• Aucun résultat trouvé

Historique de la grande hauteur dans le monde et en France

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 27-30)

1.1.Dans le monde

Depuis le début de la société urbaine, le statut et le rôle des édifications en hauteur ont grandement évolué. Avant la fin du XIXe siècle, la construction en hauteur était uniquement réservée à l’expression d’un pouvoir public supérieur politique ou religieux, et ceci dans toutes cultures mondiales : ainsi, les pyramides égyptiennes ou mexicaines, les clochers des églises, les minarets, les beffrois, les campaniles, etc. représentaient l’expression des pouvoirs religieux ou politiques (Didelon, 2010), mais on dénombre aussi certaines constructions hautes privées comme à San Gimignano en Italie où, au moyen âge, la hauteur des maisons-tours était proportionnelle à la richesse de leur propriétaire (Chapel, 2007; Pomeroy, 2008).

Au début des années 1900, un tournant s’opère en Amérique du Nord avec la construction, dans les centres villes américains, de bâtiments de grande hauteur qui deviennent pour la première fois habitables (Tilmont & Croizé, 1978). Dédiés aux activités du secteur tertiaire, ces gratte-ciel deviennent alors un symbole de la puissance de grands groupes économiques américains (Helsley & Strange, 2008) (Annexe 1). La première tour de ce nouveau genre se construit à Chicago en 18851 (Didelon, 2010) et marque le début d’une concurrence avec la ville de New-York qui durera jusqu’à la crise économique de 1930 (Peet, 2011). Durant ces années, des records de hauteur sont atteints très rapidement2 en partie grâce à la rapide progression des techniques de construction, ainsi qu’à l’invention de l’ascenseur et du téléphone rendant possible la communication entre les différents étages (Didelon, 2010).

Dans les années 1950, et après un ralentissement de la construction durant la seconde guerre mondiale, les tours renouent avec le pouvoir politique en jouant un rôle dans l’affrontement idéologique entre les Etats-Unis et le bloc soviétique (Peet, 2011) (Annexe 1). Ces gratte-ciel, objets si symboliques et synonymes de pouvoir économique et de capacité d’innovation des entreprises et parfois des nations, ont dans le même temps une influence certaine dans la concurrence interurbaine qui se joue depuis le début du XXème siècle : en premier dès les années 1900 entre New-York et Chicago jusqu’à la crise économique de 1930, puis dans les années 1990 lorsque se lance une course à la hauteur à l’échelle mondiale3 (Peet, 2011) (Annexe 1). Comme une acceptation de l’idéologie capitaliste qu’illustrent à présent les gratte-ciel, les pays s’affrontent alors pour établir des records de hauteur toujours plus impressionnants4 ; aujourd’hui la tour représente plus que jamais la force et la modernité d’une nation, sa puissance économique et son acceptation des modes de vie mondialisés des villes globales (Didelon, 2010; Firley & Gimbal, 2011).

1 Le Home Insurance Building, 42 mètres, William Le Baron.

2 On observe déjà dans les années 1910 des tours de plus de 200 mètres à New-York.

3 La course à la hauteur implique des villes dont le but est de construire des gratte-ciel toujours plus hauts, plus visibles que les constructions existantes dans les autres villes, les autres pays.

4 Alors que les Etats-Unis ont dominés la course à la hauteur jusque dans les années 1990, la Chine et les Emirats arabes unis pulvérisent aujourd’hui les records avec par exemple la Burj Khalifa qui, depuis 2009, atteint les 828 mètres et dépasse ainsi la Taipei 101 haute de 509 mètres (Didelon, 2010).

Figure 1 : Une course vers le ciel, mondialisation et diffusion spatio-temporelle des gratte-ciel. (Didelon, 2010)

1.2.En France

Des tours construites à Paris après-guerre

Comme beaucoup de pays européens, la France, quant à elle n’a jusqu’à aujourd’hui pas pris part à cette course à la hauteur (Taillandier & Namias, 2009). Malgré un débat dans les années 30, et alors que les gratte-ciel fleurissent aux Etats-Unis à la même période, la France décide de ne pas massivement construire de tour. En revanche, les premières idéologies et logiques hygiénistes commencent à se faire connaître et deviendront, par la suite, la base des solutions pour le logement de l’après-guerre (Brunet, 2010; Peet, 2011) : Auguste Perret, Le Corbusier et Louis Bonnier deviennent alors de fervents partisans des tours « comme instruments de desserrement urbain » (Taillandier, 2009b, p. 389).

