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Le pouvoir d'agir des mères biologiques dont l'enfant est placé de façon permanente ou adopté en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse

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Le pouvoir d’agir des mères biologiques dont l’enfant est placé de façon

permanente ou adopté en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Mémoire

Julie Noël

Maîtrise en service social

Maître en service social (M. Serv. Soc.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Cette étude qualitative a pour objectif de comprendre le vécu des mères biologiques dont l’enfant est placé de façon permanente ou adopté en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Selon les quelques études menées sur le sujet, la souffrance ressentie à la suite du placement permanent ou de l’adoption de l’enfant est de durée et d’intensité variables. Liée à la séparation mère-enfant et à la stigmatisation sociale, cette souffrance est susceptible de venir diminuer leur pouvoir d’agir. La rencontre de 12 mères biologiques dans le cadre d’entrevues semi-structurées a permis d’explorer, à partir de leur perception, ce qui caractérise leur expérience, et comment se transforme leur pouvoir d’agir à la suite de cet évènement. Les résultats de ce mémoire montrent que des contraintes individuelles et environnementales viennent entraver le développement du pouvoir d’agir de ces mères, bien qu’elles aient, pour la plupart, mentionné une augmentation du sentiment d’être maître de leur vie depuis le 1er retrait de l’enfant. Trois grands constats émergent de cette recherche. Premièrement, les femmes rencontrées vivent un processus de deuil à la suite du placement ou de l’adoption de leur enfant et celui-ci est difficile à traverser pour plusieurs d’entre elles. Deuxièmement, les difficultés à atteindre les attentes normatives liées à la maternité et la stigmatisation sociale subie ou perçue engendrent une baisse d’estime de soi et par conséquent l’identité de mère et de femme s’en trouve ébranlée. Troisièmement, la stigmatisation sociale et la crainte que la confidentialité ne soit préservée limitent leur recherche d’aide ou l’acceptation de celle offerte.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... ix

REMERCIEMENTS ... xi

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE ... 3

1.1 Caractéristiques des parents suivis par la protection de la jeunesse ... 5

1.2 La pertinence scientifique et sociale ... 8

CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS ... 13

2.1 Le projet de vie permanent pour l’enfant : assurer une plus grande stabilité ... 14

2.2 L’intervention en protection de l’enfance ... 18

2.3 Conséquences de la perte des droits de garde de l’enfant pour les mères ou les parents biologiques ... 22

2.3.1. Le retrait de l’enfant : une situation de crise possible ... 22

2.3.2. L’impact de la prise de décision ... 23

2.3.3. Un deuil ... 24

2.3.4. L’intensité de la douleur ... 26

2.3.5. Les effets de la stigmatisation ... 27

2.3.6. Un sentiment de culpabilité ... 27

2.3.7. L’identité de mère ... 28

2.3.8. La reprise de pouvoir sur sa vie ... 29

2.4. Des pistes d’intervention auprès des mères et des parents n’ayant pas la garde de leur enfant. ... 31

2.5 Les limites des études recensées ... 34

CHAPITRE 3 : CADRE CONCEPTUEL ... 37

3.1 Empowerment : différents paradigmes ... 37

3.2 Définition de l’empowerment ... 39

3.2.1. Des personnes ayant des conditions de vie incapacitantes ... 39

3.2.2. L’empowerment : un processus ... 40

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CHAPITRE 4 : LA MÉTHODOLOGIE ... 43

4.1 L’approche privilégiée et le type de recherche retenu ... 43

4.2 La méthode et les techniques d’échantillonnage ... 44

4.3 Description de l’échantillon ... 46

4.4 Le mode de collecte de données ... 49

4.4.1. L’opérationnalisation des concepts : l’expérience et le pouvoir d’agir ... 50

4.5 L’analyse des données... 55

4.6 Les considérations éthiques... 56

CHAPITRE 5 : ANALYSE DES RÉSULTATS ... 59

5.1 Profil des répondantes ... 59

5.2 Ce qui caractérise l’expérience de ces mères à la suite du placement permanent ou de l’adoption de leur enfant ... 75

5.2.1. Les motifs qui ont mené à la perte de la garde de l’enfant ... 75

5.2.2. Perdre ou confier la garde d’un enfant, un évènement qui suscite des sentiments douloureux et de vives réactions ... 78

5.2.3. Le deuil d’un enfant vivant ... 81

5.2.4. La prise de décision et la satisfaction à l’égard du projet de vie de l’enfant ... 87

5.2.5. Satisfaction à l’égard du projet de vie alternatif de l’enfant ... 88

5.2.6. Les préoccupations des mères qui vivent sans la garde de leur enfant... 89

5.2.7. Leurs besoins et les ressources présentes ... 94

5.3 La perception des mères à l’égard de leur pouvoir d’agir au moment de l’entrevue ... 102

5.3.1. Définitions de l’expression « être maître de sa vie » ... 103

5.4 La perception des mères à l’égard de la transformation de leur pouvoir d’agir? ... 107

5.4.1. Les facteurs favorisant ou faisant entrave à l’augmentation de leur pouvoir d’agir ... 109

CHAPITRE 6 : DISCUSSION DES RÉSULTATS ... 117

6.1 Un processus de deuil ... 118

6.2 L’identité comme mère et comme femme... 121

6.3 Les obstacles à la recherche et à l’acceptation de l’aide offerte ... 125

6.4 Les pistes d’intervention ... 128

6.5 Les forces et les limites de l’étude ... 131

6.6 Des pistes pour les futures recherches ... 134

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vii BIBLIOGRAPHIE ... 139 ANNEXE A ... 151 Liste d’abréviations ANNEXE B... 153 Grille d’entrevue ANNEXE C... 157 Échelle : question #7 ANNEXE D ... 159 Échelle de mesure : sentiment de maîtrise sur sa vie

ANNEXE E ... 161 Questionnaire sociodémographique

ANNEXE F ... 163 Calendriers - Enfants

ANNEXE G ... 165 Liste de ressources d’aide

ANNEXE H ... 167 Formulaire de consentement

ANNEXE I ... 175 Formulaire de consentement

ANNEXE J ... 183 Présentation du projet de recherche lors du contact téléphonique avec les participantes

ANNEXE K ... 187 Publicités

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 4.1 Opérationnalisation des concepts : expérience et pouvoir d’agir…………54 Tableau 5.1 Profil des répondantes………..60 Tableau 5.2 Comparaison des pourcentages de l’échelle de mesure du sentiment

d’être maître de sa vie et la perception d’être maître de sa vie selon leur propre

définition……….105 Tableau 5.3 Comparaison, à partir de l’échelle d’auto-notation, de la perception

d’être maître de sa vie, selon leur propre définition, à trois moments : lors du premier retrait, lors du placement permanent ou de l’adoption de l’enfant et

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier les douze femmes qui ont si généreusement accepté de m’accueillir pour partager une partie de leur histoire. Consciente qu’il s’agit d’un événement de vie important et que le rappel de certains évènements peut parfois être douloureux, je suis particulièrement touchée par la richesse de ces rencontres.

Je veux aussi remercier les intervenants et intervenantes du CJQ-IU et des organismes communautaires qui ont contribué à la réussite du recrutement des participantes et qui ont cru à la pertinence de cette recherche.

Merci à Marie-Christine Saint-Jacques qui a accepté dès le départ de me guider dans cette aventure. Sa disponibilité, sa rigueur intellectuelle et ses encouragements à chacune des étapes de la recherche ont grandement contribué à la concrétisation de ce mémoire.

Malgré que l’exercice de rédaction soit un travail qui s’effectue de façon solitaire, les échanges avec mes collègues du DKN-2453, ainsi que les discussions avec des professeurs de l’École de service social et des professionnelles de recherche du JEFAR ont été d’un grand soutien. Merci à Martin Vézina et Marie-Eve Drouin pour leurs lectures de chapitres et leurs précieux commentaires.

Pour les ressources financières, les contributions reçues du vice-rectorat aux ressources humaines de l’Université Laval dans le cadre du programme de développement de longue durée, ainsi que la bourse remise par le CJQ-IU pour le programme du soutien pour la réalisation d’un mémoire ont facilité ma démarche d’étude.

