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MOTS MUTINS, MOTS MUTANTS

LÀ OÙ SAUSSURE ATTEND FREUD

1. MOTS MUTINS, MOTS MUTANTS

Colbrune se souvint du Seigneur qui était venu la visiter un soir où elle pleurait, alors qu’elle avait laissé sa lumière allumée dans la nuit, la veille du jour où elle s’était mariée avec Jeûne. Elle se souvint de la promesse qu’elle avait faite. Elle était sur le point de se souvenir du nom du Seigneur quand tout à coup ce nom fuit son esprit. Le nom était sur le bout de sa langue mais elle ne parvenait pas à le retrouver. Le nom flottait autour de ses lèvres, il était tout près d’elle, elle le sentait, mais elle n’arrivait pas à se saisir de lui, à le remettre dans sa bouche, à le prononcer.

Pascal Quignard, Le Nom sur le bout de la langue, Paris, Gallimard, 1995, p. 32-33.

L’une des inflexions psychanalytiques qu’est susceptible de recevoir la théorie à la fois linguistique et poétique de l’anagramme (mais le psychanalyste n’y verra à son tour – et à juste titre – que l’inflexion sémiotique d’une question relevant avant tout du psychisme) trouve

3. Claustration qui rend d’autant plus précieux des éclairages comme celui qu’apporte André Dedet à l’étude de la Structure du langage et de l’inconscient (2003). Tout aussi inquiétant, l’oubli de son soubassement social : « La linguistique – écrit Louis-Jean Calvet – se trouve dans une contradiction entre le caractère social de la “langue”, assez généralement reconnu, et l’absence de référence au social dans les procédures de description » (v. Blanchet 2007 : 13).

4. Consulté en tant que titulaire de la chaire de Linguistique générale par Charles Bally à propos de la création de la chaire de Psychologie du langage, Saussure répond à la sollicitation courtoise de son disciple : « … nous sommes d’accord pour savoir que toute linguistique est psychologique à un degré quelconque, mais l’évidence même de cette vérité écarte la possibilité d’un conflit, et fait comprendre d’avance qu’il s’agit, dans la discipline que vous représentez, d’une application plus particulière de l’observa- tion psychologique. La stylistique, telle que vous l’avez conçue, érige en méthode constante cette observation, et la poursuit spécialement dans les nuances du discours. Elle serait une “psychologie du discours” si vous ne montriez, par une voie féconde, que dans le discours s’élabore, en fait, ce qui devient ensuite partie intégrante du langage. Que ce soit donc sous le nom de Psychologie du langage ou sous un autre, je ne prévois nulle concurrence fâcheuse, et au contraire un concours heureux de la chaire nouvelle avec celle de Linguistique générale » (cité par Amacker 1995b : 132 ; sur ces questions, v. Amacker 1995a).

son point d’orgue dans la question de l’oubli des noms et de l’état induit par la recherche de ce mot récalcitrant qu’on a sur le bout de la langue mais qu’on n’arrive pas à retrouver, phénomène, on l’a vu, connu sous l’expression anglo-saxonne de on the Tip Of the Tongue (désormais TOT). C’est, on le sait, partiellement, de manière assez instable et souvent dans le désordre que, telle une construction anagrammatique, se présentent à l’esprit de celui qui s’efforce de le retrouver les phonèmes ou combinaisons de phonèmes contenus dans le mot qui a défié sa mémoire et qui, momentanément dématérialisé, semble trouver refuge dans l’enveloppe matérielle que lui fournissent d’autres signifiants connexes : sourd à l’appel du locuteur, rétif aux lois de la discursivité, le mot mutin est un mot mutant, qui se métamorphose pour se dérober à la mémoire du locuteur…, à moins qu’il ne le fasse, justement, pour lui permettre de la retrouver. S’il existe une bibliographie abondante sur le sujet, on ne peut éviter, en parcourant la plupart des travaux qui lui sont consacrés, d’éprouver un sentiment de perplexité face à l’incommunication dans laquelle, malgré leur intérêt commun pour le phénomène, semblent étrange- ment se tenir – ici comme, souvent, ailleurs – linguistique et psycha- nalyse. Tout se passe, en effet, lorsqu’on passe en revue la bibliogra- phique proprement linguistique sur les TOT, comme s’il n’y avait aucun artifice à amputer de leur description les faits psychiques qui sont pourtant à l’origine du phénomène. Car on sait depuis Freud – mais veut-on vraiment le savoir – qu’il n’y a pas d’oubli (significa- tif) qui ne résulte, dans le cadre d’une « psychopathologie de la vie quotidienne », de mécanismes défensifs plus ou moins liés au refoule- ment (nous n’aborderons pas ici les phénomènes de dysfluence dus à des aphasies ou à d’autres pathologies du langage). Autrement dit, on n’oublie pas n’importe quoi, n’importe quand ou n’importe comment : à travers chaque oubli ou presque, c’est l’inconscient qui se manifeste. Il est pourtant rarissime que, dans les études linguistiques qui lui sont consacrées, un fait aussi bien établi depuis plus d’un siècle que le fondement psychique de l’oubli des noms fasse l’objet d’autre chose que de quelques remarques marginales.

