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Le Moyen Âge fut une période marquée par le christianisme. Néanmoins, les héritages classiques furent fortement présents et ce, de façon sélective. Les trois grands systèmes de pensée issus de la philosophie antique furent l'épicurisme, le stoïcisme et la « Nouvelle Académie »44. L’appréhension de

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Voir Aldrete (1999, p. 182) pour quelques références.

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L'épicurisme est une école philosophique fondée par Épicure (341–270 av. J.-C.) qui, en écartant l'idéalisme platonicien, consiste en la quête raisonnée du plaisir physique et mental et l'écartement de

l'invisible et de la structure à travers l'observation de la nature et du mouvement s'adapta parfaitement à la position théologique du Moyen Âge. Une telle introspection est manifeste dans des écrits du Haut Moyen Âge, par exemple dans la Confession de Saint-Augustin (354–430). Dans ce processus de transformation idéologique de la tradition rhétorique, Saint-Augustin élabora la sémiologie chrétienne45, dans le cadre de laquelle prend place une analyse du geste.

La sémiologie augustinienne introduit la distinction entre chose (res) et signe (signis) dans De doctrina christiana écrit entre 397 et 426 : « un signe est une chose qui, en plus de l'apparence qu'elle porte aux sens, fait venir d'elle vers la pensée quelque chose d'autre » (I.I.1)46. Puis, il dissocie le « signe naturel (naturalia signis) » du « signe donné (data signis) » ou « conventionnel » ; les signes naturels sont la fumée comme signe du feu, les empreintes comme signe du passage d'un animal, l'expression faciale involontaire comme signe d'une émotion ; en revanche, il y a des signes dont le lien entre le signifié et le signifiant est arbitrairement établi par une convention sociale. Selon l'idée de Saint-Augustin, les gestes mimétiques de la pantomime et de l'histrion sont des signes naturels, car ils sont l'imitation de la nature et leur signification est accessible à tous ; en revanche, les gestes oratoires sont des signes « conventionnels », c'est-à-dire culturellement et historiquement définis. Pour Saint-Augustin, le geste est un signe parmi d'autres et peut être mis au rang d'un langage, autrement dit, le geste est le « langage visible (verba visibilia) ». On atteste ici une acception différente du geste par rapport à ce que la rhétorique entend par le geste, rhétorique dans laquelle le geste est tenu pour un « langage universel », accessible à toutes les espèces humaines. Nous reviendrons sur cette question (§ 4.1.).

Néanmoins, l'intérêt porté au geste par la sémiologie augustinienne resta minoritaire. Au Moyen Âge, la primauté fut, suivant la théologie chrétienne, accordée au langage verbal, à savoir les Écritures bibliques, et le « langage

l'inconnu par chaque individu. Le stoïcisme est une école de Zénon de Cittium (332–262 av. J.-C.) qui s'attache à pratiquer la vertu qui consiste, en conformité avec la raison, à rechercher le bien d'autrui plutôt que le bien de soi. La Nouvelle Académie est, sous l'impulsion d'Arcésilas de Pitane (316–241 av. J.-C.), un renouveau de l'Académie de Platon (l'Ancienne Académie) qui est marquée par un certain idéalisme de la pensée ; elle se caractérise par un retour à la dialectique socratique et à la conscience de l'ignorance permettant la liberté critique.

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Deux ouvrages sont notamment à consulter : De magistro (390) et notamment, De doctrina christiana (426).

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gestuel » resta quelque chose de sacré, restant plutôt non expliqué tout au long de cette période. Ainsi, « [l]'orator n'est plus un rhéteur, mais orant. Son geste caractéristique n'est plus l'acte politique d'un citoyen […] » (Schmitt, 1990, p. 84). Mise à part une telle considération théologique à la Saint-Augustin, le souci descriptif portant sur le geste rhétorique disparaît complètement durant le Haut Moyen Âge (ibid.). À la place, ce qui se développa dans les écrits était le péché du corps dans le domaine civil et les gestes de prière et de pénitence dans le domaine religieux.

