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OBSERVATIONS FINALES

II. LA FILIATION ADOPTIVE

Là encore, il n’est pas question d’étudier l’adoption en droit coutumier ou de commenter au regard des nombreuses recherches qui ont été faites sur le « don d’enfant », les décisions prises par les juridictions de Nouvelle-Calédonie statuant en formation coutumière ; il s’agit seu-lement d’essayer de rendre compte de ces décisions. Il convient d’ailleurs d’observer que si le don d’enfant est présent dans un certain nombre de dossiers, il ne suscite pas vraiment de difficulté, ne serait-ce que parce qu’en tant que tel il ne relève pas des tribunaux judiciaires, même si ceux-ci, en formation coutumière, se déclarent compétents pour « prononcer » une

adoption coutumière fondée sur un don d’enfant196.

Selon l’article 66 de la Charte des valeurs, « La donation coutumière (adoption) d’un enfant

corres-pond en général à un geste d’harmonie et de renouvellement d’alliance. Cet acte se fait sous l’autorité des parents et des chefs de Maison/clan. Le nom coutumier donné régulièrement à l’enfant lors de l’adoption permet la transmission de tous les droits de l’adoptant à l’adopté ».

195 - Sur cette question, cf. infra. 196 - Cf. infra.

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Sur le plan strictement juridique, ses modalités sont régies par les articles 37, 38 et 39 de la délibération n° 424 du 3 avril 1967 relative à l’État civil des citoyens de statut civil particulier : Art. 37. Les adoptions des citoyens de statut civil particulier par d’autres citoyens de même statut sont réglées par la coutume et basées sur le consentement des familles intéressées. Art. 38. Toute adoption doit être enregistrée à l’état civil par acte spécial.

Doivent être présents lors de l’enregistrement : – le ou les adoptants

– le père et la mère de l’adopté ou les personnes responsables de l’enfant – deux témoins remplissant les conditions définies à l’article 11

Si l’adopté est âgé de plus de dix-huit ans, il devra être également présent et son acquiesce-ment à l’adoption devra figurer dans le corps de l’acte.

Art. 39. L’adoption prend toujours le nom patronymique de l’adoptant. Le ou les prénoms chrétiens et le nom individuel mélanésien peuvent être modifiés à la demande des adop-tants ou de l’adopta s’il est âgé de plus de dix-huit ans. Le ou les prénoms nouveaux et le nom individuel mélanésien nouveau devront être indiqués dans le corps de l’acte.

À lire les décisions, il ne s’agit pas seulement de donner un enfant à un couple ou à une personne qui n’aurait pas d’enfant (cf. TPI Nouméa, 6 juillet 2012, RG 12-343), mais aussi d’assurer la prise

en charge d’un enfant né hors mariage en le confiant au frère aîné197, à la sœur aînée, voire

aux grands-parents, notamment lorsque la mère biologique se marie et part dans un autre

clan198 (cf. TPI Nouméa 29 août 2011, RG 11-779, TPI Nouméa 17 octobre 2011, RG 10-1836199,

Nouméa ch. cout. 20 mars 2014, RG 12-519200), ou en métropole (cf. Nouméa, ch. cout. 10 avril

2006, RG 05-464201).

197 - Cf. TPI Nouméa 3 mai 2010, RG 8-256 : en 1944, premier enfant du clan mais née hors mariage, Suzanne X. avait été adoptée à sa naissance par le frère de sa mère, André X. ; elle avait grandi au sein du foyer de ce dernier, jusqu’à son mariage. Après le décès de son père adoptif, des cousins étaient venus revendiquer des biens de celui-ci, contre la volonté du défunt qui avait souhaité les transmettre à ses deux enfants adoptifs. Pour faire valoir ses droits, Suzanne X devait prouver qu’elle avait été adoptée ; or le Ministère public faisait valoir que l’adoption n’avait pas été enregistrée, comme l’exigent les articles 37 à 39 de la délibération du 3 avril 1967. Pour lui reconnaître ses droits, le tribunal se fonde sur des témoignages établissant qu’elle avait toujours vécu avec André X. qui était considéré comme son père adoptif, tous les éléments d’une possession d’état étant réunis en l’espèce. Il souligne également qu’à l’époque le service de l’état civil coutumier n’était pas opérationnel sur l’en-semble du territoire. Surtout, il rappelle que Suzanne X. « était la fille de la sœur aînée, non mariée du défunt et qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une reconnaissance, or dans la coutume, afin de conférer une place aux enfants issus de filles mères, ce sont souvent les frères de la mère qui adoptent ces enfants ».

198 - Cf. croisant les deux TPI Nouméa 17 octobre 2011, RG 10-1836, infra.

199 - En l’espèce, l’enfant a été adopté par sa tante paternelle après le décès du père et le départ de la mère dans le clan de son nouveau mari.

