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Des mots qui touchent pour guérir des maux qui rongent

Dans le document Marie-Estelle Dupont (Page 114-118)

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de la condition humaine.J'aime faire le lien entre certaines épreuves vécues par mes patients et les travaux d'Hercule. Les mythes, les contes, les œuvres d'art donnent des repères - ils éclairent et soula-gent. On se sent moins seuls avec ce que l'on traverse, et par la s igni-fication personnelle que prend alors ce qui n'était qu'hostilité de la vie, on devient libres de choisir comment franchir ce cap.

Des mots qui touchent pour guérir des maux qui rongent

Nous sommes des êtres de langage. Le langage est cet outil qui compense notre pauvreté de moyens physiques et notre incapacité à nous passer des autres pour survivre. Il est cette troisième voie entre autarcie ou doniination pure sur les autres. Il permet en quelque sorte le commerce à la place de la guerre. Le langage est un outil pour penser et se penser, se faire comprendre. Il exprüne nos affects, nos désirs, transmet nos demandes, médiatise nos pul-sions, dialectise nos conflits intérieurs et relationnels. Des arti cula-tions psychiques, des liens se créent et donc une souplesse, une mobilité nécessaire au bonheur. La vie est mouvement. Sans la parole, le psychisme est tétraplégique ! Mettre des mots au plus près de sa vérité pulsionnelle et affective, nommer et dire «je » permet de se réapproprier son histoire et de se responsabiliser. L'impact corporel est immédiat : d'abord dans un état de crispation, on apprend à se détendre un peu ... Après quelques froncen1ents de sourcils, parfois des larmes, on passe au soulagement, à un sommeil qui s'améliore, à un appétit recouvré ou apaisé, à une douleur qui disparaît, à un désir sexuel renaissant.

Q) vi lui et autour de lui, pour le comprendre, l'apprivoiser et y répondre ? Pour s'y adapter sans s'y confondre ni s'y perdre ? Très souvent, les patients disent, après deux ou trois entretiens : « C'est fou ce que ça me libère,je ne voyais pas ce que ça pouvait n1'apporter, de simple-ment parler à quelqu'un d'autre qu'un ami,je ne pensais pas parler de ceci ou cela.» Être écoutés soulage, s'entendre dire certaines choses libère. Parler rend réel ce qui nous habite. Ce qui n'est pas dit est agi ou son1atisé. C'est tout le problème des secrets de fanllile qui n1ain-tiennent le déni sur ce qui est vécu con1ffie honteux ou inacceptable : mort d'enfant, inceste, suicide ... C'est bien pour cela que l'on met tant de temps à évoquer ce qui nous effraie : « Si j'en parle, ça devient réel, je ne peux plus faire comme si ça n'existait pas. » Lorsque nous disons cela, nous so1nn1es en train de reconnaître notre propre résis-tance. Mises en dialogue avec un autre dont c'est le n1étier, notre his-toire, les déceptions relationnelles qui la jalonnent, tout cela devient une pâte tangible. Nous découvrons nos aspérités en même temps que notre consistance. Non, il ne s'agit ni de se lamenter ni de caresser ce qui nous a « égratigné » l'ego. Le dire à un psychothérapeute, c'est se donner un lieu où quelqu'un sera témoin de la façon dont nous avons vécu les choses, si surprenant que cela puisse paraître.

- - Le clivage corps/esprit

-Un dialogue est toujours éminemment corporel : les silences, les intonations, l'émotion qui surgit, le rythme ... Les neuroscientifiques ont prouvé il y a déjà longtemps que 80 % de la communication étaient non verbaux («infra-verbaux » ), que la voix, le regard, le rythme de la phrase constituaient