D'autre part, avec l'établissement de la société féodale (ce qui correspond, en France, à l'époque carolingienne (751–987), à la suite de l'avènement de l'Empire Franc par Charlemagne), l'attention se déplaça progressivement vers la codification et la symbolisation gestuelles du contrat entre l'état et l'église, ou entre le roi et le chevalier (par exemple, dans le modèle de « gentilhomme d'épée » en France), mais ce sont des gestes rituels ou « rites gestuels » qui étaient concernés. Malgré la réapparition du mot gestus vers le XIe siècle (Schmitt, 1990, p. 135-136), la réflexion théorique plus générale sur le geste rhétorique en était absente. Ainsi, la culture gestuelle s'oriente à l'époque médiévale vers la symbolisation, la ritualisation ou la conventionnalisation de l'acte gestuel, pouvant être considéré comme un système sémiotique autonome47.

Or, cette situation changea au XIIe siècle. Ce changement est probablement lié à la redécouverte d'une partie de l'œuvre de Cicéron et de

Rhétorique à Herennius, qui ne perduraient qu'à travers des citations (notamment

la partie sur l'actio resta méconnue). Cet événement eut un grand impact sur les activités de prédication par la suite, notamment pour ce qui est du geste. Un tel changement se voit chez Hugues de Saint-Victor (circa 1096–circa 1140)48, qui consacra à l'analyse du geste, le chapitre XII entier de son traité La discipline des

novices (De institutione novitiorum)49. D'abord, il donne une définition moderne

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D'après les historiens (Schmitt, 1990 par exemple), il existe d'innombrables corpus, traitant des gestes juridiques, que les historiens n'ont pas suffisamment étudiés. On peut dire que la tradition antique a été seulement maintenue et que la codification des gestes juridiques n'était pas à la hauteur des gestes liturgiques et rituels.

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Hugues de Saint-Victor naquit en Saxe dans une famille aristocratique et resta à Paris. C'est un auteur prolifique dont l'influence sur le milieu religieux aux XIIe et XIIIe siècles fut considérable (Schmitt, 1990, p. 174).

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Schmitt (1990) ne donne ni la date ni le lieu de publication, qui ne sont peut-être pas mentionnés dans les 172 manuscrits existants.

du geste : « [l]e geste est le mouvement et la figuration des membres du corps adaptés à toute action et attitude »50. À analyser cette définition, il semble qu'elle implique que : 1) le geste a un aspect kinésique et formel ; 2) le geste traduit à la fois l'action et l'attitude ; 3) le mot « figuration » renvoie à la fois à l'aspect « symbolique », mais aussi « pragmatique » et « esthétique », par le fait que ce mot est lié à l'action et à l'attitude.

Ensuite, Hugues de Saint-Victor tente de réinterpréter les gestes à partir de la conception aristotélicienne du « juste milieu (mediocritas) », de la « mesure (modus) » ou de la « modestie (modestia) ». Il part du schéma de couples de gestes similaires dont le caractère moral est opposé : « geste mou » (lascivité) vs. « geste effronté » (orgueil) ; « geste relâché » (négligence) vs. « geste lent » (paresse) ; « geste agité » (impatience) vs. « geste précipité » (inconsistance)51. Il postule que les gestes vertueux se trouvent au milieu de ces gestes opposés, selon le modèle antique. Son approche s'avère être celle de structuraliste du XXe siècle. Bien que l'arrière-plan philosophique d'Hugues de Saint-Victor reste la

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« Gestus est motus et figuratio membrorum corporis, ad omenem agendi et habendi modum » (cité par Schmitt, 1990, p. 177). Cette définition sera reprise par de nombreux auteurs des XIIe et XIIIe siècles. Schmitt (1990) qualifie cette définition comme « la définition la plus complexe du geste de toute histoire antique et médiévale » (p. 177).

