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AUDITION, ORDRE ET DÉSORDRE

FERDINAND DE SAUSSURE À L’ÉPREUVE DES NEUROSCIENCES

6. AUDITION, ORDRE ET DÉSORDRE

La perception d’une syllabe comme une suite de segments qui se succèdent dans le temps est en effet un phénomène étrange et contre nature.

Cao Xuan Hao, Phonologie et linéarité, Paris, Selaf, 1985, p. 113.

Revenons à présent à la question laissée en suspens de la linéarité supposée de l’écoute : si l’anagramme relève de l’audition, le procédé ne peut trouver un fondement acoustique que si, comme nous avons essayé de le montrer pour la lecture dont nous avons examiné les mécanismes plus haut, il est possible de soustraire l’écoute à la linéa- rité de la chaîne parlée, ce qui, les manuels de phonétique et de pho- nologie ne cessent de le rappeler, semble contraire aux lois purement physiques de l’émission et de la propagation des sons, immanqua- blement disposés les uns après les autres, toujours ordonnancés séquentiellement et consécutivement. Or le Cours a beau proclamer que « le signifiant, étant de nature auditive, se déroule dans le temps et a les caractères qu’il emprunte au temps : a) il représente une étendue,

et b) cette étendue est mesurable dans une seule dimension : c’est une ligne » ([1916] 1990 : 103), Saussure n’en dénonce pas moins, lors- qu’on lit les Écrits, les illusions créées par la temporalité et par la divisibilité simple de la chaîne sonore « comme celle de croire que les unités du langage sont des touts organisés, alors qu’elles sont simple- ment des touts subdivisibles dans le temps et parallèlement à des fonctions qu’on peut attribuer à chaque morceau de temps » (2002 : 111). Peut-on vraiment, sans métaphoriser le terme, délinéariser l’audition d’une séquence linguistique ? C’est ce que les progrès accomplis au cours des dernières décennies par la phonétique expéri- mentale et par la phonologie laissent fortement à penser. Représentatif de cette phonologie alternative – souvent ignorée des théoriciens de la linguistique générale – toujours nouvelle malgré sa relative ancien- neté, le travail pionnier de Cao Xuan Hao mérite une mention particu- lière. Bien des idées reçues sur la linéarité y sont mises à mal, à com- mencer par le caractère prétendument consécutif des sons du langage que l’auteur remet d’entrée de jeu en question (1985 : 31), en rappelant avec Gisèle Brelet (1949) cette vérité scandaleuse que, dans le temps linguistique comme dans le temps musical, « le son est contemporain de son souvenir, et le souvenir d’un son est encore un son » (Brelet 1949 : 486). Le « ton » est, pour ainsi dire, donné : trois cents pages durant, l’auteur égrène des principes que la phonolo- gie classique élève au rang de certitudes et tord le cou à des idées reçues que la linguistique, forte de cette conviction, n’en finit pas d’assener et dont elle se prévaut pour fonder une part importante de sa réflexion.

Malgré le caractère toujours rassurant que revêtent les vérités incontestables – et le temps dans son inexorable progression semble bien en être une –, l’audition d’un segment linguistique n’est, pas plus que sa lecture, réductible à un processus linéaire. Sans cesse, à l’inté- rieur d’une même syllabe, se produisent des recouvrements, des décalages temporels, des phénomènes de coarticulation, de transition et de ressyllabation, des chevauchements et des télescopages aux contours flous, difficilement compatibles avec l’image simple et simpliste d’une ligne avançant dans le temps et dont elle serait l’ex- pression à la fois géométrique et métaphorique. Pour commencer, l’audition met en cause des chronologies différentes qui s’étendent (et qui s’entendent) simultanément – donc en conflit linéaire – sur plu- sieurs segments :

les phonèmes représentent des segments successifs ; les traits pertinents se réalisent simultanément dans les limites du segment assigné au phonème qu’ils constituent, tandis que les prosodèmes recouvrent un thème cons- titué par une unité d’un niveau supérieur à celui du phonème (une syllabe, un morphème, un mot, un syntagme, etc.) ; ils se réalisent « simultané- ment » à cette unité. (Cao Xuan Hao 1985 : 41)

