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Chapitre VIII Quel réalisme des scenarii ?

VIII- 1 Quelle faisabilité des scenarii ?

Les cas stylisés et leurs stratégies de protection ont été construits pour réfléchir à quel pourrait être l’impact de la mise en œuvre des moyens de protection sur une diversité de situations d’élevage et sur un ensemble d’élevage dans un périmètre d’étude. Ils ne rendent pas compte de la spécificité de chacune des exploitations du territoire. Certains choix techniques liés aux différentes stratégies de protection sont sans doute plus ou moins difficiles à mettre en œuvre selon les particularités des situations concrètes. C’est le cas, par exemple, des parcelles de parcours particulièrement accidentées, où suivre la courbe du sol avec la clôture fixe sécurisée pour éviter une intrusion par en dessous devient difficile, des rochers affleurants handicapant la pose de piquets, ou des bâtiments anciens pour lesquels le réaménagement, afin de conduire plus d’animaux à l’intérieur toute l’année, devient complexe. Ces deux exemples illustrent les spécificités des situations de chaque élevage dont nos cas stylisés et scenarii ne pouvaient pas rendre compte. Ceci a pour conséquence la probable sous-estimation des coûts de la mise en œuvre de la protection, à l’échelle d’une exploitation d’élevage (Chapitre V). A ceci s’ajoute le fait que les déclinaisons de stratégies de protection pour chaque cas stylisé ont été faites par une seule personne, à l’image de l’éleveur qui conduit ses choix techniques dans sa situation d’élevage, et qu’il existe d’autres déclinaisons possibles (par exemple dans le choix de regrouper ou non telle parcelle de parcours avec telle autre plutôt qu’avec une troisième pour faire un ensemble de 25 ha autour duquel poser une clôture fixe sécurisée , ou dans le choix des prairies temporaires à faire pâturer prioritairement dans les scenarii 2 et 3). Tout ceci a pour conséquence qu’à l’échelle du périmètre d’étude, les choix techniques pour concrétiser les stratégies de protection de chaque élevage sont probablement très divers, beaucoup plus divers que ce que nous avons décrit.

Pour construire les cas stylisés et leurs stratégies de protection, de nombreuses hypothèses ont été posées et explicitées. Certaines s’avèreront peu vraisemblables dans la réalité des exploitations. Nous avons, par exemple, fait l’hypothèse que, dans chaque cas stylisé, l’éleveur dispose d’un niveau de maîtrise foncière suffisant pour l’ensemble de ces parcelles de parcours pour qu’elles soient clôturées avec des clôtures fixes sécurisées. Or si probablement une grande partie des surfaces exploitées par les élevages du périmètre d’étude, le sont en faire valoir direct ou en fermage (du fait d’un héritage de l’histoire, cf. Laur, 1929 ou Terral, 2010), le reste est valorisé sans contrat ou par le biais de conventions annuelles ou pluriannuelles de pâturage ou par d’autres prêts à usages de plus de 6 ans. Une étude sur la partie héraultaise et gardoise du Causse du Larzac portait, en 2005, à un peu moins de 40% cette superficie de terres utilisées dans des conditions précaires (CPIE des Causses Méridionaux, 2013). Dans tous les cas, la pose de clôtures fixes sécurisées nécessite l’accord du propriétaire de la terre lorsque celui-ci n’est pas l’éleveur, et cet accord peut être parfois difficile à obtenir.

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Enfin, nos simulations ont été effectuées dans les conditions d’application actuelles des dispositifs d’aides publiques (subventions PAC et aides du plan loup). Par exemple, nous avons évalué les pertes de Droits à Paiements de Base (DPB) induites par la cessation de l’utilisation des parcours et leur embroussaillement. Mais la dynamique de cet embroussaillement est mal connue (Chapitre VII). De plus, elle sans doute complètement différente de la temporalité des évolutions des mesures PAC et de leur modalité d’application. Egalement, nous avons considéré, par exemple, que dans les scenarii 4, où tous les animaux sont conduits en bergerie, l’Indemnité Compensatoire aux Handicaps Naturels (ICHN) continuait d’être versée à l’éleveur, puisque le mode de calcul et le versement de cette subvention s’appuie actuellement sur un chargement sans obligation de pâturage. Il n’est pas certain que les paiements de ces subventions seraient maintenus dans des conditions où le pâturage serait très réduit ou inexistant sur l’ensemble des surfaces (parcours, prairies temporaires), malgré une fauche maximale et un éventuel entretien mécanique. En effet, les futures évolutions de la PAC concernant les aides allouées à ces surfaces et leurs modalités d’application sont complètement inconnues

Enfin, il n’a pas été possible de prendre en compte un certain nombre d’éléments dans les cas stylisés et les stratégies de protection associées. Ainsi, par exemple, il n’a pas été tenu compte du versement de rémunérations comme celles liées à des contrats MAEC SHP ou localisés, des contrats Natura 2000. Ces contrats dépendent très fortement de la situation de chacun des élevages. Mais dans les cas où ils sont présents, l’abandon des surfaces correspondantes conduiront à une perte supplémentaire de produit brut ainsi qu’à un remboursement des années déjà perçues si l’abandon se fait en cours de contrat.

b- A l’échelle du périmètre d’étude

La faisabilité des quatre stratégies de protection différentes à l’échelle de l’ensemble des élevages ovins du périmètre d’étude pose plusieurs questions.

