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CHAPITRE 5 : ANALYSE DES RÉSULTATS

5.2 Ce qui caractérise l’expérience de ces mères à la suite du placement permanent

5.2.7. Leurs besoins et les ressources présentes

Les besoins et les ressources disponibles pour ces femmes sont présentés en trois moments : au premier placement de l’enfant, au moment du placement jusqu’à la majorité ou de l’adoption de l’enfant et aujourd’hui comme mère vivant sans la garde de son enfant.

95 5.2.7.1. Le premier moment : au premier placement de l’enfant

On constate qu’à la suite du 1er retrait du milieu familial, certaines mères ont d’abord refusé l’aide offerte dans le cadre de l’intervention de la DPJ. Dans ces situations, la collaboration n’était pas possible, car la colère ressentie a eu pour effet qu’elles se sont refermées sur elles-mêmes, ne laissant aucune ouverture à l’aide offerte. Par conséquent, même si l’intervenante ou l’intervenant voulait apporter un soutien, ceci n’était pas possible.

Ils m’ont donné le choix de partir avec… j’avais le choix de m’en aller avec eux autres puis le petit, ou de laisser le petit partir tout seul. Bien j’étais tellement en colère quand je les ai vues, j’ai dit bien regardez, «câlifez» votre camp avec le petit, moi je m’en fous. (Andréanne)

Par ailleurs, lorsqu’on demande aux mères quels étaient leurs besoins à la suite du 1er retrait, on remarque que les réponses obtenues sont variées. Elles ont mentionné qu’elles avaient besoin d’écoute, de soutien moral et financier, d’un moment de répit, de soutien pour apprendre à faire un budget, d’être référées à des ressources pour obtenir de l’aide et d’avoir un message clair de la part de la DPJ en ce qui a trait aux actions à poser pour récupérer la garde de leur enfant.

En ce qui concerne les attentes de la DPJ dans le cadre du suivi à ce moment du processus, une des répondantes mentionne qu’elle aurait aimé avoir un plan d’intervention avec des objectifs visant à rétablir sa situation, une autre souligne qu’elle aurait aimé entendre clairement de la part de l’intervenant qu’elle devait se séparer de son conjoint, si elle voulait retrouver la garde de son enfant.

Me réveiller, juste me réveiller. Me dire direct, si tu ne t’en vas pas d’avec lui, tu ne les as plus. (Barbara)

Outre le besoin de bien comprendre quelles sont les conditions qui sont nécessaires pour recouvrer la garde de l’enfant, l’aide dont elles ont besoin est généralement offerte par d’autres organisations, soit le CLSC, les organismes communautaires ou les organismes dispensant des services spécialisés. À titre d’exemple, certaines ont trouvé un refuge lors de

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situations de violence conjugale ou d’itinérance, d’autres sont suivies dans le cadre de programmes spécialisés en santé mentale ou pour traiter des problèmes de dépendance. Dans ces organisations, les services sont souvent offerts sur une base volontaire et la relation de confiance peut être alors plus facile à développer pour certaines mères. Toutefois, afin d’éviter les dédoublements de services, il semble que leur accessibilité ne soit pas toujours possible, comme l’explique Barbara.

J’en ai eu un suivi au CLSC… J’ai eu ça pendant que j’étais enceinte d’Ariane. C’était vraiment une travailleuse sociale. Puis là, quand j’ai accouché, ils m’ont dit non madame, vous n’avez plus le droit au suivi au CLSC. C’est la DPJ qui a pris cette décision-là. Parce que ça mêlait les deux. Mais c’est parce que ce n’est pas du tout la même affaire pour moi, excuse-moi, je ne te ferai pas confiance si tu travailles à la DPJ. Tu sais, ce n’est pas pantoute la même affaire-là. (Barbara)

Comme le mentionne Barbara, la relation de confiance peut être plus difficile à construire dans le contexte où la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Certaines femmes craignent de dévoiler ce qu’elles vivent ou ressentent. Elles craignent que leurs propos soient inscrits à leur dossier et soient récupérés pour être présentés au juge. Cette appréhension les incite parfois à limiter les informations qu’elles vont transmettre dans le cadre de l’intervention dispensée par le CJ, et à ne pas utiliser l’aide offerte par d’autres ressources de peur que la confidentialité ne soit pas préservée.