Il s’ensuit une mise en concurrence des propriétés phonétiques de la chaîne parlée dans laquelle le simultané se superpose au successif et le segmental au suprasegmental. La notion de segmentalité est elle- même fortement remise en cause : l’idée selon laquelle la syllabe repose sur des propriétés physiques et perceptuelles segmentables et reconnaissables est loin d’être aussi évidente que la phonologie classique veut bien le laisser « entendre ». De fait, la représentation statique et segmentale que nous nous donnons des sons est absolument incompatible avec la réalité mouvante de la phonation durant laquelle aucune phase stationnaire autre que virtuelle n’a pu être signalée, les sons n’ayant aucune existence indépendante dans le discours. Bien des faits que l’on tient pour certains et incontestables attendent toujours vérification, comme l’identité phonématique communément admise de la consonne réalisée en position ouvrante ou fermante, pour ne donner qu’un exemple. Qu’un « t » initial et un « t » final, par exemple, soient des réalisations positionnelles du même « t » voilà qui est générale- ment admis sans l’ombre d’une discussion. Pourtant, si on observe strictement les faits, on est amené à admettre qu’une telle identité n’a pour fondement qu’un a priori sans lien avec la réalité articulatoire des sons car « les mouvements musculaires exigés pour la production d’une consonne explosive et son homologue implosif sont différents et résultent d’ordres moteurs différents » (ibid. : 67). L’observation directe ou, pour mieux dire, l’écoute directe et non aprioriste de la chaîne telle qu’elle est émise et telle qu’elle est captée par l’oreille fait apparaître, contre l’idée selon laquelle les sons seraient des segments phoniques correspondant à des tranches isolables, qu’un son isolé n’a aucune chance d’être reconnu par l’oreille, aussi exercée puisse-t-elle être. Le test est rudimentaire, qui a pourtant fait ses preuves ; il suffit, sur la base de bandes magnétiques et de spectrogrammes, de découper aux frontières les segments à isoler et de les réécouter excisés de leur entour phonique pour s’en apercevoir : pour étrange que cela puisse paraître, « les portions ainsi découpées donnent presque toujours soit des bruits étranges qui ne ressemblent guère aux sons du langage humain, soit des sons tout autres que ceux auxquels on s’attend » (ibid. : 116).

Quant à la linéarité et à la consécutivité des segments de la chaîne, la conclusion de Cao Xuan Hao est sans appel : « les sons qui consti- tuent une syllabe ne sont ni émis, ni entendus l’un après l’autre » (ibid. : 111). Que l’on se situe du côté de l’articulation ou du côté de l’audition, il n’y a pas de segments stationnaires consécutifs dans ce qu’on persiste à appeler la « chaîne » parlée : « toutes les activités articulatoires (mouvements et positions) qui sont requises pour la transmission des traits distinctifs des phonèmes appartenant à la même syllabe sont réalisées simultanément, excepté celles qui sont “incom-

patibles” » (ibid.). Ce qui revient à dire que les traits caractéristiques d’un son s’étendent sur plusieurs segments consécutifs de sorte qu’une voyelle, par exemple, présente simultanément tous les traits des consonnes adjacentes. À quoi s’ajoute enfin que l’énoncé que le phonologue décompose en phonèmes est perçu holophoniquement par l’auditeur dont l’analyse perceptuelle s’arrête en réalité à des unités de la grandeur de la syllabe : « La parole est réalisée dans une substance qui se déroule dans le temps, mais son intelligence suppose que cette linéarité soit surmontée par la saisie globale de l’énoncé dans le pré- sent psychologique » (ibid. : 114). En effet, c’est notre système d’écri- ture alphabétique qui crée l’illusion phonétique que nous sommes capables de penser isolément les sons : « la segmentation phonétique n’est pas la base des aptitudes linguistiques, mais leur conséquence » (Warren 1994 : 70). Contrairement à ce que postule classiquement la phonologie, parler ne consiste pas à additionner les uns après les autres des segments exclusivement consonantiques ou exclusivement vocaliques, mais à produire un continuum sonore qui se déploie paral- lèlement sur plusieurs plans et sur le trajet duquel sont surimposés des mouvements d’obstruction ou de restriction (Cao Xuan Hao 1985 : 256). D’où la complexité des faits acoustiques que la perception seg- mentaliste classique tend trop souvent à oblitérer, en évacuant les phénomènes de mutation consonantique et vocalique dont la phona- tion est massivement le théâtre, ou en ignorant leurs fondements cognitifs. Étrange surdité en effet que celle du phonologue qui, habité par « le fantasme de la segmentation de la chaîne parlée en sons », refuse obstinément de voir ce qu’il entend…