La première question est celle de la disponibilité d’un grand nombre de chiens de protection, doublée de celle de leur qualité. Elles se posent avec d’autant plus d’acuité que, nous l’avons vu, les chiens de protection sont essentiels pour la mise en œuvre de la protection des troupeaux (Chapitre III) et que les fonctionnements d’élevages sont conçus pour répondre à des besoins zootechniques conduisant la plupart des éleveurs à avoir plusieurs lots simultanément au pâturage. De plus, pour être efficaces, ces chiens doivent faire l’objet d’une sélection génétique concernant leur provenance et d’une bonne éducation dès le plus jeune âge afin qu’ils puissent disposer des fondements pour mettre en œuvre leur compétence attendue : protection des troupeaux, bonne intégration aux ovins, bonne acceptation des autres usagers du territoire (Rousselot et Pitt, 1999). Ainsi, la mise en œuvre du scenario 1 pour l’ensemble des 315 élevages ovins (laitiers, allaitants et mixtes) du périmètre d’étude conduirait au déploiement d’entre 1600 et 3000 chiens de protection sur un territoire de près de 181 000 ha. Le sommet de la fourchette est comparable à celui actuellement présent sur les 10 départements de l’ensemble « Alpes et Provence françaises » (environ 5,5 millions d’hectares) (Annexe 3, compte-rendu de la réunion du comité de suivi du 13 juin 2017). Le scenario 2 ferait baisser ce besoin en chiens de protection dans une fourchette entre 1500 et 2000 chiens, ce qui reste tout de même conséquent.

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Le travail quotidien de vérification, d’entretien des clôtures fixes sécurisées et de déplacement des filets pendant la saison de pâturage (8 mois dans l’année) représente plusieurs heures par jours, variables selon les cas. Il représente en moyenne un tiers d’ETP en plus par élevage, ce qui est conforme à la littérature (Garde et al., 2007). Des solutions collectives pourraient être imaginées, avec l’embauche par une structure d’emploi collectif d’un salarié à plein temps pour quatre élevages, ce qui ferait, pour les élevages ovins de la zone, un peu moins de 100 personnes. Ces emplois n’existent pas aujourd’hui et la possibilité de leur création n’a pas été instruite dans cette étude. Le métier « d’entretien des clôtures fixes sécurisées et déplacement des filets », équivalent pour les systèmes tous parcs à celui d’aide-berger pour les systèmes en gardiennage, est à créer lui aussi, sans qu’il puisse être préjugé ici de son attractivité : l’ensemble pourrait être regroupé sous forme d’un métier intitulé « aide à la protection des troupeaux ».

Les scenarii 3 et 4 génèrent d’importants achats de fourrages par les élevages du périmètre d’étude. Les 22 milliers de tonnes du scenario 3 doivent provenir en grande partie du rayon de Roquefort pour que cet aspect du cahier des charges « Les brebis sont élevées traditionnellement avec une alimentation à base d'herbe, de fourrage et de céréales provenant au moins aux trois quarts, évalué en matière sèche et par an, de l'aire géographique de production » soit respecté. Dans certaines petites zones du Rayon, quelques exploitations se sont spécialisées dans la production et la vente de fourrages, d’autres élevages vendent leur excédent en foin ; tout ceci dans des quantités qui sont mal connues. De ce fait, la faisabilité de cet approvisionnement n’est pas établie. Dans le scenario 4, les 41 milles tonnes peuvent être achetées ailleurs (nord du Massif Central, Crau), mais leur disponibilité reste à trouver.

L’exercice de prospective à l’échelle du périmètre d’étude consiste à envisager et représenter les transformations possibles des élevages, dans un environnement (réglementaire, en particulier) similaire à celui d’aujourd’hui. Il ne tient pas compte du fait que ces transformations s’inscrivent dans le temps, s’effectuent de manière progressive au sein des élevages et entre élevages. Cette dimension progressive, que nous n’avons pas représentée, du fait de l’exercice, conduirait, en particulier à des distorsions entre élevages et entre lots (des élevages protégés, d’autres non ; des lots protégés, d’autres non) et seraient susceptibles de conduire à l’augmentation des attaques sur les lots ou les élevages qui ne disposeraient pas des moyens de protection.