Enfin, je tiens à souligner le soutien reçu des membres de ma famille. Merci à Michel, mon conjoint, il a cru à mon projet de retour aux études et m’a constamment encouragée à les poursuivre.

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INTRODUCTION

Chaque année, des parents, principalement des mères biologiques, confient ou perdent définitivement la garde de leur enfant avec l’aide ou sous contrainte de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Quelques enfants sont confiés, dès leur naissance, de façon volontaire par leurs parents biologiques, tandis que d'autres sont retirés du milieu familial. Cette situation survient lorsque la DPJ évalue que les parents ne parviennent pas, malgré les services offerts et l’aide apportée, à répondre aux besoins de l’enfant, à lui assurer un milieu de vie sécuritaire où son développement n’est pas compromis (ACJQ, 2011).

Même si le vécu des mères qui confient leur enfant et celui de celles qui en perdent définitivement la garde diffèrent, force est de constater que les conséquences liées au retrait de l’enfant sont souvent similaires. Une des constantes remarquées est la souffrance ressentie chez plusieurs mères à la suite du placement ou de l’adoption de leur enfant (Kiraly et Humphreys, 2013; Schofield et al. 2011; Sécher, 2010; Sellenet, 2010; Elligsen, 2007; Holtan et Eriksen, 2006; Doitteau et Damant, 2005; McKegney, 2003; Weinreb et Konstam, 1995; Deykin, Campbell et Patti, 1984). Selon les quelques études menées sur la question, cette souffrance prendrait sa source dans la séparation mère-enfant et serait maintenue ou accentuée par la stigmatisation subie. Cette séparation est vécue par plusieurs femmes comme un « deuil interdit » (Elligsen, 2007) générant du chagrin et de la tristesse, tandis que la stigmatisation soulève notamment des sentiments de honte et de culpabilité. Comme elles portent l’étiquette ou le stigmate de « mauvaise-mère », ce discrédit les empêche de se sentir pleinement acceptées par la société (Goffman, 1975) et par leurs proches (Sécher, 2010), donc de vivre ouvertement leur deuil. Les sentiments intériorisés à la suite du retrait de l’enfant sont accentués par des contraintes sociales telles que le rejet des proches. Par conséquent, un sentiment d’impuissance ou de ne plus être en contrôle sur sa vie peut émerger.

Par ailleurs, l’intervention effectuée dans un contexte d’urgence (Beaudoin et al. 2005) et de contrôle social est susceptible de créer des inégalités entre intervenant et client, et ainsi,

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diminuer le pouvoir des clients (Noble, Perkins et Fatout, 2000). Dans cette perspective, on pourrait croire que cet évènement, qui est la perte des droits de garde d’un enfant dans le cadre d’un suivi en protection de la jeunesse (PJ), prédispose les mères biologiques à perdre du pouvoir sur leur vie. Cependant, il est démontré que dans « certaines situations qui comportent en elles-mêmes un fort potentiel d’impuissance perçue et concrète, certaines personnes parviennent à réunir les conditions nécessaires à la restauration de leur pouvoir d’agir » (Le Bossé, 2009 : 4).

Ce mémoire a pour but de comprendre le vécu des mères biologiques dont l’enfant a été placé de façon permanente ou adopté1 en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Trois questions sont examinées: 1) qu'est-ce qui caractérise l’expérience de ces mères à la suite du placement permanent ou de l’adoption de leur enfant? 2) quelle est, au moment de l’entrevue, leur perception à l’égard de leur pouvoir d’agir? 3) selon leur perception, quelle est la relation entre le placement permanent ou l’adoption de leur enfant et la transformation de leur pouvoir d’agir?

Le mémoire est présenté en cinq chapitres. L’objet de la recherche, la problématique ainsi que la pertinence sociale et scientifique composent le premier chapitre. Le suivant comprend la démarche documentaire, la recension des écrits ainsi que les limites des études recensées. Par la suite, le troisième chapitre présente l’empowerment, le cadre conceptuel choisi pour la recherche. Pour poursuivre, la démarche méthodologique et l’opérationnalisation du concept d’empowerment sont décrites au quatrième chapitre. Finalement, le chapitre cinq est composé de l’analyse et de la discussion des résultats.

1 . Il s’agit des mères dont l’enfant est placé jusqu’à la majorité, sous tutelle, ou adopté. Bien que ces trois

types de garde diffèrent et qu’ils peuvent présenter des particularités, ils sont considérés comme des réalités similaires dans le cadre de cette étude.

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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

Cette section présente la problématique à l’étude en y incluant les caractéristiques des parents dont l’enfant est suivi par la protection de la jeunesse (PJ) ainsi que la pertinence sociale et scientifique de la recherche.

En juillet 2007, la LPJ a subi plusieurs modifications. Les changements apportés visaient notamment à accroître la capacité du système de protection à répondre aux besoins des enfants dont la sécurité ou le développement sont compromis, en assurant la stabilité de leurs conditions de vie (Turcotte et al. 2010). Une de ces nouvelles dispositions est l’adoption de durées maximales de placement qui varient en fonction de l’âge de l’enfant. Dès lors, en vertu de l’article 91.1. de la LPJ, la durée maximale de placement est de 12 mois pour les enfants de moins de deux ans, de 18 mois pour les enfants âgés de 2 à 5 ans et de 24 mois pour les enfants de six ans et plus (Gouvernement du Québec, 2007). À l’intérieur de cette période, une planification concurrente est élaborée : c’est-à-dire qu’un projet de vie, envisageant à la fois le retour de l’enfant auprès de ses parents et son retrait à long terme, est déterminé et planifié en fonction de l’intérêt de l’enfant (MSSS, 2010). Lorsque le maintien ou le retour à domicile de l’enfant ne sont pas possibles, un projet de vie permanent, aussi appelé projet de vie alternatif, est choisi. Dans ce contexte les choix sont : 1) le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité auprès d’une personne significative, 2) l’adoption de l’enfant, 3) la tutelle de l’enfant en vertu de la LPJ, 4) le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité dans une famille d’accueil, 5) le placement de l’enfant jusqu’à sa majorité dans une ressource offrant des services spécifiques, et 6) le projet de vie axé sur l’autonomie du jeune (MSSS, 2010).

La durée du délai maximum de placement est basée sur le besoin de stabilité de l’enfant selon son âge (Goubau, 2012). Cette mesure a pour but d’éviter les déplacements répétitifs à la suite de tentatives de réinsertion familiale infructueuses (Montambault et Paquette, 2005) et vient particulièrement répondre aux besoins d’enfants à haut risque d’abandon (Goubau, 2012; Dumais, 2004). Dans ce contexte, la clarification du projet de vie doit être

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faite dans les premiers mois de la prise en charge de l’enfant par le CJ. Par conséquent, les parents dont l’enfant est suivi en vertu de la LPJ, doivent corriger leur situation à l’intérieur de la période de temps prédéterminée par l’article 91.1, afin que se concrétise le retour de leur enfant au sein du milieu familial.

Pour l’année 2011-2012, 32 661 signalements ont été retenus par les directions de la protection de la jeunesse du Québec. Pour 37% de ces enfants, leur sécurité ou leur développement ont été évalués comme compromis. En ce qui concerne le milieu de vie des enfants, 55% des 20 853 enfants suivis à l’application des mesures vivaient à l’extérieur du milieu familial en date du 31 mars 2012 (ACJQ, 2012). Les bilans des directeurs de la protection de la jeunesse du Québec (Les centres jeunesse du Québec 2004-2012) indiquent une moyenne de 309 enfants adoptés par année entre 2002 et 2012. En regardant les chiffres de plus près, on peut toutefois constater une augmentation du nombre d’adoptions à la suite des nouvelles dispositions de la LPJ, passant d’une moyenne de 300 adoptions par année entre 2002 et 2007 à 318 adoptions par année entre 2007 et 2012. Cette légère hausse est toutefois proportionnelle au nombre d’enfants pris en charge chaque année par les CJ pendant ces deux périodes.