- +

VICES GESTE GESTE VERTUEUX GESTE VICES

SIGNIFIÉS CONTRAIRE À LA FOIS CONTRAIRE SIGNIFIÉS lascivité => mou  gracieux et sévère  agité <= impatience (lasciva) (mollis) (gratiosus) (severus) (turbidus) (impatientia,

iracundia) négligence => relâché  calme et mûr  effronté <= orgueil (negligentia) (dissolutus) (quietus) (maturus) (procax) (superbia, jactantia) paresse => lent  grave et vif  précipité <= inconsistance (pigritia) (tardus) (gravis) (alacer) (citatus) (inquietudo,

inconstantia)  amplification de la tendance d'un geste

=> <= expression d'un vice par un geste

La classification des gestes par rapport à la ligne médiane de la vertu d'après Hugues de Saint-Victor (Schmitt, 1990, p. 183)

moralisation du comportement, l'intérêt de son analyse gestuelle réside dans son caractère systématique, synthétique et historique52.

Le second cas est celui de Boncompagno da Signa (circa 1165–circa 1240)53. Il est probablement le premier auteur qui ait écrit un ouvrage entièrement consacré au geste en Occident, mais ce livre reste introuvable actuellement54. Parmi les ouvrages qui ont survécu à l'histoire, Rhetorica novissima (1235), publiée à Bologne, était destinée à la population civile, telle que juges et avocats, mais surtout hérauts, et contenait un chapitre sur le geste. La connotation religieuse et moralisatrice s'efface devant la description psychologique et utilitaire du geste adapté à des citoyens urbains de profession libérale de discours, tels que les avocats. En se référant à l'art antique, il avance que « le geste est comme une écriture immédiatement compréhensible et sans ambiguïté » (Schmitt, 1990, p. 287). Un tel propos préfigure en fait la comparaison entre geste et écriture de Francis Bacon au XVIIe siècle (voir § 4.1.)55.

Ainsi, nous constatons que le début de l'époque médiévale fut caractérisé par l'absence d'enthousiasme pour le geste oratoire et par la codification des gestes religieux et civils. Cette situation change, du moins dans les traités écrits, à la suite de la redécouverte de l'action oratoire antique, et une réflexion théorique réapparaît au XIIe siècle. Néanmoins, cette mode fut éphémère, et la culture gestuelle au Moyen Âge fut marquée, dans l'ensemble, par le christianisme et la société féodale.

2.3. Renaissance

L'évolution des traités de l'art oratoire fut si lente qu’elle ne changea pratiquement pas depuis l'Antiquité, notamment l'ordonnancement de l'ouvrage. Au XIVe siècle, la rhétorique antique était en partie ignorée pendant le Moyen Âge. Seuls une minorité de clercs connaissaient quelques fragments de D e

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Voir Schmitt (1990, p. 183) pour une autre classification établie par Hugues de Saint-Victor.

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Selon Schmitt (1990, p. 182), « [sa définition du geste] est par son caractère systématique un sommet sans précédent dans la réflexion morale sur le geste en Occident ».

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Boncompagno da Signa fut le maître de la grammaire et de la rhétorique en Italie.

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Ses Rhetorica antiqua (1215) et Liber de amicitia (1204) incluent des passages qui indiquent ce fait (Schmitt, 1990, p. 285).

