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B. Un arrêt qui laisse entière la question de la survie des droits traditionnels

LE CONTENTIEUX CLASSIQUE DE LA TERRE

I. B. Un arrêt qui laisse entière la question de la survie des droits traditionnels

En dépit de sa qualité, ce rapport (lequel n’éclaire pas de façon certaine sur les véritables motifs de l’arrêt seulement sur l’état de la réflexion du rapporteur) omet certains éléments qui modifient quelque peu les termes du problème : à commencer par le double volet corporel et incorporel de la propriété coutumière qui explique le principe d’inaliénabilité des terres. Il omet, en outre, de considérer que la première reconnaissance de la propriété coutumière ne date pas des textes de 1867-68 comme cela est généralement admis mais de la Déclaration de l’Amiral Du Bouzet, premier gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, en date de 1855 (deux ans après la prise de possession) qui fait seulement interdiction aux indigènes de céder des droits sur leurs terres à des non-autochtones.

Cette déclaration ne prononce pas l’extinction des droits fonciers originels, elle les reconnaît au contraire. Ceci est mis en lumière dans les années 1930 : d’abord par le magistrat Étienne

Salmon281, ensuite par son collègue Éric Rau. Ce dernier note que « par un étrange revirement

(par rapport à la déclaration de 1855) l’arrêté du 22 janvier 1868 substitua à l’ancienne concep-tion de la ‘propriété’ foncière individuelle et familiale – que les Canaques connaissaient de

temps immémoriaux – un régime de propriété collective entièrement nouveau »282.

On ne soulignera jamais assez que ces textes de 1867-68 qui dépouillent les clans kanak d’une partie importante de leur foncier, réaffirment en même temps le principe posé en 1855 de l’inaliénabilité des terres coutumières (cf. notamment l’article 2 de l’arrêté du 22 janvier 1868 : « les terrains ainsi délimités seront la propriété incommutable des tribus. Ils ne seront suscep-tibles d’aucune propriété privée : en conséquence nul n’en disposera à un titre quelconque en faveur de qui que ce soit. Ils ne pourront être grevés du fait de l’homme d’aucune servitude

ou service foncier […] ils seront insaisissables pour dette […] ».283 La contradiction n’est

qu’ap-parente entre le fait de spolier les Kanak tout en affirmant l’inaliénabilité de leurs terres. En réalité, le caractère dérogatoire du foncier kanak et des droits coutumiers que les clans exercent en lien avec celui-ci se trouve réaffirmé. Et cette inaliénabilité signifie seulement que les titulaires de ce foncier n’ont pas l’abusus et non pas que ce foncier serait une sorte de domaine public/coutumier.

Ainsi Étienne Salmon comme Éric Rau soulignent (par l’effet des arrêtés des 24 décembre 1867 et 22 janvier 1868) le renversement du principe (posé en 1855) qui était favorable aux autochtones en ce qu’il reconnaissait une « propriété coutumière originelle » de type fami-lial (une propriété privée clanique) pour lui substituer une propriété collective au niveau de chaque tribu. Même si cela ressemble à une dénaturation des principes coutumiers il n’en demeure pas moins que subsiste le principe-même d’une propriété coutumière (fondée sur des normes coutumières), certes altérée par rapport à sa conception originelle par l’effet de ce processus de « collectivisation » décrété par l’arbitraire d’un gouverneur.

281 - É. salmon, « Remarques sur le régime des terres indigènes en Nouvelle-Calédonie », Revue de législation et juris-prudence coloniales (Rec. Dareste) 1935, p. 1-12.

282 - É. rau, Institutions et coutumes canaques [1944], L’Harmattan 2005, p. 172.

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La déclaration Du Bouzet de 1855 affirmait :

[…] cette prise de possession annule tous les contrats antérieurs faits par des particuliers avec les naturels de ce pays ; (qu’)en conséquence, les chefs et les indigènes de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépendances n’ont jamais eu ni ne peuvent avoir le droit de disposer en tout ou partie du sol occupé par eux en commun, ou comme propriété particulière, soit par vente, échange, don volontaire ou mode de transmission quelconque, en faveur d’individus qui ne font pas partie de leur tribu, qui ne sont pas aborigènes dudit territoire […].