Dans le contexte d’enfants pris en charge par la DPJ entre le 1er septembre 2007 et le 1er novembre 2009, l’adoption est choisie comme premier projet de vie alternatif dans 12,1% des situations d’enfants âgés de moins de 3 ans (Hélie, Turcotte, Royer et Lamonde, 2011). Ces auteurs remarquent aussi que ce type de projet de vie est particulièrement privilégié lorsque l’enfant a déjà été signalé à la DPJ par le passé. Les données provenant du Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire permettent de constater que 89% des enfants placés en banque mixte dont le dossier est fermé, ont été adoptés (Carignan, 2007). Notons cependant que moins de 1% des enfants placés seraient concernés par l’adoption (Turcotte et al. 2010). Ainsi, une très faible proportion des enfants suivis en protection de la jeunesse serait visée par ce type de projet de vie.

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5 Le rapport d’évaluation de Turcotte et al. (2011) indique, lorsque l’on examine l’ensemble des projets de vie des enfants pris en charge par la DPJ entre le 1er septembre 2007 et le 1er novembre 2009, que 79,3% des enfants ont pour premier projet de vie le retour dans le milieu familial, lequel est actualisé dans 77% des cas (Hélie, Turcotte, Royer et Lamonde, 2011). En ce qui concerne les projets de vie alternatifs actualisés durant cette même période de temps, les enfants placés chez un proche ou auprès d’une famille d’accueil jusqu’à la majorité représentent 16 % des décisions, l’adoption est ordonnée dans 2,6 % des situations et la tutelle dans 0,6% des cas (Turcotte et al. 2011).

Pour les années à venir, l’application des délais maximums de placement aura probablement pour effet d’accroître le nombre de retraits permanents dans le cadre de la LPJ. En ce sens, la Direction de la protection de la jeunesse de Québec (DPJ) affirme que « les enfants placés dans le but d’avoir une famille permanente sont de plus en plus nombreux » (Centre jeunesse de Québec - Institut Universitaire 2008 [en ligne]). Cette affirmation est appuyée par les résultats de l’évaluation des impacts à l’égard des nouvelles dispositions de la LPJ effectuée par Turcotte et al. (2010). Les auteurs de cette étude soulignent que le placement jusqu’à la majorité serait en augmentation depuis 2007, passant de 10 à 14 %.

1.1 Caractéristiques des parents suivis par la protection de la jeunesse

Les parents d’enfants placés présentent généralement des difficultés liées à des situations de précarité sociale et relationnelle (Sécher, 2010). Le portrait des jeunes âgés de 0 à 17 ans référés à la prise en charge des centres jeunesse du Québec (Pauzé et al. 2005) montre que 68 % des familles ayant des enfants de 0-5 ans sont prestataires d’aide sociale. Cette proportion diminue à 52 % chez les parents de jeunes âgés de 6 à 11 ans et à 32 % pour les parents d’enfants suivis sous la loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) et la LPJ, âgés de 12 à 17 ans. Les résultats de cette étude montrent aussi un nombre important de familles monoparentales, près des deux tiers des familles pour les 0 à 11 ans, et un peu plus de la moitié chez les 12-17ans.

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Sur le plan des problèmes d’adaptation, ces chercheurs ont examiné le nombre de parents présentant des problèmes de santé mentale, de consommation d’alcool et de drogues sur une période de 12 mois précédant la recherche. Il ressort de l’étude que 34% des parents d’enfants âgés de 0 à 5 ans présentent, ou ont présenté des problèmes de santé mentale au cours de cette période. Le pourcentage est plus important chez les parents des enfants de 6 à 11 ans, augmentant alors à 43%. Celui-ci diminue à 30,7% chez les parents de jeunes âgés de 12 à 17 ans suivis dans le cadre de mesures de protection sous la LSSSS ou la LPJ. En ce qui concerne les problèmes de consommation d’alcool et de drogues, 43 % des parents d’enfants âgés de 0 à 5 ans ont répondu avoir vécu ou vivre une de ces problématiques. Ce pourcentage est de 38 % pour ceux dont les enfants sont âgés entre 6 à 11 ans, et de 22 % chez les parents des jeunes ayant 12 à 17 ans, pris en charge dans le cadre de la LSSSS ou de la LPJ. En somme, de nombreux parents bénéficiant des services de la protection de la jeunesse ont de faibles revenus, survivent à l’aide de prestations d’aide sociale et présentent un problème de santé mentale ou de consommation abusive d’alcool ou de drogues. Comme on observe qu’un nombre considérable de ces familles sont monoparentales et que la majorité est matricentrique, la population choisie pour cette recherche est composée de mères biologiques.

Selon l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants 2008 (ECI, 2008), les facteurs de risque de mauvais traitements identifiés par les travailleurs sociaux sont : le fait d’être victime de violence conjugale dans 46% des situations, le manque de soutien social (39%), les problèmes de santé mentale (27%), l’alcoolisme (21%) et la toxicomanie ou l’inhalation de solvant dans 17% des cas (Trocmé et al. 2010). Concernant les situations où l’enfant est adopté ou placé de façon permanente, l’étude de Larrieu et al. (2008) indique que l’accumulation des facteurs de risque est un plus grand indicateur que les facteurs de risque spécifiques. Ainsi, selon ces auteurs, il n’est pas possible de prédire qu’un projet de vie alternatif sera nécessaire à partir d’un facteur de risque en particulier, tel que la toxicomanie ou la violence conjugale. Le cumul des facteurs de risque permettrait de faire de meilleures prédictions à l’égard du retrait définitif d’un enfant.

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7 En ce qui a trait aux conditions objectives de vie des parents, l’ECI (2008) indique que dans 51% des situations de maltraitance, la personne prenant soin de l’enfant travaille à temps plein, dans 10% elle travaille à temps partiel, occupe plusieurs emplois ou un emploi saisonnier et dans 33 % des cas elle reçoit des prestations d’assurance-emploi ou d’aide sociale (Trocmé et al. 2010). Par ailleurs, 55% des enfants signalés vivent dans des habitations locatives (Trocmé et al. 2010).

Les conditions objectives de vie et les problèmes que présentent certains parents les prédisposent à vivre plus de stigmatisation. La stigmatisation est définie par Le Bossé (2003) comme étant l’assimilation de la totalité de la personne à ce qu’elle vit. Tandis que le stigmate, d’après Goffman (1975), est un attribut qui jette sur la personne un discrédit profond aux yeux des autres, la faisant passer pour une personne d’un statut moindre. Par conséquent, «c’est posséder une identité dévalorisée, jugée inférieure par les autres » (Croiset et Martinot, 2003 : 27). La stigmatisation peut engendrer une perte d’estime de soi et même un sentiment de culpabilité (Fayard et Fortin, 2012), notamment chez les personnes ayant un stigmate invisible comme la toxicomanie ou un problème de santé mentale (Croiset et Martinot, 2003). Perçus comme une «tare de caractère» (Goffman, 1975), les problèmes sont vus comme l’objet d’une responsabilité personnelle. L’étude de Callahan et Lumb (1995), effectuée auprès de mères monoparentales et d’intervenants de première ligne dans une organisation de protection de l’enfance de la Colombie-Britannique, montre qu’il y a peu de groupes de clients qui soient plus stigmatisés et blâmés que les personnes qui sont accusées de négliger leurs enfants, d’en abuser ou de ne pas les protéger contre les abus commis par d’autres personnes. Ainsi, lorsque ces femmes perdent ou confient la garde de leurs enfants, elles sont confrontées à de nombreux préjugés liés à la somme des stigmates. Conséquemment, le retrait de l’enfant de sa famille peut provoquer un fort rejet social de la mère, et ce, même de la part des proches.

