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Mutation des espaces publics et nouvelles urbanités : enjeux de la ville contemporaine

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 64-69)

Synthèse du Chapitre 1- La grande hauteur en France et dans la métropole Parisienne

Chapitre 2 : Les enjeux de la ville contemporaine

3. Les enjeux de la ville contemporaine mondialisée

3.2. Mutation des espaces publics et nouvelles urbanités : enjeux de la ville contemporaine

Le contexte de globalisation, de financiarisation et les évolutions de la société en général ont aussi un impact sur les lieux physiques de la ville : en particulier les espaces publics contemporains qui voient des mutations s’opérer et se répercuter sur l’urbanité de nos villes contemporaines.

Mutation des espaces publics contemporains : vers une privatisation ?

Les mutations des espaces publics liées au contexte actuel de globalisation des villes sont, elles aussi, unanimement reconnues. Même si les termes et les analyses quant à la privatisation2 de ces espaces

1 Nous pouvons citer en exemple les grandes sociétés immobilières qui investissent, financent, gèrent les centres commerciaux, les tours de bureaux ou les hôtels.

2 Le phénomène de privatisation des espaces publics doit être compris comme l’addition des deux types de privatisations possibles : celles du statut juridique de l’espace (dont le constat fait aujourd’hui débat entre les

différent parfois, les urbanistes, architectes ou géographes restent unanimes sur la prise de conscience qu’un changement est en train de s’opérer.

En effet, dans le contexte actuel de mondialisation, de globalisation et de compétitivité territoriale, dans le même temps qu’une prise de conscience environnementale et sociale exprimée à travers les engagements pour un développement durable, les besoins des producteurs de la ville (publics ou privés) d’une part et de ses habitants d’autre part évoluent. Dans leur recherche d’attractivité, de compétitivité et de financements privés (Orillard, 2008), les villes tendent à exiger des espaces publics plus sûrs, plus attractifs et parfois plus rentables (lorsque les financements ou la propriété sont privés) : ils constituent une vitrine de la ville (Choplin & Gatin, 2010), un outil de promotion et de marketing urbain (Garnier, 2008) et nécessitent d’être contrôlés, surveillés, standardisés et parfois privatisés (Carmona, 2010; Dessouroux, 2003; Fleury, 2010c; Garnier, 2008; Gasnier, 2006; Ghorra-Gobin, 2006; Michon, 2001; Orillard, 2008; Paquot, 2009). Les besoins des usagers tendent aussi à évoluer vers une sécurité accrue ainsi qu’une maîtrise plus grande de leur environnement récréatif au niveau des ambiances et des fréquentations ; ils trahissent alors un phénomène croissant d’entre-soi et de communautarisation avec une pression grandissante des intérêts privés1 (Fleury, 2010c; Gasnier, 2006; Mitchell, 1995) : constatés par des formes d’appropriation, d’exclusion voire de privatisation des espaces.

Cette exigence générale de contrôle du public et de ses usages résume à la fois les besoins liés à la sécurité des lieux, à leur attractivité, ainsi que la tendance générale à leur fermeture à certains publics (Bacqué, Osganian, Perriaux, Wright, & Fouquet, 2005). Elle a pour conséquence des évolutions qui se retrouve à la fois dans la production et les usages des espaces publics, et ouvre le débat quant à leurs conséquences sur la ville contemporaine.

Dans le même temps, répondant à des logiques à peu près similaires, de nombreux espaces (juridiquement) privés s’ouvrent au public (centres commerciaux, parcs à thèmes, ensembles sportifs, rues privées commerçantes, etc.). Ceux-ci sont souvent des lieux de consommations et, pénétrés par des logiques économiques et appartenant à l’univers marchant (Orillard, 2008). L’ambigüité de l’image « publique » que ces espaces renvoient et qui essayent de copier les espaces publics classiques des villes est relevée par certains comme une forme de privatisation de l’ensemble constitué des espaces publics de la ville (Korosec-Serfaty, 1988) répondant aux logiques de marchandisation, de standardisation et de disneylandisation2 (Mitchell, 1995).