Déclare nuls et non valides tous les contrats qui peuvent avoir été faits avec les chefs et les indi-gènes, tous les achats ou prétendus achats, échanges, dons et transmissions, à quelque titre que ce soit, et les défend à l’avenir. […] Le Gouvernement se réserve exclusivement le droit d’acheter les terres occupées par les indigènes, et la propriété, comme domaines domaniaux, de toutes les terres non occupées, ainsi que les forêts, bois de construction, mines de toute espèce qu’elles renferment. Lui seul pourra en faire la concession aux colons…284.

Lorsque les deux magistrats Étienne Salmon et Éric Rau critiquent en termes feutrés ce revi-rement de doctrine, c’est certainement en ayant en mémoire l’arrêt de la Cour d’appel en date

du 26 avril 1922285 qui va largement au-delà des conceptions portées par l’arrêté du 22 janvier

1868. Cet arrêt affirme que l’État est propriétaire des terres coutumières et que les Kanak ne sont que de simples occupants, bénéficiaires d’un prêt à usage. La raison de cette interpréta-tion jurisprudentielle tient dans l’impossibilité, à l’époque, de reconnaître des droits au clan puisqu’il est dépourvu de personnalité juridique : la solution consistait donc à affirmer des droits individuels (en tant qu’usager) à côté des droits de la puissance publique propriétaire du foncier pour permettre à un plaideur victime d’obtenir réparation du dommage causé à ses cultures par la divagation du bétail de la Sté New caledonian meat company. (Pour un décryptage de cette jurisprudence, et une critique doctrinale du refus de conférer la person-nalité juridique aux collectivités indigènes : cf. Pierre Dareste, « Les collectivités indigènes

devant les tribunaux français », Revue de législation et jurisprudence coloniales, Recueil Dareste,

1925, p. 1-8).

Après ce détour vers quelque chose qui s’assimile à la doctrine Terra Nullius (car le déni des

droits originels a duré de 1868 jusque dans les années 1950 où un élu de l’assemblée terri-toriale, Maurice Lenormand, évoquait la possibilité de reconnaître aux Kanak de simples servitudes sur les terres claniques), on assiste à la restauration de la doctrine initiale (celle

284 - « Déclaration du chef de Division, Gouverneur des Établissements Français de l’Océanie du 20 janvier 1855 relative à la propriété et à l’aliénation des terres en Nouvelle-Calédonie et Dépendances », Bulletin Officiel de la Nouvelle-Calédonie 1855-1858, p. 27.

285 - Nouméa, 26 avril 1922, New Caledonian Meat Company Ltd contre B., Revue de législation et jurisprudence colo-niales (Rec. Dareste) 1922, p. 234-237. Cet arrêt affirme que les indigènes n’ont pas de droit de propriété sur leurs terres. Ils ne peuvent se prévaloir de la qualité de propriétaires mais seulement d’un prêt à usage des terres qu’ils exploitent. Dès lors, c’est en cette qualité que l’indigène B. est fondé à agir à l’encontre d’une société d’élevage, en réparation du dommage que lui a causé la divagation du bétail. Et ce, en dépit du fait qu’il revenait à la tri-bu de Nékliaï (dont était originaire M. B.) d’élever, à frais communs avec ladite société d’élevage, des barrières autour des terrains de la tribu, pour protéger les cultures vivrières des incursions du bétail. La société d’élevage invoquant les manquements de la tribu, la cour d’appel a rejeté ce moyen en considérant que le manquement de la tribu ne pouvait être opposé à M. B. pour lui dénier son droit à réparation, et que rien n’empêchait la société d’élevage de se retourner ensuite contre la tribu (personne morale) en responsabilité dans l’inexécution des travaux stipulés contractuellement.