Les représentations sociales négatives attachées à l’image des parents d’enfants placés sont ressenties unanimement chez les 32 répondants de l’étude de Sécher (2010). Elles se

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manifestent concrètement par des attitudes d’évitement et de rejet, ce qui a pour effet de fragiliser les liens sociaux. En outre, les parents étant dans une situation de précarité financière et étant incapables de prendre en charge leur enfant de façon temporaire ou définitive, « se trouvent objectivement disqualifiés à double titre, à la fois socialement et éducativement » (Sécher, 2010 : 39). La disqualification éducative est vécue comme étant la perte de la dignité d’être parent à part entière, car le placement ne permet plus de jouer ce rôle. Par conséquent, appartenir à un groupe stigmatisé poserait des problèmes graves de valorisation personnelle. Le stigmate, « qui leur colle à la peau », porte une atteinte profonde à leur image d’elles-mêmes et à leur dignité, ce qui a pour effet que les personnes stigmatisées ont plus de mal à sortir de leur situation (De Gaulejac, 1996). Ainsi, la souffrance vécue par les parents d’enfants placés viendrait de la perte de tous les statuts sociaux, y compris celui qui semblait le plus naturel, celui de parents (Sellenet, 2010). À cet égard, Sellenet (2010 : 51) affirme que lorsque les parents perdent la garde, « la seule justification sociale reconnue qu’ils possédaient encore – être parents – leur est retirée, ce qui entraîne une dépréciation de soi importante ».

Ce contexte de vulnérabilité, lié aux conditions de vie et au statut de mère ne vivant plus avec ses enfants, prédispose les mères biologiques à vivre plus de stigmatisation et ainsi, à avoir le sentiment de perdre du pouvoir sur leur vie. En outre, « lorsqu’on est socialement défini par un manque (…) il est difficile de garder une bonne image de soi et d’affirmer une identité positive » (De Gaulejac, 1996 : 18). Toutefois, diverses stratégies sont déployées afin de restaurer l’estime de soi lorsque cette dernière est menacée (Croiset et Martinot, 2003). Ce mémoire cherche notamment à repérer certaines de ces conditions à travers l’expérience subjective des mères biologiques.

1.2 La pertinence scientifique et sociale

Sur le plan de la pertinence scientifique, ce mémoire permettra de faire ressortir à la fois les difficultés vécues par ces mères, et les ressources utilisées ou les moyens déployés, afin de reprendre ou maintenir du pouvoir sur leur vie à la suite du placement permanent ou de

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9 l’adoption de leur enfant. Comme l’expérience et la perception des mères à l’égard des services de protection de l’enfance sont peu étudiées (Alpert 2005), et que la majorité des enfants suivis dans le cadre de mesures de protection sont issus de familles monoparentales et matricentriques (Pauzé et al. 2005), cette recherche examine uniquement l’expérience des mères. En outre, on retrouve peu de documentation portant sur les répercussions du placement (Hiilamo et Saarikalio-Torp, 2011) et des retraits permanents sur le vécu des mères biologiques (Carolan, Burns-Jager, Bozek, Escobar Chew, 2010).

De plus, de nombreux travaux ayant pour sujet le placement permanent s’intéressent généralement à l’enfant et à la famille d’accueil. Ces études portent principalement sur la capacité de l’enfant à créer un lien d’attachement sécurisant auprès de la nouvelle famille (Ponciano, 2010; Quevillon et Lechasseur, 2009; Oosterman et Schuengel, 2008; Tessier, 2007; Cole, 2005; Dozier et al. 2001). Sur le plan de la pertinence sociale, ces recherches ont pour effet de bonifier les pratiques des intervenants qui accompagnent ces familles d’accueil ou d’adoption dans le processus d’adaptation. Toutefois, la méconnaissance des caractéristiques, des sentiments vécus et des conséquences positives ou négatives du placement permanent ou de l’adoption de l’enfant sur la vie des mères limite la capacité des intervenants et intervenantes à circonscrire les meilleures approches ou techniques d’intervention. Ces connaissances permettraient pourtant de soutenir ces mères dans ce que l’on peut qualifier d’épreuve et, par ailleurs, de maintenir ou de favoriser leur pouvoir d’agir.

Les quelques recherches menées sur le sujet montrent que le placement d’un enfant est un événement générant systématiquement de la souffrance, bien que la douleur ressentie soit d’intensité variable. Plusieurs auteurs (Ellingsen 2007; Doitteau et Damant 2005; Greiger et Fischer 2003) soulignent que les mères vivent des sentiments de culpabilité et de honte. La douleur ressentie serait liée, d’une part, à la perte de la garde de l’enfant et, d’autre part, à la stigmatisation associée à l’image de la mauvaise mère. Pour faire face à cet événement, elles déploient diverses stratégies leur permettant de recouvrer leur dignité. Or, si certaines se montrent plus résignées ou plus combatives, des études démontrent que le retrait de

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l’enfant provoque une recrudescence d’activités comme la prostitution ou la consommation (Kiraly et Humphreys 2013; Schofield et al. 2011; Neil, Cossar, Lorgelly et Young 2010; Doitteau et Damant 2005). Dans un contexte où la souffrance liée au placement permanent ou à l’adoption de l’enfant serait génératrice de comportements à risques ou autodestructeurs, il apparaît essentiel sur le plan de la pertinence scientifique de comprendre comment ces mères peuvent reprendre du pouvoir sur leur vie, notamment parce que plusieurs mères maintiennent des droits de contacts et des droits parentaux. En outre, certaines mères ont la garde d’un ou d’autres enfants. À titre d’exemple, une mère peut avoir confié ou perdu la garde définitive d’un enfant et avoir d’autres enfants par la suite, ou avoir perdu la garde de son benjamin tout en ayant conservé celle de son aîné. Selon Neil (2013), la compréhension de la détresse ressentie est importante, d’autant plus que le sentiment de perte et l’anxiété sont susceptibles d’augmenter à la naissance d’un nouvel enfant. Dans ces circonstances, il est important de comprendre comment ces mères maintiennent ou reprennent du pouvoir sur leur vie, afin d’être en mesure d’exercer leur rôle parental auprès de leur(s) autre(s) enfant(s).

Outre leur rôle joué auprès d’autres enfants, ces femmes ont aussi droit à une aide adaptée à la suite de cet événement de vie. À ce sujet la LSSSS stipule que « toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée et sécuritaire» (Gouvernement du Québec, 2013). Les enfants sont certes les personnes les plus vulnérables de la population et le choix social est de privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant tout en reconnaissant les droits des parents. Toutefois, les mères qui confient ou perdent la garde de leurs enfants sont aussi des personnes vulnérables vivant des difficultés importantes (Carolan, Burns-Jager, Bozek, Escobar Chew, 2010). Outre leurs droits parentaux, on doit s’intéresser aux conséquences psychologiques ou sociales qu’engendre cet évènement dans leur vie. Selon Neil, Cossar, Lorgelly et Young (2010), les parents ayant reçu des services à la suite de l’adoption de leur enfant montre une amélioration de leur santé mentale. De plus, le coût de l’offre de services pour une période d’intervention relativement courte à la suite de l’adoption de l’enfant est modeste. Finalement, offrir une variété de services après l’adoption est moins onéreux que de traiter les conséquences à

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11 plus long terme (Neil, Cossar, Lorgelly et Young 2010). Dans la conjoncture engendrée par les nouvelles dispositions de la LPJ, le nombre de retraits permanents tend à augmenter au Québec. Il est donc impératif de bien comprendre les sentiments, les besoins et les actions entreprises par les mères à la suite du placement permanent ou de l’adoption, et ce, à partir de leur propre expérience, afin de découvrir des pistes d’intervention permettant de soutenir et d’accompagner adéquatement ces mères.

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CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS

Dans le contexte où les répercussions du placement (Hiilamo et Saarikalio-Torp, 2011) et des retraits permanents sur le vécu des mères biologiques (Carolan, Burns-Jager, Bozek, Escobar Chew, 2010) sont des sujets peu documentés, cette recension est basée sur des écrits scientifiques traitant plus largement des parents dont l’enfant est suivi par les services de protection de l’enfant ou ceux ayant perdu ou confié leurs droits de garde. Le lecteur y trouvera donc de la documentation sur le vécu de parents d’enfants placés2, adoptés sur un mode plénier, mais aussi d’enfants confiés à l’ex-conjoint ou adoptés sur un mode ouvert3.

