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L’analyse socio-institutionnelle (production et système d’acteurs)

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 126-130)

Synthèse du chapitre 5 – Caractériser la contribution d’une tour à l’urbanité de la ville

Chapitre 6 : Partie empirique - Analyse du cas francilien

3. Méthode d’enquête qualitative (approche territoriale)

3.2. L’analyse socio-institutionnelle (production et système d’acteurs)

Grille d’analyse socio-institutionnelle

L’approche dite « socio-institutionnelle » de nos terrains permet d’aborder la question du système d’acteurs et de la production en phase amont des objets étudiés ainsi que de proposer des éléments de réflexion répondant à la question « comment mettre en œuvre la ville en hauteur ? ». Elle complète d’une part, et est enrichie d’autre part par l’analyse technique avec l’explication des choix, initiatives, processus décisionnels et logiques spatiales des objets étudiés.

L’approche socio-institutionnelle nous permet, dans un cadre d’analyse proche de celui des projets urbains, d’aborder sur le même plan les logiques spatiales, économiques et financières, politiques, réglementaires et juridiques, ainsi qu’urbaines à la manière de Linossier & Verhage (2009) qui considèrent que « la réalisation des projets urbains est à la fois un processus économique et un processus politique et administratif, au cours duquel les différents objectifs s’ajustent en fonction de considérations microéconomiques, politiques et institutionnelles » ( p. 147).

Notre grille d’analyse socio-institutionnelle se décline en plusieurs éléments : les origines du projet et les initiatives des acteurs concernés d’abord, l’examen du système d’acteurs ensuite, les différents montages du projet, et enfin le processus de production de la tour dans sa phase amont, où comme pour les projets urbains «une multitude de pratiques de conception s’enchevêtrent : conception politique, socio-économique, organisationnelle, financière, juridique, urbanistique, etc. » (Prost, 2003, p.21). Ces composantes socio-institutionnelles ne peuvent être isolées de l’objet architectural étudié, ainsi chacun des éléments socio-institutionnel étudiés est mis en parallèle avec les logiques spatiales décrites plus haut. La mise en relation de ces deux analyses met à jour les jeux de causes et de

conséquences (à double sens) entre l’objet et son processus de fabrication. Ainsi, l’objectif est de comprendre les liens, si lien il y a, entre le processus de production d’un bâtiment et ses rendus intermédiaires et final. Les freins et atouts de la mise en œuvre de l’urbanité (à travers la question de la mixité des fonctions, de l’ouverture et la publicité ainsi que de l’insertion du bâtiment dans le quartier) sont mis à jours à travers le discours des acteurs, leur vision, et les décisions qu’ils ont prises dans un contexte donné.

La compréhension des origines du projet, qu’elles soient publiques ou privées, dans une volonté de développement urbain ou d’opportunité foncière permettent de mettre à jour les enjeux territoriaux, sociaux, économiques ou encore financiers du projet. Les justifications publiques amorcées lors de l’annonce du projet, ainsi que les ambitions affichées ou non permettent de marquer un repère au temps zéro du projet qui pourra servir de point de référence pour évaluer l’évolution du projet dans le temps. Il permet aussi de poser le point de départ des éléments de négociations et des volontés des différents acteurs.

Ces volontés et négociations entre les acteurs sont explicitées grâce à l’étude du système d’acteur. Le rôle de chacun des acteurs direct ou indirect du projet est épluché et met à jour les zones d’actions possibles de chaque acteur public ou privé. En accord avec Linossier & Verhage (2009, p. 146) qui annoncent que « les notions de rôle et d’acteur sont complémentaires mais distinctes », nous considérons que l’élaboration d’un schéma des rôles de chacun des acteurs dans la production du projet permet de mettre à jour les zones d’actions possibles de chacun d’entre eux et de comprendre

« le montage institutionnel et économique des projets » (p. 146). Ce schéma fonctionnel permet aussi de comprendre les implications publiques ou privés dans la conception du projet de tour : dans la rédaction des différents cahiers des charges, dans le choix du projet architectural, dans les questions réglementaires, les études, dans les organismes décisionnels, etc. Enfin, le système d’acteurs (c'est-à-dire les interrelations entre les différents acteurs de la production de la tour) peut être explicité si l’on connait les objectifs et les intérêts de chacun d’entre eux à la manière de Boutinet (cité par Arab, 2004, p. 96) qui « considère que le projet émerge d’une confrontation entre les finalités poursuivies par les auteurs du projet et la situation toujours singulière dans laquelle s’inscrit l’action ». Comme vu précédemment, une tour est un bâtiment emblématique d’une ampleur telle qu’il réunit un nombre de d’ambitions et d’objectifs parfois antagonistes : il faut alors les recenser et les différencier afin d’en comprendre le poids respectifs dans les négociations, les coopérations, relations de dépendance et d’opposition.

