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Chapitre VI Evaluation à l’échelle du périmètre d’étude

VII- 2 Quelles conséquences d’une accélération de l’abandon du pâturage sur les pelouses, landes

Dans les scenarii 2 à 4, des parcours seraient abandonnés : de l’ordre de 48 % pour le scenario 2, 80 % pour le scenario 3 et 100 % pour le scenario 4. Quelles seraient les conséquences de cet abandon du pâturage sur les surfaces de parcours ?

L’analyse du paysage (chapitre IV) a montré la part importante de paysages fermés à très fermés. Cet état est le fruit d’une fermeture du paysage en cours sur les Grands Causses. Ceci est un processus déjà ancien qui a débuté au XIXème siècle et s’est accéléré à partir des années 1960 (Lepart et al., 2000 ; Quetier et al., 2005 ; voir aussi les travaux sur le Causse Méjean : Marty et al., 2003 ; Fonderflick et al. 2010). Cette fermeture s’est déroulée en parallèle d’un exode rural assez massif et d’une diminution du nombre d’éleveurs. Dans le Rayon de Roquefort, c’est 63 % des élevages qui ont disparu entre 1951 et 1978 (Flamant et Labouesse, 1991). Plus récemment, la transformation des modes de production en élevage, avec intensification de l’alimentation des troupeaux a donné la priorité aux ressources fourragères tirées des espaces cultivés et conduit à une moindre utilisation des ressources non cultivées de parcours (chapitre II).

Ce processus écologique de fermeture fait aujourd’hui l’objet de nombreuses inquiétudes face aux risques de banalisation du paysage, d’incendies de landes et forêts et de perte de biodiversité par disparition d’habitats semi-naturels de nombreuses espèces végétales, oiseaux, orthoptères et papillons, considérées comme patrimoniales et inféodés aux milieux ouverts ou semi-ouverts (Fonderflick et al., 2010 ; Dereix et Guitton, 2016). Aujourd’hui, le périmètre d’étude présente une vraie richesse en matière de faune et flore (Marie et Aussibal, 2017 ; PNRGC, 2017). En 2016, 47 296 ha de ce périmètre étaient classés en zone Natura 2000, soit plus de 50% des surfaces Natura 2000 du département de l’Aveyron (Données : Corine Land Cover, Source : UE AAE SOeS ; Traitement : Inra-Montpellier SupAgro-Cerpam). Sur le Larzac, plus particulièrement, un cortège de plantes spécifiques inféodées aux substrats calcaires et milieux ouverts se développent, comme le thym de la dolomie ou l’armérie de Girard (Marie et Aussibal, 2017), mais aussi des collections d’orchidées, connues internationalement.

Pâturage et conservation des paysages est un enjeu qui s’inscrit dans des dynamiques de longue durée et dont les résultats dépendent des façons dont les troupeaux sont conduits au pâturage durant l’année ainsi qu’au fil des années. C’est la leçon que nous tirons des travaux scientifiques, auxquels certains d’entre nous ont largement contribué, sur le pâturage conduit à double fin : alimenter des animaux tout en contribuant aussi à la conservation ou à la restauration de paysages favorables aux habitats d’espèces et moins sensibles au risque d’incendies (Etienne et al, 1990 ;

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Beylier et al, 2001 ; Etienne, 2002 ; Lardon et al., 2004 ; Gautier et al. 2006 ; Agreil et al, 2008 ; Hubert et al, 2008 ; Hubert et al, 2010 ; Thavaud et al., 2010 ; Lepart et al, 2011 ; Meuret et Provenza, 2015 ; Lepart et al, 2017).