On se souvient de l’anecdote par laquelle le maître autrichien illustre sa découverte. Alors qu’il voyage en voiture de Raguse, en Dalmatie, à une station d’Herzégovine en compagnie d’un étranger, Freud demande à son compagnon de voyage, la conversation ayant tourné autour de l’Italie, s’il a visité les fresques de la cathédrale d’Orvieto. Alors qu’il cherche le nom de l’auteur du « Jugement Dernier », Freud est victime d’un trou de mémoire dont il explorera par la suite les enjeux psychiques par un travail méticuleux d’objecti- vation et d’introspection : au lieu de Signorelli, c’est le nom de deux autres peintres, Botticelli et Boltraffio qui s’imposent erronément à

son souvenir. Or ce blocage lexical Freud en fait remonter la cause à une perturbation liée au changement de sujet de conversation survenu peu avant l’incident. En effet, l’évocation d’Orvieto avait fait dériver la conversation vers les mœurs des Turcs habitant la Bosnie et l’Her- zégovine ; ayant évoqué la résignation dont les habitants de ces régions font preuve devant leur sort, Freud venait de rapporter la réplique, pleine de confiance dans le médecin, par laquelle ces gens ont coutume d’accueillir les mauvaises nouvelles : « Seigneur (Herr), n’en parlons pas. Je sais que, s’il était possible de sauver le malade, tu le sauverais. » Il constate alors que le mot Herr ouvre, dans la série lexicale gravitant autour du nom recherché, un nouveau paradigme lexical : « Nous avons là – explique-t-il – deux noms : Bosnien (Bosnie) et Herzegowina (Herzégovine) et un mot : Herr (Seigneur), qui se laissent intercaler tous les trois dans une chaîne d’associations entre Signorelli – Botticelli et Boltraffio » (Freud [1904] 2001 : 9). Or, en restituant après coup l’ordre exact de ses pensées, le maître viennois s’aperçoit, avec la rigueur et la puissance introspective qui sont les siennes, qu’en évoquant les mœurs des Turcs de la Bosnie, une autre anecdote lui était venue à l’esprit que la bienséance l’avait immédiatement dissuadé de rapporter à son compagnon de voyage. Aussitôt envisagée aussitôt censurée, l’idée associée à l’anecdote se rapporte au rôle éminent que ces hommes accordent aux plaisirs sexuels, importance qui contraste avec leur résignation face à la mort : atteint de troubles sexuels, le patient dira plutôt à son médecin quelque chose comme « Tu sais bien, Herr (Seigneur), que lorsque

cela ne va pas, la vie n’a plus aucune valeur. » Cette idée une fois

refoulée, Freud déclare avoir par la suite distrait son attention de toute pensée gravitant autour de l’association mort / sexualité, ce avec d’autant plus de détermination que quelques semaines auparavant, lors d’un séjour à Trafoï, il avait appris le suicide de l’un de ses patients atteint d’un trouble sexuel incurable. Et l’auteur de relever l’affinité entre Trafoï et Boltraffio, qui clôt le paradigme : Signorelli – Botticelli

– Boltraffio – Bosnien – Herzegowina – Herr – Trafoï.