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l'essentiel du message. Contrairement à l'Orient, l'Occident est une culture de la dualité. Kant, Descartes et les Lumières ont poussé cette dualité à son paroxysme. Les mots coupés du corps sont une abstraction, le mental coupé de l'émotion tourne en rond. Ce clivage corps/esprit, reléguant le corps au rang de machine-outil priée de ne pas s'enrayer et de faire avec le minimum de soin et d'attention (je ne parle pas de l'apparence physique, qui polarise 90 % de l'attention que nous devrions peut-être accorder plutôt à notre santé), est une impasse qui nous empêche d'utiliser et de sentir pleinement notre potentiel et nos superpouvoirs. Notre corps possède assez de cap-teurs pour que nous sachions ce qu'il faut faire ou quels sont nos besoins réels dans la plupart des situations. Michel Odoul, fondateur de l'Institut français de shiatsu, a établi des corrélations très constructives entre les perturbations physiologiques, les caps de l'existence et leur signification symbolique. Il explique ainsi qu'à tel âge de la vie, nous nous trouvons devant une épreuve d'autonomisation et que la difficulté à franchir les obstacles peut engendrer tel ou tel type de somatisation, d'après les observations mil-lénaires de la médecine traditionnelle chinoise qui associe chaque organe à une émotion (le poumon est en lien avec la tristesse, le rein avec la peur, le foie avec la colère, etc.). Il montre comment les blocages émotionnels per-turbent la circulation d'énergie dans le corps, provoquant les dysfonction-nements et les maladies lorsque nous ne savons pas décoder et prendre en charge, à temps, les différents plans de notre être1

Loin d'être exclu, le corps de mes patients est présent, indis pensa-ble, tout comme le nùen. Par identification ou réaction, le nùen ni.'indique ce qu'ils ressentent. Leur posture, leur voix, leur n ervo-sité, les douleurs ou les changements donnent chair à leur n arra-tion. Ce corps qui retrouve un cycle par exemple, depuis que j'ai

1. Lire Michel Odoul, Dis-moi tu as mal, je te dirai pourquoi (2002) et Dis-moi quand tu as mal,je te dirai pourquoi (2013), Paris, Albin Michel.

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interprété pour telle patiente la honte enfouie d'avoir ses règles et de ne pas être un garçon. Ou cette fem1ne dont les fibromyalgies ont quasin1ent disparu depuis qu'elle dit enfin la douleur refoulée d'un an1our de jeunesse interdit par sa famille.

Parler est un acte, les n1ots ont un pouvoir. Ils peuvent condamner ou guérir, encourager ou asson1mer. Il y a des paroles qui blessent, qui enferment, et des paroles qui libèrent. Pensons aux discours poli-tiques, aux contenus médiatiques ou aux phrases blessantes échan-gées lors d'une dispute. Le discours intérieur que nous nous tenons à longueur de journée tricote n1aladie et angoisse, ou plaisir et séré-nité. Si nous faisons une « pause » et que nous prenons le temps d'écouter ce bruit de fond, nous découvrons la relation que nous entretenons avec nous-1nêmes, de pression pern1anente, de sadisme ou au contraire d'accompagnement, d' encouragen1ent. Les mots peuvent nous auto-intoxiquer. Ce qui est vrai entre deux êtres est vrai dans le rapport à soi. La façon dont on se raconte notre histoire depuis notre adolescence nous plon1be ou nous pern1et d'avancer.

Témoin et jamais juge, le psychothérapeute garantit par sa parole la reconnaissance de ce qui a eu lieu, de qui est son patient. Et ce ne sont pas des mots. C'est pour nous tous la condition nécessaire à notre verticalité d'ho1nme ou de femme. Ces mots dégagent l'horizon.

Derrière un discours mille fois répété intérieurement(« J'ai analysé tout ça et pourtant rien ne change »),le psychothérapeute d' orien-tation analytique propose précisément autre chose : résonner plu-tôt que raisonner, panser les blessures pour pouvoir précisément penser plus loin. Il entend le double fond, laisse résonner en écho

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votre phrase pour que vous « ré-entendiez » différemment. Vous pouvez alors prendre conscience d'une peur totalement déniée, d'une profonde colère là où vous n'imaginiez ne ressentir que du chagrin ou de l'amertume ...

Dans le document Marie-Estelle Dupont (Page 114-118)