Pour le cas parisien, ce sont les rapports Thirion, puis Lévêque et Lafay qui relancent en 1950 le débat de la hauteur dans une recherche de modernisation et de maintien économique de Paris dans son contexte français. La création d’un centre d’affaire parisien est alors proposé intramuros afin d’éviter

« l’éclatement de Paris » (Rapport d’André Thirion, 19501) : il adopte les immeubles hauts comme solution architecturale. Ce premier jet rejeté, il est finalement décidé, dans un second rapport2, de le déplacer à La Défense. Parallèlement à cela, et toujours dans la logique de modernisation de Paris et pour proposer une solution aux problèmes du logement et d’insalubrité, il est finalement décidé3 de monter le plafond des hauteurs à 37 mètres (au lieu des 31 m habituels) dans certains quartiers

1 A. Thirion, Rapport présenté au nom de la Commission d’aménagement de, Imprimerie municipale, 1951.

2 Rapport de Marcel Lévêque.

3 Rapport de Bernard Lafay, 1954 : “Problèmes de Paris: Contribution aux travaux du Conseil municipal;

Esquisse d'un plan directeur et d'un programme d'action,” Rapports et documents du Conseil municipal 11 (Paris: Conseil municipal, 1954).

périphériques de Paris (Castex & Rouyer, 2003, p. 27). Ce sont les débats d’après-guerre sur la rénovation urbaine qui réactualisent la question de la hauteur à Paris et permettent ainsi d’envisager la construction de tours pour les logements sociaux dans la banlieue parisienne (Annexe 1).

Contrairement aux gratte-ciel nord-américains, conçus et développés par des acteurs privés et de manière isolée, les tours françaises émergent de politiques urbaines et sont construites par quartier (dans des ensembles) dans l’application des principes d’architecture moderniste.

Ainsi, la majorité des tours parisiennes1 ont été construites entre 1965 et 1975 (Brunet, 2010), la plupart d’entre elles sont des tours de logements édifiées sur dalle, et répondant au concept de séparation verticale des fonctions d’habitation et de circulation prôné par l’urbanisme Moderne. En 1956, c’est un plan directeur pour l’édification d’un quartier d’affaires aux portes Ouest de Paris (La Défense) qui lance les prémices de la construction de tours pour des activités tertiaires (Chabard &

Picon-Lefebvre, 2012). Le quartier de La Défense s’est déjà en partie matérialisé par la construction du CNIT en 1958, et verra une première génération de tours se construire entre 1966 et 1974, ainsi que les nombreuses suivantes lui succédant. La Défense, « à peu près le seul endroit de l’agglomération parisienne où la construction de tours a continué » après 1974 (Brunet, 2010, p. 6), est depuis devenu le centre décisionnel tertiaire de la région parisienne, en bonne position dans le marché immobilier international de bureaux.

Figure 2 : Les tours à Paris et alentour (au-delà de 100 m de hauteur) (Brunet, 2010)

Coup d’arrêt dans les années 1970

Dans un contexte du retour de la notion de forme urbaine et de dépréciation de la construction en hauteur jugée « comme en rupture, absolue et rédhibitoire avec les tissus denses et continus » (Castex

& Rouyer, 2003, p.5), la construction d’immeubles de grande hauteur s’est fortement ralentie à la fin des années 70 en France (Tilmont & Croizé, 1978). Ainsi, dès le début des années 70, les décisions politiques vont dans le sens de réglementations de plus en plus restrictives pour la gestion des hauteurs : en 1971, une circulaire interdit la construction de tours dans les villes de moins de 50 000

1 Alors que le premier gratte-ciel parisien (la Tour d’habitation Croulebarbe de 61m de haut dans le 13ème arrondissement) date de 1961, on dénombre en 2009 pas moins de 160 tours dans Paris intra-muros, et 400 en ajoutant la petite couronne (Namias, 2009a).

habitants, 1973 voit la fin de la politique des grands ensembles en France, les réflexions pour l’élaboration du Plan d’occupation des sols (POS) de Paris en 1974 envisagent de limiter le plafond des hauteurs et enfin, en 1976 V. Giscard d’Estaing, président de la République, marque donc un coup d’arrêt à la construction des tours afin d’éviter l’ « enlaidissement de la France » (Annexe 1).

A Paris, cet arrêt est marqué par l’abandon du projet de la tour Apogée, tour mixte initialement prévue sur la Place d’Italie à Paris. Dans la capitale, cette décision politique s’est formalisée dans les réglementations d’urbanisme, notamment dans le POS de 1977 avec la création de plafonds des hauteurs. Cette carte des limitations des hauteurs permis, selon les zones géographiques, d’établir des hauteurs maximales des constructions entre 25 et 37 mètres1.

Alors que la Défense en 1977 et 1990 lançait, respectivement, sa deuxième puis troisième génération de tour2, et que les grandes métropoles mondiales entraient dans une course internationale à la hauteur, la situation parisienne n’a pas véritablement évoluée depuis l’arrêt de la fin des années 70 (Annexe 1).

La vision de la grande hauteur de l’époque perdure encore aujourd’hui et les tours sont bien souvent associées à urbanisme de dalle pas toujours bien intégré dans le tissu urbain, vecteur de ségrégation sociale et « vécu pour beaucoup comme un traumatisme » (Taillandier, 2009a, p.389).

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 27-30)

Documents relatifs