Le problème posé par Freud en termes de refoulement et d’incon- scient n’est autre, d’un point de vue linguistique, que celui de l’accès au lexique. Qu’en est-il exactement d’un point de vue purement cognitif ? Revenons quelques instants sur l’hypothèse du lexique mental et considérons à présent la question de l’accès au lexique, hors de tout cadre communicationnel, comme l’ensemble des processus psycho-cognitifs par lesquels le sujet parvient à retrouver dans son vocabulaire mental le mot dont il a besoin, que ce soit à l’encodage ou au décodage, car s’il doit en faire la recherche avant de l’insérer dans son discours lorsqu’il parle, il doit aussi être à même de le reconnaître, inséré dans la chaîne parlée, comme faisant partie de son vocabulaire

mental lorsqu’il écoute : il s’agit bien de deux opérations distinctes, mais la recherche et la reconnaissance des mots reposent fondamenta- lement sur les mêmes mécanismes. En effet, les processus engagés à la réception du message nous renseignent sur la façon dont sont activées les informations lexicales dont dispose le récepteur et sur la façon dont est traitée l’entrée parlée à l’interface entre les données acoustiques et leur traitement linguistique en vue de leur reconnais- sance phonique et de leur interprétation sémantique et syntaxique : en d’autres termes, pour être reconnu, le mot doit préalablement être identifié comme tel et, par conséquent, retrouvé (donc, en amont, recherché) parmi toutes les entrées qui sont stockées dans ce dictionnaire mental. Avant de nous interroger sur la façon dont le locuteur trouve – ou ne retrouve pas – dans sa mémoire le mot qu’il recherche, intéressons-nous à la façon dont ce même locuteur recon- naît les mots dans la chaîne parlée : dans les deux cas le problème posé est celui, identique, de l’accès au lexique. Comment tout cela se passe-t-il ?

Pour être reconnue, la substance phonique doit préalablement être découpée de manière à permettre la sélection puis l’activation dans le vocabulaire mental du mot correspondant au signal de parole. Deux théories s’affrontent sur l’analyse sensorielle du signal acoustique : l’une postule le traitement séquentiel de l’image auditive, l’autre la recherche d’unités saillantes non soumises à la linéarité articulatoire de la parole. À ces deux conceptions des processus cognitifs engagés dans la reconnaissance des mots correspondent deux modélisations différentes. La première, sous laquelle se regroupent les modèles fine-

grained, repose sur l’idée que l’ordre de réception du signal coïncide

avec l’ordre de son émission : ce sont les modèles linéaires et post- lexicaux, parmi lesquels le modèle COHORT (Marslen-Wilson & Welsh 1978), qui postule que la reconnaissance d’un item se fait par élimination progressive de tous les concurrents lexicaux activés, avant que l’émission du mot ne soit terminée, au cours des 200 premières millisecondes du signal (ce qui correspond à peu près à la première syllabe d’un mot). Une cohorte est constituée par l’ensemble des items du lexique mental susceptibles, à partir de l’analyse du seul segment initial, de correspondre au mot recherché, ce qui revient à postuler une sorte d’ordonnancement primo-alphabétique : en effet, à mesure que l’information acoustico-phonique est délivrée, les candidats ne s’ac- cordant pas à l’entrée auditive sont éliminés, l’opération s’achevant lorsque le processus d’identification aura atteint le point d’unicité (PU) et qu’il ne restera plus qu’un candidat en lice, c’est-à-dire lorsque la séquence des phonèmes traitée réduira le choix de tous les mots possibles à un seul. À cette approche fondée sur la continuité du flux acoustique s’oppose une autre génération de modèles dits coarse-

