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A. La motivation : expliquer la coutume

UN CONTENTIEUX COUTUMIER ÉMERGENT : LES INTÉRÊTS CIVILS

I. A. La motivation : expliquer la coutume

C’est dans le soin accordé à la motivation des décisions faisant application de la coutume que va d’abord se manifester la volonté des juridictions en formation coutumière d’en faire la meilleure application possible. Sans cet exercice de transparence, le choix du législateur de maintenir l’application de la coutume kanak en matière civile n’est qu’illusoire. À cet égard, les différentes contributions ont fréquemment relevé les évolutions des décisions vers un contenu de plus en plus enrichi, qui permet à un observateur, pourtant étranger à la coutume kanak avant d’avoir entrepris l’analyse des décisions, de conclure que « La coutume kanak, telle qu’elle est reproduite en jurisprudence, s’avère très intelligible. » (G. Casu, II.). À cette tendance générale s’ajoute, de façon plus ponctuelle, un effort de pédagogie des magistrats à l’égard des plaideurs : la motivation sert également à l’acceptabilité des décisions.

Faire état de la coutume – D’un point de vue chronologique, l’évolution de la motivation a été soulignée à plusieurs reprises.

Les décisions les plus anciennes ne sont guère motivées. Ce faisant, elles restent fidèles à la tradition française de concision des décisions de justice. Dans le contentieux du changement de statut, ce style n’a pas évolué : en effet, ce contentieux ne fait pas application de la cou-tume mais de la loi organique déterminant les personnes de statut coutumier ; dès lors, l’effort d’explicitation du contenu de la coutume n’a pas à être fait. Ce contentieux est donc essen-tiellement composé de décisions classiques dans la motivation et dont le caractère stéréotypé ne fait aucun doute, quelques motivations types étant déclinées en série (voir P. Dalmazir et

P. Deumier, I)508. De façon plus préoccupante, dans les autres contentieux, cette tradition de

motivation est un temps restée sans la moindre adaptation à une donnée pourtant essentielle, celle du contenu du droit dont il était fait application. En effet, si une décision faisant applica-tion du droit commun peut se contenter d’une référence lapidaire à l’article de loi qui la fonde, permettant ainsi au lecteur de pouvoir facilement en retrouver la substance, tel n’est pas le cas pour la coutume kanak. Or, les plus anciennes décisions de la base se singularisent par leur tendance à ne mentionner que des éléments de fait avant d’asséner la conclusion judiciaire : manque singulièrement la majeure du syllogisme, les décisions de cette première période ne donnant aucune indication sur le contenu de la coutume dont elles sont censées faire applica-tion. Ainsi, G. Casu (III.) remarque que la motivation des décisions antérieures à 2010 « est, au

mieux expéditive509, au pire, inexistante510. Les décisions les mieux motivées sont encore celles

qui font application du droit civil commun511 »512.

508 - Relevant également des attendus type pour la méthode de calcul des intérêts, É. Cornut, I. B. 3.

509 - Par exemple : CA Nouméa 19 juin 1995 n° 46/95 qui renvoie à une « jurisprudence constante » sans autre précision. 510 - CA Nouméa 18 septembre 1995, n°113/95  ; CA Nouméa 17 juin 1996, n°223/95  ; CA Nouméa 26 mai 1997

n° c47/97 ; CA Nouméa 1er décembre 2008, n°08/204 ou CA Nouméa 22 janvier 2009, n°c07/120.

511 - CA Nouméa, 15 septembre 2003 (le juge se fonde sur l’article 371-2 du Code civil plutôt que sur la coutume pour considérer que l’enfant est encore à charge malgré sa majorité) ; CA Nouméa, 15 janvier1998 en matière de prescription de l’action en paiement des arrérages.

512 - Voir dans le même sens sur un autre échantillon, V. Poux, III : « n’explicitent pas le fondement juridique servant au rendu de la décision, ce qui aboutit à une motivation très factuelle et lapidaire […] La plus grande partie de ces décisions ne rappellent pas directement la règle de droit (qu’elle soit coutumière ou issue du droit civil com-mun). » ; A. nallet, IVA1 : « avant [2007], la motivation est sommaire, les arrêts sont particulièrement courts et relatent exclusivement des faits de l’espèce ».