Ces nouvelles formes d’espaces publics considérées comme privatisées par certains sont aussi vues comme de nouveaux lieux générateurs d’une sociabilité publique différente mais bel et bien existante, rejoignant ainsi les débats sur les nouvelles formes d’urbanité observées dans la ville contemporaine (Picon, 2001).

Mutation de l’urbanité : vers des urbanités contemporaines ?

Ces mutations constatées sur les espaces contemporains ont tendances à aller de pair avec une

« dévalorisation des espaces publics traditionnels » générant alors un risque de « disparition de l’espace de sociabilité » des villes (Ghorra-Gobin, 2001, p.5). Certains y voient alors pour conséquence un processus de transformation de l’urbanité des villes contemporaines (Boissonade, 2006; Garnier, 2008; Ghorra-Gobin, 2001, 2006; Michon, 2001; Mitchell, 1995).

auteurs), et celle de la privatisation des espaces par les usages (l’ouverture, l’accessibilité, la régulation et le contrôle : cette dernière semble être unanimement constatée).

1 Résultats parfois simplement d’une démocratie participative de proximité bien engagée (Fleury, 2010b).

2 On parle de dysneylandisation d’un espace lorsque celui-ci est conçu comme un parc à thème ou un parc d’attraction, constitué de décors dans le but de fabriquer une ambiance bien particulière.

Ils déplorent alors sa disparition1 comme un résultat des processus de fragmentation urbaine, d’étalement urbain, de sécurisation, d’individualisation, ou encore de privatisation des espaces publics (abordée plus avant) décomposant « les facteurs qui concourraient à la formation de l’urbanité » (Foret, 2010)2. Sont dénoncés alors les dérives de la ville-marchande où l’usager de l’espace urbain n’est plus un citoyen mais un consommateur ou un spectateur et « se met en place une ville impersonnelle et interchangeable peuplée » (Garnier, 2008, p.79) où le lien social ne semble plus être assuré (Ghorra-Gobin, 2001, 2006; Michon, 2001, 2008; Tomas, 2001a).

Selon les usages d’un lieu et les modes de sociabilité d’un pays, d’une culture, l’urbanité n’est pas la même et pourrait présenter différentes formes ou intensités. On parle alors d’urbanités (au pluriel) pour refléter la pluralité de la notion. Dans cette idée, et pour relativiser les points de vue précédents, nombreux sont les auteurs (Banzo, 2009; Bertolini, 2006; Cybriwsky, 1999; Joseph, 1996; Korosec-Serfaty, 1988; Pinto, Borsus, & Constantin, 2009; Pomeroy, 2007; Sabatier, 2007) reconnaissant effectivement cette transformation de l’urbanité mais reconnaissant par ailleurs les nouvelles formes d’espaces publics propres à la ville contemporaines3 comme lieux potentiellement producteurs d’une nouvelle urbanité ; différente mais bel et bien existante.

Nous prenons donc le parti de prendre également en compte ces nouvelles formes d’espaces de sociabilité qui ne sont plus réellement des espaces publics, mais des espaces « ouverts au public » et dans lesquels, une certaine forme d’urbanité peut potentiellement avoir lieu (sous certaines conditions).

Positionnement de recherche : les espaces publics considérés

Dans cette thèse, les espaces publics que nous choisissons de considérer sont les lieux géographiques, les espaces matériels (Blanc, 2001; Fleury, 2010c; Sabatier, 2007) de la ville accessibles au public (Fleury, 2010c; Sabatier, 2007), non-fonctionnalistes (Blanc, 2001), vecteurs de rencontres aléatoires (Sabatier, 2007) et interactions sociales (Fleury, 2010c; Ghorra-Gobin, 2006; Michon, 2001; Mitchell, 1995).