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Boncompagno da Signa fut le premier qui, à notre connaissance, mentionna le rapport entre écriture et geste, dans son traité rhétorique. Voir § 4.1..

l'oratoire et Orator. En 1416, le manuel complet de Quintilien fut découvert par

Poggio Bracciolini à St. Gall (Schmitt, 1990, p. 370, note 58), et, par la suite en 1421, l'évêque de Lodi découvrit les manuscrits complets de ces œuvres et Brutus, qui était le texte inconnu de Cicéron (Fumaroli, 1980, p. 47). L'impact de ces événements sur la conception de la rhétorique fut immédiat et perdura durant les XVe et XVIe siècles. Institution oratoire de Quintilien, De l'oratoire de Cicéron et Rhetorica ad Herennium (anonyme) redevinrent les principales références de la rhétorique à la Renaissance. Néanmoins, les auteurs de l'époque tendent à réduire les cinq classes de rhétorique (c'est-à-dire, inventio, dispositio, elocutio, memoria et actio) à seulement trois classes, inventio, dispositio et elocutio. Memoria et, surtout, actio qui n'ont été discutées que brièvement, sinon ignorées par ces auteurs56.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le geste ne fut pas traité par les premiers rhétoriciens renaissants. D'abord, la passion des rhéteurs de cette époque pour le geste ou l'action oratoire n'égalait pas la hauteur de celle des premiers rhéteurs de l'Antiquité. Toutefois, tous ne refusaient pas d'intégrer le geste à leur traité, mais certains justifièrent cette absence, tout simplement. D'autres pensaient que le geste de l'Antiquité n'était plus approprié à cette époque-là. D'autres, refusant de prescrire les règles ou les principes, qui étaient difficiles à pratiquer, considéraient qu'il fallait l'apprendre par imitation, comme Aristote ou Cicéron le pensaient. Ou encore d'autres disaient que la bonne conduite oratoire était, à l’instar des auteurs antiques, un « don naturel », qui n'était pas quelque chose à apprendre (Knox, 1990). Néanmoins, la rhétorique antique restait une sorte d'arrière-plan culturel et la bipartition de l'action oratoire en voix et geste fut conservée tout de même durant la Renaissance. En revanche, le manuel de Quintilien connut un regain d'intérêt à la Renaissance, puisque le climat de l'époque allait dans le sens de la pensée de Quintilien, pour qui la formation d'un homme cultivé et crédible passe par l'éducation rhétorique.

Depuis le milieu du XVIe siècle, la notion de méthode devient, bien avant Descartes et Bacon, objet de spéculation, notamment sous l'emprise de

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Par exemple, Guillaume Fichet, Rhetorica (Paris, 1471), qui est un des premiers livres rhétoriques imprimé en France (Kennedy, 1987 ; Beltrán, 1985). Voir Knox (1990), p. 105, n.16 ; p. 106 n. 18, 19 et 20 pour d'autres références.

l'universitaire parisien et professeur de rhétorique, Pierre de la Ramée, alias

Ramus (1515–1572)57. Comme conséquence, apparaissent des auteurs

« ramistes » qui revendiquent une étude plus méthodique de la rhétorique, laquelle influença l'étude gestuelle. Par exemple, l'avocat général au parlement, Omer Talon (1510–1610) considère, dans sa Rhetorica ad Carolum Lotharingum (Paris, 1559), la pronunciatio comme la plus importante parmi les composantes de la rhétorique ; Benetictus Arias Montanus (1527–1598), moine bénédictin espagnol, rédige Liber Ieremiae, sive de actione (1571, Anvers) dans lequel il opère, comme Saint-Augustin, une distinction entre « geste naturel » et « geste conventionnel » ; Johannes Althusius (1557 -1638), calviniste allemand, ne considérant pas le geste, le comportement et l'énonciation comme éléments de la rhétorique, mais les rangeant dans la classe « ethica (éthique) », il tenta de donner une autonomie à l'étude gestuelle dans Civilis conversationis (Hanovre, 1611) (Knox, 1990, p. 120-121). Citons aussi Libellus de pronunciatione rhetorica (Frankfort, 1550), ouvrage par un physicien allemand, Jodocus Willich (1501–1552), qui vit l'intérêt dans le geste pour la rhétorique.