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Les décisions vont progressivement s’enrichir d’éléments de contenu de la coutume, jusqu’à ce qu’une nouvelle étape soit franchie : à partir de 2010, « La motivation est davantage détail-lée : le contenu de la coutume est développé, les juges citent presque systématiquement leur propre jurisprudence, distinguent clairement l’énoncé de la coutume de son application au

cas d’espèce et mentionnent même, parfois, la Charte des valeurs » (G. Casu, III.)513. Certaines

décisions sont à cet égard remarquables. En matière de filiation, avec ses « arrêts de 2013 et 2014, la Cour d’appel de Nouméa statuant en chambre coutumière, a, sur les rapports du conseiller Régis lafargue, délivré un véritable cours de coutume, fondé sur la jurisprudence, la doctrine et les textes » (H. fulchiron, I. A.). À ce constat partagé par toutes les études peuvent être ajoutées des observations faites individuellement par les contributeurs : ici, il est observé que « le raisonnement s’établit parfois en deux parties : une première relative aux principes coutumiers applicables et une seconde relative à l’application des principes coutumiers au cas

d’espèce » (V. Poux, III.)514 ; là, que « À partir de 2007, la motivation fait référence à la loi du

pays 2006-15 du 15 janvier 2007 sur les actes coutumiers » (A. nallet, I. V. A. 1).

Certains contributeurs ont tenté de déceler les causes de ces évolutions. L’une des plus régulière-ment avancées tient à l’arrivée de magistrats dont la personnalité marquerait une évolution des

décisions (voir V. Poux, III.515 ; sur un mode interrogatif, G. Casu, III.516). Ainsi, « l’intérêt pour

le droit coutumier et l’implication des magistrats professionnels affectés à la formation coutu-mière des juridictions transparaissent sur la rédaction et la motivation des décisions rendues » (H. fulchiron, Introduction). Cette approche réaliste des décisions de justice, qui accepte de voir la personnalité des juges derrière le formalisme des décisions, est inhabituelle dans la culture juridique française. Sa récurrence dans les présentes contributions peut notamment s’expliquer par deux facteurs. D’une part, les décisions étudiées, plus explicites et longuement motivées, révèlent mieux que ne le fait une sèche affirmation d’autorité la personnalité de celui qui tient la plume. D’autre part, cette approche réaliste est nourrie par la présence de magistrats au sein de l’équipe de recherche : par les échanges continus en Nouvelle-Calédonie et par une rencontre

organisée avec l’équipe lyonnaise517, les observateurs extérieurs ont pris conscience de

l’impor-tance de la dimension humaine de la décision de justice comme de la politique jurisprudentielle suivie. D’autres explications ont ponctuellement été avancées : ce changement de motivation « Est-il justifié par la seule volonté de concourir à la reddition d’une justice meilleure ? Nous remarquons, en effet, que la motivation est souvent détaillée lorsque la coutume s’oppose aux règles du droit civil commun. » (G. Casu, III.). Dans une perspective proche, un autre contri-buteur se demande « si ce changement ne peut provenir par ailleurs du souci de rendre une meilleure justice, à tout le moins plus efficiente et plus sécuritaire pour les justiciables. En effet, l’on peut remarquer, dans certaines décisions, une volonté du juge de clarifier la situation et l’in-terprétation de la coutume et ce afin que les justiciables et leurs conseils soient plus au fait du

513 - Dans le même sens, H. fulChiron, Introduction ; V. Poux, III. : « les décisions postérieures à 2010 placent la coutume au cœur des décisions rendues, parmi les motifs de la décision, à la différence des décisions antérieures, tout en apportant une meilleure accessibilité au contenu des règles » ; A. nallet, I. V. A. 1 : « les juges rappellent successivement dans leur motivation – et ce de manière méthodique – les principes coutumiers applicables à l’espèce en cause, puis les dispositions de la loi du pays 2006-15 du 15 janvier 2007 ».

514 - Dans le même sens, G. Casu, III. , A. Nallet, I. V. A. 1.

515 - « cette différenciation des arrêts pourrait être liée à l’arrivée de nouveaux magistrats en Nouvelle-Calédonie » 516 - « le changement de motivation interroge, notamment quant aux raisons qui le justifient : est-il lié à l’empreinte

de quelques magistrats en poste en Nouvelle Calédonie ? ».

