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Chapitre III Protection des troupeaux contre la prédation par les loups

III- 2 Les moyens de protection choisis en France et leur efficacité

Théoriquement, une protection passive seule pourrait satisfaire. Elle reposerait alors sur une clôture parfaitement étanche à l’intrusion des loups par au-dessus et par en-dessous. Ainsi, la Commission européenne recommande, après tests réalisés en Espagne et au Portugal, une hauteur de clôture de 2 mètres, avec un retour barbelé vers l’extérieur ainsi qu’en bas, et enfouissement de la clôture sur 0,5 cm (Alvarez et al., 2014). Cette hauteur conséquente avec retour (barbelé ou électrique) est utilisée en parcs animaliers. Elle peut sembler excessive avec un coût beaucoup plus important que celui de clôtures classiquement utilisées en élevage (entre 0,8 et 1 m), du fait de la hauteur et de la nécessité de l’enterrer sur plusieurs dizaines de centimètres. Elle parait surtout irréaliste pour les élevages et territoires où l’élevage utilise environ 7,5 millions d’ha pour les surfaces toujours en herbe (Source : Agreste) C’est pourtant bien des hauteurs de clôtures de près de 3 mètres, avec électrification et enfouissement, qui sont utilisées partout dans le monde pour garantir le non- franchissement par des loups lorsqu’ils sont en parcs.

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Par voie de conséquence, dans les cas des élevages domestiques, une protection plus active est recherchée. La protection « semi-active » des troupeaux face aux loups est assurée par de grands chiens de protection (diverses races sont disponibles en Europe…), dont l’efficacité est cadrée et accrue par la clôture ou par l’homme (Espuno, 2004). En France, cette logique retenue par les pouvoirs publics conduit à associer deux moyens de protection : chiens et homme, ou chiens et clôture. Le rôle de l’homme non-armé ou de la clôture ne sont pas équivalents au rôle des chiens. Les chiens alertent et tentent de protéger, l’homme non-armé ou la clôture aident les chiens à protéger. À ce jour en France, les moyens de protection des troupeaux préconisés et financés dans le cadre de l’actuel plan d’action national loup, mesure 32 3C1 (Ministère de l’Ecologie, Ministère de l’Agriculture, 2013) reposent sur des techniques de protection semi-actives (chiens, parcs de nuit avec chiens, clôtures électrifiées, gardiennage renforcé). En cercle 1, où le risque de prédation est supérieur, il est demandé la combinaison d’au moins deux sur trois moyens de protection. C’est bien ainsi « en combinaisons obligatoires [de moyens de protection], en fonction de la taille du troupeau et de la durée de son pacage en zone de prédation » que doit être décliné le dispositif de protection d’un élevage.

Les moyens de protection pouvant être partiellement financés dans le cadre du plan loup sont i) l’achat et l’entretien de chien de protection, ii) le parc de regroupement mobile électrifié, iii) le gardiennage renforcé (berger ou éleveur-berger), iii) le parc de pâturage de protection renforcée électrifié et iv) l’analyse de vulnérabilité (Ministère de l’Ecologie, Ministère de l’Agriculture, 2013).

b- Efficacité des moyens de protection mis en œuvre en France

Le choix de ces moyens est fondé sur deux postulats : i) Des chiens de protection repèrent plus aisément que des humains l’arrivée du prédateur et sont généralement en mesure de le repousser ii) Une présence humaine continue et vigilante auprès du troupeau suffit à tenir les loups à distance. La capacité de vigilance des chiens, par l’odorat et l’ouïe notamment, est sans comparaison supérieure à celle des humains. Mais plusieurs travaux montrent qu’ils ne sont efficaces que lorsqu’ils fonctionnent comme un signal de rappel face à des loups craignant les humains parce qu’ils ont appris qu’il y a danger à s’en approcher. Avec des loups insistants, les chiens, même en nombre, se font un jour ou l’autre déborder, surtout si le troupeau est étalé sur le pâturage, ou sur terrains accidentés et embroussaillé lorsqu’il y a manque de visibilité (Lescureux et Linnell, 2014 ; Meuret et al., 2017a).

Le second postulat est validé dans tous les pays où, à la différence de la France, les humains (éleveurs, bergers ou aides-berger, sans oublier les chasseurs) sont armés et autorisés à repousser immédiatement et activement le ou les prédateurs menaçant le troupeau. Les prédateurs le savent. Ils reconnaissent le bruit caractéristique du fusil qu’on charge, ainsi que l’odeur de la poudre, signaux interprétés comme une menace tangible et directe. Au Kirghizstan, des vêtements imprégnés d’odeur de poudre sont utilisés pour tenir les loups à distance, ceci pour autant que les humains procèdent de temps à autre à des « rappels » au sujet de la menace lui étant associée (Lescureux, 2007).

Ainsi, en 2015, le Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt, et le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire ont commandité une évaluation de l’efficacité des moyens de

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protection des troupeaux domestiques contre la prédation exercée par le loup dans les Alpes (de Roincé, 2016). Conduite à partir de données d’enquêtes, cette étude confirme le fait que la garde éleveur [par rapport à la garde par un berger] associée aux chiens de protection montre le meilleur niveau d’efficacité. Les parcs de regroupement améliorent l’efficacité de la garde, mais lorsque les loups y pénètrent, les pertes sont plus importantes. Enfin, les auteurs regrettent ne pas avoir pu étudier les parcs de pâturage, en l’absence de données permettant de le faire.

De Roincé (2016) souligne que « l’évaluation statistique et l’enquête de terrain font apparaître un niveau de protection qui se dégrade selon un gradient de contexte qui part des alpages du nord des Alpes jusqu’aux zones intermédiaires du sud des Alpes. [Elle] met en évidence que les moyens de protection sont plus efficaces au sein des milieux d'alpages qu'au sein des milieux intermédiaires. Ainsi le diagnostic désigne une protection plus efficace pour les éleveurs montagnards transhumants qui font pâturer leurs troupeaux sur des estives faciles d’accès et en milieu ouvert que pour les éleveurs sédentaires préalpins ou méditerranéens ». Pour l’auteur de ce rapport, « la situation est amenée à évoluer. Cela est attendu à la fois dans les nouveaux contextes pastoraux, mais aussi au sein des zones historiques de présence du loup. Au cours de l’enquête, les éleveurs ont d’ailleurs indiqué [des] sources d’évolution : i) Modification de la gestion des forêts et des estives vers la fermeture des milieux, ii) Rapprochement progressif du loup autour de l'Homme et de ses habitations : migration des loups des alpages vers les vallées, habituation du loup aux moyens de protection et leur contournement ».

Face à des loups qui, en France, ont « désappris » la crainte des humains - contrairement à l’Italie, où des chercheurs estiment que 200 à 300 loups sont illégalement abattus chaque année (Hindrikson et al., 2016 ; Galaverni et al., 2015) – les moyens de protection (clôtures sécurisées, chiens, humains non armés) ne peuvent être considérés que comme une succession d’obstacles même accumulés ,pour une espèce par ailleurs connue pour être à la fois intelligente, très adaptable et opportuniste (Mech et Peterson, 2003 ; Lescureux et Linnell, 2010). C’est probablement la raison de la constante progression du nombre de victimes d’élevage en France (plus de 10 000 par an actuellement), qui croit linéairement depuis 2008 en dépit d’une politique et de moyens financiers très conséquents alloués à la protection des troupeaux (Meuret et al., 2017a).