La démarche documentaire a été réalisée à l’aide des bases de données Ariane 2.0, Famili@, Family & Society Studies Worldwide, Google Scholar, ProQuest Dissertations and Theses Database, PsyhInfo, Scopus, Service Social Abstract et Women's Studies International en utilisant les mots clés suivants : Adoption, Birth Mother, Birth Parent, Birth Relatives, Custody Loss, Empowerment, Foster Care, Foster Care Time Limits, Lost Custody, Mother Child Separation, Mother’s Perspectives, Parent Child Separation, Placement, Pouvoir d’agir, Termination of Parental Rights.

Quatre grands thèmes divisent la recension des écrits. Le premier aborde les projets de vie permanents. Cette partie présente notamment quelques résultats tirés de l’évaluation des impacts des nouvelles dispositions de la LPJ de Turcotte et al. (2010; 2011). Pour le deuxième thème, on observe que l’intervention en contexte de la PJ pose des défis particuliers et que des auteurs se sont intéressés à la relation client-intervenant dans ce contexte. Ainsi, des sujets comme la qualité de la relation, le pouvoir du client et les facteurs favorisant ou faisant entrave à la création d’une alliance thérapeutique sont

2 Comme la majorité des études recensées portent sur les mères et que quelques études sont réalisées auprès

des parents, les deux mots sont utilisés, dépendamment la population ciblée par les recherches citées.

3 Certains pays ont des législations qui permettent l’adoption ouverte. Ainsi, dans cette recension, certains

textes abordent l’adoption plénière alors que d’autres parlent d’adoption ouverte. Bien que cette dernière ne soit pas possible, pour l’instant au Québec, l’expérience vécue par les parents dans le cadre de l’adoption ouverte peut présenter des similitudes avec le vécu des parents dont l’enfant est placé jusqu’à la majorité ou sous tutelle.

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présentés. Ensuite, la recension présente des résultats de recherches qui montrent les conséquences de la perte des droits de garde de l’enfant pour les mères ou les parents biologiques. Cette troisième section est divisée en plusieurs sous-thèmes. Le lecteur remarquera que ceux-ci sont présentés de façon chronologique. Ainsi, les répercussions à la suite de la perte des droits de garde d’un enfant sont présentées à partir du premier retrait de l’enfant jusqu’à la reprise de pouvoir des parents sur leur vie. La recension se poursuit avec des pistes d’intervention auprès des mères ou des parents n’ayant pas la garde de leur enfant. Finalement, la recension des écrits se conclut par la présentation des limites des études recensées.

2.1 Le projet de vie permanent pour l’enfant : assurer une plus grande stabilité

Au Québec, des réflexions concernant une approche favorisant le développement d’un projet de vie permanent pour les enfants à haut risque d’abandon débutent en 1997, dans le cadre de discussions à la table des directeurs de la protection de la jeunesse. Par la suite, en 2004, des centres jeunesse commencent à élaborer des programmes avec une approche projet de vie tenant compte de la notion de temps, tel que proposé par le comité d’experts chargé de réviser la Loi sur la protection de la jeunesse (Montambault et Paquette, 2005). Prenant appui sur les connaissances développées en matière d’attachement et de développement du cerveau (Dumais, 2004), le projet de vie a pour but « d’assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie à plus long terme des enfants recevant des services des centres jeunesse » (Turcotte et al. 2010 : 60). C’est donc dans cette perspective que trois nouveaux principes sont ajoutés à la loi lors de l’adoption des modifications de la LPJ de 2007, dont celui de favoriser la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de l’enfant (Drapeau et al., 2012).

Dans le cadre de l’étude de Turcotte et al. (2010), portant sur l’évaluation des impacts de la nouvelle loi sur la protection de la jeunesse, la stabilité relationnelle des enfants placés en vertu de la LPJ a été examinée. Pour la mesurer, les chercheurs ont comptabilisé les changements de milieu de vie au cours de la trajectoire de placement. Cette étude a été faite

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15 à partir de comparaisons de données prises avant et après implantation des nouvelles dispositions de la LPJ. La cohorte pré-implantation était composée de tous les enfants évalués en protection de la jeunesse dans les CJ du Québec entre le 1er juillet 2003 et le 30 juin 2004, tandis que la cohorte post-implantation était constituée des enfants évalués entre 1er septembre 2007 et le 1er novembre 2009. La durée maximale des observations par cohorte était de 26 mois. Les résultats de cette étude montrent que l’instabilité des enfants placés a diminué à la suite de l’adoption des modifications à la LPJ, cependant l’ampleur des changements est modeste (Turcotte et al. 2010). Le maintien ou le retour au sein de son milieu familial sont les projets de vie privilégiés (MSSS, 2010). Il y aurait une légère augmentation, soit de 2 %, du nombre d’enfants maintenus dans leur milieu familial à la suite de la mise en œuvre des nouvelles dispositions de la LPJ. En ce sens, 52 % des enfants de la cohorte pré-implantation, suivis à l’application des mesures, ont été maintenus dans le milieu familial comparativement à 54 % pour la cohorte post-implantation.

La mise en œuvre des délais maximums de placement engendre des modifications dans le cadre du suivi offert par les CJ, dont l’intensification des services offerts aux parents. Le rapport d’évaluation de Saint-Jacques, Drapeau et N’go Nkouth (2011) présente les impacts des modifications de la LPJ sur les usagers à partir du point de vue des acteurs des CJ. Dans le cadre de cette étude, 15 membres de comités des usagers, 131 intervenants, directeurs ou chef d’équipe et 3 commissaires aux plaintes ont été rencontrés. Selon des acteurs des CJ, l’intensité accrue des services offre de meilleurs résultats, elle a un effet mobilisant pour plusieurs parents, leur permettant ainsi de se reprendre en main. Les attentes à l’endroit des parents sont plus claires et il y a plus de transparence dans le cadre de l’intervention, ce que de nombreux parents apprécient. De plus, les nouvelles dispositions de la LPJ favorisent une plus grande implication des parents dans le processus d’intervention et facilitent par conséquent le développement d’une vision commune de la situation et l’atteinte de consensus. Par ailleurs, la présence des parents lors des révisions et des rencontres des tables d’orientation4 est saluée, car ces instances leurs permettent de s’exprimer et d’accéder à plus d’informations.

4 Discussion formelle concernant la prise de décision quant au choix des mesures à privilégier dans la

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En contrepartie, certaines intervenantes et intervenants, notamment ceux travaillant à l’application des mesures, soulignent que les délais sont irréalistes et impossibles à respecter pour des parents ayant des problèmes graves, complexes ou chroniques. De plus, des obstacles organisationnels comme le nombre de suivis pour chaque intervenant, le roulement de personnel, notamment remarqué au sein des équipes 0-5 ans (Turcotte, G. et al. 2011), le manque d’expérience des nouveaux employés (Drapeau, et al. 2011) et le manque de ressources financières (Turcotte, G. et al. 2011) entravent l’actualisation des suivis intensifs.

La compréhension des nouvelles dispositions de la loi est difficile pour plusieurs parents, notamment ceux ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Selon des membres du comité des usagers, il pourrait s’agir d’un problème de communication entre les intervenantes ou intervenants et les parents. Certains racontent que des parents perçoivent que la situation n’est pas bien expliquée et que l'intervention est faite en tournant « les coins ronds ». Par ailleurs, ils mentionnent aussi que l’état émotif des parents lors de ces rencontres peut avoir pour effet de limiter la compréhension de certains parents à l’égard des informations transmises. Dans le contexte d’application des délais de placement, des commissaires aux plaintes mentionnent qu’il est très important que les parents comprennent les enjeux liés au temps. Ils ajoutent que la responsabilité de bien expliquer l’application de la loi aux parents devrait incomber aux avocats des parents, car si « les intervenants jouent un rôle crucial dans la transmission de l’information aux parents, (…) leur position peut être délicate en cas de litige » (Saint-Jacques, Drapeau, N’go NKouth, 2011 : 86).

et lorsque nécessaire le chef de service de l’équipe évaluation / orientation. Cette rencontre se déroule en présence ou non de l’usager, d’un membre de sa famille ou d’un acteur significatif dans la situation de l’usager. Cette activité inclut le « comité d’étude et de décision de placement » (MSSS, 2011 Cité dans Dagenais, S., Langlois, P. 2011).