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de la déclaration Du Bouzet de 1855) par l’accord de Nouméa (point 1.4 relatif à la terre) et l’article 6 de la loi organique. Cet article affirme que « En Nouvelle-Calédonie, le droit de propriété garanti par la Constitution s’exerce en matière foncière sous la forme de la propriété privée, de la propriété publique et des terres coutumières dont le statut est défini à l’article 18 » (loi org. 19 mars 1999, article 6). Ceci est conforté par les termes mêmes de l’article 18 de cette loi :

Sont régis par la coutume les terres coutumières [...], appartenant aux personnes ayant le sta-tut civil coutumier. Les terres coutumières sont constituées des réserves, des terres attribuées aux groupements de droit particulier local et des terres qui ont été ou sont attribuées par des collectivités territoriales ou les établissements publics fonciers, pour répondre aux demandes exprimées au titre du lien à la terre [...] les terres coutumières sont inaliénables, incessibles, incommutables, et insaisissables.

Peut-on en déduire que les textes récents « recréent pratiquement ex nihilo une nouvelle

pro-priété coutumière », comme l’affirme le conseiller rapporteur de la Cour de Cassation ? Cela revient à poser pour principe que la prise de possession (1853) et/ou les textes réglemen-taires qui ont suivi auraient provoqué l’extinction des droits coutumiers – or, ceci est inexact. Suivre le raisonnement du conseiller à la Cour de Cassation reviendrait à poser, encore, en postu-lat que les terres de réserve ne sont pas le prolongement des droits fonciers originels – ce qui serait encore inexact. Car elles prolongent bien, tout en le restreignant, le domaine foncier originel. C’est ce que confirme l’arrêté du 22 janvier 1868 qui précise que les réserves sont constituées pour

chaque « tribu » (les districts actuels) sur le « territoire dont elle a la jouissance traditionnelle »286.

Il ne s’agit là que d’un « cantonnement » destiné à libérer des terres pour la colonisation, et non d’une extinction totale des droits fonciers préexistants. Les terres coutumières actuelles (pour la partie coïncidant avec les anciennes réserves) correspondent à l’évidence au domaine originel. Quant aux terres restituées au titre du « lien à la terre », il s’agit de la restitution aux descen-dants des clans, autrefois implantés là, des terres dont ils ont toujours tiré leur identité. Là encore, il paraît difficile de considérer que cette partie-là du foncier coutumier actuel est une

création ex nihilo d’une terre coutumière : la filiation entre ce foncier restitué et le foncier

précolonial est directe. On pourrait soutenir que ce « lien » (le volet incorporel) entre ces terres et les clans titulaires de la période précoloniale et leurs descendants actuels n’a pas été interrompu par la dépossession du volet corporel (la matière). En d’autres termes, la propriété intellectuelle sur certains éléments de ce foncier ou l’autorité morale dont est investi le clan à l’égard de cette terre n’ont jamais cessé malgré la dépossession du substrat matériel. Toutefois, l’article 6 de la loi organique en accordant la même protection constitutionnelle à la « pro-priété privée » (celle du code civil) et à la « pro« pro-priété coutumière » paraît interdire de remettre en cause la première en faveur de la seconde.

286 - Précision sémantique : ce texte a été adopté à une époque où l’on appelait « tribu » les actuels « districts » (cir-conscriptions des grandes chefferies) et où l’on appelait « villages » ce que l’on nomme aujourd’hui « tribu ». L’arrêté n° 13 du 22 janvier 1868 relatif à la constitution de la propriété territoriale indigène précise : « Il sera délimité pour chaque tribu (lire « district » / « grande-chefferie ») de la Nouvelle-Calédonie et de ses dépen-dances, sur le territoire dont elle a la jouissance traditionnelle […] un terrain, d’un seul tenant ou en parcelles proportionné à la qualité du sol et au nombre des membres composant la tribu. On procédera, en même temps et autant que possible, à la répartition de ce terrain par villages » (lire « tribu »).

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La continuité évidente entre le foncier originel et le foncier coutumier actuel est confirmée

par l’exemple des îles Loyautés : érigées dès la fin du XIXe siècle en « réserves intégrales », elles

n’ont, de ce fait, jamais cessé d’être régies par la coutume.

Il semble difficile de considérer qu’une doctrine administrative qui a cherché à dénaturer les droits fonciers originels ait eu pour vertu de les éteindre. Mais surtout, comment conci-lier l’affirmation maintes fois réitérée – en 1855 (déclaration Du Bouzet), en 1868 (arrêté du 22 janvier), et encore en 1959 (délibération n° 67 du 10 mars 1959) puis en 1999 (loi organique) –

que les terres coutumières sont inaliénables avec cette idée d’une recréation ex nihilo d’une

pro-priété coutumière ?