Que voit donc Saussure dans la délinéarisation que suppose l’expérience anagrammatique et à laquelle l’audition est, dans sa pratique quotidienne, à une moindre échelle certes, mais naturellement exercée ? Pour Jean Baudrillard, la question trouve une réponse dans la nature même du nom qui sert de « thème » voire, selon ses termes, d’« anathème » au poème. Si, en édictant sa loi de couplaison, Saussure invente une contre-phonétique et s’il met en place un protocole où les sons s’abolissent deux par deux à la surface du texte comme dans un miroir, c’est pour mieux dire, non la simple diffrac- tion textuelle du nom de la divinité, mais son extermination pure et simple par le cycle du redoublement, de l’anti-voyelle et de l’anti- gramme, le texte opérant symboliquement sur le plan du signifiant ainsi démantelé le sacrifice du dieu ou du héros qu’il nomme. Ce dépeçage nombré du signifiant mis à mort, Jean Baudrillard y voit l’effet de la restriction fondamentale qui est apportée à la loi de disponibilité « absolue » du signifiant, jusqu’ici exploitable à merci, désormais soumis à transaction : contre les excès et contre les effets d’une phonétique intarissable, sans cesse irrésolue dans sa plate et « pénurique » infinitude linéaire, l’hypothèse de l’anagramme consa-

cre une phonétique contingentée où chaque unité qui compte est à son tour comptée avant de s’abolir dans la réciprocité du don et du contre- don. La loi de couplaison oblige à restituer chaque son emprunté au langage et c’est dans cette restitution de l’échange symbolique au cœur même des mots que l’auteur situe l’essence et la condition du poétique : investi d’une dimension sacrificielle qui aboutit à la liquidation du signifié par démembrement du signifiant, l’anagramme ne donne à voir autre chose que le texte dans l’exercice même sa propre autophagocytation soit : « l’exemple enfin réalisé de la résorp- tion sans résidu, sans trace, d’un atome de signifiant (le nom du dieu) et, à travers lui, de l’instance même du langage et, à travers elle, de la

résolution de la Loi » (Baudrillard 1976 : 305). Or, la brillante lecture

que fait Baudrillard du procédé anagrammatique comme expression d’une double pulsion poétique et déicide ne saurait faire oublier ce préalable à l’hypothèse de l’anagramme qu’est l’hypothèse du nom qu’elle a doublement pour fonction de faire disparaître et réapparaître ou, pour reprendre la formule alchimique « solve et coagula », de dissoudre et de précipiter. Contrairement à Baudrillard pour qui l’anagramme n’est pas in fine un procédé retotalisant, mais de pure volatilisation du signifiant, nous pensons que c’est dans le processus de recollection du signifiant démembré et dans la façon dont le nom dispersé est recolligé que tout se joue, aussi bien d’un point de vue psychologique qu’épistémologique. Car, avant d’être le lieu de l’ex- termination du nom, l’anagramme pourrait bien être, pour Ferdinand de Saussure, le lieu de sa conceptualisation, l’instrument même de son intellection, mieux encore : sa métaphore. Il nous semble en effet que, saisi dans son achronique tabularité, l’anagramme pourrait être la réponse apportée par Saussure à ce qu’on ne craindra pas d’appeler le « mystère » du mot, celui-là même, selon toute vraisemblance, qu’il avait à l’esprit, lorsque, questionné par son ami Jean-Élie David sur les innombrables travaux qu’il entreprenait sans jamais y mettre un terme, il lui confia : « On ne percera jamais le mystère final du langage » (cité par Mejía Quijano 2006 : 44). S’il est vrai, comme le postule Baudrillard lui-même lorsqu’il distingue deux ordres opposés, littéral l’un – marqué du sceau de la dissémination et de la réversi- bilité – et discursif l’autre – fait d’équivalence et accumulation –, que « toute la science linguistique peut s’analyser comme résistance à cette opération de dissémination et de résolution littérale » (Baudril- lard 1976 : 299), c’est cette résistance, et avec elle, celle qui entrave la compréhension du nom en tant qu’entité psychique hypostasiée dans une enveloppe vocale segmentable, que Saussure s’emploie méthodi- quement, selon nous, à faire voler en éclats.