200 - En l’espèce, l’enfant né hors mariage avait été adopté par les grands-parents maternels de l’enfant après le dé-part de la mère dans le clan de son mari. Le père biologique souhaitait reconnaître l’enfant, mais la mère et le clan maternel s’y opposaient. Se fondant sur la conception kanak de la parenté, les juges dénient tout droit au père biologique et refusent de remettre en cause l’adoption coutumière, car cette adoption « dont rien n’établit qu’elle ait été faite en fraude des droits de M. X, puisque celui-ci ne peut se prévaloir de son statut de père » n’a fait que confirmer la règle d’appartenance de l’enfant au clan maternel.

201 - En l’espèce, l’enfant née hors mariage avait été adoptée par la sœur aînée de la mère lorsque celle-ci refait sa vie avec un Européen de droit commun (sic) et était partie en métropole avec les deux enfants communs ; en 2003 la mère adoptive décide de se marier elle aussi et annule l’adoption, confiant l’enfant au frère aîné, marié et père de trois enfants. Comme celui-ci la maltraite, le juge des enfants prend une mesure d’AEMO.

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Les juridictions statuant en formation coutumière sont confrontées à deux séries de difficultés : – faire le départ entre adoption de droit civil et adoption de droit coutumier en fonction

du statut des personnes intéressées ;

– prendre en compte pour le prononcé d’une adoption de droit civil ou de droit coutumier, des particularismes de la société kanak, ce qui revient notamment à affirmer la place du clan. II. A. Adoption de droit civil ou adoption de droit coutumier

La question est liée au statut des personnes concernées, sur fond de difficulté de compréhen-sion entre magistrats du siège et magistrats du parquet...

Dans l’affaire jugée par le TPI Nouméa le 6 juillet 2012 (RG 12-343, P. Frezet, prés.), l’enfant Lory avait été donné à Marie Claire X par son frère et son épouse. Il avait été adopté pléniè-rement par le concubin de Marie Claire X, devenu depuis son époux ; comme la mère était de droit commun, il avait fallu recourir à une adoption de droit commun. Marie Claire X. demandait à son tour l’adoption plénière. Le tribunal relève que l’adoption plénière de Lory l’a

fait changer de statut : il a pris le statut de droit coutumier de son père adoptif202. Le tribunal

constate que désormais les parties (père adoptif, mère adoptante, enfant) relèvent du statut de droit coutumier : par conséquent, le tribunal n’est pas compétent et les parties sont renvoyées à l’état civil coutumier.

Un an auparavant, la même juridiction avait cependant accepté de prononcer elle-même l’adoption alors que tous les intéressés étaient de statut coutumier (TPI Nouméa 17  octobre 2011, RG 10-1836)  : saisi d’une demande d’adoption simple de droit civil, le tribunal en formation coutumière se fonde sur les articles 7 et 19 de la loi organique pour justifier sa compétence et applique les dispositions de l’article 37 de la délibération du

5 avril 1967, selon laquelle « les adoptions de citoyens de statut civil coutumier par d’autres

citoyens de même statut sont régies par la coutume et basées sur le consentement des intéressés » ; mais au lieu de renvoyer à l’article 38 de la délibération (enregistrement par acte spécial à l’état civil coutumier), le tribunal prononce lui-même l’adoption. Il prend soin cependant de bien préciser qu’il ne s’agit pas d’une adoption de droit civil, contrairement à ce que demandait le Parquet, mais bien d’une adoption de droit coutumier. Le tribunal souligne

en particulier qu’ « existent dans la coutume deux formes de don d’enfant : le “don simple” et le

“don définitif” seul ce dernier étant assimilable à l’adoption sans distinguer, comme en droit fran-çais, l’adoption simple et l’adoption plénière ». Le tribunal, après avoir constaté que tion sollicitée est conforme aux principes coutumiers et que le clan est favorable à l’adop-tion, prononce celle-ci.

Il en va de même dans l’affaire jugée le 7 novembre 2011 (TPI Nouméa 7 novembre 2011, RG 9-1687)  : le tribunal avait été saisi d’une demande d’adoption simple de droit civil  ; la procédure a été instruite par le tribunal, le conseil de famille a été réuni et a donné son accord et la demanderesse a saisi le clan Y auquel appartenait la mère de l’enfant. Constatant que tous les intéressés sont de statut coutumier, le tribunal s’est dessaisi au profit de la juridiction composée des assesseurs coutumiers. Celle-ci, reprenant les formules utilisées dans la décision

202 - De fait, il est de jurisprudence constante que l’adoption plénière de l’enfant d’un enfant de statut civil de droit commun par une personne de statut civil de droit coutumier le fait changer de statut, cf. infra.

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du 17 octobre précitée se déclare compétente, constate que l’adoption sollicitée est conforme à l’intérêt de l’enfant et que le clan Y a donné son accord, ce qui permettra à l’enfant de régulariser une situation de fait puisqu’elle a toujours vécu chez les A.