Au tournant du XVIIe siècle, à l'aube de l'Âge Classique, la tendance alla, à la différence des auteurs de la première Renaissance, vers l'analyse et la description détaillées de l'action et/ou du geste, et ce climat apparaît dans les traités de la rhétorique de toute l'Europe. D'abord dans le domaine religieux, le catholique Ludovico Carbone avec Divinus orator (Venise, 1595), puis le protestant, Johann Heirich Alsted (1588–1638) avec Rhetorica (Herborn, 1616) furent quelques-uns des premiers rhétoriciens qui se réinvestirent dans l'étude du geste. D'autres traités ne sont pas forcément connotés de religieux. Le plus connu en est L 'Arte de'cenni, de Giovanni Bonifacio (Venise, 1616)58, ouvrage qui, destiné aux princes pour l'apprentissage de la dignité comportementale, accorde

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La méthode de Ramus dans sa Dialectique (1543) consiste à analyser la rhétorique par une logique de binarisme ou de dichotomie (qu'il appelle « dialectique »), en réduisant les cinq parties de la rhétorique à deux grandes classes « invention » et « disposition », qui se ramifient en plusieurs sous-classes.

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Le titre complet est L'arte de'cenni, con la quale formandosi favella visible, si trotta della muta eloquenza, che non è altro che un facondo silenzio (L'art des gestes, où grâce à la formation d'un langage visible, on traite de l'éloquence muette, c'est-à-dire d'un silence bavard). Bonifacio (1547–1645) est juriste de formation et conseiller à la cour de Trévise, mais aussi acteur de théâtre, jouant entre autres le rôle de magistrat. L'ouvrage contient une description minutieuse de plus de 600 gestes et de leurs sens au fil de 500 pages (Kendon, 2000, la traduction de de Jorio, p. 22, note 17 et p. lxv, note 49). Bonifacio a expliqué, dans son traité, comment les actions corporelles transmettent le sens de manière systématique et a promu le geste au rang de « silence vertueux », permettant un mode d'expression beaucoup plus digne que les mots dans le contexte juridique. Voir aussi Burke (1992) et Kendon (2004) à propos de Bonifacio.

au geste plus d'importance qu'au langage (« muta eloquenza (éloquence silencieuse) »), en abordant largement le comportement, la posture et l'habit. Pêle-mêle citons aussi Nicolas Caussin, Eloquentia sacrae et humanae parallela (Paris, 1619) ; l'ouvrage cicéronien du jésuite français, Louis de Cressolles, alias Cresollius, Vacationes autumnales sive de perfecta oratoris actione et

pronuntiatione (Paris, 1622)59, dont l'influence sur les traités ultérieurs fut large ; l'ouvrage le plus érudit et volumineux, Veterum acclamationibus & plausu (Milan, 1627), de Francesco Bernardino Ferrari, qui, se fondant sur les sources gréco-latines, est une synthèse de la rhétorique renaissante (Knox, 1990, p. 111). Dans la même perspective, le premier ouvrage en français apparut : Traitté de l'action de

l'orateur, ou de la prononciation et du geste (1657), de Michel Le Faucheur60, « le plus quintiliennien » des rhéteurs de l'époque61, qui se concentra sur l'action oratoire dans ce traité, sur lequel nous reviendrons dans la section suivante. Dans la plupart des traités de rhétorique, la structure canonique de la rhétorique antique en tant que manuel resta inchangée, sinon la majorité des notions présentes dans

Institution oratoire, telles que « convenance », « bienséance », « contenance »,

« mesure », « modestie » ou « noblesse » dans le geste et le comportement, furent conservées, notamment dans le traité de Le Faucheur (1657).

Dans le climat de l'enthousiasme pour l'action oratoire de l'époque, un traité exclusivement consacré au geste fut publié. C'est le traité du physicien anglais John Bulwer (1606–1656), Chirologia: or the naturall language of hand.

… Chironomia: or the art of manuall rhetoricke (1644, Londres)62. Pour Bulwer,

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L'ouvrage est aujourd'hui perdu et n'est connu que par des citations. Voir Fumaroli (1981, 1984).