Un moment donné, j’ai été voir un psy que j’avais payé de ma poche à moi. Puis il n’était même pas ici à Québec, c’était à Montréal, j’avais tu peur un peu que ça se sache… Puis, je ne te mens pas... Je lui avais dit je ne te donne pas mon nom. Il savait que ce n’était pas mon vrai nom (Véronique)

Plusieurs femmes soulignent qu’elles ont généralement trouvé l’aide dont elles avaient besoin, alors que d’autres racontent que l’état de consommation dans lequel elles se trouvaient ne leur permettait pas de trouver l’aide nécessaire au moment où elles en avaient besoin.

97 Non, tu sais, quand tu es rendu là puis que tu perds ton enfant à cause de la consommation, tu n’es pas assez là pour aller chercher de l’aide. (Valérie)

Puis tu sais, des fois je me disais il faut que je m’en aille trouver de l’aide. Puis quand je trouvais ça trop dur bien, puf! (Andréanne)

Toutefois, certaines femmes racontent avoir obtenu l’aide dont elles avaient besoin par leur propre initiative ou par l’intermédiaire d’autres ressources. Mais comme la réponse à ces besoins était nécessaire pour conserver la garde de l’enfant, des mères ne comprennent pas pourquoi la référence vers une ressource d’aide n’a pas été faite dans le cadre de l’intervention du CJ. Par conséquent, certaines mères ont l’impression qu’elles n’ont pas obtenu d’aide de la DPJ avant le placement jusqu’à la majorité ou l’adoption de l’enfant.

Il me disait il faut que tu prennes soin de toi, mais ça s’arrêtait là. Il faut que tu me prouves que tu prends soin de toi, il faut que tu me prouves que tu es capable, mais moi j’étais dans le cercle vicieux de la consommation, de la toxicomanie. Puis, je n’arrivais pas comme à m’en sortir. (Maryse)

J’aurais eu besoin qu’ils me donnent des trucs, qu’ils me disent des places où aller chercher des références, mais non on travaille, on m’a toujours fait comme réponse, on travaille pour l’enfant Mme, on ne travaille pas pour vous. (Anne- Sophie)

Ce qui est particulier lorsque l’on examine les propos des répondantes, c’est que la LPJ oblige les intervenants et intervenantes de la DPJ à offrir aux parents un suivi intensif avant de statuer sur le projet de vie alternatif de l’enfant. De plus, ils doivent démontrer au juge qu’une aide a été apportée aux parents avant d’ordonner le placement jusqu’à la majorité ou l’adoption de l’enfant. Toutefois, même après ces modifications à la loi, quelques répondantes ont toujours la perception que le soutien des familles est exclu du mandat de la PJ. Par conséquent, on peut penser qu’il y a peut-être une divergence entre les besoins perçus par la mère et ceux évalués par la DPJ.

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Par ailleurs, quelques femmes ont expliqué qu’elles avaient été référées dans un centre de réadaptation pour personne ayant des problèmes de dépendance. Cependant, elles ne croyaient pas avoir de problème de consommation. Certes elles avaient échoué un test de dépistage, toutefois elles considèrent qu’elles n’étaient pas dépendantes aux drogues ou à l’alcool.

Bien, je suis allée (à la ressource d’aide). Je ne suis pas une consommatrice. Tu sais, même en essayant d’aller avec la dépendance affective, il y plein de dépendances là. Tu sais, ce n’était pas ma place là. (Cassandra)

Concernant les autres besoins exprimés à la suite du 1er placement de l’enfant, plusieurs femmes ont mentionné le soutien et l’écoute. Toutefois, comme elles craignent le jugement rapide de l’intervenant ou de l’intervenante en CJ, elles tentent de trouver ce soutien auprès de d’autres personnes.

Je pense que le besoin c’est de se faire écouter puis de parler, parce qu’on n’a pas la chance de pouvoir s’exprimer parce que, en tout cas moi j’ai eu peur de m’exprimer parce que si je dis quelque chose, ça y est ils vont m’enfermer, ils vont m’envoyer en prison. Ou bien tu sais, pas en prison, mais en tout cas, ils jugent trop, trop vite. (Véronique)

La réponse au besoin d’écoute ou de soutien ne semble pas toujours facile à trouver, notamment parce qu’elles se retrouvent souvent seules et que les membres de la famille ou les amis sont généralement absents pendant cette période de leur vie. On observe que certaines personnes de leur entourage prennent leur distance, notamment parce que plusieurs d’entre elles ont fait d’importantes rechutes de consommation. Cependant, quelques femmes rencontrées ont trouvé une écoute auprès de personnes travaillant dans des organisations privilégiant une approche de réduction des méfaits où l’intervention demeure possible lorsque les gens sont en état de consommation.