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17 En ce qui concerne l'intervention effectuée à l’application des mesures, des membres du comité des usagers soulignent que « le pouvoir accru des intervenants qui doivent à la fois aider et juger de la capacité des parents à reprendre la garde de leur enfant semble inquiéter les parents » (Saint-Jacques, Drapeau, N’go NKouth, 2011 : 103). Dans le cadre de l’intervention, une planification concurrente est organisée. Pour les enfants placés, le plan A est actualisé lorsque l’enfant peut retourner vivre dans son milieu familial, parce que celui-ci est jugé sécuritaire ou ne compromettant pas son développement. Le plan B est choisi lorsqu’au terme du délai de placement, les éléments de compromission sont toujours présents. La concurrence des plans a pour but d’éviter les déplacements de l’enfant et les ruptures de liens. Dans cette perspective, un projet de vie alternatif est donc planifié. Il s’agit de déterminer avec les parents et l’enfant un autre milieu de vie stable et permanent. Dans un premier temps, l’environnement de l’enfant est exploré, afin de trouver une personne significative de son entourage qui serait prête à s’engager à long terme (MSSS, 2010). Toutefois, si l’enfant ne peut être accueilli par un membre de sa famille ou un proche, il est placé dans une famille d’accueil. Lorsque l’enfant est susceptible d’être abandonné par ses parents, celui-ci est placé dans une famille inscrite à la banque mixte qui agit provisoirement comme famille d’accueil. Ce programme de "placement pré-adoptif " (Ouellette et Goubau, 2009) mis en place dans les CJ du Québec a été créé afin de faciliter l’adoption d’enfants placés « à haut risque d’abandon » (Ouellette et Goubau, 2009). La banque mixte est formée de personnes qui souhaitent adopter un enfant, mais qui acceptent d’accueillir d’abord l’enfant à titre de famille d’accueil (Lavallée, 2007). Dans le contexte où le plan B, appelé projet de vie alternatif, est entériné, l’enfant est alors placé jusqu’à la majorité, sous tutelle ou adopté par une personne significative de son entourage ou par une famille d’accueil.

Dans les situations où l’adoption est le projet de vie alternatif déterminé pour l’enfant, les liens de filiation de l’enfant avec ses parents d’origine sont rompus (ACJQ, 2012) conformément à l’article 577 du Code civil. Comme il s’agit d’une adoption plénière, un nouvel acte de naissance est émis reconnaissant les parents adoptifs comme étant les seuls parents de l’enfant (Lavallée, 2007). Selon l’ACJQ (2012), l’adoption plénière convient à une majorité d’enfants, mais cette forme d’adoption ne répond pas toujours au meilleur

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intérêt de l’enfant, notamment dans les situations où ce dernier est plus âgé et où son lien avec sa famille biologique est important pour son bien-être. Dans le contexte où le portrait de l’adoption est en changement au Québec, une nouvelle réforme a été proposée afin de modifier les mesures législatives qui balisent l’adoption d’enfants. À cet effet, le projet de loi 81 intitulé « Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et d’autorité parentale » a été déposé en 2012. Ce projet de loi proposait notamment l’ajout d’articles de loi permettant l’adoption sans rupture, autorisant des ententes de communication entre la famille adoptive et la famille d’origine (Québec, 2012). Cependant, en raison du changement de gouvernement, ce projet de loi n’a pas encore été adopté.

Le travail en CJ implique une démarche claire et balisée par une loi. Ce travail exige d'intervenir dans le meilleur intérêt de l’enfant tout en respectant les droits des parents, avec pour double mandat de protéger l’enfant et de soutenir les familles. Par conséquent, le contexte d’autorité dans lequel s’inscrit l’intervention en protection de l’enfance pose des défis importants, notamment à l’égard de la relation avec les parents.

2.2 L’intervention en protection de l’enfance

Les opinions sont partagées en ce qui concerne la qualité de la relation entre les intervenantes et intervenants et les parents (pères et mères confondus) dans un contexte de protection de la jeunesse. Noble, Perkins et Fatout (2000) affirment que l’intervention en protection de la jeunesse est en premier lieu une mesure de contrôle social et que, dans ce contexte, elle est particulièrement susceptible de venir diminuer le pouvoir des clients. Comme le soulignent Beaudoin et al. (2005 : 188) : « la situation d’urgence et l’importance de minimiser les risques sur le développement et la sécurité de l’enfant font en sorte que la relation entre le client et l’intervenant se caractérise plus fréquemment par l’inégalité de pouvoir et le contrôle ». Ce contexte d’intervention est donc plus propice à générer des sentiments de frustration, d’impuissance et d’injustice (McKegney, 2003).

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19 La particularité de l’intervention en contexte de protection de l’enfance pose des défis particuliers, afin de susciter l’engagement parental. L’étude menée par Schreiber, Fuller et Paceley (2013), effectuée auprès de 40 parents d’enfants suivis dans le cadre de mesure de protection, montre que la première visite des services de protection dans le milieu familial constitue un des premiers obstacles à l’engagement parental dans le cadre du processus d’intervention. Selon Ainsworth et Hansen (2011), lorsque la notion de "meilleur intérêt de l’enfant" est utilisée de façon disproportionnée, elle prédispose les parents à vivre une expérience négative dans le cadre du suivi. C'est-à-dire que, lorsque les premiers propos entendus par les parents sont que le mandat de l’intervenante ou de l’intervenant est d’évaluer la situation dans le meilleur intérêt de l’enfant, le rapport inégalitaire est susceptible d’être accentué. Ainsi, certaines compétences doivent être utilisées, afin de contrer la mauvaise réputation des services de protection pour aider les parents à gérer les émotions négatives ressenties lors de ce premier contact (Schreiber, Fuller, Paceley, 2013).

La qualité de la relation au cours du processus d’intervention est variable. À ce sujet, l’étude de Sécher (2010) réalisée auprès de 32 parents d’enfants placés, souligne une diversité de points de vue concernant l'appréciation de la relation. Si certains parents déclarent ne pas être écoutés ou qualifient certains intervenants d’incompétents, à l’opposé d’autres soulignent l’importance de l’aide reçue. Outre ces positions polarisées, des parents interrogés affirment que la relation s’est transformée en cours de route, passant d’une relation tendue à une relation de complicité.

Des auteurs québécois (Turcotte, Jacques, Pouliot, 2008; Beaudoin et al. 2005; Saint-Jacques et al. 2000; Côté et Boulet 1996; Moreau, 1987) démontrent que des approches moins traditionnelles visant des rapports plus égalitaires et reconnaissant les forces des clients sont susceptibles d’accroître l’implication parentale. Le développement du pouvoir d’agir apparaît comme une solution de rechange aux approches plus traditionnelles dans plusieurs domaines de l’intervention, notamment en centre jeunesse (CJ) (Lemay 2013).

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La lecture de documentation scientifique traitant des contraintes à l’égard de la création de l’alliance thérapeutique permet de relever différents obstacles. Ainsi, des difficultés sur le plan de la communication (Kiraly et Humphrey, 2013; Healy, Darlington et Feeney, 2011) sont observées. Ces difficultés sont accentuées par la méfiance à l’égard des intervenantes et intervenants (Ellingsen, 2007; Doitteau et Damant, 2005), notamment parce que certaines mères ont l’impression d’avoir été trahies et ne font plus confiance (Mc Kegney, 2003). Pour d’autres, il s’agit plutôt de la perception d’être jugées comme parents (Kiraly et Humpreys, 2013 ; Healy, Darlington et Feeney, 2011), et particulièrement comme étant de mauvaises mères (Sykes, 2011; Doitteau et Damant, 2005).