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Souvent, ce livre a été attribué, à tort, à Valentin Conrart, qui est le correcteur-éditeur de Le Faucheur. La traduction-pirate en anglais paraît en 1727 sous le titre : The art of speaking: or An Essay on the action of an orator, as to his pronunciation and gesture, useful in the senate or theatre, the court, the camp, as well as bar and pulpit, signé par John Henry.

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Le Faucheur dit : « [m]ais ni Aristote n'en a point voulu donner de préceptes, comme jugeant que c'était un don de nature, qui ne pouvait se réduire en art : ni Cicéron en ses livres de l'Orateur en prescrit de règles particulières, se contentant d'en montrer en divers endroits l'importance & la nécessité. Cornificius en a traité un peu plus particulièrement ; mais, pour en parler franchement, ce qu'il en a dit est très imparfait & de fort peu d'usage. Il n'y a eu que Quintilien seul qui en ait parlé amplement & exactement » (1657/2001, p. 51-52/p. 11). Le style de Le Faucheur dans son traité consiste à présenter les règles de Quintilien en les illustrant avec des citations (notamment tirées de De l'oratoire de Cicéron) et avec ses expériences personnelles. Voir aussi Angenot (1973, p. 64), Knox (1990, p. 110-111).

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Le titre exact est en fait plus long (sa typographie est ici respectée) : CHIROLOGIA: OR THE NATURALL LANGUAGE OF HAND. Composed of the Speaking Motions, and Discoursing Gestures thereof. Whereunto is added CHIRONOMIA: Or the Art of MANUALL RHETORICKE. Consisting of the Naturall Expressions, digested by Art in the HAND. as the chiefest Instrument of Eloquence, by HISTORICAL MANIFESTO'S, EXEMPLIFIED Out of the Authentique Registers of Common Life, and Civill Conversation. With TYPES, or CHIROGRAMS. A long-wish'd for illustration of this Argument. Seules 31 copies sont localisées dans le

le geste est plus important pour le processus de communication que le discours. De la sorte, il situe e x p l i c i t e m e n t F r a n c i s B a c o n ( 1 5 6 1 – 1 6 2 6 ) c o m m e s o u r c e d'inspiration conceptuelle, puisqu'il souscrit à la thèse universelle du geste63. De nombreuses descriptions proviennent des traités de Quintilien, de Cicéron ou de Créssolles et d'Alsted. Ce livre décrit les « discours » et « grammaire » du geste64 et donne des explications philosophiques et psychologiques sur le geste humain. Amplement illustré et référencé (158 auteurs), ce traité possède une indéniable qualité « scientifique »65. Sa classification des gestes naturels et

rhétoriques n'est pas seulement prescriptive, comme dans les traités qui le précèdent, mais aussi descriptive en se basant sur l'observation du geste conversationnel et en analysant la fonction communicative de celui-ci. Nous examinerons le traité de Bulwer plus bas (§ 4.5.)

Pour résumer la caractéristique de la rhétorique renaissante, on peut avancer que les auteurs ont reconstitué la rigueur scientifique des auteurs

monde. Cet ouvrage a fait l'objet de nombre de commentaires contemporains (Lecoq, 1981 ; Kendon, 1982 ; Streeck, 1990/1991, par exemple). Notons, par ailleurs, que Bulwer est un des premiers auteurs qui s'intéressèrent à l'éducation des sourds-muets (Philocophus: Or, the deafe and dumbe mans friend, Londres, 1648). Pour plus d'informations sur Bulwer, voir J. W. Cleary (1959), et la note introductive du même auteur pour l'édition récente de Chirologia… Chironomia… (1974).

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Notamment le passage fréquemment cité par de nombreux auteurs en témoigne : « [a]s the tongue speaketh to the ear, so the gesture speaketh to the eye […] », Francis Bacon, Of the proficience and advancement of