Enfin, le point 1.4 de l’accord de Nouméa n’étaye en rien l’idée d’un foncier coutumier recréé ex

nihilo. Il ne l’affirme pas. Le préambule affirme au contraire que le « lien » ne s’est jamais éteint. Or, le « lien » c’est le droit moral sur la terre, l’identité (les droits de la personnalité de ceux qui le

revendiquent). Ces prérogatives ou droits intellectuels, eux, n’ont jamais disparu287.

Cette affaire soulève plus de questionnements qu’elle ne résout de problèmes. Car si l’on prend comme point de départ du raisonnement la déclaration de 1855 (portée déclaratoire des droits autochtones), il y a de forts arguments en faveur du caractère déclaratoire des dispositions de l’accord de Nouméa et des articles 6 et 18 de la loi organique du 19 mars 1999 – malgré les errements de la doctrine administrative et même de la jurisprudence sur le titre

indigène/ancestral au cours de la première moitié du XXe siècle.

Il n’en demeure pas moins que l’article 6 de la loi organique confère une égale protection aux titres « coutumiers » et aux titres de propriété de droit commun, sans privilégier l’un par rapport à l’autre. Cela aurait pu suffire à rejeter le recours du clan G. Le moyen tiré de l’ina-liénabilité des terres coutumières s’efface devant la protection constitutionnelle qui protège tous les types de propriété, et qui assoit les droits acquis. Ce n’est pas autre chose qu’affirme,

notamment, la jurisprudence australienne (arrêts Mabo et Wik) : ne peut être utilement

reven-diqué le titre indigène lorsque, concurremment à celui-ci, a été constitué un titre foncier de

droit commun inconciliable avec la survie du titre indigène (freeholdtitle). En revanche, rien

n’interdit de revendiquer le titre indigène sur des zones données à bail (leaseholdtitle) à des

sociétés d’élevage, puisque le contrat de bail même de longue durée ne peut être considéré comme ayant éteint le titre indigène. En effet, l’objet du contrat de bail (élevage de bétail) laisse entièrement libre la terre pour d’autres usages et notamment pour un usage traditionnel pour les groupes aborigènes : à des fins de passage et d’installation temporaire, de cueillette, ou de cérémonies rituelles.

C’est la raison pour laquelle, l’interrogation sur la valeur déclaratoire ou constitutive des articles 6 et 18 de la loi organique est en l’occurrence un problème second par rapport à la question de savoir si l’article 18 de la loi organique donne une liste exhaustive des « terres coutumières » ou seulement indicative. Si cette liste n’était qu’indicative, elle laisserait ouvertes de possibles revendications sur des terres qui ne sont ni des terres de réserve ni des terres attribuées au titre du lien à la terre. Qu’en serait-il par exemple d’une revendication portant sur des zones

287 - R. lafargue, « La “Terre-Personne” en Océanie. Le Droit de la Terre analysé comme un droit moral et un devoir fiduciaire sur un patrimoine transgénérationnel », in S. Vanuxem et C. guiBet lafaye (dir.), Penser la propriété, un essai de politique écologique, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015, p. 23-36.

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marines, zones considérées par les clans de la mer comme de la terre ferme simplement

recou-verte par les eaux288 ?

Et ceci pose une question essentielle : n’existe-t-il pas un décalage entre les grands principes posés par la norme constitutionnelle (l’accord de Nouméa) et une mise en œuvre restrictive par la loi organique, imputable au fait que le législateur organique n’a pas donné son analyse juridique de ce que recouvre la tenure kanake ?

Si l’article 18 ne donne pas de liste exhaustive de ce qui constitue les terres coutumières et si l’on pouvait alors considérer comme coutumier tout le « foncier » dès lors qu’un clan peut prouver être en lien avec cette terre, en ce cas, il faudrait en déduire (comme le font les

juridic-tions anglo-saxonnes) que des revendicajuridic-tions peuvent être exercées a priori sur tout le

« fon-cier », mais que les attributions de terres par la puissance publique, en pleine propriété à des colons, vaut extinction du « titre indigène ». Cette solution serait cohérente avec les termes de l’article 6 de la loi organique qui offre la même garantie à « la propriété privée », à la « pro-priété publique », et aux « terres coutumières ». Certes ces dernières sont inaliénables, mais cette inaliénabilité peut-elle justifier de revenir sur la constitution de droits concurrents qui portent extinction de cette propriété coutumière ? Là est la question fondamentale.