La seule affaire, c’est l’infirmière qui venait (infirmière dégagée par le CLSC dans le cadre du projet « Cat Woman » du PIPQ qui rencontre les personnes à aider dans les agences d’escorte et salon de massage), puis je jasais avec quand

99 elle venait là. Je sais, je jasais avec elle on pouvait jaser « estie » des lunes, elle est très très très attentive à ce que tu dis. (Véronique)

5.2.7.2. Le deuxième moment : le placement jusqu’à la majorité ou l’adoption de l’enfant Des répondantes ont expliqué qu’elles auraient eu besoin de plus de soutien à la suite du placement permanent ou de l’adoption de l’enfant. On constate que la grande majorité des femmes rencontrées se sont présentées seules à la cour ou dans les bureaux du DPJ lorsque le juge a ordonné le placement jusqu’à la majorité ou lorsqu’elles ont signé les documents autorisant l’adoption. Plusieurs femmes ont raconté avoir vécu une grande tristesse à la suite de cet évènement et si certaines ont trouvé par la suite une oreille attentive, d’autres sont restées seules.

Personne, j’étais toute seule, j’étais toute seule à la cour, j’habitais à l’Auberivière dans ce temps-là. Donc, j’ai pu retourner et me confier aux intervenants qu’il y avait là-bas. Ils sont extraordinaires. (Isabelle)

Des mères soulignent que les intervenantes ou intervenants de la PJ ont eu le souci de leur bien-être à la suite du placement jusqu’à la majorité de leur enfant. Toutefois, une des répondantes déplore le fait que personne ne lui a parlé des émotions qu’elle était susceptible de vivre à la suite de l’ordonnance. Elle a plutôt senti que l’intervenante était contente d’enfin se débarrasser d’elle. On constate que ces informations pourraient permettre de normaliser ce que ces mères vivent à la sortie du tribunal.

Mettons qu’ils m’auraient dit Mme, on sait que ça va être difficile pour vous les mois à venir, on le sait que vous aurez plus Cédric, on va vous donner, mettons que ça aurait été qu’un bout de papier, voici des références pour vous aider, à vous d’en faire ce que vous voulez. Non, en sortant de la cour, bonjour Mme (elle frappe dans ses mains). (Anne-Sophie)

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C’a été déficient entre parenthèses à ce moment-là, j’aurais eu besoin de beaucoup de choses. Tu n’as pas besoin d’aide, on t’enlève ton enfant, c’est fini, c’est tout. (Amélie)

Une autre des répondantes aurait souhaité mieux comprendre ce qu’impliquait le placement jusqu’à la majorité, notamment à l’égard du retour possible de son enfant à l’adolescence. Comme les informations reçues de l’intervenante de la DPJ et celles transmises par son avocate différaient, cette situation est venue miner la relation de collaboration avec l’intervenante de la DPJ qui semblait déjà fragile.

Il aurait fallu que je rencontre quelqu’un qui m’explique vraiment c’est quoi ce placement à la majorité là, vraiment les vraies affaires. (Isabelle)

5.2.7.3. 3e moment : aujourd’hui, être une mère vivant sans la garde de son enfant

Les répondantes ont expliqué, avoir besoin de soutien pour entreprendre un travail ou des études, pour demeurer sobre ou pour cesser de consommer, pour améliorer la relation avec leur enfant placé ou encore pour apprendre à créer un lien avec lui. Plusieurs répondantes ont aussi signalé avoir besoin de parler et pour certaines de rencontrer un psychologue.

Comme la majorité des répondantes ont un enfant placé jusqu’à la majorité, elles ont toujours des services du CJ. Quelques répondantes ont développé une belle relation de confiance avec leur intervenant, alors que d’autres sont en conflit, ce qui rend la collaboration plus difficile. Comme la plupart des mères ont rencontré plus d’un ou d’une intervenante à l’application des mesures, il est possible pour elles de comparer les types de relations qu’elles ont développées. Elles expliquent notamment que l’attitude de l’intervenante ou de l’intervenant à leur égard peut faciliter ou entraver le développement de la relation de confiance. Elles signalent que l’accueil respectueux et le non jugement sont ressentis et appréciés lors de l’intervention.