La recherche australienne de Kiraly et Humpreys (2013) auprès de 18 mères et de 2 pères biologiques dont l’enfant est placé montre que certains parents ont de la difficulté à comprendre quels sont leurs droits et comment fonctionne le système judiciaire. Comme l’aide est offerte par des intervenantes et intervenants provenant de l’institution qui leur a enlevé leur enfant, certaines mères ont peur et entretiennent de mauvaises relations avec les centres jeunesse, comme le mentionnent Doitteau et Damant (2005) dans le cadre d’une recherche portant sur la maternité des femmes pratiquant la prostitution, effectuée à partir d’une analyse secondaire de données. Par conséquent, elles ont de la difficulté à accepter l’aide offerte (Ellingsen, 2007). Certaines estiment qu’il y a trop d’enjeux à dévoiler leurs besoins, sentent que l’intervenante ou l’intervenant a peu d’intérêt à comprendre ces derniers et à les aider (Kiraly et Humpreys 2013) ou à prendre en compte leurs sentiments (Carolan, Burns-Jager, Bozek, Escobar Chew, 2010). Dans les situations d’adoption, des parents biologiques racontent avoir peu de pouvoir pour influencer les évènements et décrivent le processus d’adoption comme une expérience injuste, hostile et aliénante (Neil, Cossar, Lorgelly et Young, 2010).

La recherche étasunienne de Carolan, Burns-Jager, Bozek, Escobar Chew (2010) est basée sur l’histoire de trois mères suivies dans le cadre d’un programme appelé Families in Transition. Les auteures montrent que les traumatismes antérieurs et les oppressions subies ne sont pas pris en considération dans le cadre de l’intervention, ce qui a comme effet que la vulnérabilité de ces mères n’est pas reconnue. Cependant, certaines femmes ne veulent

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21 pas être perçues comme étant vulnérables. Les études norvégiennes de Holtan et Ériksen (2006) et de Ellingsen (2007) effectuées respectivement auprès de 12 et de 8 mères biologiques dont l’enfant est placé par le système de protection de l’enfance, indiquent que des mères souhaitent plutôt démontrer aux intervenantes et intervenants qu’ils ont tort et qu’elles sont « assez bonnes » (Holtan et Ériksen, 2006). Elles veulent montrer qu’elles maîtrisent la situation et qu’elles sont « fortes », ce qui les empêche d’exprimer leurs besoins dans le cadre de leur suivi auprès de la protection de l’enfance (Ellingsen, 2007).

Une autre difficulté mentionnée dans le cadre de la relation entre les mères d’origine et les intervenants sociaux ou judiciaires serait liée à l’image de la mauvaise mère. Selon Carolan (2010), les attentes à leur endroit sont plus grandes que celles exigées des pères biologiques. Par conséquent, comme les mères se sentent jugées, elles sont davantage méfiantes à l’égard des services d’aide ce qui fait entrave à la recherche d’aide auprès des services institutionnels ou sociaux (Doitteau et Damant, 2005).

Par ailleurs, l’étude étasunienne de Sykes (2011) aborde la question de la participation des mères au processus d’intervention. L’auteure soutient que les mères et les travailleurs sociaux semblent être pris dans un cycle improductif. En effet, selon plusieurs travailleurs sociaux, la reconnaissance de la maltraitance ou de la négligence par les mères favorise la participation au processus d’intervention. Dans ce contexte, les mères sont plus ouvertes à modifier leurs comportements parentaux. Toutefois, admettre des fautes commises signifie que les mères doivent se reconnaître implicitement comme étant de « mauvaises mères ». Par conséquent, les mères déploient diverses stratégies, comme rejeter les interventions ou remettre en question les normes et leur application, afin de résister à l’image de la « mauvaise mère ».

Si la stigmatisation subie ou perçue par les mères peut faire entrave à la création de l’alliance thérapeutique, elle a aussi d’autres répercussions dans la vie de ces femmes. Perdre ou confier définitivement les droits de garde d’un enfant entraîne différents sentiments et réactions chez les mères biologiques. On constate notamment qu’un

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sentiment de culpabilité est fréquemment ressenti, que ces mères traversent un processus de deuil, et que cette séparation vient ébranler leur identité de mère. La section qui suit présente les conséquences de la séparation mère-enfant pour les mères et quelques obstacles auxquels elles sont confrontées dans leur reprise de pouvoir.

2.3 Conséquences de la perte des droits de garde de l’enfant pour les mères ou les parents biologiques

2.3.1. Le retrait de l’enfant : une situation de crise possible

Dans le cadre de l’étude de Kiraly et Humphreys (2013), l’expression « I went downhill » est utilisée pour décrire le moment où les parents se sont vus retirer leur enfant. Cela semble être un point critique associé à un risque accru d’abus de substances psychoactives. Le même constat est fait dans le texte de Schofield et al. (2011) qui présente les résultats d’études provenant de l’Angleterre, de la Norvège et de la Suède. Des parents expliquent que leurs problèmes tels que la dépression, l’agressivité ou la dépendance, sont devenus plus apparents au cours du processus judiciaire et lors du placement de l’enfant. Les parents estimaient qu’ils n’étaient pas alors considérés et respectés en tant qu’êtres humains réagissant à une situation de crise. Les travailleurs sociaux ont été décrits comme n’étant pas disposés à voir le comportement des parents comme un signe de désespoir ou de déni résultant de leur perte: leur comportement venait plutôt confirmer l’évaluation voulant qu’ils ne soient pas aptes à s’occuper de leur enfant.

Selon Kiraly et Humphreys (2013), la perte de la garde de l’enfant génère un chagrin considérable. Les études analysées par Schofield et al. (2011) soulignent que le sentiment de perte, le chagrin et la colère sont présents et que la douleur est vivement exprimée par presque tous les parents. Les auteurs ont cependant remarqué que les réactions à la perte sont diverses. Certains ont décrit des états dépressifs ou des idées suicidaires. D’autres se sont tournés vers la consommation de drogues ou d’alcool, tandis que certains se sont plutôt mis en action, favorisant par exemple les contacts avec leur enfant ou un travail. Parfois, des parents ont pris de la médication, afin de démontrer au travailleur social et

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23 particulièrement à leur enfant qu’ils savaient avoir commis des erreurs et qu’ils essayaient de changer. Pour certains parents, la colère est l’émotion dominante. Certains ont besoin de « se défouler » avec des amis. D’autres se sont battus pour recouvrer la garde de leur enfant. Selon Neil (2007), dans une étude britannique effectuée auprès de 72 parents et grands parents biologiques dont l’enfant a été placé avant l’âge de 4 ans, la colère peut résulter du sentiment d’avoir été contraint par les services sociaux ou la famille, ou encore, du fait que la perte des droits de garde soit le résultat de leurs propres échecs ou d’évènements particuliers. La recherche de Schofield et al. (2011) montre aussi que la lutte pour ravoir la garde de son enfant, et ce même lorsque c’est impossible, a pour effet de restaurer l’estime de soi des parents qui entreprennent cette bataille. Certains vont continuer à se battre, investir leur temps, leur énergie pour amasser des preuves, formuler des plaintes et dans certains cas retourner au tribunal. D’autres parents, en colère, vont participer à des forums de discussions via Internet.

Holtan et Eriksen (2006) ont mené une étude en Norvège auprès de 12 mères dont l’enfant est placé par les services de protection de l’enfance. Dans cette recherche, les sentiments vécus par les mères lorsque l’enfant est retiré du milieu familial sont l’anxiété, l’inquiétude, la panique et le désespoir. Toutefois, même si le retrait de l’enfant peut provoquer de fortes émotions (Kiraly et Humphreys 2013; Schofield et al. 2011; Holtan et Eriksen, 2006), il est pour certaines mères l’élément déclencheur qui les poussera à débuter une thérapie (Kiraly et Humphreys, 2013; Simmat-Durand, 2007).

2.3.2. L’impact de la prise de décision

Selon Schofield, et al. (2011), les parents qui ont vécu de la colère ou de la douleur à la suite du retrait de leur enfant peuvent saisir que la décision du placement de leur enfant était justifiée. Certains, notamment ceux ayant des problèmes de consommation de psychotropes ou de santé mentale, sont conscients qu’ils n’arrivaient pas à donner à leurs enfants ce dont ils avaient besoin. Pour leur part, Doitteau et Damant (2005) mentionnent que des répondantes, ne voulant pas reproduire avec leur enfant ce qu’elles ont vécu dans leur enfance, décident elles-mêmes de les placer ou de les faire adopter.