517 - Rencontre avec Daniel roDriguez le 10 juillet 2015, dans les locaux de l’Équipe de droit privé, à l’Université Jean Moulin – Lyon - III.

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droit qui leur est applicable518 » (A. nallet, I. V. A. 2). Le développement de la motivation va ainsi

de pair avec la volonté de faire acte de pédagogie.

Faire acte de pédagogie – Faire état de la coutume, de façon aussi développée que ce soit, ne suffit pas à réaliser le miracle de l’acceptabilité d’une décision qui reste malgré tout encadrée par les procédures de la justice étatique, le vocabulaire de cette justice, les exigences proba-toires mais aussi l’ensemble des normes secondaires qui encadrent les possibilités d’application de la coutume kanak. À cet égard, coutume kanak et droit commun relèvent de perceptions et représentations si radicalement différentes de la résolution d’un conflit que la décision de justice, aussi motivée soit-elle sur la coutume, peut présenter une certaine brutalité.

Plusieurs contributions ont ainsi relevé le souci des juges de faire œuvre de pédagogie à l’égard des plaideurs, cette pédagogie pouvant prendre des formes très différentes. En matière de chan-gement de statut, les très rares décisions ne faisant pas droit aux demandes de statut coutu-mier mentionnent avoir indiqué au plaideur comment il aurait pu obtenir satisfaction pour sa demande, qui va, à défaut, devoir être rejetée : ainsi, avant de rejeter la demande de changement de statut faite pour un mineur par une demanderesse n’ayant pas pu l’adopter, un jugement lui indique « Il est possible à la mère naturelle de former la demande de changement de statut. Il est également possible que Madame K. obtienne l’adoption de l’enfant et son changement de

statut »519 ; avant de rejeter une autre requête, faute pour le demandeur de produire les actes

de naissance établissant une ascendance coutumière, le jugement précise qu’il lui a été indiqué par courrier les conséquences de cette absence de production, et les avoir rappelées à l’audience « sans avoir d’effet », avant de conclure que le tribunal « ne peut que constater la carence du

requérant et qu’il convient de rejeter la requête »520. En matière de terres coutumières, un

juge-ment expose les relations conflictuelles des parties au litige et la conscience de la difficulté qui en découle pour les juges : « À l’audience et devant les juges, ils sont apparus divisés, tous vindicatifs à l’exception du porte-parole de la grande chefferie, tonton utérin d’Ijako L. dont le tribunal tient à souligner la grande tenue. Ce ne fut que menaces, revendication d’une justice qui ne trouverait pas à s’exprimer dans les lieux de la section détachée. Ainsi s’est exprimée une profonde division dans la coutume qui a interpellé les juges. […] C’est pour ces raisons et après avoir longuement réfléchi que les juges entendent prendre une décision de respect de la

cou-tume dont ils ont reçu la lourde charge d’opérer la préservation »521. Enfin, c’est également faire

œuvre de pédagogie à l’endroit des plaideurs peu au fait des arcanes judiciaires que de chercher à simplifier les démarches procédurales dans les litiges coutumiers. Les juridictions calédoniennes avaient ainsi institué un « pont procédural » permettant au juge pénal de transmettre le dossier au juge civil pour les intérêts civils et de donner rapidement aux parties une date d’audience (sur

lequel, voir É. Cornut, I. A. 1522).

La pédagogie dont font preuve les décisions de justice n’est pas réservée à l’explication du pro-cès : elle porte également parfois sur la coutume, certaines décisions ressemblant à de véritables « rappels à la coutume ». Il en est ainsi par exemple lorsque « Le tribunal tient à rappeler à X.

518 - CA Nouméa, 30 octobre 2014, n° RG : 13/225.

519 - Koné, 25 avril 2005, 58bis/05, cité par P. Dalmazir et P. Deumier, I. B. 520 - Koné, 5 avril 2005, 31/05, cité par P. Dalmazir et P. Deumier, I. B.

521 - TPI Nouméa, section détachée de Lifou, 25 juillet 2012, RG n°10/80, M. S. et Mme L. c. Grande Chefferie de Gaïca, cité par R. lafargue, II. A. 1.

522 - Cette simplification trouve une limite depuis la loi du 15 novembre 2013 en cas d’opposition d’une partie : sur la mise en œuvre cette opposition : ibid., I. A. 2.