Nous pouvons affirmer que, en toutes régions :

- l’impact du pâturage est fonction de la configuration spatiale de l’espace mis à pâturer (dimensions et formes des parcs…) et de l’organisation de sa gestion, c’est-à-dire quels animaux, combien, à quelle(s) saison(s) et avec quelles durées et séquences annuelles de présence dans les parcs ;

- cette gestion doit intégrer, si besoin, des interventions ciblées d’entretien complémentaires – éclaircies d’arbres en excès, feu pastoraux, broyage... -nécessaires au maintien des milieux ouverts mais la plupart du temps insuffisantes, et surtout à répéter fréquemment en l’absence de pâturage associé.

a- L’embroussaillement et le boisement des Causses : une histoire déjà ancienne provoquée par un changement profond de société et pratiques agricoles

Sur les Grands Causses, il y a aujourd’hui consensus pour dire que l’élevage agropastoral est indispensable au maintien d’un paysage remarquable que l’UNESCO, en 2011, a identifié comme « paysage culturel vivant et évolutif de l’agropastoralisme méditerranéen ». Ce maintien pose problème : buis, genévriers et pins progressent depuis la fin du XIXème siècle et réduisent voire détruisent l’aspect steppique et patrimonial du paysage caussenard.

Ce paysage des Grands Causses est le produit multiséculaire d’une céréaliculture qui s’appuyait sur des troupeaux ovins (Chapitre II). De nature vivrière, elle s’étendait sur les Avants-Causses mais aussi sur les plateaux, tous patiemment épierrés à la main, comme en témoignent les pierriers sur les actuels parcours. Les prélèvements des animaux au pâturage, complétés par des feux pastoraux périodiques, n’étaient compensés que par les apports de fertilisants organiques à partir des déjections de ces mêmes troupeaux. Les arbustes servaient de combustible pour le chauffage domestique et les nombreux fours artisanaux (pain et chaux). Les propriétaires interdisaient à leurs fermiers de couper les arbres, surtout les chênes, et cette interdiction a été renforcée en 1946, car alors incluse dans le statut du fermage. Les fermiers et leurs employés entretenaient les haies et les taillis, y compris d’arbres, à double fin : bois pour le chauffage domestique et feuillages pour le bétail. Quant au buis, il servait surtout de litière aux animaux, ce qui contribuait aussi à limiter son développement.

Depuis le milieu du XIXème siècle, le processus de dépopulation des Causses conduit les éleveurs à devoir travailler seuls, voire à deux ou trois en GAEC, sur une exploitation et son territoire, là où la main d’œuvre était auparavant trois ou quatre fois supérieure. En parallèle, la collecte du lait pour les caves de Roquefort a augmenté. En conséquence, les élevages ovins laitiers plus intensifs (cf. Chapitre II) se sont progressivement détournés de la valorisation des ressources fourragères de parcours, celles-ci étant de nature saisonnière et donc de qualité et quantité devenues trop incertaines au regard des nouveaux objectifs de production, occasionnant aussi de trop grandes quantités de travail. Ceci a ouvert la voie à l’embroussaillement et l’enforestation des parcours des Causses et Avants-Causses.

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Au sortir de la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 1990, et bien que des dynamiques inverses s’observent depuis vingt-cinq ans (Quetier et al., 2005), les changements au sein des élevages ovins laitiers, démarrés au XIXème, se sont fortement accentués :

i) Le déplacement et la concentration des mises-bas des brebis depuis le printemps vers le plein hiver ont fait que, pour des troupeaux constitués de brebis en production, la quantité et la qualité des stocks fourragers à distribuer à l’auge sont devenus des impératifs ;

ii) Avec la mécanisation des travaux des champs, les terres considérées comme « cultivables » ont été réduites, à présent limitées à celles non pentues, au sol plus profond et non excessivement pierreux. L’usage de ces terres a aussi été reconfiguré, en priorité pour produire les stocks devenus importants de fourrages (surtout des luzernes) en rotation avec des céréales pour la complémentation des rations alimentaires, et en second lieu pour le pâturage. Certaines surfaces cultivées ont été abandonnées et leurs friches converties en terres de parcours.

iii) La reconfiguration foncière a aussi concerné les terres de parcours, en raison de l’abandon du gardiennage des troupeaux par des bergers, remplacés par des parcs fixes clôturés, le plus souvent de grande taille (plusieurs dizaines et jusqu’à plus de 100 hectares d’un seul tenant). Certains parcours ont été abandonnés, suite à une cessation d’activité d’élevage.

b- Dans le périmètre d’étude ou ailleurs : l’efficacité du pâturage est fonction du mode de conduite du troupeau

