurs interfaces et leurs relations d'interdépendance, les comportements qu'ils adoptent, les contenus qu'ils privilégient et ceux qu'ils ignorent. Cette coopération peut être forte. Chacun intègre dans ses propres choix et actes les conséquences que ceux-ci peuvent avoir pour les objectifs, enjeux et situations auxquels d'autres sont confrontées. A l'opposé, elle sera qualifiée de faible si des logiques d'évitement mutuel, de repli local et de cloisonnement dominent.

La seconde variable-clé rend compte du degré de socialisation commune qui existe entre ces mêmes composantes. Ces dernières partagent ou au contraire ne partagent pas des références cognitives et de langages dans leurs choix et à l'épreuve des actions qu'ils entreprennent.

Tableau 7. Contextes d'action et types de modèle organisationnel

Un premier modèle organisationnel est le modèle de type 1 ou organique.

Il rend compte de contextes extérieurs spécifiques. D'une part, l'environnement (le marché, la concurrence, la réglementation publique, la technologie, etc.) est vécu sur le registre de la menace forte. Il génère un sentiment de précarité, de faiblesse. D'autre part, face à cet environnement, l'entreprise développe une politique qui répond à deux caractéristiques majeures. Elle se cale sur le moyen ou le long terme. Elle est fondée sur sa propre capacité de renouvellement et d'innovation, par exemple, à travers sa gamme de produits et de compétences.

Dans ce modèle dit organique, la socialisation des personnes par l'organisation est intensive et longue. Leur coopération est étroite et vécue comme un fait évident, sinon comme un devoir moral. Ce modèle favorise également des loyautés mutuelles nourries, entre unités et à l'égard de l'entreprise. Ses composantes manifestent une capacité élevée à travailler en commun pour la résolution de problèmes. La confiance en soi et dans les autres, lorsqu’elle s’accompagne d’une évaluation des composantes largement référée au collectif, tempère l'émergence de comportements trop individualistes et elle stigmatise les passagers clandestins.

L'organisation de type 1 se mobilise autour d'une aventure partagée. Le fait qu'il existe de la loyauté et qu'un destin commun cimente le sens de l'action entraîne une forte pression de la communauté sur les comportements et les devenirs singuliers. Des chaînes cognitives se diffusent et se construisent. D'où la possibilité pour le corps social, jusqu'au niveau des unités

Pression de l’extérieur perçue comme forte Exploitation de l’existant. Efficacité à court terme Pression de l’extérieur perçue comme faible

Innovation et renouvellement interne Efficacité dans la durée Positionnement de la politique de l’entreprise

L’environnement comme source perçue de pression ou de menace

Type mercenarial Type fragmenté Type communautaire Type autarcique

de terrain, d'interpréter et de traduire de façon progressive les ambitions de la direction. D'où aussi, en retour, une remontée vers celle-ci, grâce à des structurations progressives, des intuitions grossièrement formulées par le terrain.

Le type 1 caractérise les entreprises qui font de la constitution de réseaux intérieurs, de l'édification de communautés d'intuition et d'acculturation, les points d'ancrage de leur politique. Les communautés de langage et de références se caractérisent par du badging, par des processus de reconnaissance et de marquage qui ne sont pas sans rappeler la manière dont les animaux s'identifient et se reconnaissent, s'incluent ou s'excluent entre eux. Une organisation qui apprend se signale ainsi par la « soupe nourricière de l’intuition, du jugement, de l’expertise, du sens commun enracinés dans l’apparent chaos de l’activité journalière » (Vincent 1996)

Le modèle de type 2, pour sa part, est appelé une organisation autarcique.

Il caractérise des entreprises dont les membres vivent l'univers comme dénué de toute menace majeure. Ils voient le monde qui les entoure comme plutôt placide, non incertain ou inconnu, prévisible. Mais, à l'exemple de ce qui se passe dans les entreprises régies par un modèle organique, les organisations autarciques font le pari qu'elles sont capables de trouver en leur seul sein les ressorts de l'innovation et du renouvellement.

La configuration sociale et organisationnelle de type 2 connaît un fort degré de socialisation interne. Il se traduit par un partage d'affinités émotionnelles et interpersonnelles et par des références à des traits culturels communs. L'innovation résulte d'exploits ou de tour de force développés en perruque ou par des services dont c'est le monopole. Elle est aussi décrétée ou imposée par une forte pression hiérarchique. Car la coopération y est faible s'agissant de gérer les interdépendances fonctionnelles, de résoudre collectivement des problèmes pour l'action et de communiquer au quotidien. Le cloisonnement, l'esprit de chapelle et la maximisation des autonomies de chacun imprègnent plus ou moins fortement les pratiques. Un tel modèle se distingue du type 1, mais aussi des types 3 et 4, par deux traits majeurs de son fonctionnement.

