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CHAPITRE 5 : ANALYSE DES RÉSULTATS

5.2 Ce qui caractérise l’expérience de ces mères à la suite du placement permanent

5.2.1. Les motifs qui ont mené à la perte de la garde de l’enfant

Selon la perception des répondantes, plusieurs raisons ont mené au placement ou à l’adoption de leur enfant. Les femmes rencontrées ont perdu ou confié la garde de leur enfant à la suite d’une demande d’aide ou d’un signalement en vertu de la LPJ. Les raisons évoquées par les répondantes sont diverses : l’âge de la mère au moment de la grossesse, des problèmes de consommation de psychotropes, de la violence conjugale, des problèmes de santé mentale ou de santé physique, les attentes trop élevées de la DPJ à l’égard des compétences parentales, la perte d’un proche, de l’instabilité, des conflits familiaux et la précarité financière. On observe que les répondantes ne se réfèrent pas aux articles de la loi pour expliquer la situation. Rares sont les participantes qui ont abordé les motifs de maltraitance inscrits dans la loi comme l’abus physique, la négligence ou l’exposition à la violence conjugale. Comme l’explique Maryse, pour la majorité d’entre elles, le placement jusqu’à la majorité ou l’adoption sont survenus à la suite d’une accumulation d’évènements. Pour Maryse, les évènements qui ont mené à l’adoption de Thierry ont commencé pendant la grossesse.

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Pendant la grossesse, je ne consommais pas, mais j’avais des prescriptions pour des hernies discales, de pilules d’opiacé… J’ai eu un déménagement, je n’étais pas super bien organisée... Ma mère était comme réticente, elle n’était pas vraiment d’accord avec le fait que j’aille un troisième enfant, elle n’était pas là, elle n’était pas aidante du tout comme les autres fois… j’ai déménagé à travers tout ça. J’ai eu un gros, comme (une) dépression post-partum… Thierry a été placé pour 30 jours, puis là moi j’ai recommencé à consommer de la drogue à ce moment-là. (Maryse)

Pour certaines d’entre elles, il est difficile de déterminer un évènement en particulier, toutefois d’autres répondantes peuvent identifier une raison prédominante. Par exemple, lorsque Véronique a perdu la garde de sa fille, elle vivait beaucoup d’instabilité. Elle ne payait pas ses loyers, elle avait commencé à consommer des psychotropes et elle habitait chez des amis avec sa fille. Pour elle, tous les problèmes qu’elle a rencontrés, les années suivant la naissance de sa fille, sont causés par les trop grandes responsabilités qui lui incombaient pour son jeune âge.

Là tu sais, tu as 17 ans là. Tu te ramasses à 17 ans, tu as un bébé, un appartement, tu es tout seul, attend là, c’est beaucoup là. J’étais à l’école là. J’ai lâché l’école, je n’avais pas mon diplôme d’études secondaires. Tu sais on ne met pas des enfants dans, à cet âge-là. C’est impossible là, c’est impossible. (Véronique)

La plupart des répondantes rencontrées n’ont pas choisi de confier leur enfant. Ce qui entraîne chez certaines d’entre elles une incompréhension persistante à l’égard des motifs qui sont à l’origine du placement de leur enfant. Deux répondantes, qui déplorent une mauvaise évaluation de la DPJ, ont eu leurs enfants avec des conjoints qui ont eu des démêlés avec la justice, des comportements violents et des problèmes de consommation. Ces deux femmes ont chacune un autre enfant dont elles ont la garde. Barbara a toujours la garde partagée de son fils aîné issu d’une autre union et malgré le séjour d’Allisson en CJ à l’adolescence, Cassandra a toujours conservé la garde de sa fille. Comme elles considèrent qu’elles ont les compétences parentales pour avoir la garde de leur enfant, elles ont l’impression de s’être fait voler ou enlever leur enfant.

77 J’avais un suivi avec la DPJ (pour ma fille aînée) puis ils ne m’ont pas enlevé mon enfant pour ça. Lui, c’est parce que c’est un neuf neuf, tu sais. Je me suis fait voler mon enfant par les bureaucrates, la paperasse. (Cassandra)

Ils me les ont enlevés, je m’excuse, mais pour moi c’est un enlèvement. C’est comme ça, c’est un enlèvement qu’ils m’ont fait. (Barbara)

Il semble que pour certaines femmes, la compréhension des motifs pour lesquelles les enfants leurs sont retirés peut prendre un certain temps. Comme le mentionne Maryse, qui réalise maintenant que son mode de vie antérieur l’empêchait de répondre aux besoins de ses enfants, cette prise de conscience semble plus difficile à faire lorsque la mère consomme des drogues dures.

Maintenant que mes 3 enfants sont placés jusqu’à la majorité… quand Thierry a été adopté, j’étais complètement gelée là. Tu sais, j’ai réalisé tout ça en thérapie quand je suis arrivée à la maison de thérapie. Puis depuis ce temps-là, je commence à réaliser ce qui est arrivé, parce que je l’ai gelé ça… Là je vis une situation difficile tu sais, c’est comme si je suis en train de réaliser ce qui s’est passé par rapport à Camille, elle a été placée jusqu’à la majorité l’année dernière. (Maryse)

Pour quelques répondantes, le motif pour lequel elles ont perdu la garde de leur enfant est qu’elles n’ont pas réussi à répondre aux attentes de la DPJ. Pour certaines, il semble que les objectifs étaient justifiés, comme habiter un logement permettant d’accueillir l’enfant. Cependant, d’autres femmes considèrent que les attentes à leur égard étaient trop élevées, comme l’explique Amélie :

Je ne faisais rien de ce qui était dans le guide, parce qu’eux autres le guide «mieux vivre avec son enfant» ils ont dit que c’était ça à la lettre (qu’il fallait ) que je respecte, mais quel parent qui respecte ça à la lettre c’est impossible, ça ne se peut pas. (Amélie)

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Par ailleurs, si les attentes des intervenants de la DPJ étaient difficiles à respecter, selon les dires de quelques répondantes, les attentes des enfants lorsqu’il y a une tentative de réunification familiale peuvent sembler tout aussi difficiles à combler. Il arrive que des enfants choisissent de retourner vivre auprès de la famille d’accueil à la suite d’une tentative de réunification familiale. Dans cette perspective, ces mères considèrent qu’elles ont perdu la garde parce que l’enfant a choisi de retourner vivre auprès de la famille d’accueil. On constate que les répondantes ayant vécu cette situation attribuent cette décision de l’enfant à une inégalité au plan financier entre elles et la famille d’accueil, ou à l’insécurité vécue par l’enfant lors de la réunification familiale. Dans ces situations, les enfants ont eu de la difficulté à s’adapter et ont préféré retrouver le confort et la sécurité qu’ils avaient auprès de la famille d’accueil.

Il était trop habitué à cette famille-là, puis eux autres ils ont de l’argent, moi je suis sur l’aide sociale, puis je ne pouvais pas lui permettre d’acheter tout ce qu’il voulait tu sais. (Anne-Sophie)

5.2.2. Perdre ou confier la garde d’un enfant, un évènement qui suscite des sentiments