Le débat autour du phénomène de privatisation des espaces publics tend à nous faire relativiser le caractère public de ces espaces. A la manière de David (2002a), qui, en appuyant sur la différence entre l’espace public et l’espace « du public », propose une approche du caractère public d’un espace en fonctions de plusieurs critères tels « la propriété du foncier et du bâti, de mode de production, de mode de gestion, de morphologie, d’accessibilité et de pratiques, de fonctions » (p.219). Ou encore de Korosec-Serfaty (1988) qui pose la question de l’ouverture sociale des espaces dès lors qu’ils sont intérieurs, et qu’ils disposent de limites physiques : le contrôle d’accès, les normes d’usage du lieu ainsi que la maîtrise préalable de ces règles à l’usage de ce lieu semblent alors poser question et peuvent constituer une limitation de son caractère public4 ;

Nous adoptons la position qui consiste à prendre en considération les « espaces publics » au sens large du terme, au-delà de leur statut juridique ou économique public ou privé.

1 Cette « privatisation » des espaces publics est souvent associée à une potentielle perte du lien social au sein de la ville. Ainsi leur privatisation n’est pas en soi un problème, elle le devient lorsqu’il y a un risque de « disparition de l’espace de sociabilité » de la ville (Ghorra-Gobin, 2001).

2 Pour le cas des villes du monde arabe : (Cattedra, 2002; Lakjaâ, 2009).

3 Par exemple les centres commerciaux, les rues commerciales, les parcs à thèmes, les ensembles sportifs, etc.

4 Cette question pose problème dans la détermination des espaces qui serait propriété de la communauté (juridiquement public) mais intérieurs (théâtres, écoles, universités, etc.) et aussi ceux, juridiquement privés dont

« l’image publique » est plus ambigüe (comme les centres commerciaux).

Nous considérons donc tout le réseau des espaces et lieux pouvant potentiellement participer à la construction sociale de la ville et à son urbanité. A l’instar de Dessouroux (2003), nous considérerons les espaces publics dans leur diversité, en admettant dans cette catégorie « nombre de configurations particulières sur la base de trois dimensions »1 : l’accès (allant de restreint à universel), la régulation (de contraignante à permissive), et la propriété (de privée à publique) (Figure 11). Ou encore de Banzo (2009) qui milite pour la publicisation d’espaces juridiquement privés (les « espaces ouverts ») par les leviers du cadre normatif, de l’accessibilité, du lien social et du débat public (Banzo, 2009).

Figure 11 : Les dimensions d’usage de l’espace public (Dessouroux, 2003)

La tour multifonctionnelle, comme objet de la ville intense, ne peut échapper aux problématiques d’urbanité et de lien social. Un enjeu apparaît alors clairement ; celui de la « publicisation » des espaces « ouverts » de la tour comme moyen de générer la sociabilité et l’urbanité. Puisque la tour est issue d’un contexte privé (financement, statut juridique, gestion, etc.), on ne peut pas parler d’espaces publics traditionnels2 : il s’agit bien de ces nouveaux espaces de la ville contemporaine abordés précédemment (Cybriwsky, 1999; Pomeroy, 2007, 2008) et vus comme potentiellement générateurs d’une sociabilité urbaine. Ces espaces par essence privés, insérés dans le réseau d’espaces publics et constituant une extension de la ville, ne peuvent donc pas être soustraits aux enjeux sociaux de la ville durable.

1 La privatisation des espaces abordée plus haut peut alors se décliner en plusieurs processus selon ces trois dimensions. Comme la privatisation juridique où c’est la qualité « propriété » qui est modifiée avec un bouleversement du titre de propriété, mais le plus souvent du droit ou d’exploitation ou d’usage. Un autre processus de privatisation tient dans la restriction ou sélection de l’accessibilité, ce phénomène est souvent lié au sentiment d’insécurité et amène de nouvelles règles d’usages plus restrictives, parfois des systèmes de surveillance automatisé ou une prévention situationnelle. La privatisation peut tenir aussi dans la radicalisation de la limite entre le privé et le public ou dans le principe de communautarisation.

2 Au sens où ceux-ci sont juridiquement privés, mais aussi au sens où certains de ces espaces sont intérieurs.

(Korosec-Serfaty, 1988) précise les différences de conditions d’usage entre les espaces extérieurs et les espaces intérieurs. Ces derniers, avec leurs limites physiques (leurs murs, toits et portes) posent une question de contrôle d’accès ainsi que de règles de jouissance du lieu » : c’est la question de « l’ouverture sociale » qui se pose alors : quels usages sociaux sont possibles dans ces espaces ?

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 64-69)

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