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L'empathie n'est pas la consolation à tout prix

Dans le document Marie-Estelle Dupont (Page 108-113)

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d'autres, un peu de tendresse ; pour d'autres encore, perdus au milieu d'une fratrie aussi nombreuse qu'une portée de chatons, la reconnaissance de leurs besoins spécifiques et de leur singularité pro-pre), le psychothérapeute pern1et au patient de passer de la plainte répétitive et de l'insatisfaction chronique à la connaissance de soi et à la reconnaissance de ce qui le ligote : son histoire, ses relations, son image de lui-même, sa personnalité.

L'empathie n'est pas la consolation à tout prix

Le psychanalyste n'est pas un consolateur infantilisant qui donne au patient le bon père ou la bonne ni.ère que celui-ci n'a pas eu. Ça, ce serait un gourou ou un malade qui utilise ses patients pour se sentir bon et aimant. En revanche, il s'implique émotionnellement, il peut éprouver une très profonde empathie, s'inquiéter pour ses patients, éventuellement le leur dire lorsque cela est nécessaire, c'est-à-dire que la relation est thérapeutique parce que les émotions s' expri-ni.ent, se libèrent, parfois violemment, et les affects sont partagés, élaborés, puis remis à leur juste place. Cela entraîne naturelleni.ent une évolution visible et tangible pour le patient et ses proches.

Marjorie, avec qui nous avions fait un long chemin par rapport à une his-toire personnelle lourde d'abus sexuels au sein de sa famille, se trouvait

« coincée». Nous avions analysé beaucoup de choses, mais elle avait peur et s'agrippait à ses comportements autodestructeurs. Ou bien était-ce ces comportements qui la maintenaient sous emprise, comme son abuseur l'avait fait durant des années? Une séance fut déterminante: Marjorie y exprima la menace d'une terrible dépression, tout autant que l'empreinte tragique de la honte en elle : « Si j'arrête avec ça, dit-elle, si je suis normale,

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CESSEZ DE VOUS PLAINDRE, ÉCOUTEZ-VOUS

je vais m'effondrer. Je préfère me foutre en l'air à petit feu parce que, sinon, la dépression va être gigantesque, énorme. J'ai peur de me noyer dans ce cha-grin. J'ai peur de découvrir que ce que je suis, une fois libérée de mon histoire, est nul et honteux. » Elle me dit ainsi combien, sous une apparence de

« normalité exemplaire», l'intérieur d'elle était un trou noir envahi intégrale-ment par le traumatisme. « Enlevez-moi la répétition de la maltraitance, et vous verrez qu'il ne reste rien »,avait-elle dit en quelque sorte. Le traumatisme avait tout pris: son corps, sa relation avec elle-même, jusqu'à l'espoir de vivre après et que la souffrance cesse. Elle réalisa que l'énorme dépression contre laquelle elle luttait depuis toutes ces années avec pudeur et courage était liée à cette impossibilité de s'imaginer autrement que comme le traumatisme la faisait s'éprouver: nulle et minable, saccagée, ne valant rien. Un trou. Elle était un trou noir. Vide abyssal de la dépression, de l'anéantissement de son être, derrière des apparences charmantes, normales,« comme tout le monde et même un peu mieux que la moyenne». Dès lors, sans chercher à lui

« remonter le moral »,j'allais pouvoir regarder avec elle sa détresse profonde, sans qu'elle se sente incomprise ou enfermée dans sa position de victime. Si le travail allait trop vite, nous ne serions pas à l'abri d'un risque suicidaire. Si je restais collée à son discours sans rien nuancer, nous n'avancerions plus.

Le professionnel peut avoir cette double entente : ne pas s'affoler et considérer en même temps que, d'une certaine manière, tout ce que dit le patient est vrai - pas forcément sur le plan conscient : une part de lui plus enfouie parle de cette menace et il faut la prendre

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viscérales de reprendre confiance, d'oser s' ain1er, se regarder, faire confiance. Consoler trop vite, c'est minimiser. Et certaines histoires demandent précisément à ne plus être minimisées ! Parfois, consoler un enfant dans le drame, ce n'est pas le bercer, le caln1er, 1nais juste lui tenir la n1ain très fort sans rien dire ou presque, et rester là aussi longtemps que nécessaire. La consolation coûte que coûte est une illusion, elle isole encore un peu plus. Il s'agit de traverser avec l'autre sa peine sans se l'approprier. La psychothérapie pern1et alors de découvrir son superpouvoir d' autoguérison, de renaissance.

Mais cela implique de repousser une certaine pensée en vogue : aujourd'hui, souffrir est in1illédiatement assünilé à ce qui doit être au plus vite éradiqué, parce que c'est antinomique de la maîtrise, de la réussite, du contrôle. Souffrir est considéré comme anormal, pathologique. Or la souffrance fait partie de la vie. De la même manière qu'une douleur ou un accès de fièvre indiquent une infla1n-mation ou un virus, nos én1otions sont là pour nous servir. Leur fer-mer la porte au nez fait courir le risque de se con1plaire dans des plaintes « à côté du problème », de subir en victin1e sans con1pren-dre, ou de dénier sa souffrance, autren1ent dit de ne jan1ais passer à autre chose. Dans le travail sur soi, le psychothérapeute ne cherche pas à ce que ses patients ne soient jamais déprimés. Il cherche à ce qu'ils se posent les bonnes questions et, s'ils déprin1ent, que ce soit enfin pour le véritable n1otif, et qu'ils puissent l'élaborer ! Comme le dit très justen1ent Julia Kristeva, la psychanalyse n'est pas un anti-dépresseur à tout prix, n1ais plutôt un « contre-dépresseur lucide1 ».

Le psychothérapeute n'est pas là pour consoler, mais pour favoriser

1. Julia Kristeva, Soleil noir. Dépression et mélancolie, Paris, Gallimard, 1987.

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l'autonomie. Cela peut passer par une période de dépendance et de régression, 1nais celle-ci aura pour vocation de pennettre ensuite une autonomie plus solide, fondée sur des bases non destructrices.

C'est seule1nent en se découvrant soi-ni.ème que le sentiment de solitude et d'incompréhension cède la place à une consolation véritable, durable et profonde, et que l'on peut enfin agir et se réjouir. Quand nous avons assez exploré notre monde intérieur pour coni.prendre que nous sommes notre propre compagnon et notre propre ani.i, notre propre enfant et notre propre maître. Avec l'aide du thérapeute, le patient découvre qu'il pourra toujours être là pour lui-même, qu'il pourra toujours compter sur lui-ni.ème, pour ne pas se trahir, ni.êine dans les pires souffrances, pour ne pas violer son ressenti, pour se faire entendre, pour s'accepter. C'est cela, entre autres, tout simplement parfois, qu'apporte la présence du professionnel. Autrement dit, le psychothérapeute est plutôt un passeur. Un coni.pagnon de route, un archéologue, qui permet d'appréhender les zones oubliées de soi, d'intégrer le vide ou la douleur et de créer un art de vivre avec soi.

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Dans le document Marie-Estelle Dupont (Page 108-113)