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Même si les mères qui ont confié leur enfant et celles à qui le droit de garde a été retiré peuvent vivre le placement ou l’adoption de façon différente, la décision de confier l’enfant ne semble pas plus facile. Les femmes ayant confié leur enfant à l’adoption ont tendance à se blâmer parce qu’elles portent la responsabilité de l’abandon de leur enfant (Neil, 2007). Cependant, selon Grief et Pabst (1988) qui signe une recherche effectuée par questionnaire auprès de 517 mères nord-américaines et Kielty (2005) auteure d’une recherche qualitative effectuée auprès de 12 mères britanniques ayant confié de façon volontaire la garde des enfants au père à la suite d’un divorce, les mères ont tendance à décrire ce type d’arrangement de façon plus positive, alors que celles ayant perdu la garde contre leur gré abordent généralement la situation de façon négative. Par ailleurs, l’étude de Sécher (2010), portant sur la dignité et la reconnaissance sociale des parents d’enfants placés, montre qu’il n’y a pas de lien entre la satisfaction du parent et le fait que ce soit lui qui ait demandé le placement ou que le placement ait été imposé. Il observe que le sentiment d’injustice est aussi marqué chez des répondants ayant sollicité l’aide. Dans cette étude, la souffrance provoquée par le placement est un thème qui traverse l’ensemble des entrevues. Cependant, cette souffrance serait interprétée de façon différente par les répondants. Les parents qui considèrent le placement comme étant injustifié seraient révoltés, tandis que les parents qui estiment que le placement est justifié affirmeraient qu’ils assument leurs responsabilités à l’égard de la décision du placement (Sécher, 2010). L’auteur montre aussi que les parents qui font la demande de placement tentent de se démarquer des parents à qui on a retiré la garde en justifiant la demande de placement, et ce, même si dans la plupart des situations cette décision constitue un choix par défaut.

2.3.3. Un deuil

Même si le DSM-IV mentionne que le deuil est lié à la perte d’une personne à la suite de son décès, Santora et Haysy (1998), dans une recherche effectuée auprès de 26 mères sans la garde de leur enfant, montre que le deuil peut caractériser le vécu des mères à la suite de la perte de la garde. Ce constat est aussi fait par McKegney (2003) qui a rencontré 4 mères ayant perdu les droits de garde de leur enfant de façon permanente en vertu de LPJ, dans le cadre de la rédaction d’un mémoire de maîtrise. Ses résultats montrent que la douleur serait semblable à celle ressentie lors d’un décès. Ce deuil d’un enfant vivant peut produire un

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25 sentiment d’indignité, de perte d’estime de soi et de dépression (Deykin, Campbell et Patti, 1984). Toutefois, cette douleur est difficilement partageable avec d’autres, tel un « deuil interdit », car les services de protection et le réseau ne comprendraient pas le sérieux de la douleur éprouvée (Ellingsen, 2007). Selon Neil (2007), les parents vivent seuls l’expérience extrêmement difficile qu’est l’adoption d’un enfant, car peu d’entre eux reçoivent une aide pour faire face à leurs sentiments.

Selon Weinreb et Konstam, (1995) qui ont rencontré 8 mères ayant confié leur enfant à l’adoption et Brodzinsky (1990), qui présente une recension des écrits portant sur l’adaptation des mères à la suite de l’adoption de leur enfant, le processus de deuil vécu par ces mères est méconnu et invisible, en ce sens où il n’y a pas de rituel socioculturel permettant d’amoindrir la douleur. Après le retrait de l’enfant, il est difficile pour les mères biologiques de trouver un endroit réconfortant comme ce qui est généralement vécu à la suite d’un décès. Puisque confier ou perdre les droits de garde d’un enfant est un évènement qui est parfois caché et honteux, la famille ou les amis ne sont pas présents pour partager la douleur ressentie (Brodzinsky, 1990). Ce soutien des proches est pourtant important dans le cadre du processus de deuil, car il est reconnu que la capacité d’une personne à traverser chaque étape de la réaction de deuil est influencée par le comportement et l’attitude des personnes qui l’entourent (Howe, 1990). Par conséquent, garder en secret l’adoption de l’enfant a pour effet d’augmenter le sentiment de culpabilité et l’isolement des mères d’origine, ce qui vient entraver leur sentiment de bien-être (Weinreb et Konstram, 1995).

La perte d’un enfant à la suite d’une adoption, d’un décès, d’une séparation ou d’un divorce provoque une séquence de réactions qui sont typiques. Ce processus est constitué d’un choc et d’incrédulité; de la colère et du ressentiment; de la culpabilité; de la dépression et du retrait pour finalement atteindre le stade de l’acceptation et de la résolution (Howe, 1990). Toutefois, trois facteurs additionnels viennent alourdir ce processus de deuil chez les femmes ayant confié leur enfant à l’adoption : le climat de répression et de censure présent lorsque la mère renonce à son enfant, le fait qu’elles se sentent responsables et se blâment, et l’absence d’informations concernant les progrès et le bien-être de leur enfant (Howe,

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1990). Selon Neil (2007), les difficultés antérieures vécues par les parents, comme les problèmes de santé mentale ou de consommation de psychotropes, peuvent réduire la capacité des parents à comprendre ou à faire face à la perte de l’enfant. Le deuil vécu par les mères ayant confié leur enfant à l’adoption est unique selon Holli et Bloom (1999), auteures d’une revue de la littérature portant sur les réactions des mères à la suite de l’adoption de leur enfant. Selon elles, les mêmes difficultés rencontrées à la suite d’un décès sont vécues par les mères biologiques. Toutefois, pour plusieurs mères ces difficultés persistent dans le temps et deviennent souvent chroniques.

2.3.4. L’intensité de la douleur

En ce qui concerne l’intensité de la douleur ressentie, Crushman, Kalmuss et Namerow (1993) ont effectué une recherche auprès de 215 mères, âgées de 13 à 21 ans, ayant confié la garde de leur enfant à des familles d’adoption. Cette étude démontre que la tristesse et le chagrin sont présents six mois après l’adoption. Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont interrogé les mères avant la naissance de l’enfant et environ six mois après la naissance et l’adoption de l’enfant. Sur une échelle de Likert à 4 points, les auteurs ont constaté que 38% des mères vivent une grande tristesse, 27% ressentent de la tristesse, 19% un peu et 16% ont déclaré n’avoir jamais eu de chagrin concernant l’adoption. Plus d’un tiers ont signalé n’avoir aucun regret à propos de leur décision de placer leur enfant pour adoption, 45% ont un peu ou un certain regret, et 18% ont rapporté beaucoup de regret. Toutefois, les deux tiers de l’échantillon ont affirmé qu’elles prendraient la même décision si c’était à refaire.

Concernant l’augmentation ou la diminution de l’intensité de la douleur, 57% des répondantes ont affirmé que la douleur diminue avec le temps et 43% ont affirmé que celle-ci est restée la même ou a augmenté depuis l’adoption. Cependant, Deykin, Campbell et Patti (1984), à la suite d’une étude quantitative réalisée auprès de 334 parents biologiques (321 mères et 13 pères) ayant confié leur enfant à l’adoption, soutiennent que l’intensité du chagrin vécu demeure stable au fil des ans. Dans le même ordre d’idée, selon Neil (2013), des sentiments peuvent refaire surface à des moments particuliers, comme lors des anniversaires de l’enfant.

Figure

Tableau 5.1 Profil des répondantes  Prénom et  âge de la  mère/nombre  d’enfants  Prénom et âge des enfants  Âge de  l’enfant  lors du 1 er placement 6 Âge de  l’enfant au moment du  placement  permanent  ou de  l’adoption  Résidence enfants  Contacts  Ann
Tableau 5.2 Comparaison des pourcentages de l’échelle de mesure du sentiment d’être  maître de sa vie et la perception d’être maître de sa vie selon leur propre définition
Tableau 5.3  Comparaison,  à  partir  de  l’échelle  d’auto-notation,  de  la  perception  d’être maître de sa vie, selon leur propre définition, à trois moments : lors du premier  retrait,  lors  du  placement  permanent  ou  de  l’adoption  de  l’enfant

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