Des animaux en troupeau n’adoptent pas le même comportement de circulation dans l’espace ni de choix alimentaires selon qu’ils sont conduits par un berger, dans un très grand parc clôturé (30 à 100 ha environ), ou bien dans un enchainement de parcs de taille plus réduite (5 à 25 ha). Les habitudes alimentaires acquises par les animaux au sein du troupeau et au fil des générations d’animaux influent également sur leur appétit à manger de tout, y compris des herbes grossières et arbustes envahissants mais comestibles (Meuret, 2014 ; Meuret et Provenza, 2015). Un exemple : dans le cas d’un troupeau laitier rentré chaque soir pour la traite, la localisation de la porte du parc influe sur ses circuits quotidiens, sa fréquentation dans la journée des différents secteurs du parc, et par résultante sur la composition de son régime quotidien (Leclerc et Lécrivain, 1994). Enfin, les nature et quantité d’aliments dits « complémentaires » distribués à l’auge influent directement aussi sur les choix alimentaires des animaux au pâturage, les incitant à rechercher et consommer des fourrages plus fibreux (herbes grossières), ou au contraire et presque uniquement des fourrages jeunes et très digestibles (jeunes herbes et pousses d’arbustes) (Garde 1996 ; Meuret 1997a,b) Lorsque les parcs sont trop grands, et/ou que des brebis sont laissées trop longtemps dans un même parc (plus de 3 semaines ou un mois d’affilée environ), les brebis sont incitées à beaucoup trier et circuler (Bailey et al, 1996 ; Meuret et Dumont, 2000). L’impact de ces brebis laissées libres de circuler sur un grand espace nécessairement hétérogène peut devenir lui aussi très irrégulier, avec sous-pâturage de certains secteurs et surpâturage d’autres, deux situations favorables à l’installation puis à la propagation des ligneux. Ceci apparaît surtout lorsqu’il n’y a qu’une longue séquence de pâturage par an dans le parc, et aucun « rattrapage » à l’aide un autre lot d’animaux mis à pâturer à d’autres saisons et de façon complémentaire. A contrario, des parcs de taille plus réduite permettent aux animaux de mémoriser plus aisément les limites du parc ainsi que la localisation de ses diverses ressources. On observe que ces animaux circulent alors moins continuellement et réalisent un

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pâturage « plus complet » de la strate herbacée, ce qui limite aussi le développement des jeunes ligneux. Dans de tels parcs, les animaux, y compris des brebis, sont susceptibles de prélever volontiers chaque jour des feuillages d’arbres et arbustes comestibles en mélange avec les herbes (Agreil et al, 2004 ; Meuret, 2010).

Avec des brebis laitières dont la demande alimentaire peut être très importante en raison d’un objectif de production élevée, l’éleveur qui ne veut pas « faire tirer ses bêtes », limite généralement la pression de pâturage et se satisfait qu’elles trient beaucoup et ne consomment que « le meilleur » dans ses parcs (végétaux jeunes et très digestibles, herbes ou feuillages). Cette gestion des animaux en production peut généralement se rattraper par la mise au pâturage, ensuite et dans le même parc, d’un lot de brebis taries, ou de brebis allaitantes (cas des élevages mixtes) « qui se contenteront du reste ». Mais tout dépend alors aussi de l’adéquation du calendrier de pâturage des différents lots d’animaux avec l’état de croissances et de maturité des plantes. Par exemple, un pâturage de fin de printemps, plein été ou automne, mettant les brebis face à de jeunes plantules de buis devenues plus matures et discriminables par la vue et l’odorat, car contenant des toxines répulsives (Bryant et al., 1992), ne conduira pas ces brebis, même lorsque peu exigeantes et ayant de l’appétit, à associer y compris par erreur des plantules de buis aux jeunes herbes dans leurs prises alimentaires (Rousset et Lepart, 1999).

Ainsi, c’est le mode de gestion pastorale, plutôt que la seule présence ou absence de pâturage, qui permet ou non d’orienter l’impact des animaux sur les dynamiques de colonisation des graminées sociales en touffes et des ligneux à capacité de dominance du milieu. Dans tous les cas, il faut garder à l’esprit que le pâturage ne peut à lui seul empêcher la colonisation du milieu par des buis ou des pins, végétaux non ou peu comestibles une fois dépassé le stade de très jeunes plantules incluses dans un tapis d’herbes fines et appétentes.

c- Et si le risque de prédation contraint davantage les pratiques pastorales ?