Dans l’affaire jugée le 29 août 2011 (RG 11-779, P. Frezet prés.), le Tribunal de Nouméa tente de remettre les choses en ordre. En l’espèce, l’enfant avait été adopté coutumiè-rement par son oncle maternel. À la suite du mariage de celui-ci avec une personne de statut civil de droit commun, l’adoption avait été annulée par l’état civil coutumier. Les deux époux demandaient l’adoption plénière de l’enfant et le Ministère public concluait en ce sens. Le tribunal relève qu’en fait l’épouse est de droit civil coutumier. Surtout, il

souligne que « L’état civil coutumier est uniquement chargé d’enregistrer une décision

coutu-mière d’adoption sur laquelle il n’a pas à revenir, sauf à violer le principe de sécurité juridique qui protège les droits acquis et le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ». L’adop-tion coutumière est donc toujours valable et il n’y a pas lieu de statuer sur la demande d’adoption plénière.

Si la mère et l’enfant sont de statut civil de droit commun, les adoptants de statut civil coutumier peuvent demander l’adoption de droit civil, mais encore faut-il que les condi-tions en soient remplies. La Cour d’appel de Nouméa le rappelle dans un arrêt du 25 mars 2013 (RG 11-254, R. Lafargue rapp.). En l’espèce, les grands-parents souhaitaient adopter leur petit-fils, Dylan. La grand-mère était de droit coutumier, le grand-père de droit com-mun, de même que la mère et son fils. Le ministère public s’opposait à cette adoption au motif qu’elle était contraire à l’intérêt de l’enfant en ce qu’elle conduisait à une remise en cause des liens de filiation, l’adopté étant à la fois le fils et le frère de sa mère, et qu’elle ne présentait aucun intérêt sur le plan successoral. En première instance, l’adoption simple avait cependant été prononcée (TPI Nouméa, 20 avril 2011). Le juge soulignait que les adop-tants avaient obtenu un procès-verbal de palabre qui prouvait que l’intégration clanique de

l’enfant était réalisée : « il s’en déduit que l’enfant a intégré le milieu clanique via sa grand-mère

qui bénéficie d’une reconnaissance foncière. Ce lien à la terre qui s’exprime par ce procès-verbal de palabre montre l’établissement du lien clanique nonobstant la position de droit commun du

grand-père », ce rattachement clanique étant « prépondérant sur le plan familial mais aussi social pour

Dylan qui bénéficiera donc d’un lien à la terre dont découle le lien clanique » : « le rattachement via

l’adoption par les grands-parents se dédouble donc d’une réalité familiale et d’une réalité clanique qui lui assurera une intégration complète au sein de la tribu » ; et le tribunal de conclure : « À travers les grands-parents, c’est en fait le clan qui adopte l’enfant dont le statut mixte lui interdisait une intégration juridique directe et via un lien clanique paternel qui n’existait pas ». Le Parquet interjette appel.

Dans sa décision, la Cour d’appel, relève que l’enfant, son grand-père et sa mère sont de statut civil de droit commun. Elle souligne à son tour l’intérêt que pourrait présenter une adoption

de droit civil… si les conditions en étaient remplies : « les époux X comme leur petit-fils, qu’ils

élèvent, vivent sur des terres coutumières du clan de cette grand-mère de statut coutumier ; qu’il en découle une réalité sociale et familiale parfaitement mise en exergue par le premier juge qui s’impose-rait dans l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant si les conditions légales à l’adoption simple étaient réunies ». Or, l’enfant a été recueilli dès sa naissance par sa proche famille, il n’a pas été abandonné au sens de l’article 350 du code civil et la mère biologique n’a pas consenti à l’adop-tion dans les condil’adop-tions de l’article 348-3… Et le juge de suggérer à la grand-mère qui élève l’enfant de demander pour Dylan le bénéfice du statut coutumier, dans les conditions définies

à l’article 11 alinéa 1er de la loi organique du 19 mars 1999. Pourrait alors être envisagée une

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Si l’adoption plénière d’un enfant de statut de droit commun est prononcée au profit de parents de statut civil coutumier, l’enfant change de statut. La règle est de jurisprudence

constante203. Ainsi, dans un arrêt du 21 mars 1991, la Cour d’appel de Nouméa (RG 160-90),

affirme-t-elle que « c’est à bon droit que le premier juge a ordonné l’annulation de l’acte de naissance

de l’enfant Angèle E. dressé sur les registres de droit commun et a ordonné la transcription du dispositif du jugement d’adoption sur les registres de statut particulier de la Mairie de Maré ; ces mesures sont dans la logique des effets de l’adoption plénière qui emporte l’intégration complète de l’adopté dans la famille des adoptants et qui substitue cette nouvelle filiation à l’ancienne ». Selon la Cour, « la différence initiale de statuts entre adoptant et adopté ne fait pas obstacle à cette conséquence alors qu’aucun des statuts n’a prééminence sur l’autre » ; enfin, estime la Cour « l’identité de statuts après adoption offre à l’adopté les meilleures possibilités d’intégration dans sa famille adoptive et l’entou-rage de celle-ci ».