L’analyse des montages juridique (propriétés, bail, etc.), réglementaire (modifications des documents d’urbanisme, concours ou consultations publiques, enquêtes publiques, stratégie urbaine des aménageurs, périmètres, etc.) et financier (financement, négociations foncières, droits à construire, etc.) des projets étudiés permet d’approfondir les contraintes de la production (Prost, 2003). Ces montages expliquent aussi beaucoup des choix et des arbitrages effectués lors de la production des projets : ils viennent préciser et parfois nuancer la compréhension des mécanismes de décision et les temporalités du projet. Ils mettent parfois à jour l’implication et le support de certains acteurs pour la réussite du projet et sont parfois à l’origine de certaines décisions portant directement sur les caractéristiques spatiales de la tour.

Le processus de production, décrit de manière chronologique, doit permettre d’apporter une temporalité à l’analyse précédente à la manière de ce que Arab (2004) qualifie de « question dynamique de l’activité de projet dans le temps » (p. 98). A travers un recensement des évènements de la production de la tour et l’édification d’une chronologie, il est possible d’extraire et d’examiner les grandes phases de la production des trois projets étudiés. La chronologie, telle que présentée, dissocie les temps et actions des acteurs publics d’une part et des acteurs privés d’autre part. Cette distinction permet de visualiser les temporalités du public et du privé, les allers retours, réponses, éléments déclencheurs et interrelations entre les différentes phases publiques et privées. Elle permet aussi d’identifier, dans le temps, les phases de coopérations, négociations et d’actions communes des

acteurs publics et privés. De cette analyse temporelle ressort aussi les évolutions de la forme et du contenu du projet en lien avec les phases de conception, de négociation, ou d’opposition du projet : que nous focalisons sur la mixité des fonctions et les aménités publiques.

Série d’entretiens des acteurs de la production

Le recueil des discours, des explications et des informations permettant d’analyser les dimensions techniques, socio-institutionnelles et territoriales de nos cas d’étude s’effectue à travers une série d’entretiens semi-directifs des acteurs directs et indirects de la production de chaque projet étudié.

Les acteurs interrogés :

Le choix des acteurs ne se fait pas de manière statistique, nous ne recherchons pas ici la représentativité, mais les acteurs susceptibles de pertinemment répondre aux questionnements posés et d’apporter de nouvelles informations sur le projet et son processus de fabrication : « est [alors]

acteur celui qui participe au champ d’action considéré et dans la mesure où son comportement a une influence sur ce champ d’action » (Arab, 2004, p. 97).

En amont, une enquête exploratoire composée d’une première série d’entretiens d’interlocuteurs dits

« experts » (8) interrogés de manière plus large sur les tours et leurs enjeux à Paris, sur les questions techniques, les contraintes, etc. a été menée. Elle a permis de préciser le sujet, de contribuer à l’édification de la grille de lecture et de sélectionner les bons acteurs à rencontrer pour les cas à approfondir.

Les premiers acteurs interrogés sont ainsi sélectionnés d’après une recherche documentaire opérationnelle et d’après les entretiens de l’enquête exploratoire. Les acteurs suivants sont choisis et approchés au fur et à mesure de l’enquête à travers les informations et les contacts recueillis lors des entretiens semi-directifs précédents. Le critère définissant le nombre d’acteurs à rencontrer pour un terrain donné est celui de la redondance des informations recueillies1 : lorsque certains propos sur un thème particulier viennent à se répéter, il est alors à considérer que les entretiens à ce sujet peuvent prendre fin.

Les acteurs interrogés sont désignés parmi les institutions, entreprises, collectivités locales, associations, etc. prenant part, à un moment donné du projet, à sa production. A aussi été utilisée la typologie des acteurs de la production des projets urbains de (Linossier & Verhage, 2009) qui propose de tenir compte des collectivités locales et autres organismes publics, des propriétaires initiaux, des aménageurs, promoteurs, investisseurs et usagers finaux.