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qu’il doit élever ses enfants, et que parler ce n’est pas dire, et essayer : quand on dit les choses on parle de ce qu’on est, dans ce contexte le tribunal rappelle qu’il ne faut pas obliger les enfants à choisir où ils veulent aller, il faut être deux pour faire les enfants, et pour les élever. Il n’y a plus à

essayer il faut faire les choses pour les enfants et non essayer »523. Ce rappel à la coutume est plus

net encore en matière de réparation, la voie judiciaire jouant de façon parallèle à la coutume du pardon. Par exemple, É. Cornut relève (III. B.) que, « Dans son jugement avant dire droit rendu le 27 mai 2013, le TPI a estimé que “ce refus du geste coutumier de pardon, dont l’importance a été rappelée précédemment, pouvait conduire à réduire le montant de l’indemnisation”. Les parties ont ensuite été invitées à débattre de cette règle coutumière “issue des débats en délibéré”, en vue du jugement sur le fond. Par ce dernier, le tribunal juge qu’en “ce qui concerne la portée du refus allégué de la coutume de pardon il y a lieu de relever, après les conclusions respectives, que cette démarche initiée par la mère de l’auteur responsable seule, n’est pas conforme aux usages en ce que cette cérémonie doit être préparée et réalisée entre les clans, dès lors il n’y a lieu à

réduire le droit à indemnisations” »524. Le respect de la coutume du pardon va également

par-fois intégrer le dispositif des décisions, lorsque la Cour d’appel de Nouméa « Enjoint à MM. Y. Ferdinand et Dick de faire une coutume publique de réconciliation destinée à renouer les liens coutumiers et à rétablir l’équilibre rompu par leurs agissements dans les six (6) mois de la signifi-cation du présent arrêt ; À défaut d’y procéder, et d’obtenir de la part du clan X. la réconciliation demandée par eux, condamne solidairement MM. Ferdinand Yet Dick Y. à payer à M. Rémy X., es qualité de chef de clan, la somme de Un MILLION de Francs CFP à titre de dommages-intérêts

en réparation du préjudice immatériel moral et spirituel, éprouvé par le clan X. »525

La richesse de la motivation des décisions appliquant la coutume, combinée au souci d’ex-pliquer la démarche suivie par le tribunal, permet assez aisément de dresser le constat de la volonté judiciaire d’appliquer largement la coutume.

I. B. L’application : donner sa place à la coutume

Parallèlement aux évolutions relevées en matière de motivation, les décisions de justice vont marquer une volonté de plus en plus affirmée de ne pas écarter, déformer ou restreindre l’application de la coutume.

Une tendance abandonnée  : la substitution du droit commun – Plusieurs contributions ont relevé l’existence d’anciennes décisions ayant fait application du droit commun dans des

litiges relevant de la coutume (B. Cagnon, II.526 ; V. Poux, III.527 ; G. Casu, III.528). Il n’est pas

certain que cette substitution soit toujours sciemment pratiquée, les mêmes décisions qui voulaient faire acte de pédagogie auprès des requérants pouvant leur faire subir des réflexes

523 - TPI Nouméa, 19 septembre 2011, RG n° 09/1618, cité par É. Cornut, II. A. 1. 524 - TPI Nouméa, sect. Koné, 6 juin 2014, RG n° 13/76.

525 - CA Nouméa, 22 mai 2014, RG n° 12-101, citée et expliquée par É. Cornut, III. B.

526 - La motivation de l’arrêt CA Nouméa, ch. civile, 17 novembre 2003, RG 103-2003 « est un classique en droit commun, mais s’avère étonnante lorsqu’il est question de statuer selon la coutume kanak, la coutume n’étant pas du tout invoquée dans l’arrêt. D’autres arrêts rendus en formation coutumière sont porteurs du même raisonnement et, de manière sur-prenante, n’appliquent, eux non plus, pas la coutume » (citant CA Nouméa, Ch. civ. cout., 5 mars 2007, RG 06-544 ; CA Nouméa, Ch. civ. cout., 5 mars 2007, RG 06-619).

527 - « Application du droit civil commun : CA Nouméa, 19/04/99, n°353/98 (ici les juges utilisent les articles 377 et 377-1 du Code civil afin de débouter une demande en délégation de l’autorité parentale) ».