Car tout le problème pour Saussure sera de trouver une représen- tation stable de cette entité linguistique qu’il cherche à circonscrire mais que chaque tentative d’axiomatisation a pour effet de rendre plus

fuyante : cette réalité qui semble lui échapper par là même où elle fonctionne, n’est autre que le sème par lequel il renomme le signe, qui n’est lui-même qu’une objectivation du mot. La question revêt, au fond, un caractère tellement général qu’elle passerait, noyée au milieu des Écrits, pour une question purement rhétorique : « En quoi peut consister une unité linguistique ? » (2002 : 109). L’auteur, on le sait, va déployer des trésors d’énergie pour rendre intelligible la contra- diction fondamentale qu’enferme le signe : il est matérialisé par un signifiant et, en tant que signifiant, il est astreint à une linéarité à laquelle il échappe en tant que signifié. « De même que le son d’un mot, qui est une chose entrée […] dans notre for intérieur […] devient une impression complètement indépendante du discursif, de même notre esprit dégage tout le temps du discursif ce qu’il faut pour ne laisser que le mot » (ibid. : 118). Or ce paradoxe, une construction comme l’anagramme permet de le manier à moindres frais, qui ne donne à voir autre chose que le signifiant dans le procès même de sa sub-limation. Aussi fera-t-on ici l’hypothèse qu’à travers l’ana- gramme, ce que Saussure recherche et vraisemblablement trouve, c’est une concevabilité de l’entité linguistique – le mot – qu’il ne parvient à fixer qu’imparfaitement au moyen d’images plus ou moins évanescentes…

… ce qui est essentiel, c’est le problème des unités. En effet la langue est nécessairement comparable à une ligne, dont les éléments sont coupés aux ciseaux, pan, pan, pan, et non pas découpés chacun avec une forme. Ces éléments, quels sont-ils ? (Gautier 2005 : 70)

… et de néologismes sans cesse déclinés. À côté des mots forme,

unité, terme, signe ou expression qu’il emploie plus ou moins indis-

tinctement pour désigner le mot, c’est en effet tout un arsenal linguistique – à la mesure de son insatisfaction onymique – que déploie Saussure pour tenter de cerner tant bien que mal les contours de l’entité qui constitue l’objet même de sa réflexion : sème, para-

sème, aposème, sôme, parasôme, contre-sôme, inertôme, kénôme, etc.

Au terme qui lui fait défaut mais qu’il semble avoir « sur le bout de la langue », au concept que les Écrits donnent à voir in statu nascendi dans la pensée de l’auteur, à la métaphore qu’il ne parvient pas à trouver, Saussure oppose une construction textuelle – l’anagramme – qui tire toute sa puissance explicative et heuristique de sa capacité à s’affranchir de l’ordre temporel qui en permet paradoxalement l’avè- nement et à rendre visible cette réalité de langue qu’aucune réalité de discours ne saurait donner à voir : le mot se réalisant tout à la fois dans le temps et hors du temps, démembré et dispersé, mais entiè- rement recolligible dans une seule pensée. Car « toute la particularité du mot est d’être un sème colligible, mais reposant sur la succession des syllabes » (2002 : 110). Dès lors, comment mieux et plus juste-