Une accélération de l’abandon du pâturage des troupeaux de brebis sur pelouses, landes et sous- bois, en raison de la prédation par les loups, avec repli et concentration sur les seules terres cultivées, ou sur les pelouses non excessivement éloignées de l’exploitation, aura des conséquences multiples et non totalement prévisibles au regard des connaissances actuelles en science, mais aussi dans la pratique.

Probablement, les pins, genévriers, buis, ainsi que les graminées sociales en touffes, tels les brachypodes, profiteraient de tous les secteurs abandonnés par le pâturage pour s’installer plus aisément et rapidement, leurs plantules au stade herbacé n’étant plus limitées par le piétinement et l’exposition au dessèchement ni consommées en mélange, et y compris par erreur, avec le reste de la strate herbacée. Certaines végétations ligneuses et à fort pouvoir de colonisation sont particulièrement rebutantes pour les brebis, comme le buis et dans une moindre mesure le pin sylvestre, qui sont les deux colonisateurs les plus abondants des Causses. Par expérience plus à l’Est, et sur des sols calcaires et parfois squelettiques également (Alpes de Haute-Provence, Drôme…), c’est une consommation complète de la strate herbacée qui seule permet de limiter les semis et la propagation de ces espèces, par piétinement et exposition au dessèchement de leurs plantules. Les buissons, par exemple les prunelliers, n’étant plus consommés, ils formeront d’épais massifs continus. Quant aux pins, une fois devenus sexuellement mâtures, leur reproduction par graines

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emportées sur longues distances par les vents, revêt un caractère démographique de type exponentiel, face auquel il devient difficile de lutter (Boulant et Lepart, 2008).

Notons que cette prolifération de buis, de pins, de prunelliers conduirait à une augmentation d’espèces combustibles et accroitrait le risque d’incendies dans des régions où la sécheresse estivale peut être importante. Ce risque serait accentué avec l’apparition de maladies comme la pyrale du buis qui, si en détruisant cette espèce ligneuse, produit bois et feuillage secs en grande masse. Cet accroissement du risque conduirait probablement à l’émission d’une interdiction d’accès pour la fréquentation touristique estivale à ces zones, comme cela est pratiqué couramment dans le Sud-Est de la France.

Cette dynamique serait par contre provisoirement favorable à certaines espèces animales appréciant le stade de transition fourni par les friches récentes, comportant graines de graminées en abondance et possibilités de dissimulation sous les massifs d’épineux, par exemple des espèces d’oiseaux nicheurs au sol. Par la suite, le paysage deviendrait d’allure binaire : forestier en majorité, donc favorable à certaines espèces de gibiers comme le sanglier, mais parsemé des clairières cultivées et pâturées, où se concentreront brebis et chevreuils en soirée, ces derniers pour autant que les clôtures fixes sécurisées restent franchissables et les loups non excessivement abondants. Quant aux brebis, presque exclusivement habituées alors aux aliments distribués et parcelles d’herbes cultivées, elles perdraient probablement en quelques générations leurs aptitudes à utiliser une gamme diversifiée de fourrages naturels. Il en serait bien entendu de même de leurs éleveurs (Meuret, 2010 ; Despret et Meuret, 2016).

Abandon du pâturage par les éleveurs ne signifierait toutefois pas boisement généralisé des Causses et des Avant-Causses. Ceci en raison du fait que des éleveurs, même repliés sur leurs seules terres cultivables et en bâtiments, continueraient d’occuper et de structurer partiellement le paysage, devenu alors une mosaïque de cultures d’herbe fourragères et de céréales, reliées par quelques routes et pistes, et toutes entourées de lisières de landes hautes et de bois. Un paysage devenu somme toute assez banal à l’échelle du pays, et ayant perdu toute valeur patrimoniale.

VII-3. Quelles conséquences d’une mise en œuvre de la protection pour les