528 - CA Nouméa, 15 septembre 2003 (le juge se fonde sur l’article 371-2 du Code civil plutôt que sur la coutume pour considérer que l’enfant est encore à charge malgré sa majorité) ; CA Nouméa, 15 janvier 1998 en matière de prescription de l’action en paiement des arrérages.

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de droit commun. Ainsi, en matière de changement de statut, une demande formée pour un mineur est rejetée au motif que le demandeur n’avait pu obtenir l’adoption de l’enfant, tout en précisant que cet enfant« vivait avec eux mais que, malgré un PV de palabre, la demande

n’a jamais abouti. À ce jour, l’enfant vit toujours avec elle »529. Cette décision, conforme à la

logique du droit commun, ne l’est pas à celle de la loi organique, qui permet à « toute personne de statut civil coutumier exerçant dans les faits l’autorité parentale » pour, selon les travaux préparatoires, tenir compte du fait que, dans les tribus kanak « parfois, un parent qui n’exerce

pas l’autorité parentale au sens classique du droit civil l’assume pourtant dans les faits »530.

Tout aussi régulièrement, les contributions relèvent que ces pratiques sont anciennes et n’ont plus cours. Au contraire, certaines décisions affirment clairement leur refus de procéder à

une telle substitution, à l’instar de l’arrêt du 11 octobre 2012531 dans lequel le père demandait

une évolution de la coutume, qu’il savait défavorable à sa demande de pension alimentaire, et auquel la juridiction répond fermement qu’« en suggérant une évolution de la coutume (M. X) ne propose rien d’autre que la substitution au droit coutumier des règles du Code civil, la seule perspective offerte étant la transposition pure et simple des principes du Code civil sans fournir la moindre justification à ce qui serait une violation caractérisée de la règle cou-tumière ». Une même évolution vers un retour à l’application de la coutume est constatée en matière d’absence de consentement de la mère à la reconnaissance par le père. Un jugement avait estimé « qu’outre les points de vue coutumiers, ou civils de droit commun, il existe un côté simplement humain à l’affaire, dont il faut éviter qu’une des parties ne sorte déchirée ou blessée », pour décider « que le côté humain doit l’emporter, étant fait remarqué que ceci ne

constitue point une entorse à la coutume » et déclarer le demandeur père de l’enfant532. Le

jugement est confirmé en appel au motif, guère plus respectueux de la coutume, que « selon la coutume, ce refus [de la mère] est en l’espèce abusif car la paternité du père n’est nullement

contestée »533. Non seulement cette position ne sera pas reprise par la jurisprudence ultérieure

mais en plus elle sera clairement critiquée par un obiter dictum introduit dans un arrêt de la

Cour d’appel de Nouméa rendu en 2013 et relevant « Qu’il n’est pas argué par le père que le refus de la mère serait abusif ; qu’au demeurant l’exercice par la mère d’une prérogative exorbitante des règles du droit commun, mais parfaitement conforme aux normes comme à l’esprit d’une organisation familiale matrilinéaire, n’est pas en soi de nature à dégénérer en abus de droit, nulle faute avérée ni intention malicieuse n’ayant été caractérisée en l’espèce à

l’encontre de la mère »534 (sur cette séquence, voir H. fulchiron, I. B. 1. b.).

Une cohabitation inévitable avec le droit commun – Si les juridictions n’appliquent plus désor-mais le droit commun à des litiges relevant de la coutume, ces deux cadres normatifs sont par-fois appelés à se mêler, accentuant la spécificité de la coutume étudiée, celle qui se laisse voir dans les décisions de justice et non celle qui est vécue au quotidien. Les juridictions en forma-tion coutumière vont en effet devoir construire ce droit coutumier, en puisant aux principes et conceptions de cet ordre social et en les moulant dans les procédures et objets litigieux du droit commun. Si elles disent la coutume, les décisions n’en restent pas moins des décisions judiciaires,

529 - Koné, 25 avril 2005, 58bis/05, citée par P. Dalmazir et P. Deumier, I. B. 530 - Ass. Nat., Comm. Lois, R. Dosière, 16 déc. 1998, n° 1275, sous art. 10. 531 - CA Nouméa 11 octobre 2012, n° 11/531, cité par G. Casu, III. 532 - TPI Nouméa, JAF, 17 mai 1999, RG 97-1190.

533 - CA Nouméa, 23 novembre 2000, RG 352-99.