grained qui postulent un traitement discontinu des données acous-

tiques, de sorte que la chaîne parlée n’est plus considérée « comme une suite d’unités isomorphes mais comme une succession de contras- tes, faisant alterner des endroits porteurs d’informations saillantes (informations prosodiques telles que l’accent par exemple) et des endroits qui, ne comportant aucune information saillante, peuvent, par conséquent, être négligés ou traités secondairement » (Wauquier- Gravelines 1999 : 136) : ce sont les modèles dits prélexicaux, qui postulent l’existence de positions squelettales amenant à des calculs rétroactifs lors de l’extraction multilinéaire des informations segmen- tales et suprasegmentales de la chaîne, découpée par l’auditeur sur la base de routines d’ordre métrique ou prosodique. Parmi les unités de traitement modélisées, l’hypothèse syllabique trouve son expression la plus achevée dans le modèle SARAH (Syllable Acquisition, Repre-

sentation and Acces Hypothesis) développé par Mehler, Dupoux &

Segui (1990) : on part du principe que le locuteur analyse les sons du langage sur la base non des phonèmes mais des syllabes exécutables dans sa langue, l’inventaire des cadres syllabiques s’élevant pour une langue comme le français à environ 6 000 (Kandel & Bohé 1996). L’hypothèse syllabique bouleverse la chronologie longtemps admise qui veut que, dans l’acquisition du langage, l’analyse phonétique précède l’analyse syllabique alors que, comme on le sait, le découpage phonique correspond à un stade très évolué dans ce processus. C’est notamment le point de vue de la phonologie générative non linéaire (PNL) qui place la syllabe, unité multilinéaire, à la croisée des proces- sus phonologiques et des contraintes prosodiques, métriques et phono- tactiques.

Si les deux modèles posent, différemment mais crucialement, le problème de la segmentation de la parole et de l’extraction d’unités sub-lexicales (phonèmes, mais aussi – en dessous – traits phonétiques ou – au-dessus – syllabes), c’est le modèle multilinéaire qui retient d’autant plus notre attention ici que le cadre syllabique qui sert d’éta- lon à la banque d’analyseurs donnant accès au lexique mental ne cor- respond pas strictement à l’unité que nous avons coutume d’appeler syllabe : l’hypothèse syllabique est celle d’un complexe polyphonique apparenté à la syllabe – mais pas tout à fait identique à cette unité minimale de structuration – servant de base à la procédure algorith- mique de la reconnaissance des mots. Impossible, lorsqu’on parle d’un complexe phonique doté d’un tel pouvoir mémoriel, de ne pas penser, dans la perspective du fonctionnement de l’anagramme, au dépasse- ment structural de l’unité monophonique et à la découverte saussu- rienne du complexe diphonique et triphonique. Lorsqu’on connaît l’importance que Saussure accorde au syllabogramme du nom propre et lorsqu’on constate le rôle éminent de la syllabe dans la planification

du mot, dans la partition gestuelle qui spécifie les habitudes arti- culatoires du locuteur, dans le travail de la reconnaissance des mots ou dans la recherche et l’activation d’un mot oublié, on est fortement tenté de mettre en résonance l’hypothèse saussurienne du syllabo- gramme et celle, d’inspiration connexionniste, du syllabogène, et de voir dans la théorie de l’anagramme ce qui pourrait être une première ébauche de l’hypothèse syllabique de l’accès au nom, car c’est bien à partir des bribes disséminées dans le texte d’un nom caché à identifier que, confronté à un anagramme cryptographique, le récepteur devra « retrouver » dans son vocabulaire mental, suggéré par le syllabo- gramme enseveli sous les vers du poème, le nom propre correspon- dant. Pour le dire plus simplement, la théorie de l’anagramme se laisse lire comme une métaphore du travail de l’accès au lexique voire comme une première tentative de formalisation des processus engagés dans la reconnaissance des mots : qu’il s’agisse de reconnaître les signifiants qui se cachent dans les vers antiques, de retrouver les mots que, lorsqu’il est victime d’un trou de mémoire, le locuteur ne parvient pas à mobiliser ou qu’il s’agisse encore d’identifier comme faisant partie de son lexique mental les segments qui composent la chaîne parlée, c’est l’accès au lexique qui est en cause dans tous les cas de figure.