Comme annoncé plus haut, « les notions de rôle et d’acteur sont complémentaires mais distinctes, car la manière dont les rôles sont répartis entre les différents acteurs est un élément central des choix de montage institutionnel et économique des projets urbains » (Linossier & Verhage, 2009, p. 146) . Nous considérons alors les acteurs par le rôle qu’ils peuvent jouer dans la production de chacune des tours étudiée, ainsi, en croisant les propositions de Chambert (dans Linossier & Verhage, 2009)2 pour les projets urbains, celles de Arab (2004) qui considère que se borner à l’analyse de la production urbaine par les acteurs MOA et MOE est « inopérante pour rendre compte de la variété des configurations d’acteurs observés ou pour rendre intelligibles les logiques d’actions des acteurs de la conception et de la production des espaces et des ouvrages » (p.85)3, ainsi que celles et de Nappi-Choulet (2009) pour l’immobilier d’entreprise, nous proposons la liste suivante :

1 Il s’agit de la methode Snowball utilisée par (Boyko & Cooper, 2011, p.4 ; Kebir, 2004, p.66).

2 Chambert A., 1988, The dynamics of urban development : building, housing and planning in the Stockholm region 1950-1980, paper presented at the seminar development », University of Utrecht (NL), 25 october 1988.

3 Nous considérons que cette réflexion axée sur l’analyse des projet urbain peut tout aussi bien s’appliquer à celle des projets de tour Citoyenne ou Ville Verticale en raison de leur complexité et des enjeux public/privé (décrits

- les propriétaires foncier et immobilier, - les initiateurs du projet,

- les dessinateurs (architectes, urbanistes et bureaux d’études techniques), - les aménageurs (équipement des terrains),

- les producteurs (construction et promotion immobilière), - les financeurs (banquiers et financiers),

liste à laquelle nous ajoutons,

- les décideurs (politiques élus),

- les exploitants et gestionnaires (une fois le projet réalisé).

C’est selon ces rôles dans le projet que nous sélectionnons les acteurs pertinents de la production des tour, en considérant aussi que certains peuvent jouer plusieurs de ces rôles en même temps et qu’un rôle peut être tenu par plusieurs acteurs différents1.

Finalement, l’enquête qualitative s’est déroulée entre mai 2012 et décembre 2013 auprès des acteurs de la production de nos trois terrains d’étude. En tout, ce sont un total de 37 entretiens approfondis menés avec 28 acteurs différents. En plus des 8 acteurs dits « experts » interrogés lors de l’enquête exploratoire, 6 personnes ont été rencontrées pour parler du CNIT, 8 pour la tour Phare, 7 pour la tour Triangle, et enfin 7 pour les tours Duo (certains acteurs ayant été rencontrés plusieurs fois pour un informations que l’on sentait, par nature, sensibles car ayant rapport à des mécanismes décisionnels, financiers ou de négociation entre différents acteurs pas toujours transparents ni rendus publics. Les projets de tours, à Paris en particulier, sont parfois très controversés et génèrent des enjeux politiques et économiques colossaux qui font exercer une réelle tension sur les techniciens et les politiques. Ils génèrent un réel intérêt médiatique motivant des journalistes prêts à obtenir les informations les plus inédites et créent parfois un climat de suspicion pour certains acteurs de la production y compris face au chercheur venant poser des questions parfois sensibles. Mais, de manière générale, les acteurs semblaient intéressés par la problématique de la recherche et plutôt satisfaits de pouvoir me donner les informations demandées.

Les entretiens semi-directifs

Les entretiens ont été menés de manière semi-directive basée sur une grille d’entretien et ont duré en moyenne entre 60 et 120 minutes. Celle-ci a été établie à partir du cadre théorique développé dans le Chapitre 4 et le Chapitre 5. Les entretiens ont tous portés sur les caractéristiques et le processus de fabrication de l’objet étudié, toujours à travers les thèmes analytiques principaux de :

- La mixité des fonctions et des usages,

- L’ouverture et le degré de publicité du bâtiment,

- L’ancrage et l’insertion dans son environnement immédiat.

dans la Partie 1) qui leurs sont liés. Nous décidons ainsi d’utiliser les outils analytiques du champ urbain pour comprendre les caractéristiques de la production des tours en Ile-de-France.

1 Voir à ce propos les remarques de Arab (2004) sur la « remise en cause de la césure habituelle entre programmation et conception » (p.86), ainsi que le glissement entre leurs s différents rôles.

Ils laissaient aussi une place à des questionnements plus généraux concernant le rapport à la grande hauteur des acteurs interrogés en tant que professionnels de leurs domaines respectifs.

La grille de lecture et le questionnaire type par acteur initialement, issus de la réflexion théorique, ont ensuite évolués et se sont précisés au cours de l’enquête et des différents entretiens. C’est le discours des acteurs sur ces trois thématiques qui a été relevé et leurs réponses permettant de remplir les grilles d’analyses technique, socio-institutionnelles, et territoriale présentées plus avant (p. 123) et ci-dessous .

Dans le document URBANITÉ, MIXITÉ ET GRANDE HAUTEUR : (Page 126-130)

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