• Forte socialisation et grande mobilité interne des personnes • Intense tissu de réseaux interpersonnels transversaux • Pression diffuse et forte à agir collectivement

• Loyauté des individus à l'égard de l'entreprise • Confiance commune et partagée

• Critères d'action et de choix partagés dans les faits

D'une part, la segmentation et le cloisonnement formels sont contournés par des arrangements ad hoc qui se situent sur le registre de l'informel non partagé sinon clandestin. Existent des systèmes D et des passe-droits dont la particularité est d'être invisible par les non-initiés. D'autre part et surtout, chaque unité tend à externaliser sur des tiers (en amont ou en aval) les conséquences de ses propres dysfonctionnements. Les erreurs internes, les pannes de la coopération, les retards ou la non qualité, ne portent pas à conséquence pour les unités qui les engendrent, elles sont transférées vers l'aval ou en amont.

Le modèle de type 3 est dit mercenarial.

Il est le propre d'entreprises dont le contexte externe est perçu comme extrêmement menaçant, mais qui, au contraire du type 1 ou organique, se positionnent dans la référence au très court terme et jouent la politique de l'exploitation de l'existant. Au lieu de se recycler en permanence et de développer l'innovation en interne, elle est condamnée à importer les nouvelles compétences et à rejeter comme un mouchoir de papier les compétences devenues obsolètes ou déclinantes. Ceci se prolonge, le cas échéant, à travers des pratiques de vente, d'acquisition et de fermeture de pans entiers. Elles débauchent ou embauchent du personnel si nécessaire, elles cèdent des activités jugées non immédiatement rentables, elles achètent sur le marché, notamment par fusion, des solutions nouvelles devenues immédiatement exploitables. L'œil est rivé sur les performances quantitatives et à court terme.

Leur configuration organisationnelle est donc à géométrie variable. Leur ressort de l'action se situe dans l'embauche de professionnels et l'adoption d'expertises qui viennent de l'extérieur, qui sont choisis parce qu'ils sont étrangers au corps social de l'entreprise et parce qu'ils imposent, clés en main, de nouvelles compétences ou façons de faire. Il est d'ailleurs entendu qu'ils peuvent à tout moment repartir ailleurs, sur le mode de mercenaires militaires. Cette configuration de type 3 se caractérise par une socialisation faible ainsi que par une loyauté restreinte. En revanche, la coopération y est forte. La raison tient en large partie au fait qu'elle s'appuie sur deux mécanismes. Le premier tient à la pression insistante, quasi obsessionnelle parfois, que permet le recours à des modes de domination et de contrôle basés sur la performance individuelle immédiate. La seconde est liée au fait que les professionnels

• Socialisation émotionnelle forte et mobilité interne faible • Coopération horizontale restreinte

• Recours fréquent aux procédures formelles • Arrangements ad hoc et informels (système D) • Syndromes de NIH et de "communauté totale"

• Externalisation des conséquences des erreurs sur des tiers payants

du management se réfèrent à des normes de réussite et à des savoir-faire qui sont extérieurs à l'entreprise. Ces références sont édictées par des professions très structurées - les contrôleurs de gestion, les vendeurs - et par des réseaux extérieurs - les anciens élèves d'une grande école, les membres d'une élite), ou portées par des tiers - les analystes financiers, les média. En tout état de cause, l'intérêt personnel tel que le vivent ses membres ne s'identifie ni à l'entreprise ni à la durée.

Le modèle fragmenté désigne le type 4.

Il renvoie à des contextes extérieurs placides, non turbulents et sans menace perçue, et à un positionnement de la politique de l'entreprise à court terme. Par conséquent il n'est porteur ni d’une vision d'une aventure collective ou d'un destin commun ni d’une priorité effectivement allouée à un pilotage du renouvellement et de l'innovation par l'organisation. Il fonctionne en pouvant s'abstraire des exigences du succès sur le marché.

La socialisation et la coopération y sont très restreintes. L'évitement mutuel et la non loyauté se développent qui favorisent l'individualisme et le repli local Du point de vue de son mode interne de fonctionnement, l'entreprise connaît aussi une forte fragmentation de son identité et une extrême segmentation entre ses composantes. De tels systèmes se caractérisent souvent par une assez forte bureaucratisation. Des procédures détaillées y favorisent paradoxalement des jeux de pouvoir qui ôtent toute flexibilité et qui empêchent l'apprentissage collectif. A beaucoup d'égards, ce modèle est proche du type bureaucratique de fonctionnement et illustré par le célèbre cas du monopole industriel des tabacs (Crozier 1964).

• Pas de socialisation et d’acculturation des entrants • Loyauté faible des personnes à l’égard de l’entreprise

• Primauté de la résolution de solutions par le recours à des procédures • Pression exclusive par la performance à court terme

• Coopération obligée ou contrainte

• Référence exclusive à des critères d'action exogènes, les seuls qui soient crédibles et légitimes (de type « comme font les autres »)