Il y en a qui sont spécials, tu sais genre critique là genre là. Avec les yeux, c’est parce que je pense à une en particulier. Elle te regarde comme si tu étais, je ne sais pas quoi là, un déchet. Elle ne devrait pas travailler là-dedans finalement.

101 Ils ne sont pas humains. Il y en a une que j’ai plus aimée, mais c’est plutôt l’attitude comme que je disais tantôt là. (Valérie)

On remarque toutefois que la majorité des répondantes ont développé une relation de collaboration avec leur intervenant. Cependant, le rapport de pouvoir qu’elles percoivent dans le cadre de l’intervention a pour effet de les rendre méfiantes.

À la fin de la visite là, eux autres (intervenant de la DPJ) ils vont me demander comment je vais puis tout. Comment j’ai trouvé ma visite. Bien là, je vais leur répondre, bien j’hésite un petit peu à leur répondre parce que, ce n’est pas que je ne les aime pas, mais tu sais la DPJ pour moi depuis qu’ils me l’ont ôté là, je suis méfiante, beaucoup, beaucoup, beaucoup. (Andréanne)

Quelques répondantes ont toujours l’impression, et ce même plusieurs années après que l’enfant ait été placé jusqu’à la majorité, que le but de l’intervention est de retirer des droits à la mère. Dans ce contexte, il devient difficile pour la mère de raconter ce qu’elle vit et d’obtenir l’aide nécessaire.

C’est parce qu’on ne peut pas (parler) tu sais, je veux dire même si, tu sais ils ne travaillent pas pour nous autres. C’est ça eux autres, le but c’est de te pogner dans le détour là. Tu sais, tu n’es pas porté à vouloir t’ouvrir là. Ça fait que là tu restes toute pognée avec tout ça. (Valérie)

Quelques femmes racontent qu’elles apprécient la relation et le soutien qu’elles obtiennent dans le cadre du suivi de l’enfant à la DPJ. Elles expliquent qu’elles ont reçu du soutien en ce qui concerne différents problèmes comme une relation de couple difficile, des décisions importantes à prendre concernant un déménagement. Toutefois, si quelques femmes reconnaissent le soutien apporté dans le cadre du suivi à la DPJ, plusieurs répondantes ont l’impression que l’intervenant a pour mandat d’aider uniquement l’enfant.

Par rapport aux enfants, quand je rencontre l’intervenante de la DPJ qui m’offre un suivi, bien elle me demande comment ça va. Elle me dit ça doit être dur, tu en as vécu beaucoup, mais ça s’arrête là tu sais il n’y a pas… J’en reçois quand même des services puis des soins. On me demande comment ça se passe dans

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les rencontres avec Camille, le suivi c’est par rapport à Camille. Comment ça se passe dans les rencontres avec Camille? Est-ce qu’il y aurait des choses à améliorer? Tu sais, elle me suggère des façons de lui parler, comme la rencontre de médiation qu’elle a organisée. Ça été super, puis super aidant, puis Camille, elle m’a expliqué pourquoi elle avait choisi de retourner dans la famille d’accueil. (Maryse)

Un des besoins exprimés par les répondantes est celui de parler sans avoir peur d’être jugé et sans craindre que le fait de se dévoiler leur cause préjudice. Certaines femmes rencontrées trouvent cette attention auprès de membres de leur famille, d’amis, d’employeurs, d’intervenants du réseau ou d’organismes communautaires. Cependant, quelques femmes expliquent qu’elles auraient besoin de parler à quelqu’un de neutre, d’obtenir une aide spécifique pour les mères ayant perdu ou confié la garde de leur enfant. Pour certaines il s’agit de ressources spécialisées, comme un suivi auprès d’un psychologue, tandis qu’un mode d’intervention de groupe est souhaité par d’autres mères.

Bien moi je pense qu’aller voir un psychologue ça me ferait du bien pour aller jeter mon venin. Parce que c’est très rare que je vas parler de ça, je reste beaucoup avec la frustration. (Anne-Sophie)

Ça serait le fun qu’il y ait une ressource d’aide pour les mères, un centre communautaire où je ne sais pas, ça pourrait être affilié au Centre jeunesse. Tu sais, pour les parents qui ont un enfant qui a été adopté ou placé jusqu’à la majorité. Tu sais, un groupe de parents, un groupe d’entraide de parents qui vivent ces situations-là, juste pour en parler une fois par semaine, tu sais, un café-rencontre quelque chose. Ça, j’apprécierais vraiment. (Maryse)

5.3 La perception des mères à l’égard de leur pouvoir d’agir