Revenons à présent à l’exemple analysé par Freud autour de la recherche du nom Signorelli : il semblerait que, d’entrée de jeu, la cible Signorelli ait fait l’objet d’un double codage. D’une part, le segment -elli appelle, sous l’effet d’une attraction paronymique (mais aussi sémantique car il s’agit également d’un nom de peintre), le nom

Boticelli dont la première syllabe appelle Boltrafio qui à son tour

appelle Trafoï ; d’autre part, le segment Signor, pris au pied de la lettre, convoque son synonyme germanique Herr, qui convoque

Herzegowina : à la croisée des deux paradigmes, Bosnia entre en

résonance avec Herzgowina par son sens, et avec Boticelli et Boltrafio par sa forme avec qui il partage les mêmes sons inauguraux. Autre- ment dit, le mot-cible a fait l’objet d’un double traitement concomitant phonémique (rime en -elli) et sémantique (Signor « seigneur »). À quoi vont s’ajouter encore toutes les valeurs – dénotatives, connota- tives, symboliques, intersubjectives – attachées à chacun des signi- fiants mobilisés au cours de la recherche lexicale : en dévalisant le mot Signorelli, Freud établit, d’une part, que le nom propre, auquel on ne reconnaît traditionnellement qu’une fonction purement référen- tielle, ne fait pas que désigner mais « signifie » aussi et, d’autre part, et ce deuxième axiome est fondamental dans le débat sur la séquentialité de la chaîne, que le signe linguistique n’est, une fois encore, pas linéaire. En figure :

H ERZ E G O W I N A H ERR S IG N O RE L L I B OT T I C E L L I B OS N I E N B OL T R A F I O T R A F O Ï

Que se passe-t-il lorsqu’un mot connu, donc théoriquement dispo- nible, n’est pas accessible ? Si les approches divergent, ce qu’éprouve le locuteur face à ce phénomène universel au cours du travail de récupération de l’information stockée dans sa mémoire – sorte de sentiment in between tout à la fois d’étrangeté et de familiarité, de flottement et de certitude – est sensiblement le même d’un sujet à l’autre. Le mot qui est à l’origine de l’état de TOT s’inscrit en creux dans la mémoire du locuteur, qui ne retrouve dans son vocabulaire mental, comme en négatif, que l’espace béant laissé par son éviction momentanée, telle la pièce manquante d’un puzzle 5. Le paradoxe

– sorte de double bind auquel est alors confronté le locuteur, tiraillé entre la certitude du savoir dont il se sait détenteur et le constat d’échec qu’il est conduit à dresser devant une telle défaillance de sa mémoire – se laisse cerner lorsqu’on reconnaît à cette béance les pro- priétés qu’elle emprunte par défaut à son entour : toute absence épouse la forme de ce par opposition à quoi elle se définit. Le mot manquant, le locuteur en perçoit souvent assez distinctement les contours, même s’il n’est pas capable dans un premier temps de com- bler le vide. Comme l’écrivait déjà en 1890 William James à propos du sentiment d’absence – qu’il prend soin d’opposer à l’absence de sentiment –, « le vide laissé par un mot ne ressemble pas au vide laissé par un autre » (the gap of one word does not feel like the gap of

another 6). Lorsqu’on demande au sujet victime d’un trou de mémoire 5. La métaphore du puzzle serait juste si on imaginait que dans la boîte de jeu se trouvent mélangées les pièces de plusieurs puzzles découpés tantôt selon le même modèle à partir d’images différentes, tantôt à partir de la même image mais avec des découpages différents, le joueur étant ainsi amené à faire plusieurs tentatives – lorsque la couleur sera la bonne, le contour ne correspondra pas, lorsque le contour de la pièce trouvée sera identique à celui de l’interstice, c’est le motif ne correspondra pas – avant de trouver la bonne pièce.

6. “Suppose we try to recall a forgotten name. The state of our consciousness is

peculiar. There is a gap therein; but no mere gap. It is a gap that is intensely active. A sort of wraith of the name is in it, beckoning us in a given direction, making us at moments tingle with the sense of our closeness, and then letting us sink back without the longed-for term. If wrong names are proposed to us, this singularly definite gap acts immediately so as to negate them. They do not fit into its mould. And the gap of one