ment donner à voir le paradoxe du signe qui, formé d’une suite d’uni- tés discrètes, doit pouvoir être pensé simultanément comme un tout, qu’en mettant en scène un signifiant onomastique démembré – « avatar clandestin du nom originel du dieu », selon Baudrillard – dont les constituants doivent être recolligés hors du temps « dans une seule sensation » (ibid.). « Un mot – explique Saussure – n’a aucune structure. Dès qu’on fait abstraction de ses différentes parties » (ibid. : 114) et ce mot éclaté qu’est l’anagramme en est la preuve éclatante : d’une part, il met en spectacle un nom qui, délinéarisé, ne cesse pour autant de fonctionner comme un signe et, d’autre part, il met à nu le principe de succession temporelle qu’il est à la fois nécessaire de poser pour donner une matérialité au signe et d’abandonner pour le « com-prendre ». Comme Saussure le rappelle, « c’est la divisibilité temporelle [du mot qui] en fait un pseudo-organisme puissant d’illu- sion ». Cette illusion, c’est par une autre illusion qu’il s’emploie à la combattre, car délinéariser le signe est encore le meilleur moyen de dire l’ordre dont est fait le désordre, mais c’est surtout se donner une représentation concrète de la capacité de perception holistique des

patterns acoustiques qu’utilise la perception de la parole :

Si on voulait représenter vraiment les éléments phoniques successifs d’un mot, il faudrait un écran où viendraient se peindre par lanterne magique des couleurs successives, et cependant ce serait faux en ce qu’il nous serait impossible de recolliger ces couleurs successives en une seule impression, et c’est pourquoi le mot écrit tout entier sur l’écran de droite à gauche ou de gauche à droite spatialement est une meilleure représen- tation pour nous du mot, lequel est cependant temporel. (ibid. : 112)

Spatialiser et mettre en spectacle la temporalité de l’audition, tel pourrait être le véritable objet de la quête anagrammatique : avant d’être un jeu textuel, l’anagramme pourrait être le moyen que se donne Saussure de penser les sons, tant il est vrai qu’« il faut s’astreindre à dire l’unispatialité du signe linguistique, chaque fois, afin de faire sentir que ce n’est pas le caractère général du sème » (ibid. : 111). Fictivement désassujetti du temps qui « change toute chose », l’anagramme fournit une représentation elle-même virtuelle et illusoire du signe, montré « en apesanteur », mais tout entier recol- ligible dans un présent psychologique : si, même éclaté, démembré, diffracté, analysé, dissous, décomposé, dispersé et dépecé – pour reprendre quelques-uns des termes employés et déployés par Baudrillard –, le nom de la divinité qui se cache dans le texte reste un signe reconnaissable, c’est que les lambeaux qui en font l’anamnèse sont d’un point de vue cognitif disponibles dans le trésor mental de l’auditeur et prêts à être activés… Voilà qui ne fait que montrer – et ce n’est pas la moindre des leçons de Saussure – que ce n’est pas, comme on l’affirme souvent, le procédé qui est contraire aux règles du

langage mais bien la description qu’en fait le linguiste, victime de toutes sortes de préjugés, qui ne correspond pas à la réalité qu’il croit décrire.

Au cœur même du dispositif, la métathèse, on l’a vu, est l’instru- ment privilégié de la délinéarisation : elle est l’opération qui, tout à la fois, permet de surmonter la temporalité du signifiant et, sur le plan de la perception, d’en abstraire et d’en extraire le code sous forme de syllabogramme. Dans ce sens, la métathèse n’est pas un simple phé- nomène de migration des sons mais l’instrument même de leur com- préhension : elle devient la trace visible du recodage dont les unités acoustiques font systématiquement l’objet après leur saisie dans la perspective de la « psychologisation des signes vocaux » postulée par Saussure (ibid. : 109). La métathèse en effet ne vaut que si, dans ce présent psychologique, le segment AB n’est pas traité comme le