L’article 6 paraît une réponse claire à cet égard. L’État a surtout préféré résoudre le problème de façon pragmatique en créant un organisme, l’Adraf, qui rachète les terres privées pour les restituer aux clans ou aux GDPL ou aux particuliers qui peuvent invoquer le « lien à la terre » (un rapport historique et identitaire à une terre qui souligne l’importance que revêt le volet immatériel du fon-cier). Cette procédure a permis jusqu’à présent de prévenir des actions en justice comme l’affaire G. c. C. qui, à notre connaissance, constitue un exemple unique à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie. Il n’en demeure pas moins, que si ces terres sont restituées c’est en raison d’un « lien » (moral, intellectuel, identitaire) ininterrompu à une terre. Et cela démontre que malgré les vicissi-tudes de l’histoire subsiste aujourd’hui un rapport d’identification réciproque des hommes à cette terre – un « lien » qui fonde leur droit à restitution. Et ceci est d’autant plus troublant que, pour revenir à la genèse de l’affaire G., l’Adraf a restitué en 1983 la plus grande partie de la propriété A. au clan G. (118 hectares) au nom de ce « lien à la terre » qui ne peut suffire, ensuite, à fonder la revendication du même clan, formée sur la base du droit coutumier, pour la parcelle restante (de 86 hectares).

288 - Un très intéressant arrêt relatif à la Polynésie éclaire cette question : Cour d’appel de Papeete du 10 avril 2008, RG n° 475/TER/05, Polynésie Française c. consorts T…. La Cour d’appel, saisie d’un litige opposant des propriétaires pri-vés à la collectivité publique, a confirmé l’existence d’une propriété coutumière sur une lagune (lagune de Mara’a) que la Polynésie Française prétendait inclure dans le domaine public. La Cour d’appel a considéré que l’article 538 du Code civil « ne saurait régir le présent litige alors que le code civil n’a été rendu applicable à Tahiti qu’en 1866 et qu’antérieurement, en 1853, selon la procédure instaurée par la loi tahitienne du 24 mars 1852, la terre TEROTO avait été enregistrée au nom de son propriétaire H… à HURUHURU, auteur des consorts T… ; qu’en effet, tant en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle que du principe des droits acquis, affirmé de manière spécifique à Tahiti dès 1842, époque de la mise en place du protectorat, la propriété d’un bien immobilier demeurait régie par la loi tahitienne, antérieure au code civil, qui admettait qu’un lagon ou une lagune puisse faire l’objet d’une appropriation privée, sauf à vérifier si la terre TEROTO inscrite au nom de H… a HURUHURU comportait ou non un lagon ou une lagune […] le premier juge a déduit à bon droit des mesures portées et des indications géographiques mentionnées dans la revendication de 1853, notamment quant aux terres et à la mer qui confrontait la terre TEROTO, que cette dernière […] englobait la lagune désormais litigieuse […], que c’est donc de manière irrégulière […] que la lagune privée dépendant de la terre TEROTO a été incorporée récemment au domaine public maritime »

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Ce lien à la terre, ce rapport d’identification réciproque des hommes à leur terre, n’est-ce pas la norme coutumière qui l’exprime et qui le fonde ? Et si tel est le cas, la dépossession du subs-trat matériel suffit-il à éteindre le titre ancestral et notamment le volet incorporel des droits fonciers ? On est tenté de répondre par la négative, car la Terre avec un « T » majuscule ne se résume pas à de la matière, à une chose. Elle est bien plus que cela.

Mais comment répondre par la négative à cette interrogation sans remettre en cause la protec-tion constituprotec-tionnelle de la propriété privée ? On débouche rapidement sur une aporie, parce que la propriété coutumière, laquelle ne relève pas des droits réels, n’est pas de même nature que